Rapidement les conditions de vie se dégradent en ville. Le rationnement devient très difficile. Marcelle et ses deux jeunes enfants sont évacués "en sud Loire" : ils vont habiter à Martigné-Briand, petite localité de 1 600 habitants à 35 km au sud d'Angers, chez Rose, la sœur de Marcelle, et son mari André qui ont un garage. Jean se souvient avec gourmandise d'une découverte incroyable en ces temps de guerre : une tartine beurrée ! C'était peut-être une des premières fois qu'ils mangeaient du beurre.
Daniel est resté à Angers. Il a été réformé, probablement pour faiblesse de constitution. Il travaille pour une association (dont le nom s'est perdu dans les méandres de la mémoire) qui assiste les familles. Il est chargé de trouver des fermiers dans les campagnes angevines qui acceptent d’accueillir des enfants de la ville afin qu'ils puissent être nourris convenablement. Il organise des convois pour emmener les enfants à la campagne. Françoise se souvient du car complètement peint en blanc avec une grosse croix rouge dessinée sur le toit afin que le véhicule ne soit pas bombardé. L'association apporte son secours au travers de différentes actions, comme la distribution de lait en poudre dans les écoles.
Toujours à Martigné-Briand, Marcelle accouche de son troisième enfant, une petite fille appelée Odile. Celle-ci a souvent raconté qu'elle était née alors que ses parents n'étaient pas là !
La famille rentre ensuite à Angers, puisque lorsque Michel naît en 1942 ils sont tous réunis en ville.
Les enfants se rappellent des bombardements. Françoise raconte comment, dans l'église Saint-Laud, voisine de la gare, le curé se recule au moment de la communion et c'est alors qu'une bombe s'abat sur l'église (ratant sans doute la gare) décimant tous les fidèles assemblés dans l'église. Le curé reste seul survivant.
S'agit-il des bombardements de 1944 ? En effet, lors de la nuit du 28 au 29 mai, un déluge de fer et de feu s'abat sur le quartier Saint-Laud, les Alliés cherchant à ralentir la progression allemande en visant en priorité les nœuds ferroviaires, de Nantes à Tours. Pendant quarante minutes, plus de cent trente bombardiers emplissent le ciel, accomplissant leur cruelle mission. L'objectif est atteint. Mais autour de la gare et de ses matériels, totalement détruits, huit cents maisons le sont aussi, et près de sept mille partiellement. Dans les caves, dans les abris, dans les rues et les murs éventrés, on dénombre une multitude de victimes et de blessés. Dans le journal Le Petit Courrier des jours suivants, on fait état des travaux de déblaiement et des recherches des victimes, parmi lesquels les mineurs ardoisiers de Trélazé se distinguent particulièrement. Des bombes à retardement ralentissent la progression des recherches, tuant ou blessant les sauveteurs. "Partout les sinistrés sortent de leurs maisons ce qu'ils ont pu sauver et entassent dans les rues un pitoyable mobilier. Un lamentable exode se poursuit et les environs d'Angers hébergent de nombreux réfugiés".
Le 1er juin, le Petit Courrier rend compte des obsèques des victimes : on recense plus de 20 000 personnes lors des funérailles, pressées en l'église Saint-Serge et dans les rues alentours car l'édifice est trop petit pour accueillir la foule. L'évêque préside aux obsèques. Une centaine de cercueils s'alignent devant le maître autel et jusque dans le transept. "D'innombrables bouquets, gerbes et couronnes de fleurs garnissaient les cercueils".
Plus tard, Jean se souvient de la débâcle allemande. Il est à nouveau à la campagne, cette fois à Saint-Georges-des-Gardes. Malade, sa mère le soigne. Il ressent sa peur face aux convois de camions allemands qui passent devant la maison. Les fenêtres sont calfeutrées pour éviter que la lumière ne filtre à l'extérieur et attire l'attention. La tension est à son maximum lorsqu'un Allemand frappe à la porte.
La famille prend la gestion de la maison familiale installée au domaine du Hutreau, à Sainte-Gemmes-sur-Loire. A l’origine ce n’était qu’une closerie, dite « la Perrière » : exploitation agricole complète avec jardins, verger, terres labourables, prés, vignes, destinée à entretenir une famille de bourgeois citadins. Il reste deux bâtiments, "l'annexe" (dépendances) et le château de style Renaissance. De 1932 à 1952 : la société anonyme immobilière du Hutreau loue le domaine aux Ursulines d’Angers, pour en faire un établissement d’enseignement de jeunes filles. En 1944, la Gestapo fait du Hutreau son quartier général. Lors de la libération d’Angers ils s’enfuient précipitamment laissant le domaine en l’état. Les Ursulines reprennent l’enseignement au domaine, de 1944 à 1946. En 1947, le Hutreau devient l’une des quarante maisons familiales de vacances du Mouvement Populaire des familles.
Daniel, fils de Daniel et Marcelle, naît au château en 1948, dans la chambre qu'occupent ses parents dans l'appartement du premier étage. Il est l'avant-dernier de la fratrie.
Daniel est mon père. Daniel et Marcelle étaient mes grands-parents.
Merci à mon père, mes oncles et tantes pour leurs souvenirs qui m'ont permis de rédiger cet article.
Merci.
RépondreSupprimerJe me permets de corriger des souvenirs erronés de votre famille relativement au bombardement de l'église Saint-Laud qui fut ma paroisse. Le 28 mai 1944, soir du dimanche de la Pentecôte, eut lieu le bombardement en question. Il y avait des abris (3 je crois) sous l'église ou à côté. Le Curé de l'époque (que j'ai connu plus tard lors de ma scolarité à L'immaculée Conception) est passé donner l'absolution dans deux des sous-sols. A peine sorti du deuxième, c'est là que les bombes se déchaînèrent et firent de nombreux morts et blessés. La caserne des pompiers voisine fut elle aussi bombardée. Les morts furent transportés dans la Chambre de Commerce elle debout. Ayant travaillé avec le secrétaire général de l'époque, c'est de lui que je tiens cette information. A votre disposition
RépondreSupprimerAh! La mémoire est parfois volatile... Merci de ces précisions !
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