« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

dimanche 26 janvier 2020

Comment trouver la tante Paulette ?

La tante Paulette fait partie de ces ancêtres du XXème siècle : tout le monde s’en souvient (un peu) mais l’a oubliée (un peu). On sait qu’elle a existé, mais on ignore quand elle s’est mariée, où elle est décédée, etc… Absorbée par ce fameux « trou noir de la généalogie » : les archives ne sont pas forcément accessibles et cela devient difficile de combler les trous de mémoire. Dans toutes les familles il doit y avoir une tante Paulette. Mais comment la retrouver ?


 © Pixabay

Ma tante Paulette à moi est la « tante Paulette » de tout le monde dans la famille, quelque soit la génération à laquelle on appartient. En vrai c’est la tante de mon grand-père, mais tous ceux qui sont arrivés après lui ont continué à l’appeler la « tante » même si elle n’avait plus vraiment ce rang par rapport à eux dans l’arbre généalogique.

  • Mai 2016
Création officielle de sa fiche dans mon logiciel de généalogie. Apparue tardivement par rapport à ses frères et sœurs, sans doute parce que je n’avais pas d’information concrète sur elle.
En effet, ma tante Paulette, je la cherche depuis longtemps (avant 2016, pour sûr !). Je suis bien obligée de croire la mémoire familiale quand on me dit qu’elle a vécu et s’est marié avec un certain Camille, car ledit Camille est le parrain de ma mère. Ces choses-là on s’en rappelle.
Après le décès de ma grand-mère j’ai hérité de photos et de lettres de la tante Paulette (c’est sans doute ce qui a provoqué la création de sa fiche sur mon logiciel). Mais c’est bien peu.

J’entreprends des recherches plus approfondies pour trouver la tante Paulette. Toute la famille de la tante est originaire de Seine et Marne. Mais elle déménage souvent : je fais des sauts de puce d’une commune à l’autre pour tenter de débusquer Paulette. En vain.

  • Les années passent.
La tante Paulette disparaît comme une silhouette sur une photo trop ancienne.

  • Avril 2018
Retour de la tante Paulette à l’occasion d’un article « #Généathème : j’ai fait parler une carte postale ».
Une carte qu’elle a écrite à mon arrière-grand-mère où elle dit « ma petite sœur » me laisse penser qu’elle est l’aînée de la fratrie. Mais le mariage des parents et les naissances de leurs enfants se suivent à un rythme si serré qu’il est difficile d’y caser une tante, même si d’aventure j’avais manqué une commune de résidence : mariage en 1900, premier-né en 1901 et déjà mon arrière-grand-mère Marcelle en 1902. Et les autres encore après : 1905, 1906, 1908, 1909, 1910.
Les registres en ligne, qui m’ont permis de progresser tant ces dernières années (recensements, naissances de la fratrie…) s’arrêtent là. Est-ce que « ma petite sœur » est simplement un nom affectueux qu’elle lui donne, bien qu’elle soit la cadette et non l’aînée ?

Régulièrement je vais voir sur le site des archives départementales si la ligne du temps n’a pas évolué : une nouvelle campagne de numérisation des actes d’état civil ? De nouveaux documents ? Mais non. La tante Paulette sait se faire désirer.

Sans compter que la mémoire familiale est capricieuse : on situe la tante tantôt à Saint-Ouen (Val d’Oise) ou peut-être Enghien (idem) tantôt dans le Sud. Le Sud ! Comment trouver un ancêtre dans « le Sud » ! Trop vaste, le Sud.
La tante brûle sous le soleil et moi je me consume dans mon brouillard.

  • Fin 2019
Un rebond, un frémissement.
L’INSEE met en ligne les décès de 1970 à nos jours. Je tente ma chance : une Paulette Henriette sort du chapeau. Pas assez d’informations pour prouver que c’est bien elle, mais pas assez non plus pour affirmer le contraire. Et surtout une surprise de taille : cette Paulette-là est née en 1912 ! Adieu droit d’aînesse ! Mais les registres de 1912 ne sont pas en ligne.

  • 12 décembre 2019
Je fais une demande d’acte de naissance auprès des services publics en ligne pour prouver que c’est bien « ma » tante Paulette. Les jours passent. En attendant je contemple l’année de décès : 2008. Est-ce que je la cherchais déjà en 2008 ? Peut-être. Est-ce que j’aurais pu la contacter si j’avais su qu’elle vivait encore ? Pas sûr qu’elle m’aurait aidée si j’en crois son caractère décrit comme « un peu difficile ».
Et où est-elle décédée cette Paulette-là ? A Broons (Côtes d’Armor) ! A moins de 50 km de Loudéac où sa mère est née avant d’immigrer en région parisienne. Les hasards de la vie, quand même… Bien sûr, aucune chance que j’aille la chercher par-là.Il faudra que je tente de savoir ce qu'elle faisait en Bretagne, mais d'abord je dois prouver que c'est bien elle.

  • 21 décembre 2019
Je tente ma chance et convoque la tante Paulette lors du récent « #RDVAncestral : la tante insaisissable ».  Mais même dans mon imagination, la tante Paulette n’est pas facile à débusquer.

  • Noël 2019
J’attends toujours l’acte demandé, mais c’est maintenant les fêtes… Patience.

Je me replie alors sur Camille, son époux. Il n’apparaît pas dans les relevés de l’INSEE. Je me rappelle une mention sibylline dans les papiers de famille, « sépulture de l'oncle Camille de juin 1949 », sans plus de détail. C’est pour cela qu’il n’apparaît pas dans les relevés de l’INSEE : ils ne commencent qu’en 1970.
Son fils unique n'apparaît non plus. Peut-être est-il encore vivant ? La famille fantôme…

  • 26 décembre  2019
Les jours passent à nouveau… J’ai peur que la piste se refroidisse, mais un autre rebondissement la garde tiède. Les archives de Paris mettent en ligne les fichiers des électeurs de Paris et du département de la Seine (c'est-à-dire Paris et plusieurs actuels départements limitrophes) pour la période 1860/1939. Pas question d’y trouver Paulette, qui n’est qu’une femme et n’a pas besoin de voter, mais Camille ?
Je trouve bien un « Camille Marie » domicilié à Saint-Ouen, rue des Rosiers, en 1938. Je veux confirmer que c’est bien « mon » Camille, mais dans le dernier recensement mis en ligne, daté de 1931, je ne trouve pas de rue des Rosiers : la rue était une impasse ! Banlieues nouvelles, rues nouvelles.
Et comme on n’est pas avare de surprises dans la famille, ce Camille-ci est né… au Mans (Sarthe). Mais est-ce bien lui ? Le Mans ! Je ne l’avait pas vu venir celle-là ! Cette fois je passe par le Fil d’Ariane, en insistant lourdement sur les mentions marginales car ce sont elles qui me diront si c’est « mon » Camille.

  • 31 décembre 2019
J’attends toujours Paulette, mais Camille arrive dans ma boîte aux lettres (et encore merci aux bénévoles du Fil d’Ariane de la Sarthe, plus rapides que les services officiels de l’administration). Mentions marginales : date et lieu de mariage (1937 à Saint-Ouen) avec la fameuse Paulette Henriette ; date et lieu de décès (1949 à Saint-Ouen) ! 
C’est bien mon Camille. C’est donc sans doute possible ma Paulette. Il ne me reste plus que la copie de l’acte de naissance pour le prouver.

  • 13 janvier 2020
L’acte de naissance demandé il y a un mois ne m’est toujours pas parvenu. J’appelle donc la mairie concernée qui me dit qu’il ne faut pas passer par ce service, mais demander directement chez eux, avec une copie de ma pièce d’identité en pièce jointe (sic). Je m’exécute aussitôt.

  • 26 janvier 2020
Toujours rien au courrier. Je n’ai plus guère de doute, grâce à l’INSEE et aux listes électorales, saupoudrés d’un peu d’entraide, j’ai sans doute débloqué une épine généalogique de plusieurs années. 

  • 27 janvier 2020
L'acte de décès de la Paulette Henriette arrive dans ma boîte aux lettres :

Paulette Henriette, tante par procuration trans-générationnelle, est enfin officialisée !

Mise à jour 31 janvier 2020 : l'acte de naissance de Paulette arrive dans ma boîte aux lettres... et surprise elle a été mariée quatre fois ! Cachotière la tantine. De nouvelles recherches en perspectives...


samedi 18 janvier 2020

#RDVAncestral : Joseph est toujours vivant

En ce début du mois de février 1765, j’arrivai dans le silence d’une mort annoncée : on veillait ici Joseph Godet qui respirait à peine et pour qui la grande faucheuse patientait déjà devant la porte de la maisonnée, attendant calmement, mais sûrement, son dû. Car elle ne repartirait pas seule, à n’en pas douter. Tous ici savaient que Joseph allait bientôt quitter ce monde. Ce n’était pas grave, juste dans l’ordre des choses : ainsi va la vie. Parents, amis et voisins s’étaient donc retrouvés là pour accompagner Joseph dans ses derniers instants. Et je m’étais faufilée parmi eux.

Certains ne faisaient que passer à son chevet, d’autres restaient plus longtemps. Tantôt on se réunissait par petits groupes, chuchotant des anecdotes partagées, tantôt on restait seul plongé dans ses souvenirs. Les enfants emmenés là s’étonnaient encore de pouvoir veiller si tard et comptaient bien en profiter, même s’ils avaient clairement compris que l’ambiance n’était pas à la fête. Certains, ravis, se lançaient le défi de ne pas dormir de toute la nuit… avant de succomber tour à tour dans le sommeil. Les vieillards eux aussi étaient étonnés : d’être encore là ou bien  simplement se demandant quel serait le prochain à jouer le premier rôle dans cet acte particulier qui clôt la pièce de la vie.

Puis je fus autorisée à m'approcher auprès de l’agonisant. Il était allongé dans son lit, respirant avec difficulté. Quelques chaises étaient disposées là pour les veilleurs. Je m’installai près de lui et le regardai longuement. Il n’avait rien de particulier : c’était un paysan du XVIIIème siècle comme il y en avait des milliers. Il avait près de 80 ans : on ne pouvait donc pas se désoler d’une mort brisant une jeune vie. Il était entouré de ses proches : j’avais remarqué au moins deux de ses fils, Louis et Jean, ainsi que son cousin, aussi prénommé Jean. Et d’autres encore : il n’était pas seul. Il était né, s’était marié, avait eu des enfants, avait travaillé, puis laissait son tour maintenant. Bien sûr il avait connu des deuils : ses parents, son épouse une vingtaine d’années plus tôt. Mais c’était dans l’ordre des choses. Qui n’avait pas connu cela ?

Son cadre de vie, ce pays qu’on appelle la Vendée, n’avait pas changé depuis des siècles et sans doute pensait-il qu’il en serait ainsi pour des siècles encore. Bien sûr il ne pouvait pas anticiper les bouleversements que connaîtraient ses petits enfants : la Révolution, le pays laminé par des guerres civiles, la mort d’un roi voulue par son peuple ! La mort d’un roi : comment imaginer cela ? Il ne connaîtrait même pas la gigantesque sucrerie surmontée d’un ange doré comme un personnage sur un gâteau de mariés qui viendrait remplacer, une centaine d’année après lui, la belle église romane qu’il avait toujours vue et fréquentée.

Bien sûr, il ne pouvait pas imaginer les changements de la société que connaîtraient ses descendants : révolutions politiques, industrielles, religieuses, sociétales. Il ne savait rien de tout cela. La seule chose qu’il savait c’est qu’il allait mourir et que les pelletées de terre jetées sur son corps déjà froid allait le plonger dans l’oubli, aussi vite que ses prédécesseurs l’avaient été avant lui.

Je voulais lui parler, en savoir davantage sur lui. Car, bien sûr le temps avait fait son œuvre et l’avait presque effacé du passé. Lui ignorait tout des événements des siècles qui nous séparaient, moi je ne savais presque rien de sa vie. De lui je ne connaissais que ce que m’en avaient dit trois actes paroissiaux (ou peut-être seulement deux : le premier était tellement abîmé que je n’étais pas sûre qu’il s’agisse bien de son acte de baptême). Mais j’arrivai trop tard pour cela.

Soudain il me regarda fixement, plongeant ses yeux dans les miens… Comme s’il avait suivi le cours de mes pensées. Il esquissa un geste de la main qui lui arracha un râle de douleur. Mais son attention et ses yeux revinrent bien vite vers moi. Ils semblaient me dire : peu importe les détails de ma vie. Peut-être les trouveras-tu un jour. Peut-être pas. Poussière nous étions, poussière nous redeviendrons. Mais grâce à toi je revivrai un instant. Et cela me suffit. Car je sais que pour quelqu’un je serai plus qu’un patronyme dans une case, un numéro parmi d’autres. Je retrouverai mon nom et ma place parmi les miens.


 © Pixabay

Le lendemain le curé dû faire creuser une fosse dans la terre froide de Vendée pour y placer son corps. Il était mon ancêtre à la onzième génération, le numéro sosa 2020 de ma généalogie. Et si je ne savais presque rien de lui, je pouvais dire néanmoins qu’il était un fils, un époux, un père. Il était Joseph Godet.


lundi 6 janvier 2020

#Généathème : Un mois pour lire

Retour sur le #ChallengeAZ qui s’est tenu en novembre 2019 (dont le principe est de publier un billet par jour et par lettre de l’alphabet) pour partager ses coups de cœurs… ou autres ! Un mois pour lire, découvrir et apprendre.




  • Mon coup de cœur

Mon coup de cœur va au Challenge de Pascale, alias @derouvex, qui nous a tenus en haleine avec les lettres d’Alexandrine. 

Pudique ( ?), elle a assez peu parlé du travail de déchiffrage des documents, qui a pourtant dû être ardu. En effet Alexandrine utilise la technique du croisement : lorsqu’elle atteint le bas de la page elle tourne le papier à 90° et poursuit sa rédaction. Pour lire le texte il faut donc se concentrer d’abord sur les lignes horizontales, en faisant abstraction des verticales – et inversement pour avoir la fin du texte.
Pour beaucoup d’entre nous, notre généalogie est composée de laboureurs, vignerons et autres domestiques. Mais grâce à cette correspondance c’est comme si nous avions le droit de regarder un instant entre les grilles du château d’à-côté afin d'apercevoir les lumières d'un monde que nous ne connaissons pas, auquel nous n’avons généralement pas accès...
Et c’est magique. Tout d’un coup notre vie est peuplée de bals, de soies froufroutantes, de potins mondains…
Même si cela ne dure qu’un instant, un instant seulement, cela reste très savoureux.

  • Mon coup de peur

Mon coup de peur va à Françoise, alias @feuilledardoise, du blog éponyme.

Pour ceux qui l’ignorent, Françoise est ma « multiple cousine » car nous avons de très nombreux ancêtres en commun, bien qu’assez éloignés dans le temps. Et pour ce mois de novembre Françoise a décidé de faire son petit ménage de printemps dans son arbre. Au fur et à mesure des jours, vu l’ampleur que prenait la tâche, je lui ai proposé une tronçonneuse plutôt qu’une balayette. Il faut dire que certaines branches sont passées chez le coiffeur et ont reçu une coupe franche et nette !
Et j’ai eu bien peur que Françoise finisse par couper nos liens. Heureusement il n’en est rien. Nous sommes toujours cousines !


  • Mon coup de fleurs

Mon coup de fleurs va à l'équipe de Gloria, alias @lulusorcière, du blog Lulu Sorcière Archive

Non pas parce que il vaut mieux compter les sorcières parmi ses amis que ses ennemis (quoique…), mais surtout parce ce challenge et l’exemple d’un challenge collaboratif. Si l’idée en est simple, ce n’est pas toujours facile à mener à son terme ; donc bravo à tous ceux qui ont pris part à l’aventure.
Par ailleurs, il traite d’un sujet que je trouve fort intéressant, bien que souvent mésestimé : les cimetières. Témoin d’un patrimoine trop souvent oublié, il est aussi un conteur d’histoires fabuleux à qui veut bien tendre l’oreille.


samedi 21 décembre 2019

#RDVAncestral : La tante insaisissable

- Mesdames !
J’arrivai en courant car j’avais peur qu’elle m’échappe encore une fois. L’une d’elle avait déjà la main sur la poignée de porte de la voiture.


Marcelle et Paulette © Coll. personnelle

Intriguée, les deux vieilles dames suspendirent leur geste et me regardèrent. D’évidence elles ne me connaissaient pas. J’hésitai un instant : elles se ressemblaient tant : les cheveux bouclés, les lunettes, le nez pointu, la bouche fine comme un trait… jusqu’au chemisier sur jupe droite ! Néanmoins celle de gauche avait les cheveux plus grisonnant que celle de droite : étant l’aînée, je supposai que c’était Marcelle, mon arrière-grand-mère et que l’autre était sa sœur, autrement dit c'était (enfin) mon insaisissable « tante Paulette ». Je l’avais tant cherchée. Elle était là.

Comprenant que mon silence devenant embarrassant, je les saluai à nouveau et me présentai… succinctement. Un peu ennuyée, je ne savais pas comment appeler la tante Paulette puisque dans mon entourage tout le monde l’appelait ainsi, mais s’ils n’étaient pas leurs neveux ou nièces stricto sensu. Madame Paulette faisait un peu « Madame Claude » si vous voyez ce que je veux dire… Bon sang ! Ça fait des années que tu la cherche et maintenant que tu l’as enfin trouvée tu risque de la laisser filer parce que tu ne sais pas comment l’appeler ! Mais secoue-toi donc, me sermonnai-je.
- Heu… pardon de vous demander cela, mais vous êtes bien Paulette, la sœur de Marcelle ici présente ?
- En effet…
- Excusez-moi d’arriver comme ça, mais je vous ai longtemps cherchée et…
- Ah ! oui, me coupa-t-elle, et pourquoi ?
Décidément, la tante Paulette faisait honneur à sa réputation acerbe et autoritaire.
- J’ai connu certain de vos proches : Camille votre époux (bon, je ne pouvais pas lui dire que c’était le parrain de ma mère), votre fils Jean, le fils de Marcelle André et son épouse Christiane… Enfin bref…
- Et vous me cherchiez pour …. ?
- Heu… Je sentais au fond de mes poches les photos et cartes postales la concernant. Aussitôt de bredouillai : J’ai quelques documents à vous remettre. Seulement j’ai eu du mal à vous trouver : les quelques informations que j’ai pu récolter étaient contradictoires. Vous permettez que je vous explique ?

Les deux sœurs s’échangèrent un coup d’œil et Paulette m’autorisa, d’un léger coup de tête, à continuer. Je réfrénai un soupir et repris la parole :
- Je ne trouvai pas votre acte de naissance, et donc votre ordre dans la fratrie, alors que j’avais découvert les sept autres frères et sœurs. Comme vos parents ont beaucoup déménagé, ça m’a fait voyager, mais bon.
Une mention au dos d'une photographie indiquait « sœur aînée de la mère d'André [Marcelle donc] », sans prénom, mais les dates de naissance de vos autres sœurs sont connues. Je n’ai pas trouvé votre naissance à Tigeaux ni Serris. Or vos parents se sont mariés en 1900, ont eu un fils en 1901 puis Marcelle en 1902 : j'avais donc écarté l'hypothèse que vous soyez soit l'aînée.
- Tu as bien raison : je ne suis pas l’aînée.
- Ouf. Cependant, dans une de vos cartes postales Paulette vous appelez Marcelle « ma petite sœur ». J’ai hésité à nouveau : est-ce un petit nom affectueux ou êtes-vous vraiment plus âgée ?
Silence de Paulette.
Je reprenais courageusement :
- Mais, contredisant cela, vous signez une autre carte « ta petite sœur » ! Je ne sais plus où j’en suis.
La bouche de Paulette s’étira légèrement. Je n’eus qu’une seconde pour me demander si c’était un sourire… ou autre chose :
- Alors : qu’as-tu fait ?
- J’ai dépouillé (plusieurs fois) les registres d'état civil, mais cela n'a rien donné. Par ailleurs, vous n'apparaissez jamais avec vos parents dans les listes de recensements. Pourquoi ?
- Ah ! Mais je ne vais pas tout te dire, ce serait trop facile !
Un peu dépitée, je repris :
- Une photo-carte postale vous représente, âgée de 17 ans : au verso votre adresse à Eaubonne. Vous habitez donc le Val d’Oise lorsque vous êtes adolescente alors que vos parents sont toujours en Seine et Marne.
- C’est vrai ! J’avais presque oublié !
La tante Paulette ne me facilitait pas les choses et restait avare en détail. Bon, autant pour moi...
- J’ignore la date et le lieu de votre mariage. De Camille, je n'ai même pas une photo. Je n’ai pas trouvé sa fiche matricule qui aurait pu m’indiquer une adresse. Ma mère pense que vous avez habité à Saint Ouen et/ou à Enghien avec Camille votre époux. Puis peut-être dans le Sud ensuite. Mais j’ai complètement perdu votre trace… C’est pourquoi je suis heureuse de vous voir aujourd’hui !
- Je vois qu’en effet que tu as beaucoup d’informations sur moi… Un peu beaucoup. Je me demande comment tu as eu ces cartes postales qui ne t’étaient pas destinées par exemple.
Je retins mon souffle.
- Je n’ai pas pour habitude de me confier à n’importe qui, mais tu as l’air d’être une fille sérieuse et d’y tenir, alors voilà… Elle ouvrit la portière de la voiture. Je ne suis pas l’aînée de la famille, mais la dernière !
Elle s’engouffra dans le véhicule où Marcelle l’attendait et elles démarrèrent en trombe.

J’en restai pantoise. La dernière ? Cela la faisait naître probablement en 1912, le dernier enfant que j’avais trouvé étant de 1910. Comment n’avais-je pas eu cette intuition ? Pourquoi voulais-je à tout pris la placer en tête de fratrie ? Je me précipitai sur le site des archives de Seine et Marne et là je crois que je trouvai la réponse. Il ne manquait qu’un seul registre : celui de 1912 !


lundi 9 décembre 2019

La Savoie, ce monde à part

Tout a commencé par un article d’Estelle lors du #ChallengeAZ sur son blog « Sur la piste de mes ayeuls ».
Elle a choisi de présenter la Savoie et ses particularités. En effet, longtemps la Savoie n’a pas été française (jusqu'au traité de Turin de 1860) et de ce fait, les sources généalogiques diffèrent quelque peu des sources « françaises ». 


Les états réunifiés à la France en 1860 © www.manuelweb.belin-education.com

Pour moi, assez peu de découvertes puisque j’ai de nombreux ancêtres en Haute-Savoie et je manie ces sources « bizarres » depuis un certain temps. Une exception toutefois : le jour de la lettre S avec un article au sujet du Sénat de Savoie.

En effet, mes ancêtres sont tous situés dans le département actuel de la Haute-Savoie et j’ai facilement tendance à oublier que des sources les concernant peuvent aussi se retrouver aux archives du département de la Savoie du fait de cette unité territoriale passée.

Les habitués de mon blog savent que j’habite très loin de mes ancêtres, si je puis dire ainsi : je ne peux donc me déplacer dans aucun dépôt d’archive directement. Je reste dépendante des archives en ligne. Heureusement de gros efforts ont été faits ces dernières années et ma généalogie a fait de grands bonds en avant au fur et à mesure des nouvelles rubriques sur internet. Un domaine reste néanmoins souvent oublié : les archives judiciaires. Cela reste complètement « terra incognita » pour moi. Je ne sais même pas à quoi cela ressemble.

Pour revenir à la Savoie, je cite Estelle : « Il [le Sénat de Savoie] exerce un rôle considérable : justice, pouvoir réglementaire et administratif, affaires politiques et religieuses. Ses archives sont une source historique majeure qui concerne aussi bien les particuliers que les communautés d’habitants. […] "Gabriel Pérouse […] entreprend […] d’en dresser l’inventaire au moyen d’innombrables fiches. Pierre Bernard, son successeur, continue cette tâche immense et André Perret pourra ainsi dresser le plan de classement précis et achever un répertoire numérique dactylographié."

Et d’ajouter que ces fiches sont consultables en ligne. Aussitôt je me précipite pour voir si mes ancêtres sont des brigands ! Au début je navigue un peu à l’aveugle, le temps d’apprivoiser l’outil, puis mes recherches s’affinent. Et là je kiffe grave !!! Vols, voies de fait, insultes, adultères, meurtres, etc… C’est super (oui je sais c’est mal : mais c’est quand même super !!!).

Je trouve deux affaires qui concernent de façon certaines mes ancêtres parce que leurs noms sont peu communs. La première : voies de fait dans l’église par l’épouse d’un notaire (1688). Je kiffe !
La deuxième concerne un de mes ancêtres dont je ne suis jamais parvenue à trouver le décès. Je vous livre le résumé de l’affaire tel qu’il se présente sur la fiche (1748) :
« Un soldat espagnol est retrouvé mort, son corps lardé de coups de couteau. L’enquête révèle qu’il était amoureux d’une femme marié de Samoëns. Le soldat menaçant a été tué un soir par le mari, aidé de sa femme. Un chanoine, ami du couple, et leur servante, ont aidé les époux à transporter le corps dans les bois. Mais ils n’ont pas pris part à l’assassinat. »
Et devinez quoi : le couple dont il est question ce sont mes ancêtres ! Je kiffe grave !
Sentence : Bannissement 10 ans pour l’épouse et condamnation aux galères 10 ans pour l’époux. Et moi qui ne trouvais pas son décès : tu m’étonnes ! Je kiffe grave grave ! Rebondissement inattendu : « couple gracié par le roi » !
Oh ! bon sang je veux voir les détails de l’affaire. Mais j’habite à 500 km.

Je fais appel au Fil d’Ariane (FDA : association d’entraide généalogique pour ceux qui ne connaissent pas) de Savoie. Comme dans les champs pré-remplis il n’y a pas « Sénat de Savoie » j’envoie un mail au coordinateur pour lui demander si ce type de recherche un peu extraordinaire (dans tous les sens du terme) est possible. Or l’affaire se passe en Haute-Savoie et non en Savoie : il me renvoie donc à ses collègues du FDA74. Là, même scénario : j’envoie mon mail. La gentille Kate qui a l’habitude de mes demandes se déplace aux archives (merci à elle) et, comme je le pensais, me dit qu’il n’y a rien en Haute-Savoie et qu’il faut que je m’adresse directement en Savoie puisque le fonds du Sénat de Savoie se trouve chez eux. Là, je comment à kiffer nettement moins. Ayant à faire à des situations toutes plus ubuesques les unes que les autres avec les diverses administrations actuelles, je crains que pareille mésaventure ne se reproduise ici.

Bref, j’envoie mon fameux mail (il aura été rentabilisé celui-là) cette fois directement aux archives de Savoie, expliquant ce que je cherche, est-ce que le personnel des archives peut faire cette recherche pour moi ou a-t-il d’autres solutions à me proposer et après les formules de politesse d’usage  je signe de mon nom et prénom (qui est Mélanie pour ceux qui l’ignorent).

Quelque jours plus tard je reçois la réponse des archives :
«  Monsieur (donc en Savoie Mélanie est un prénom masculin : OK, je le note pour plus tard), nous vous invitons à venir consulter ces cotes sur place en salle de lecture (comment dire…). En effet, s’agissant de pièces éparses de procédures judiciaires anciennes, nous ne sommes par sûrs de pouvoir déterminer précisément la pièce en question (jugement définitif). ( ??? bon mais si l’archiviste dont c’est le métier ne peux pas trouver une cote, moi je n’ai aucune chance !)
Dans l’attente de vous recevoir, nous vous prions de croire, Monsieur (qui ça ? Ah : oui, c’est moi !), à l’assurance de nos sentiments les meilleurs. »

Bon, OK c'est ma faute : je n'ai pas précisé que j’habite à 500 km et je suppose que le coup de "vous pourriez faire les recherches à ma place parce que je suis un flemmard" ça dois arriver souvent. Par ailleurs, comme je n'ai jamais eu d'archives judiciaires entre les mains je ne sais pas comment cela se présente; mais il me semble tout de même que l'archiviste doit être plus calé que moi en ce domaine (enfin j'espère). Et c'est aussi ma faute parce que j'ai pas précisé que Mélanie était un prénom féminin...

Donc, en conclusion, je peux affirmer que la Savoie est restée un monde à part et que jamais je ne trouverai les détails croustillants de mes supers affaires criminelles. Ah : oui, au fait, je ne kiffe plus. Du tout. Mais ça, vous l’auriez deviné sans doute…

dimanche 1 décembre 2019

Calendrier de l'avent 2019

Voici un calendrier de l'avent généalogique.

Une case pour à ouvrir d'un simple clic : pour cela rendez-vous sur le calendrier en ligne (cliquez sur ce lien) chaque jour de décembre jusqu'au 24. Vous y découvrez une gourmandise ayant un rapport avec le chiffre du jour.

Alors n'hésitez pas : revenez-y régulièrement pour vous faire patienter jusqu'à Noël... 


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Bonus : l'avant de l'Avent...

Vous avez été nombreux à ouvrir les cases de ce calendrier de l'avent 2019 et je vous en remercie.

La moitié des documents qui se cachait là a illustré ou a été évoquée lors de précédents articles du blog. Si votre curiosité n'est pas émoussée, voici le chemin pour les retrouver :


  1. Un bébé
  2. Les deux époux du couple Rols > #RDVAncestral : la photographie (2017)
  3. Les trois membres de la famille d’Augustin Astié > #RDVAncestral : le gobelet de Salonique (2019)
  4. Mes quatre arrière-grands-parents
  5. Le numéro d’affectation de la compagnie de Joseph Roy
  6. Les six membres de la famille de Jean François Borrat-Michaud > #Centenaire1418 (2014/2019)
  7. Les sept enfants de la fratrie Astié > #Geneatheme : souvenirs de guerre (2014)
  8. Les huit membres de la famille de Jules Assumel-Lurdin et Marie Gros > #ChallengeAZ (2015)
  9. Les neuf de la boucherie Frète
  10. Dix mai : le jour où a été délivrée la carte SNCF d’Adeline Roy
  11. Onze génération d’Astié > Rue del paleys (2013)
  12. Douze boutons de robe
  13. Treize coiffes angevines > Les coiffes de nos grand-mères (2014)
  14. Incorporé en quatorze > #Geneatheme : hommage aux poilus (2014)
  15. Quinze juin : jour du Certif’
  16. Seize juillet : un nouveau travail > Défi 3 mois : les papiers de famille (2016)
  17. Dix-sept invités au mariage de Blanche Assumel-Lurdin
  18. Dix-huit missionnaires > Défi 3 mois : la sœur missionnaire (2016)
  19. La classe mille neuf cent dix neuf > Une belle bande de bras cassés (2016)
  20. Vingt non fumeurs aux noces d’Augustin Astié > #RDVAncestral : jour de noces (2016)
  21. Vingt et un, adresse figurant sur le bulletin de paye
  22. Grand-père, marié à vingt deux ans > Noces de chêne (2015)
  23. Brevet maître nageur attribué un vingt trois décembre
  24. Vingt quatre, une année sur une tombe > #ChallengeAZ photographique T comme tombe (2014)



samedi 30 novembre 2019

#ChallengeAZ : Z comme zen

Je me demande toujours si, avant de commencer cet inventaire en 1701, Me Salvetat savait qu’à un moment il allait ouvrir une armoire et tomber sur près de trois cents documents. D’ailleurs tomber est bien le terme : les documents se sont-ils écroulés sur le plancher dès l’ouverture des portes de l'armoire ? Étaient-ils bien rangés ou tous en vrac sans dessous-dessus ? J’aurai aimé être une petite souris pour voir la scène. Me Salvetat a-t-il été aussi surpris que moi ? Ou cette situation faisait-elle partie de son quotidien ?

En tout cas, en ce qui me concerne c’est une situation inédite. J’ai bien quelques ancêtres comptabilisant plusieurs documents notariés mais 400, non !

Ces 400 actes ont été un drôle de cadeau. Et (oserai-je le dire ?) presque un cadeau empoisonné : beaucoup d’informations, mais qui sont restées largement parcellaires. Plus d’une fois je me suis dit « mais où donc ai-je lu ceci ? » sans pouvoir trouver la réponse. J’ai fait tellement de tableaux de synthèse qu’il me faudrait un tableau de synthèse pour en faire la synthèse !

Parfois ce Jean Avalon m’a épuisé… mais céder à la tentation de s’arrêter, de faire une coupure plus ou moins longue est une très mauvaise chose : difficile de reprendre le cours ensuite lorsqu’on a rompu le fil, oublié (ou mélangé) le chemin parcouru. Du coup j'ai été presque "à temps plein" sur cet ancêtre depuis près d'un an !

Vous présenter cette masse d’information n’a pas été tous les jours facile ; j’espère que vous avez pu me suivre et que vous ne vous êtes pas perdu en cours de route.

En tout cas une chose est sûre : si vous trouvez 400 documents pour un seul de vos ancêtres et que vous voulez éviter la crise de nerf, allez vite prendre un cours de yoga pour apprendre à rester zen !

Zen © artmajeur.com

Jean Avalon m'a emmené très loin. Un chemin dont je ne soupçonnais absolument pas l'existence le jour où j'ai découvert son nom pour la première fois. Et maintenant que je crois que je vais m'accorder une petite pause dans la vie de Jean Avalon... Avant d'y revenir sans doute...