« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

mardi 10 novembre 2020

#ChallengeAZ : Chapitre I

 CHAPITRE I

"Il est mort..."


- Il est mort ! Il est forcément mort ! Quelque part, à un moment donné, il est bien mort. Mais où ? Quand ? 


Je me suis posée cette question pendant plusieurs jours. J’ai tourné comme un escargot dans les communes autour de Mortcerf, dernier domicile connu afin de le trouver. Mais bien souvent je me heurtai au trou noir de la généalogie : période trop ancienne pour s’en souvenir, mais trop récente pour être diffusée en ligne. 


C’est finalement Alexandre qui m’apporta la réponse à cette question tant de fois posée. On était alors à la fin de l’hiver, lors de l’une des dernières attaques du froid. Si les jours rallongeaient, néanmoins la lumière déclinait toujours trop tôt à cette période où on aspirait à la clarté. Le soleil avait déjà disparu derrière l’horizon et le long crépuscule vidait lentement le paysage de ses pâles couleurs toutes neuves. Le vent tiède soufflait en rafales, malmenant les feuilles nouvelles sur les branches des arbres, chassant l’ondée qui avait lavé le jardin. A l'odeur douce et pénétrante de terre humide se mêlait la senteur âcre de la fumée du feu de bois allumé pour réchauffer l’atmosphère. 


On avait pris l’habitude de s’appeler régulièrement, avec Alexandre, pour se tenir au courant de l’avancée de nos recherches respectives. Ce soir-là il était tout agité et parlait si vite que j’avais du mal à le suivre. 


- Je l’ai ! Je l’ai ! J’ai enfin trouvé le décès d’Henri ! J’ai fait ce que tu ne pouvais pas faire : je suis allé dans toutes les mairies dans un rayon de 30 kilomètres autour de Mortcerf ; comme toi sur le net, mais moi en vrai. Je suis allé dans toutes les mairies. Parfois j’y ai été très bien reçu et d’autres… Bref ! Des fois c’était sympa : la secrétaire de mairie prenait le temps de discuter un peu avec moi. On m’a installé, royalement, dans des salles du conseil municipal, avec même un café une fois ! D’autres fois au contraire on m’a envoyé me débrouiller tout seul à la cave ou au grenier, très loin de l’hospitalité que j’avais connue ailleurs ! Je ne te dirais pas le nom de ces communes, ce n’est pas glorieux pour elles. Heureusement que mon téléphone faisait lampe torche. Et je crois qu’un jour j’ai dérangé un fantôme : Oh ! la trouille ce jour-là ! J’étais tout seul, quasi dans le noir, à essayer de tirer un registre coincé sous une pile de classeurs quand j’ai entendu un bruit de pas. J’ai appelé, mais personne n’a répondu. J’ai balayé l’ombre du grenier avec ma lampe mais il n’y avait personne. Je te jure ! Je peux te dire que dès que j’ai attrapé le registre je suis redescendu vite fait au secrétariat ! 


Je profitai de ce que, essoufflé, Alexandre prit sa respiration pour lui suggérer :
- C’était le fantôme d’un ancien maire peut-être ?
- Oh ! Je ne suis pas resté pour le lui demander figure-toi !
- Bon, sans rire ! reprit-il plus sérieusement. Je l’ai !
- Vraiment ? Où ?
Je craignais qu’il me réponde « à la prison du coin », mais il dit simplement « Coulommiers ».
- Coulommiers ?
C’était donc là qu’Henri avait fini ses jours ? Une nouvelle adresse à ajouter aux précédentes.
- Oui, en 1948.
- Mais que faisait-il là ? Je veux dire il était chez un proche ? Un parent ?
- Attend je lis : il est « décédé en son domicile, 7 rue de la Ferté sous Jouarre ». Je t’envoie une copie de l’acte de décès. 


Pendant qu’Alexandre m’envoyait le document par mail, mes doigts se mirent à courir sur le clavier. J’avais besoin de connaître l’environnement d’Henri, là où il avait passé ses derniers instants. Sur le site internet de Delcampe je débusquai une carte postale ancienne, probablement de la fin du XIXème, ou du début du XXème. C’était un peu ancien par rapport à Henri, mais ça me donnerait une idée. 


La carte représentait la rue de la Ferté sous Jouarre et l’hôpital de Coulommiers. Sur la gauche un grand bâtiment à deux niveaux avec des encadrements de fenêtres polychromes. Sur la façade, une horloge. Au-dessus du portail d’entrée, au niveau de la toiture, un chien-assis. On devinait un drapeau français devant cette ouverture. Ce grand bâtiment était sans doute l’hôpital. En face, une succession de maisons à deux ou trois étages. Parfois des commerces. Des rideaux aux fenêtres. Était-ce dans l’une de ces maisons qu’Henri avait vécu ? J’essayai de distinguer un numéro sur les façades pour savoir à quel niveau de la rue je me trouvai, mais c’était peine perdue. La résolution des cartes postales en ligne était trop basse et l’image trop floue. 


Une autre carte postale montrait la rue à l’une de ses extrémités. Des maisons semblables à celles de la vue précédente, un café, une placette tout au bout.
J’ouvris Google Maps pour tenter de savoir si cette partie de la voie terminée par la place se situait au début ou à la fin de la rue : si c’était le début, j’avais peut-être sous les yeux le numéro 7 ? 


- Heu… Tu es toujours là ?
Alexandre ! Je l’avais oublié !
- Oui ! Oui ! Je cherche le 7 de la rue de la Ferté sous Jouarre.
- Ah ! Bonne idée !
Lui aussi de son côté se mit en chasse. 


On poursuivait notre dialogue au fur et à mesure des nos découvertes :
- Je ne trouve pas de rue de Ferté sous Jouarre aujourd’hui.
- Moi non plus, par contre il y a un hôpital.
- Oui ! Tiens !
« Hôpital Abel Leblanc » : une vieille connaissance ! C’est le site de l’hôpital historique de Coulommiers : la rue de la Ferté sous Jouarre devrait être dans les environs.
- Je suis dans Street View, mais je n’arrive pas à retrouver la façade de l’hôpital montrée sur la carte postale.
- Moi non plus. Il y a bien un bâtiment avec des encadrements de fenêtres polychromes, mais je ne retrouve pas le pavillon d’entrée avec l’horloge.
- En tout cas, le boulevard Victor Hugo qui borde l’hôpital mène bien à La Ferté sous Jouarre : ça ne serait pas incohérent que ce boulevard ait remplacé la rue qu’on cherche.
- Hé ! Une minute : je crois que j’ai trouvé l’entrée de l’hôpital : une porte voûtée, deux niveaux plus un chien-assis. Bon, la façade a été refaite avec un crépi qui a mal vieilli et l’horloge a disparu, mais ça pourrait être ça, au 16 rue du Dr René Arbeltier. 

 


- Oh ! Oui, aucun doute ! Regarde la maison d’en-face : on reconnaît très bien la fenêtre du deuxième étage qui est arrondie !
- Et ben ! Ils ont pas gagné au change ! Je préférai l’hôpital version 1.
- C’est sûr que le crépi ne l’avantage pas vraiment. Un petit ravalement de façade ne serait pas du luxe.
- Donc on est à l’emplacement de la rue de la Ferté sous Jouarre. Tu vois un numéro ?
- Oui : en face de l’entrée de l’hôpital : numéro 8.
- Donc le 7 c’est…
- L’hôpital !
- L’hôpital !
Nous nous étions exclamés en même temps. 


- A l’hôpital ! Il est mort à l’hôpital !
- Tout simplement !
- C’était pas une nouvelle adresse, enfin pas vraiment.
- Mais la formule était trompeuse : « décédé en son domicile ».
- Regarde l’acte de décès. L’un des deux témoins est économe : peut-être l’économe de l’hôpital ?
- Et l’autre le maire : ça sens le décès de personne isolée qui n’a aucun ami ou proche voisin pour déclarer son décès.
- Bon ben on a au moins résolu cette énigme.
- Et Ursule est bien décédée avant Henri : il est qualifié de veuf.
- Mais pas de mention d’une mort dans des circonstances tragiques pour elle.
- Ben, ils n’allaient pas le crier sur tous les toits ! 


Je remerciai Alexandre qui avait risqué sa vie pour moi dans les greniers et caves des mairies briardes ! Quel réconfort de le sentir toujours présent, disponible, prévenant les demandes les plus impensables.
- On avance, n’est-ce pas ?
- Oui, on avance…
Après avoir raccroché, j’épinglai un nouveau petit drapeau sur la carte de mon « detective board » à l’emplacement de Coulommiers et un papier où il était indiqué « 1948, décès ».
- Et toi, Ursule ? Où es-tu décédée ? me demandai-je.  



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lundi 9 novembre 2020

#ChallengeAZ : Chapitre H

CHAPITRE H

"Hé ! Mais au fait..."

 

- Hé ! Mais au fait ! A qui profite le crime ?
Je me retournai vers Sosa, stupéfaite.
- Comment n’y ai-je pas pensé plus tôt ?
Au même moment la sonnerie de mon téléphone sonna : c’était Alexandre. Je décrochai :
- A qui profite le crime ???
- A qui profite le crime ???
Nous avions parlé tout les deux en même temps !


- Bon, OK, on est sur la même longueur d’onde.
- Nous sommes d’accord !
- Et donc ?
- A qui profite le crime ? Quel est le mobile ? Pourquoi Henri aurait-il attendu 45 ans pour tuer sa femme ? 


Silence au bout du fil.
- Peut-être une question d’argent ? Il faudrait voir du coté de la succession, non ? Aussitôt je me connectai au site des archives départementales, direction les tables de successions et absences.
- Oui, mais on n’a ni sa date ni son lieu de décès.
- Essayons tout de même : il ne doit pas y avoir 3 000 bureaux d’enregistrement et avec un peu de chance Henri n’est pas allé mourir bien loin de chez lui.
- Je me connecte aussi de mon côté, ajouta Alexandre, comme ça nous suivrons en même temps à distance.
- Alors : « Les tables de successions et absences. Tenues alphabétiquement, elles fournissent, …, des informations sur la personne décédée …, ses héritiers …, ses biens, etc, etc... Les tables sont communicables au public après un délai de 50 ans. Pour la mise en ligne sur Internet, les recommandations de la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés) ont amené à établir un délai de 100 ans, de façon à protéger la vie privée des personnes. » Oh ! Là, là ! Je le sens mal.
- Oui, tu as raison. Allons voir tout de même ?
- OK ! 


Je cliquai sur « consulter » tandis qu’Alexandre faisait de même de son côté.
- C’est où à ton avis ?
- Essayons Crécy en Brie ?
- Rien après 1899 ! Qu’est-ce qu’il y a autour ?
- Coulommiers ?
- Pfff ! 1900/1907 seulement.
- Au Sud ? Torcy ?
- Mais ! « Aucune réponse ». C’est le pompon !
- Je crois que là c’est cuit !
- Bon… 


Un peu dépitée, je saluai Alexandre et raccrochai. Je pris conseil auprès de Sosa :
- Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?
Une idée m’effleura l’esprit, mais elle s’échappa avant que je ne puisse la formuler vraiment. De toute façon c’était l’heure des croquettes : pas moyen de tirer quelque chose de mon chat à cette heure ! Résignée, je rejoignais la cuisine pour servir le félin qui se précipita sur sa gamelle comme s’il n’avait pas été nourri de toute la semaine.
J'en profitai pour songer à tout ce que j'avais appris jusque là, déplaçant les pièces du puzzle afin d'essayer de composer un tableau cohérent. La trame était encore trop ténue; il subsistait trop d’explications possibles.
- Il faut ordonner tout ça ! 


De retour dans mon bureau je décidai de mettre sur un tableau tous les éléments que j’avais appris. Le grand tableau en liège quasi vide qui trônait au-dessus du bureau allait enfin servir. On me l’avait offert lors de ma pendaison de crémaillère et jusque là il n’avait pas vraiment eu l’occasion d’être utilisé. J’enlevai une ancienne liste de courses et les horaires de la pharmacie la plus proche qui occupaient le terrain depuis des lustres et je commençai à lister ce que je voulais y mettre. 


- D’abord une carte pour s’y retrouver. La photo d’Henri, bien sûr.
Je regardai le dossier devant moi.
- Bon, celui-là on le laisse ici. De toute façon je ne vais pas l’accrocher au mur.
Par contre je scannai la signature d’Henri…
- … Et ses empreintes ? Pourquoi pas !
Ensuite son environnement. Je cherchai des images un peu anciennes des villages où il avait habité :
- Cartes postales anciennes ? Allons-y ! 


Du coin de l’œil je vis le mangeur de croquettes revenir de son festin. Je devinai déjà qu’il s’installerait dans son fauteuil préféré, ferait un brin de toilette avant de reprendre sa sieste.
- Hé ! Mais une minute ! Cette image me dit quelque chose…
J’agrandissais au maximum sur mon écran une carte postale ancienne de Tigeaux et je sortis de sa pile les photos des villages. L’une d’elle était de petit format. Armée de ma loupe je l’observai attentivement, passant alternativement du cliché sous mes yeux à la photo virtuelle sur mon écran.
- Sosa ! C’est Tigeaux !
Il bailla ostensiblement pour me signifier que l’heure n’était pas aux cris de victoire.
- OK ! OK ! Rendors-toi. Mais maintenant j’ai une piste pour localiser ces villages : avec un peu de chance ce sont ceux où Henri a vécu. 


Quand la carte postale ancienne fut imprimée, je l’épinglai sur mon tableau avec la note suivante : « Chercher les villages ».
Que fallait-il d’autres ?
- Ah ! Un arbre généalogique bien sûr !... Et une ligne du temps pour essayer de reconstituer son parcours. 


Je passai le reste de l’après-midi à imprimer et accrocher les différents éléments au tableau. Sosa voulu participer : il sauta sur le bureau (son agilité m’étonnait toujours !) et se mit en devoir de faire tomber mes piles bien rangées.
- Sosa ! Arrête ! Sache que tu as changé de fonctions : tu es désormais un chat de détective. Et un chat de détective ne met pas le bazar sur le bureau du patron.
Bon, théoriquement un chat de généalogiste non plus, mais jusqu’ici cela ne l’avait gêné.
Je reliai certains éléments entre eux par des fils de laine rouge, vestige de l'époque éphémère où je m’étais prise de passion pour le tricot. Une fois achevé, je contemplai le tableau. 


Source image

 

- Hum… Un vrai « detective board », n’est-ce pas Sosa ? Sosa ! Ne joue pas avec la pelote de laine ! Ah ! Ce chat !  


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samedi 7 novembre 2020

#ChallengeAZ : Chapitre G

CHAPITRE G

"Gare aux intox..."

 

Gare aux intox ! De toute évidence, le dossier n’était pas complet : il me fallait donc repartir à la source et chercher les documents manquants. Je commençai par explorer le site des archives en ligne puis décidai finalement de m’adresser directement aux archivistes sur place.
- Bon, faisons un mail, Sosa, ce sera peut-être plus facile… A qui ? Ben à celui ou celle qui voudra le lire ! 

J’y expliquai la singulière situation dans laquelle je me trouvai, ayant soudain hérité d’un ancêtre assassin. J’espérai que dans le service concerné quelqu’un s’intéresserait à mon histoire et voudrait bien se pencher sur ce cas avec moi. 

En attendant une hypothétique réponse, je me replongeai dans la vie d’Henri. Plus j’en saurai sur lui, plus je serais (peut-être) capable d’expliquer son geste. J’explorai deux pistes : son enfance et ses relations sociales à l’âge adulte. 

Pour son enfance je relisais mes notes : je ne lui avais trouvé qu’un frère, de 7 ans son aîné. Deux enfants c’est peu. Peut-être pour compenser, sa mère accueillait des enfants en nourrice. C’est du moins l’hypothèse que j’avais émise, même si le métier de « nourrice » n’apparaissait jamais en tant que tel. Les enfants du domicile changeaient à chaque recensement : Croisy Gaston (8 mois) et Janvoile Louis (4 mois) en 1891 ; Dangues Marcel (3 ans), Dangues Léontine (2 ans) et Guilmet Lucienne (6 mois) en 1896 ; sa nièce Gibert Lucie (âgée de 11 ans; tiens ? Pourquoi sa nièce habite-t-elle là et pas avec ses parents ?), Guilmet Andrée (4 ans) et Longchamps Henriette (7 mois) en 1901. De cette longue liste je n’avais réussi à identifier que Gaston Croisy, et encore : les raisons de son placement demeuraient mystérieuses. 

Le père d’Henri (Théodore) était charretier. Il avait d’abord travaillé pour Abel Leblanc puis pour Houbé. Abel Leblanc était le propriétaire du château de Bessy et il employait un grand nombre de gens à Tigeaux, comme le montraient les recensements. Novateur, il fit électrifier la ferme de Bessy et son château, en 1901, grâce au moulin de Serbonne qui fut l’un des premiers à recevoir ce genre d’équipement en Seine-et-Marne.
- Tiens ! Serbonne ! Sosa, j’en ai des ancêtres qui ont vécu à Serbonne… Mais c’était au XVII et XVIIIème siècles. Ils n’ont pas connu cette période. Je suis curieuse de voir ce château de Bessy... à quoi ça ressemble… Oh ! Dommage : le château et la ferme sont tombés en ruines faute d’entretien. Alors, revenons à nos moutons… 

Derrière le second employeur de Théodore Macréau et employeur d’Henri lui-même, Houbé, se cachait une véritable dynastie : tantôt qualifiés de tuiliers, tantôt d’industriels ou fabricants de tuiles, Houbé père et fils étaient les propriétaires des trois usines de tuiles et briques de Mortcerf. Le parallèle était amusant : les Houbé père et fils étaient propriétaires de la briqueterie et employaient les Macréau père et fils comme charretier.
- De génération en génération… me murmurai-je pour moi-même. 

Selon la monographie de Mortcerf figurant sur le site des archives départementales, rédigée dans les années 1880, "ces établissements ont été fondés au siècle dernier et ont acquis dans ces dernières années une grande extension par l'installation de fours et par la subdivision de la houille au bois dans la cuisson des produits. Elle occupe dans la saison d'été environ 80 ouvriers."
- Allons voir ça… La tuilerie de Mortcerf… Oh ! Ça alors, Sosa : une carte postale de la tuilerie signée Houbé ! C’est fou ce qu’on trouve sur le Net de nos jours. 



Les relations d’Henri, hors du cadre familial qu’il fréquentait, étaient charretier, cantonnier, garde champêtre, cultivateur. Des hommes de sa génération, amis ou voisins, de son milieu social. Tous étaient suffisamment instruits pour savoir signer les actes d’état civil pour lesquels ils étaient témoins. Je me perdis dans les méandres du net, un résultat en appelant un autre. Lorsque j’atteignis le détail du dossier de légion d’honneur d’Eugène Houbé sur le site de la base Léonore, plusieurs jours avaient passé et je me dis qu’il était temps de me recentrer sur mes recherches premières. 

Je commençai à avoir une idée un peu plus précise du cadre dans lequel évoluait Henri, ses proches, son environnement. Quelques familles puissantes possédaient les richesses (économiques, foncières) et employaient les mêmes familles, de génération en génération. Seule la Première Guerre Mondiale brisera cet équilibre qui ne bougeait que fort peu depuis des décennies. 

Enfin je reçu un mail des archives, signé Charlotte Paulé. C’était vraiment étonnant car une de mes ancêtres se nommait également Charlotte Paulé, même si elle avait vécu 250 ans avant celle-ci. Fallait-il y voir un signe ? En tout cas la Charlotte du temps présent m’invitait à la contacter car le résultat de sa recherche était pour le moins curieux. Aussitôt je composai son numéro. Elle répondit tout de suite et m’informa qu’elle avait cherché la trace d’Henri dans les archives judiciaires
- Mais je n’ai rien trouvé.
- Rien trouvé ?
- Aucun dossier référencé à son nom, à l’affaire de Mortcerf ou au nom de son épouse.
- Mais, est-ce normal ?
- Non justement ! Enfin ça pourrait l’être si le dossier n’avait pas été versé aux archives départementales, mais j’ai fait appel à la bande : ni aux archives nationales ni aux archives municipales de Meaux ou Melun on ne trouve la trace de cette affaire.
- Et au tribunal peut-être ? Y aurait-il quelque chose ?
- Là aussi j’ai fait jouer mon réseau. J’ai pris contact avec un greffier de ma connaissance. Il se renseigne pour moi. 

Je repris espoir et eus une pensée de gratitude envers cette chaîne de solidarité qui se mettait en place. Même pour un mobile quelque peu funeste, il y avait toujours des gens pour vous aider. C’est ce que j’aimai dans ce milieu. Charlotte reprit :
- J’ai aussi contacté Alcide.
- Qui ?
- Alcide Bodin : c’est le Président de l’association généalogique locale. Il aura sans doute entendu parler de cette affaire car il a épluché tous les registres plusieurs fois ! A tel point qu’il habite presque ici, aux archives ! Cependant cette semaine il n’est pas là. C’est pas de chance. Je n’ai pas réussi à le contacter pour le moment, mais il ne devrait pas tarder à montrer le bout de son nez. Il suffit d’attendre un peu. 

Attendre, oui, bien sûr. Tout est affaire de patience en généalogie.
- Dites… ?
- Oui ?
- Cette histoire, elle a piqué ma curiosité. Vous allez continuer vos recherches, n’est-ce pas ?
- Oui. Même si ce que je découvre n’aura certainement rien de plaisant, je veux savoir ce qui est arrivé à mon ancêtre Henri et à sa femme Ursule.
Charlotte laissa passer un instant et reprit :
- Tant mieux ! J’avais peur que vous vous arrêtiez là.
- ???
- Oui, parce que… Moi aussi j’aimerai bien savoir. Ça vous ennuie de me tenir au courant de vos découvertes ? Et bien sûr, moi aussi je vous ferai part de ce que je trouverai… si vous m’autorisez à poursuivre les recherches…
- Bien sûr ! 

La conversation se termina sur nos promesses mutuelles de tenir l’autre au courant dès qu’il y aurait du nouveau. Assise à mon bureau, ce soir là, je contemplai mes photos de famille dans le vieil album que j’avais sorti. Je regardai ces fragments de vie bien rangés devant moi, sans vraiment être capable de me projeter dans les histoires qu’elles me racontaient. Pour la première fois, feuilleter cet album commencé par mon grand-père me rendait triste… Alors qu’il m’avait si souvent réconfortée par le passé.  



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vendredi 6 novembre 2020

#ChallengeAZ : Chapitre F

 CHAPITRE F

"Fébrile, je recevais le colis..."

 


Fébrile, je recevais le colis. Mon chat Sosa avait dû percevoir un changement d’atmosphère car il ouvrit un œil négligemment, signe caractéristique d’une extrême activité physique pour lui.
- Et oui, Sosa ! répondis-je à sa question muette. Le voilà ! 

Quelques jours après notre entretien téléphonique, Alexandre avait tenu sa promesse et m’avait envoyé les pièces du dossier en sa possession. J’avais craint un moment qu’il ne change d’avis. Puis je m’étais raisonnée : pourquoi le ferait-il puisque c’est lui-même qui m’avait contacté ? Mais j’avais toujours tendance à m’inquiéter pour un rien, c’était plus fort que moi. 

Le colis d’Alexandre se présentait sous la forme d’une grande enveloppe en papier kraft. A l’intérieur une vieille boîte en carton peu épaisse. Je l’ouvris délicatement pour sortir son contenu que j’étalai devant moi ; répétant ainsi sans le savoir les gestes qu’avait fait Alexandre quelques jours plus tôt. 

Je restai un moment à observer les fragments de vie d’Henri. Puis comme à mon habitude, ne pouvant pas m’empêcher de classer les choses, je fis plusieurs tas. Je pris encore un instant pour contempler les pièces du dossier rangées par catégories. L’émotion m’étreignit, tant à cause de la trace affective de ces témoins directs de la vie de mon ancêtre qu’à cause de la charge tragique qu’ils véhiculaient. Sur le bureau étaient rassemblés les photos, les cartes postales, les papiers administratifs, la presse, la propagande, les lettres de dénonciation et les PV de police ou de justice. 

31 pièces. 31 documents, certains petits, d’autres plus grands, qui allaient m’apprendre que mon ancêtre était un assassin. 

Avais-je envie d’apprendre cela ? Si mes mains hésitaient, ma tête avait déjà décidé : bien sûr qu’il faudrait étudier tous ces documents. Même si cela ne faisait pas plaisir. Même si j’appréhendai d’en savoir plus sur cette histoire. C’était nécessaire. De toute façon, je ne pourrais plus dormir tout en sachant que ces documents existent. Quelque soit ce qu’ils ont à révéler. 

Sosa s’était approché. Je le pris dans mes bras pour me donner du courage et me réconforter tout à la fois. Après une grande inspiration, je reposai le chat et commençai l’examen des pièces du dossier. Inconsciemment je choisis d’aller du paquet qui semblait le plus inoffensif au plus compromettant :
- D’abord les photos, Sosa. 

Mais mon chat n’avait pas apprécié que je le repose aussi vite : il s’enroula en boule sur son fauteuil préféré et décida de ne plus m’accorder son attention. 

Si c’est toujours une joie de découvrir le visage inconnu d’un ancêtre, mon enthousiasme fut ici vite modéré. Il y avait d'abord quatre photos de petit format représentant un village que je n’identifiai pas. Je reportai leur examen à plus tard. Les trois photos suivantes étaient de différentes tailles et montraient des personnes. 

Sur la première on voyait un couple dans un jardin. A l’arrière plan une maison. La végétation était assez dense et semblait indiquer une saison de printemps ou d’été. La femme, en robe sombre et ceinture blanche prenait le visage de l’homme dans ses mains et souriait. Elle était coiffée avec une frange rouleau qui dominait sa tête de toute sa hauteur. Une cascade de boucles lui tombait sur les épaules. L’homme était à demi tourné et on ne voyait pas son visage. On devinait la naissance d’un front bombé et dégagé. Il portait un costume et une cravate et tenait la femme par le coude. Tous les deux étaient assez jeunes. La bordure droite de la photo était voilée.
- Qui est-ce, Sosa ? Crois-tu que ce soient Henri et Ursule ? 

Mon chat boudait toujours. Sur la photo suivante on distinguait un couple entourant un enfant posant devant un fond végétalisé. Hélas la photo était très floue : impossible de distinguer les traits des visages. Tout au plus on devinait que l’homme était chauve ou très dégarni, la femme portait un chapeau et l’enfant ce qui semblait être un costume marin ou quelque chose d’approchant. La végétation remplissait complètement l’arrière-plan : pas la moindre construction pour donner un indice sur l’endroit où le cliché avait été pris. Les vêtements étaient plutôt passe-partout et hormis le chapeau de la femme, accessoire qui ne se portait plus guère, il était difficile de les dater. J’étouffai un soupir. 

Le dernier cliché était un peu moins flou : sept personnes posaient en premier plan et une huitième à l’arrière. Au fond on discernait les lancettes d’un chœur d’église mais le porche du premier plan ne semblait pas décoré. Les personnes étaient endimanchées, portant gants et chapeaux. La femme tout à fait à droite portait même une fourrure.
- T’inquiète pas Sosa, c’est pas du chat ! On dirait… Un renard. Je crois même qu’il y a la queue et les pattes. Bon, c’est plus trop à la mode aujourd’hui. 

Je ne reconnaissais aucun des protagonistes et je ne voyais pas assez l’église pour l’identifier. Cependant l’assemblée était assez chic… et retro ; ce qui cadrait bien avec les événements sensés se dérouler dans les années 1940. Au dos des photos il n’y avait aucune indication : ni lieu, ni photographe, encore moins de nom ou de date.
- Bon ! Ça va pas être facile, hein Sosa ?

De ces photos se dégageait le parfum du bonheur, des temps heureux. Avaient-elles été prises avant la tragédie ?

- Voyons les cartes postales. Une seule est écrite, les autres sont vierges. Elle est adressée à Henri... Ben, elle doit pas dater d’hier : si tu voyais l’adresse, Sosa ! « Monsieur Macréau, Mortcerf, Seine-et-Marne ». La Poste serait bien embêtée avec une adresse libellée comme ça aujourd’hui. Ah ! Là on a quelque chose : le texte est signé « Le Floch ». C’est Ursule, Sosa, c’est elle ! Je reconnais sa signature : c’est la même que sur son acte de mariage. 

Hélas elle en disait si peu. Le texte était tout à fait anodin et ne m’apprenait rien. Je retournai la carte : au recto les timbres cachaient le nom de la ville. Le cachet de la poste était trop dégradé pour connaître le lieu et la date. Vaguement déçue je la reposai sur le bureau.
- Au suivant ! Les papiers administratifs… 

Je retrouvai l’original de la carte d’identité qui m’avait été envoyée par mail. Elle datait de 1942 et hormis la mention « aryen » elle ressemblait à celles que j’avais en ma possession pour d’autres membres de ma famille. L’ausweis en revanche était plus inédit pour moi. Il datait aussi de 1942 et autorisait Henri à circuler à Coulommiers…
- « Wohnung » ?
Je réactivai mon allemand scolaire trop vite oublié.
- Où il avait son « appartement » ? J’ignorai qu’il demeurait à Coulommiers ! Pourtant sur sa carte d’identité réalisée trois mois plus tôt il habitait à Mortcerf. Étrange. 

Quant à la presse il y avait trois minces journaux, tous des fragments de La Dépêche. Ils dataient de juin/juillet 1942, au moment où Pétain faisait généreusement don de sa personne à la France. L’un était très abîmé. 

- Le cinquième tas c’est la propagande, Sosa !
Des affiches, des tracts : ils pourraient faire sourire si on ignorait leur contexte. En effet les documents sommaient les Français de rendre les pigeons, interdisait de danser et de bavarder… avec menace de prison à la clé tout de même. Le rappel des réservistes était le dernier document de ce tas, affiche qui marqua le début d’une période bien sombre pour nombre de familles. Je pensai immédiatement aux nostalgiques du passé et me fit la réflexion qu’il est des époques qu’on est bien content de n’avoir pas vécues.

Le dernier document de la pile (mais était-il dans la bonne pile ?) était une circulaire de recherche. Henri y figurait parmi les autres « terroristes » qu'il fallait surveiller étroitement en cas d'arrestation.

- Les lettres de dénonciation maintenant.
Quatre documents dénonçaient mon aïeul : le papillon dont j’avais reçu copie et qui m’avait décidé à en savoir plus, ainsi que trois lettres manuscrites. La première le désignait comme « un homme suspect écoutant la radio anglaise ». La deuxième décrivait Henri comme un homme violent, colérique, menaçant sa femme à plusieurs reprises. Elle n’était pas complète, car seule la première page avait été conservée, mais suffisamment éloquente. Elle se terminait sur un « je suis sûr qu’il lui a… » qui enflamma mon imagination : qu’il lui a… tendu un piège ? tordu le cou ? tranché la gorge ? En tout cas, après ça, le « gentil dénonciateur » disait qu’il n’avait plus jamais revu Ursule. Mais la troisième était la plus terrible : elle était adressée directement au Préfet parce que, à son goût, sa dénonciation précédente n’avait pas été suivie d’une réponse assez ferme de la part de la police. Prendre la plume une fois c’est déjà quelque chose, mais deux fois ! Ça relève de l’acharnement. 

- Enfin les PV.
Étaient-ce les lettres qui avaient déclenché une enquête ? Je l’ignorai, mais quoi qu’il en soit, j’avais devant moi le dernier paquet, celui des PV de police et de justice. Je redoutai son contenu et je dus presque me forcer pour lire les derniers documents qui m’avaient été envoyés. Plusieurs plaintes étaient citées, dont une pièce l’accusant « de façon certaine ». Henri comparaissait tantôt comme témoin tantôt comme inculpé. On avait même donné un nom à cette enquête : « l’affaire de Mortcerf ». La police avait enquêté, mais le Préfet avait aussi demandé à avoir connaissance des pièces du dossier. Si Henri niait, il était évident que la police le croyait coupable. 

Prestement je rangeai les documents dans leur boîte en carton, comme si le fait de ne plus les voir pouvaient effacer le passé. Mais l’image d’Henri en train d’assassiner sa femme s’était inscrite sur ma rétine ce jour-là. Et ne m’a jamais quitté depuis. 



Pour examiner le dossier tout à loisir, cliquez sur ce lien.



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jeudi 5 novembre 2020

#ChallengeAZ : Chapitre E

 CHAPITRE E

"Épousailles..."

 

Tigeaux, samedi 27 octobre 1900 


« L’an mil neuf cent le dimanche vingt et un octobre, nous Stephen Klein Maire et officier de l’état civil de la commune de Tigeaux, après nous être transporté devant la porte de la maison commune à l’heure de neuf heure du matin, avons publié pour la seconde fois les promesses de mariage enregistrées le Dimanche précédent à la porte de la Mairie pendant les huit jours d’intervalle entre le sieur Macréau Henri, manouvrier demeurant dans la présente commune fils majeur de Macréau Théodore Louis Léon, charretier et de Gibert Marie Louise son épouse, sans profession, tous deux domiciliés dans la présente commune. Et Demoiselle Le Floch Ursule Marie Mathurine, cuisinière, domiciliée à Tigeaux, fille majeure de Le Floch Vincent Marie, cultivateur et de Galerne Marie Mathurine son épouse sans profession, demeurant à Loudéac (Côtes du Nord). De quoi nous avons dressé le présent acte de cette publication et nous en avons affiché de suite un extrait à la porte de la maison commune. Signé Stephen Klein » 

Presque une semaine s’était écoulée depuis la publication des bans. Il faisait encore assez beau ce samedi de fin octobre. Si les températures avaient un peu fraîchi l’atmosphère on avait surtout craint une averse en milieu de matinée. Mais finalement un vent miséricordieux avait chassé les nuages inopportuns. La cérémonie de mariage avait eu lieu à la mairie vers 11h. 

A présent, Henri regardait les noceurs virevolter devant lui : Georges Thiberville avait mis à disposition la cour de son moulin. Tous les voisins et amis pouvaient y danser à l’envi et profiter de la fête. Son ami Léon Vautrain s’avança vers Henri et lui glissa, lèvres serrées :
- Tout de même, faire ça chez un meunier, y a pas idée ! 



Henri balaya la remarque d’un geste. Il ne voulait pas prendre partie dans cette antique querelle entre les gens de l’eau et ceux de la terre. Il ajouta tout de même, pour faire bonne mesure :
- C'est ton employeur, quand même, et c'est bien grâce à lui que tu manges non ?

Léon, haussant les épaules, s’éloigna en bougonnant tandis qu'Henri replongea dans ses pensées. 

La journée avait bien commencé : la bénédiction civile s’était donc déroulée en fin de matinée. Stephen Klein, le maire, avait procédé à la cérémonie. Il y eu juste un petit moment de cacophonie lorsque, lors de la présentation des pièces indispensables (en l’occurrence les extraits d’état civil), le maire s’était aperçu que sur son acte de naissance le patronyme d’Henri était orthographié Maquerau au lieu de Macréau, véritable orthographe de son nom. Ayant un doute légitime sur son identité, il avait déclaré que dans ces conditions il ne pouvait pas les marier. 

Des hauts cris avaient été poussés, protestant que le maire le connaissait bien, que c’était bien lui et qu’il n’y avait pas de doute à avoir. Finalement le premier magistrat avait accepté de terminer la cérémonie, mais tint absolument à mettre un mot à ce sujet dans l’acte de mariage qu’il rédigea lui-même. Maître brodeur dessinateur dans le civil, connu pour son perfectionnisme, le maire ne dérogea pas à sa réputation ce jour-là. 

Henri sourit à ce souvenir, mais sur le moment cela ne l’avait pas faire rire du tout. Peut-être raconterait-il cette anecdote lorsque, vieillard au coin du feu, il occuperait ses soirées à égayer celles de ses petits-enfants. Ses petits-enfants ! Il pensait déjà à eux alors qu’il était tout juste marié. Était-ce l’atmosphère de ce jour de fête qui le conduisait à penser ainsi ? Il faut dire qu’Ursule n’y était pas étrangère. A 26 ans révolus il était un peu tard pour prendre épouse. Et s’il était honnête avec lui-même il faut avouer qu’il n’y croyait plus vraiment. Il avait reporté toute son attention et ses efforts sur son travail. 

Mais lors d’une de ses tournées de livraison de tuiles Ursule et son doux regard étaient entrés dans sa vie. Aujourd'hui il ne regrettait pas son choix. Elle avait quelque chose de singulier qui le touchait particulièrement, bien qu’il soit incapable de le définir précisément. Une façon de se croire toujours en danger qui lui donnait envie de la protéger, de la prendre dans ses bras. Il aimait se laisser aller avec elle. Ce sentiment d’abandon et de partage était nouveau pour Henri, lui qui n’avait jamais eu qu’à se préoccuper que de lui-même.
- Et bien Henri ! Tu rêves ? Alexandre Petit, un charretier qui travaillait pour Abel Leblanc, le ramenait sur terre.
- Oui, je crois bien.
Il scruta l’assemblée et, perplexe, demanda :
- Tu n’as pas vu Ursule ?
Son épouse, en effet, n’était pas parmi les convives.
- Ah ! Le jeune marié ! Il a déjà perdu sa femme ! Eh ! Il va falloir la tenir mieux que ça sinon elle va t’échapper ! 

D’un sourire poli, Henri quitta son voisin avant que ses propos n’empirent et attirent l’attention générale, faisant déraper la conversation sur un terrain où il ne voulait pas aller. Mais où était Ursule ? Il ne la voyait nulle part. Cette petite réflexion anodine prononcée par Alexandre Petit faisait son chemin et Henri était de plus en plus exaspéré de ne pas trouver sa femme. Il fit le tour des danseurs, en vain. Il était maintenant tiraillé entre deux sentiments contradictoires : les devoirs qu’une épouse se devait de tenir en public et sa propre tendance à s’inquiéter pour sa jeune épouse. 

Henri espéra que tout allait bien : Marie Joseph, la sœur d’Ursule, lui avait dit ce matin combien elle regrettait que le mariage se déroule si loin de ses parents, restés là-bas, en Bretagne. Au moins, ils avaient approuvé l’union de leur fille, envoyant leur consentement dûment enregistré devant Me Davy, leur notaire à Loudéac. Mais ils n’avaient pas fait le déplacement, bien sûr, ni Marie Rose, la jumelle d’Ursule. Henri ne l’avait jamais rencontrée, mais Marie Joseph lui avait expliqué qu’enfants elles étaient très proches. Ursule n’avait rien dit de son absence, mais peut-être en portait-elle la blessure secrètement ?
- Albert ! T’as pas vu Ursule ? demanda-t-il le plus discrètement possible à son frère.
Celui-ci ne réfléchit qu’un instant avant de répondre :
- Oui, tout à l’heure je l’ai vu se diriger vers le moulin. 

Sans même penser à remercier son aîné, Henri se dirigea vers le moulin. L’inquiétude grandissait en lui. Sa mère lui reprochait toujours de s’inquiéter de tout mais il n’y pouvait rien, c’était plus fort que lui. Il aimait bien que tout soit à sa place et pouvait vite s’énerver si ce n’était pas le cas. Il entra dans le moulin. L’atmosphère se fit soudain plus silencieuse, contrastant avec le bruit de la musique et des pas cadencés des danseurs. Au début Henri n’entendit ni ne vit rien. Il allait ressortir lorsqu’un bruissement attira son attention. Il pénétra doucement plus avant dans le moulin. 

Là, près des meules, il vit Ursule et Georges. Celui-ci tenait les mains de la jeune femme entre les siennes et, son visage très près du sien, il lui murmurait quelque chose. Henri ne parvenait pas à distinguer ce qu’il lui disait. Il ne voyait pas davantage le visage de sa femme qui lui tournait le dos. Mais aucun signe, dans son attitude, ne lui indiquait qu’elle n’approuvait pas cette situation. La bienséance aurait voulu qu’elle s’éloigne de lui : ils étaient beaucoup trop proches. Non ! La bienséance aurait voulu qu’à aucun moment sa femme ne soit seule en compagnie d’un homme de huit ans son aîné ! 

Henri, envisageant immédiatement le pire, sentit le sang se retirer de son visage. Il fixait intensément cet homme qu’il n’avait rencontré qu’assez récemment. Il était de taille moyenne, le visage ovale marqué par ses yeux bleus perçants. De sa main droite mutilée (il lui manquait une partie de l’index) il effleurait les cheveux d’Ursule. Dire que cet homme était le témoin de son épouse ! Comment avait-il pu autoriser cela ? Quelle trahison ! Un meunier qui plus est ! Léon avait raison : tous de la mauvaise engeance ces hommes de l’eau ! Comment se faisait-il qu’il n’avait rien vu ? Que se passait-il entre eux ? Il se sentit soudain glacé. Est-ce que sa belle histoire allait se transformer en cauchemar ? Déjà ? 

De nombreuses questions se bousculaient dans sa tête, toutes plus noires les unes que les autres. Il cherchait des signes qu’il n’avait pas vus, ressassant chaque instant où le nom de cet homme était venu dans la conversation : Ursule s’était-elle empourprée, avait-elle balbutié à son évocation, trahissant un trouble qui cachait un secret bien plus grave encore ? Jamais il n’avait remarqué cela. Sa femme pouvait-elle en fait se révéler une ignoble comédienne, qui l’avait dupé comme un enfant ? Avait-il été si naïf ? Il ne laisserait pas passer ça. Et certainement pas aujourd’hui. 

Cette journée qui avait soi-disant si bien commencé ! Sentant la colère l’envahir, il serra les poings. Il entra, fou de rage.   



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mercredi 4 novembre 2020

#ChallengeAZ : Chapitre D

CHAPITRE D

"Donc il s'appelait Alexandre..."

 

Donc il s’appelait Alexandre Brassade. Il venait de perdre son grand-père et avait vidé sa maison afin de la vendre. C’est à cette occasion qu’il avait trouvé les papiers concernant Henri Macréau. J’essayai de me concentrer mais je ne voyais toujours pas comment cela était possible. 

- Mais… Euh… Comment avez-vous pu trouver ces documents ?
- C’est simple : ils n’étaient pas cachés, juste dans la table de nuit de mon défunt grand-père.
- Oui, ça j’ai compris. Mais…
- Oh ! Je ne vous ai pas dit : sa maison se situe à Mortcerf, en Seine-et M…
- Ah ! Voilà ! 

Je savais qu’Henri avait habité cette localité de Seine-et-Marne, entre autres parmi de nombreux déménagements.
- Je comprends mieux maintenant ! expliquai-je. Enfin, pas comment votre grand-père a eu ces documents, mais au moins en habitant la même région ça donne une piste.
Alexandre acquiesça.
- Vous voulez que je vous envoie tous les documents ? demanda-t-il avec douceur.
- Oh ! oui !
Quelle question ! J’avais répondu instinctivement, mais je me rendis compte aussitôt de tout ce que cela impliquait.
- Il y en a beaucoup ?
- Une trentaine peut-être… 

Mince. Cela faisait un bon nombre quand même. Je redoutai un peu le contenu de ce paquet. Le cadeau allait-il se transformer en bombe ? Vu le contenu des premiers éléments envoyés, on pouvait le penser. Après un silence, j’ajoutai :
- Vous… Vous les avez lus ?
- … Oui. C’est pour ça que je vous ai demandé si vous les vouliez. Ça ne va peut-être pas vous plaire.
Je me fis philosophe :
- C’est ainsi avec les archives : on ne sait jamais sur quoi on va tomber. Comme dirait l’autre : « c’est comme une boîte de chocolats… » etc…

Nous nous accordâmes pour que les documents me soient envoyés par la Poste, afin que je puisse juger aussi des supports et avoir une vision globale des documents.
- Je n’aurai qu’une faveur, ajouta Alexandre. Si ce n’est pas trop abuser, j’aimerai pouvoir suivre moi aussi les découvertes que vous ferez car cette histoire m’a intriguée.
J’acceptai sans difficulté et raccrochai. Maintenant il ne me restait plus qu’à patienter avant de recevoir cet étrange colis.

Pour tromper le temps, je me penchais sur cette question de proximité géographique. Je compilai mes infos sur les adresses successives d’Henri, tout en les commentant pour Sosa, comme à mon habitude.
- Et bien ! En voilà des adresses : né à Meaux, marié à Tigeaux, ayant donné naissance à des enfants Tigeaux, Serris et Mortcerf.
Le tout se situait en Seine-et-Marne, dans un rayon de 30 km. Globalement il n’avait pas fait beaucoup de déplacements. Il me manquait encore son décès, mais cela me donnait une idée. 

Son épouse avait fait un peu plus de chemin : née dans les Côtes d’Armor et mariée à Tigeaux, soit environ 500 km.
- A la charnière du XIXème et du XXème, une Bretonne arrivée en Ile-de-France et exerçant le métier de cuisinière : il ne faut pas être grand clerc pour deviner qu’Ursule a fait partie de la vague d’émigration vers la capitale et sa région. 

Les Bretons, et en particulier ceux originaires des Côtes du Nord (aujourd’hui appelées Côtes d’Armor) comme Ursule, ont été nombreux à quitter leurs foyer dans l’espoir d’une vie meilleure. L’effondrement de l'industrie textile, jusque-là très importante avec en particulier le tissage du lin et du chanvre, entraîna la fermeture de nombreuses usines et ateliers familiaux. L’émigration de milliers de Bretons (et de Bretonnes car elles ont été plus nombreuses que les hommes) vers la capitale devint une nécessité car, sous la pression démographique, la terre natale ne fournissait plus de possibilité de travail. Fuyant la misère, ne possédant que la richesse de ses bras, les jeunes filles se faisaient bonnes, cuisinières, lingères… 

- Au mieux ! Les pauvres ! Un certain nombre ont fini sur le trottoir, dis-je à mon chat.
Celui-ci me regardait attentivement. Je crois qu’il aimait bien que je lui raconte des histoires d’ancêtres… Quand il n’avait pas décidé de dormir ! 

Était-ce pour éviter un trop grand décalage entre la vie urbaine, un mode de vie et une langue si différente de tout ce qu’elle avait connu jusque là qu’Ursule s’était installée dans une petite localité en Seine-et-Marne et non à Paris directement ?
- Impossible à savoir ! 

Une heureuse surprise vint pimenter mes recherches :
- Oh ! Oh ! Sosa ! Qu’avons-nous là ? Les archives de Seine-et-Marne ont mis en ligne quelques années supplémentaires de recensement. Et dire que je l’ignorai ! Mais c’est bien, ça ! 

Grâce à ces nouveautés en ligne, je pus affiner un peu le parcours d’Henri, sans que je ne puisse néanmoins l’amener jusqu’à son terme puisque j’ignorai toujours où et quand il était mort.
- Il n’est peut-être pas mort ! Hein, Sosa ? Cela lui ferait, voyons voir… 146 ans ! Bon, OK : il est mort. 

Mais où ? Si je savais déjà qu’il avait habité Mortcerf pendant plusieurs années, les recensements me permirent de déterminer qu’il avait beaucoup bougé dans la commune même car à chaque état de la population il changeait d’adresse : les Égyptes, les Vallées, rue des Vallées.
- Tiens ? Est-ce que la population augmentant, le village des Vallées est devenu la rue des Vallées, désormais partie intégrantes de Mortcerf ? Il faudrait que je creuse cette piste. 

Mais pas maintenant, mon chat ayant décidé que c’était l’heure du dîner, il me réclamait bruyamment sa pitance.
- OK ! OK ! On y va… De toute façon moi aussi j’ai faim. Je refermai le capot de mon ordinateur portable et me dirigeai vers la cuisine. D’un bond Sosa m’avait précédée. C’est souvent ainsi que se terminai mes recherches : par l’appel du ventre de Sosa. 



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mardi 3 novembre 2020

#ChallengeAZ : Chapitre C

CHAPITRE C

"Charretier : en un clic mon logiciel de généalogie avait répondu à ma requête..."

 

« Charretier » : en un clic mon logiciel de généalogie avait répondu à ma requête. Mon ancêtre Henri Macréau était charretier. Ça avait été mon premier réflexe : vérifier les infos que j’avais récoltées sur mon aïeul. Il avait vécu en Seine et Marne : né en 1874, marié avec le siècle. J’ignorais encore sa date de décès. Son épouse, Ursule Le Floch, était une Bretonne expatriée. Ensemble ils avaient eu une palanquée d’enfants. Finalement, je n’avais pas énormément d’informations sur eux. Je connaissais mieux leur futur gendre, Jean-François Borrat-Michaud, mon Poilu que j’avais suivi au jour le jour sur mon blog de 2014 à 2019 pour le Centenaire de la Première Guerre Mondiale.

Je n’avais jamais vu le visage d’Henri. Enfin, jusqu’à aujourd’hui. Devant moi, sur l’écran de mon ordinateur, la carte d’identité de mon arrière-arrière-grand-père était ouverte. C’était le second document envoyé par mon mystérieux contact. Depuis sa photo, Henri me regardait fixement. Il semblait me supplier :
« - Viens tirer cette affaire au clair. Ne me laisse pas tomber. »

C’était sans doute mon imagination qui me jouait des tours, mais je ne parvenais pas à m’ôter cette idée de la tête.

Les doigts suspendus au-dessus de mon clavier, je n’hésitai qu’un bref instant avant de répondre au mail de mon interlocuteur inconnu. Le message fut court : « Pouvez-vous me donner davantage d’explications ??? »

En attendant la réponse, fébrile, je revenais vers la première pièce jointe du message. C’était un papier de couleur brunâtre, avec juste ces deux mots « macreau assassin ! ». L’écriture était malhabile… ou volontairement déformée. Peut-être écrite par la main gauche d’un droitier ? Des traces de petits trous étaient visibles, comme si le papier avait été épinglé à un autre. Y en avait-il d’autres dans le même genre ? J’eus un hoquet. Au bord de la nausée, je restai figée devant l’écran.

Devant mon immobilité et mon silence inhabituels Sosa vit se frotter contre mes jambes et leva la tête vers moi, les yeux grands ouverts, interrogateurs.
- Ça va Sosa, ça va… Du moins je crois…

D’une caresse sur la tête, je tentai d’apaiser l’inquiétude de mon chat. Longtemps, j’ai pensé que ma famille était de celles auxquelles il n’arrive jamais rien. Aujourd’hui les événements semblaient brutalement me prouver le contraire !

J’essayais de me changer les idées en me concentrant sur les faits déjà rassemblés. « Charretier ! Pense charretier ! » me répétais-je à haute voix comme un mantra protecteur.

En fait, en passant en revue tous les documents concernant Henri et ses proches, je m’aperçus que j’en savais un peu plus sur lui que je ne le croyais au début : enfant il avait été vacher (gardien d’un quelconque troupeau, sans doute, à l’heure où les plus aisés apprennent leurs lettres), puis manouvrier pendant une dizaine d’années. Et le fameux charretier. Seul détonnait un « marinier » isolé, en 1920, au beau milieu des 20 ans à travailler avec son attelage. Est-ce qu’il était passé des chemins de halage à la rivière ?

Un tour sur les sites spécialisés me confirmait ce que je soupçonnai : le charretier est celui (ou celle) qui conduit une charrette ou un chariot. Il se dit aussi de celui qui mène une charrue. Le marinier, quant à lui, est celui dont la profession est de conduire les bâtiments sur les rivières, les canaux navigables, les lacs. Dans ce coin de Seine-et-Marne on trouvait les deux en abondance.

Charretier. Marinier. Mais pas assassin !

Son père était aussi charretier : sans doute avait-il appris le métier auprès de lui. Il devait avoir pris la suite, dans une continuité de profession naturelle de père en fils, mais dans une commune voisine néanmoins. Peut-être pour ne pas lui faire concurrence ?



Dans les recensements, un certain nombre de charretiers et de mariniers apparaissaient. Je cherchai donc à en savoir plus sur ces métiers si fréquents dans ce coin de Seine-et-Marne. C’était en fait une histoire ancienne, qui prenait ses racines sous le règne de François Ier, lorsque le Grand Morin, un des principaux affluents de la Marne, fit l’objet d’aménagements afin de rendre cette rivière navigable, entre Dammartin-sur-Tigeaux et jusqu’à la confluence avec la Marne. Une succession de barrages assurait de garder un débit constant sur la rivière, nécessaire à la navigation de bateaux de gabarit assez conséquents.

Un système ingénieux de pertuis permettait de franchir les nombreux moulins qui émaillaient la rivière. Ces pertuis étaient aussi appelés « portes à bateaux » ou « portes marinières » et étaient actionnés par les meuniers. Ce qui ne se fit pas toujours sans heurts, comme je l’appris en suivant le fil de mes lectures, car à cette occasion ils devaient mettre à l’arrêt les roues de leurs moulins. C’est sans doute ainsi que naquit les tensions ancestrales entre meuniers et mariniers.

C’était le flottage du bois qui occupait principalement cet acheminement batelier, avant que le développement industriel dans les années 1890 ne diversifie les cargaisons (briques, tuiles, chaux, lin…).

En parallèle de cette vie sur l’eau s’était développé le halage, méthode consistant à tirer un bateau depuis la rive avec une corde reliée au mât. Ce métier se faisait soit « à col d’homme », c’est alors le haleur qui tirait directement le bateau avec ses propres forces, soit avec un attelage de chevaux, d’ânes, ou de bœufs, quand le passage était suffisamment large. L’invention du bateau à moteur a fait tomber en désuétude ce métier si éprouvant.

A Tigeaux, où Henri et Ursule se sont mariés en 1900, il y avait un port assez important mais en 1906 un observateur de la France rurale et urbaine à la charnière du siècle le note « désert » (note).

Cette recherche inattendue m’avait fait découvrir une tradition inconnue, moi une fille de la terre. J’en remerciai le destin. Cela me permettait de mieux comprendre ma généalogie, de l’étoffer, lui donner chair.

Néanmoins, je n’oubliai pas mon objectif premier. Je ne cessai de jeter un œil sur la boîte mail, qui se relevait automatiquement à intervalle régulier. Jusqu’à présent elle demeurait vide. J’examinai à nouveau la carte d’identité d’Henri arrivée avec le premier mail. C’était toujours émouvant de se trouver face à ce genre de document.

Une sensation un peu étrange aussi : ce n’était qu’un document administratif, dénué de toute charge émotionnelle comme peuvent en avoir des photos ou de la correspondance privée. Mais lorsque c’est la seule source à notre disposition il prend un relief bien différent. Par ailleurs ce document quelconque en apparence, contenait tout de même l’identité (bien sûr) mais aussi une photo, une signature, une empreinte. Bref, une connexion directe avec mon ancêtre.

Tout à coup, je découvris au bas du document une mention que je n’avais pas l’habitude de voir sur ce type de pièces déjà en ma possession : le tampon « aryen ou non aryen». Les trois derniers mots avaient été rayés, adoubant mon ancêtre parmi la race des « vainqueurs ». Cela me faisait froid dans le dos, rien que de penser à cette période sombre de notre histoire.

Enfin la petite enveloppe notificative de ma messagerie virtuelle m’apporta la réponse de mon interlocuteur. Je fus quelque peut déçue par son caractère laconique (il faut dire que je n’avais pas été très prolixe non plus). Mais il y avait une ouverture : il me donnait son numéro de téléphone. Sans plus attendre, je le composai tout en mettant au point un bref laïus. En effet, je ne voulais paraître ni trop empressée d’en savoir plus sur cette affaire, ni trop brutale s’il s’avérait que, finalement, c’était bien un arnaqueur. Doué certes, mais arnaqueur quand même. Quand j’entendis le déclic de mon correspondant, je pris une grande inspiration et me lançai.

 

 

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