« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

mercredi 7 novembre 2018

#ChallengeAZ : F comme formation militaire

Lien vers la présentation du ChallengeAZ 2018
___

Paysans, ouvriers, marchands… il faut faire de ces hommes aux profils divers des soldats. 

La base de l’enseignement militaire commence par la connaissance des grades et des commandements.

Ensuite, la formation (nommée « école ») s’élargit pour passer de l’individuel au collectif : soldat, section, compagnie, bataillon. Elle comprend plusieurs volets :
  • L’éducation physique est évidemment primordiale dans la formation du futur soldat. Pour ceux qui en sont capable, s’y ajoute la « gymnastique d’application » constituée par des applications militaires et sportives, destinée à surmonter les difficultés rencontrées en campagne. Et enfin pour les élites, la « gymnastique de sélection » qui comprend certains exercices spéciaux aux agrès et certains sports exigeant des facultés particulières. Chaque recrue dispose d’une fiche individuelle de gymnastique où sont notées ses performances à la natation, au saut, à la course, etc…
  • Les manœuvres sont le second volet de la formation militaire : la mise au garde à vous, au repos, la marche (pas de gymnastique ou pas cadencé), les positions du fusil (à l’épaule, au repos, etc…). Les positions debout, à genou, couché.
  • Vient ensuite le tir, instruit de façon individuelle puis collective : chargement de l’arme, visée, feux dans différentes positions, cessez le feu, inspection des armes. Le combat à la baïonnette : la mettre et la défaire, charge. On considère encore à l’époque que la baïonnette est l’arme suprême du fantassin.
Quittant la caserne, les soldats commencent leur instruction sur le terrain : le « service en campagne ». Ils y apprennent la connaissance et l’utilisation du terrain, l’orientation, les missions des sentinelles, des éclaireurs. Un cours sur la Convention de Genève leur est apporté.
  • Les travaux de campagne comportent un volet sur les destructions, les travaux de camp ou de bivouac, des exercices pratiques d’embarquement en chemin de fer ou de ravitaillement en munitions. Les exercices se pratiquent de jour comme de nuit. La construction des tranchées y tient une place importante.

 Extrait du manuel d'instruction militaire, les positions dans les tranchées © Gallica
  • L’éducation morale leur inculque les notions de Patrie, de Drapeau, les principes de discipline et de solidarité. Ils doivent également connaître l’historique de leur Corps d’Armée.
  • Bien sûr, ils doivent reconnaître immédiatement les marques extérieures de respect, en particuliers celles dues aux supérieurs hiérarchiques. Les récompenses, certificats de bonne conduite ou permissions sont expliquées, de même que les punitions encourues.

  • L’alimentation (on dirait aujourd’hui la nutrition) est abordée, de même que divers programmes tels que le tabac ou le fonctionnement de la poste.
  • L’hygiène militaire fait l’objet d’un programme complet : on y aborde les soins de propreté corporelle (bien que finalement, beaucoup devront s’en passer pendant de longues périodes), mais aussi la tenue des chambres, la vie au bivouac, le paquet individuel de pansement. Enfin, les maladies contagieuses (en particulier syphilis ou tuberculose), et l’alcoolisme sont également abordés.
  • Le paquetage est soigneusement détaillé, notamment dans sa façon de le ranger afin que des éléments indispensables soient facilement accessibles et inversement.
  • Le code de justice militaire clôt la formation, avec ses obligations et cas particuliers (maladies, voyages, réformes…).

On notera que Jean-François est entré en formation début octobre 1914 : ses « classes » auraient dû durer 6 mois, mais ont été écourtées d’un mois : en janvier 1915 l’armée se considérait déjà en manque d’hommes et a fait abréger les formations militaires pour remplacer les – nombreux – soldats morts sur le front.


mardi 6 novembre 2018

#ChallengeAZ : E comme éléments de description

Lien vers la présentation du ChallengeAZ 2018
___

La fiche matricule donne un certain nombre de renseignements sur le soldat :
- Son nom, prénom et surnom éventuel ;
- Son état civil ;
- Date et lieu de naissance ;
- Résidence et domicile (pour mémoire le domicile, en droit civil, c'est le lieu où l'individu a son principal établissement, c'est-à-dire son habitation principale et le centre de ses intérêts les plus importants, tandis que sa résidence est le lieu où l'individu se trouve en fait, en général de façon temporaire). Au point de vue militaire, la distinction entre le domicile et la résidence est tout aussi importante qu'en droit civil. Pour le recrutement, le canton assigné au jeune homme est celui du domicile de ses parents, qu'il conserve tant qu'il ne peut justifier d'un domicile personnel (quelque soit sa résidence au moment du recrutement) ;
- Profession ;
- Parenté ;
- Mariage éventuel.
- Signalement physique : couleurs des cheveux, des yeux, forme du visage, taille, marques particulières…
- Degré d’instruction.
- Localités successivement habitées.
- Parcours militaire (nous en parlerons dans la lettre R).


Extrait de la fiche matricule de Jean-François © AD74

C’est ainsi que j’ai fait quelques découvertes à propos de Jean-François :

Si je connaissais sa date et lieu de naissance, son domicile et l’identité de ses parents, j’ai remarqué en revanche qu’il avait sa résidence à Paris, au 174 faubourg Saint Martin, dans le 10ème arrondissement, et qu’il était garçon de café. Mais son domicile étant toujours en Haute-Savoie, il fut recensé militairement parlant dans les Alpes. A ma connaissance, après la guerre, il ne revint jamais faubourg Saint Martin et changea de métier.

Sur la fiche principale, la partie dévolue à son signalement a été très peu remplie : je sais juste qu’il était roux aux yeux châtains. Cependant la fiche contient plusieurs retombes (papiers collés parce que les cases d’origines étaient trop petites) ; or, au verso de l’une d’elles, on retrouve un extrait de sa fiche matricule (un double ? un brouillon ?) et là, surprise, on voit qu’il avait le front droit et le visage ovale. Et dire que je ne me suis aperçue de ce détail que 4 ans après avoir reçu ledit document !

J’ignore son degré d’instruction, partie non remplie également.

Après guerre, il naviguera entre Eaubonne (Val d’Oise), Samoëns, retour à Eaubonne et enfin Paris.

Sa fiche signale encore qu’en 1924 il était camionneur. Par ailleurs (et là encore je viens seulement de m’en apercevoir : comme quoi on ne lit jamais vraiment à fond les documents qu’on a sous les yeux !), il est mentionné qu’en 1937 il est « classé affecté spécial au titre de la Société des Matières Colorantes et Produits Chimiques de Saint-Denis (rue des Poissonniers à Saint-Denis) comme "ouvrier spécialisé en produits chimiques". Cette usine est née de la fusion en 1881 de l’usine Dalsace, qui produisait de l’aniline et des dérivés de la houille servant à la teinture, avec les établissements Poiriers, fabriquant des produits chimiques. Elle a fermé ses portes en 1965. Comment un fils de cultivateur, anciennement garçon de café puis camionneur s’est-il retrouvé à travailler comme ouvrier spécialisé pour une usine utilisant des produits chimiques tels que la soude, des engrais, des nitrates et diverses matières colorantes ? Mystère. Quoi qu’il en soit, il a quitté ce poste au moins en 1946 car alors une autre source m’indique qu’il entre à la Société Anonyme des Pneumatiques Dunlop… mais ceci est une autre histoire.


lundi 5 novembre 2018

#ChallengeAZ : D comme déplacements

Lien vers la présentation du ChallengeAZ 2018
___

Parti de Haute-Savoie, Jean-François commence son périple par l’entraînement à la caserne, probablement celle de Chambéry. Lors de sa première affectation, avec le 23ème BCA, il est envoyé dans les Vosges. Il y connaîtra différents lieux, soit en premières lignes soit en cantonnements à l’arrière. Avec son nouveau bataillon, le 51ème, il rejoint la Somme, puis la Picardie, la Meuse, la Marne, les Ardennes. Ils sont finalement envoyés en Italie, avant de rentrer en France : Somme, Nord, Oise, Aisne et Somme à nouveau.

Les déplacements de courte distance, entre cantonnement et premières lignes, sont effectués à pied, parfois dans des conditions pénibles de froid et de neige (durant la période vosgienne par exemple). Parfois le transport se fait en automobiles ou en convois de camions. Et pour les trajets plus longs, des trains sont affrétés spécialement.

Il y a aussi d’autres types de déplacements : des missions de reconnaissances régulièrement effectuées.
Lors des périodes de « repos » sur les lignes arrières, les soldats ne restent pas inactifs et font de longues marches de manœuvre, avec barda complet sur le dos : ils vont d’un point à un autre ou marchent parfois en boucle, revenant à leur point de départ.
A tous ces déplacements il faudrait ajouter les permissions : en effet, en 4 ans de guerre, il est fort probable que Jean-François en ait eu ; malheureusement je n’ai pas d’indication quand aux dates et aux lieus de départ dont il aurait pu en bénéficier, si bien que je ne peux pas les prendre en compte.

L'année 1917 est particulièrement riche en déplacements : le bataillon va de cantonnements en cantonnements, monte parfois en première ligne, mais fait surtout de longues marches d'exercice. Vosges, Haute-Saône, Haut-Rhin, Marne, Oise, Seine et Marne, Marne, Meuse, Vosges, Marne se succèdent à un rythme effréné jusqu'au grand départ de novembre vers l'Italie.

Parfois les déplacements sont difficilement compréhensibles, comme cet aller-retour italien : étape Lonato-Cedegolo le 8 novembre 1917, poursuite vers Edolo le 9  et retour immédiat à Lonato (prévu le 13, mais reculé au 17 à cause d’un éboulement sur la voie), soit 240 km initialement prévus en 5 jours (et finalement réalisés en 9).

Si l’on ajoute tous les déplacements en 4 ans de conflits, d’après mes estimations, cela représente 13 037 km (hors les 5 mois de formation, les marches de manœuvres qui ne sont pas détaillées et les permissions dont je n’ai pas retrouvé les traces), soit environ 280 km par mois. L'étape la plus longue a lieu lors du retour d'Italie : de la Vénétie jusque dans la Somme, ce sont près de 1 400 km qui sont effectués en trois jours (par train principalement, terminés par une marche pénible sous la pluie et sur des routes défoncées).

Voici ce que cela donne sur une carte :



Bref, en 4 ans de guerre, Jean-François en a fait du chemin !