« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

lundi 24 décembre 2018

Conte de Noël : la course à la pelote

De mémoire d’hommes on avait toujours pratiqué cette coutume à Beaufort [*]. Selon cet usage fort ancien tous les jeunes gens mariés dans l’année se réunissaient peu avant la Noël, pour offrir au public un grand divertissement. En cette année 1603 une centaine de couples s’étaient mariés dans la paroisse. Certains étaient plus âgés que d’autres, bien sûr, et ils laissaient volontiers leur place aux jeunes pour offrir le spectacle ; ce qui leur étaient exceptionnellement autorisés car tous les mariés de l’année en bonne santé se devaient normalement de participer.

Afin d’éviter les débordements le curé tentait de canaliser les excès de cette jeunesse et d’organiser un peu la coutume. Ainsi, il avait décidé que les festivités auraient lieu en plusieurs fois, par petits groupes. Nicolas Lecointre, marié en février, avait proposé que tous les couples mariés le même mois que lui concourent ensemble. C’est ainsi que Guy Joulain, Marc Carra, Marc Cheron, René Monneau, François Lefrere et Berrand Maution s’étaient retrouvés avec lui pour la compétition.

A l’heure indiquée, ils se rendirent, escortés de toute la foule, sur un pont situé sur l’Authion, rivière affluente de la Loire coulant à l’extrémité de la ville. Là, ils attendirent le signal donné par les élites de la cité, et en présence du seigneur du lieu qui présidait la cérémonie : la trompe sonnée,  ils se précipitèrent dans l’eau pour y saisir, en nageant, une pelote que l’on avait jetée dans le courant. Certaines années l’eau étaient très froide, mais Nicolas eu de la chance car l’année de sa participation la température était supportable.


Carte de Noël © cparama.com

Et puis on se réchauffait vite : en effet, les nageurs, en plus de se tenir à flot et de poursuivre la pelote, avaient la liberté de l’arracher des mains de ceux qui l’avaient saisie les premiers ; c’était, on peut le penser, une lutte fort longue et fort distrayante. Celui qui, le plus fort ou le plus adroit, parvenait à se rendre maître de la pelote était acclamé par l’assistance en liesse. Mais afin d’être proclamé vainqueur, il fallait encore rentrer chez soi et faire baiser la pelote à la bûche de Noël, dans la cheminée. Quiconque arrivait à toucher le porteur, lui criait : « Lâche la pelote ! », et de nouveau la pelote était lancée. Heureusement pour la santé des jeunes gens, on ne retournait pas à la rivière, mais on lançait la pelote le plus loin possible, dans n’importe quelle direction.

Après la nage, succédait donc la course, ce qui permettait d’oublier rapidement l’eau froide. Souvent cette partie de la cérémonie pouvait durer la journée entière, et on raconte même qu’une fois un concurrent était demeuré éloigné chez lui deux eu trois jours avant de pouvoir atteindre sa maison (et sa cheminée), attendant que ses adversaires qui s’étaient coalisés près de sa porte, enfin lassés, aient abandonné la partie. Une sorte de superstition s’en mêlait, la pelote portant bonheur au foyer qui la possédait. C’était un talisman qui assurait de belles récoltes à celui qui pouvait la garder. Si ces réjouissances se voulaient inoffensives, les bousculades ou les bagarres qui s’ensuivaient l’étaient parfois moins, malgré les quelques tentatives d’apaisement du curé !

En effet, le vainqueur recevait du seigneur cinquante livres pour « monter son ménage », ce qui pouvait exciter les convoitises. Par ailleurs les jeunes gens qui, n’étant pas malades, « ne voulaient pas grelotter en nageant après la pelote », payaient une amende au profit du vainqueur ; ce qui augmentait le pécule du gagnant.

Une fois le dernier possesseur de la pelote officiellement reconnu, il était reconduit chez lui au son de la trompe, au bruit des tambours, des fifres et des hautbois. Et accueilli en héros par sa nouvelle épousée.

Et qui a gagné l’épreuve en 1603, me demanderez-vous ? Hélas la tradition familiale n’a pas permis d’en garder le souvenir…


[*] Beaufort en vallée, à l'Est d'Angers (49).
Source du conte : france-pittoresque.com (tradition de Beaufort, mêlée à une autre course semblable qui existait en Normandie, légèrement adaptée à mon histoire familiale)


samedi 15 décembre 2018

#RDVAncestral : La rencontre

En ce 30 janvier 1734 nous avons eu une frayeur. Louise Merlet, épouse Fortin donne naissance à son quatrième enfant. Déjà, quatre ans plus tôt, elle avait perdu un enfant : baptisé à la maison par la sage-femme ordinaire car en danger de mort, le bébé n’avait pas vécu. Il avait été enterré, sans même recevoir de prénom.

Dans une tragique répétition, l’accouchement auquel j’assiste est très difficile. La sage-femme prend à nouveau la décision de baptiser l’enfant à la maison. L’inquiétude gagne tous ceux qui se serrent dans la petite maison de La Tremblay, près de Cholet.

La sage-femme a emmailloté le nourrisson tandis que des proches s’occupent de la mère épuisée. Elle entre dans la pièce commune avec un paquet de linge dans les bras. Je m’approche : je m’aperçois avec stupeur qu’il ne s’agit pas de linge mais du bébé ! Il est si petit. Il a à peine la force de pleurer. J’ai froid tout à coup. Comme une douche glacée qui coule tout au long de mon échine. Avec mon regard et mon savoir « moderne » je sais ce qui peut arriver aux prématurés du XVIIIème siècle. Mon premier réflexe est de me dire qu’il va passer avant le point du jour. Ne sachant comment être utile, je vais machinalement remettre une bûche dans la cheminée.

Mais rapidement je me rends compte que les autres personnes présentes dans l’assistance ne partage pas mon angoisse. Eux, ils sont dans l’espoir. Certains prient à voix basse. D’autres se joignent dans une communion de confiance. C’est le cas, et je le remarque maintenant, d’André et de Marguerite. André se nomme Fortin lui aussi, comme le père de l’enfant, mais je ne sais pas s’ils ont un lien de parenté. Marguerite est la nièce de la nouvelle accouchée et porte le nom de Coeffard.

Tous les deux n’ont cessé de se rapprocher aux cours des heures passées. André est toujours près de Marguerite. Prévenant, il lui a apporté un châle quand elle a eu froid, un morceau de pain quand elle a eu faim… De timides sourires de part et d’autres ont été échangés. Tout en pudeur et en discrétion.

Marguerite, la cousine du nouveau-né donc, a depuis longtemps été choisie pour être la marraine du bébé. J’ai pu parler un peu avec elle et elle se faisait une joie d’avoir été élue pour occuper ce rôle primordial dans la vie de ces hommes et de ces femmes du XVIIIème siècle. Mais va-t-elle pouvoir occuper ce rôle pendant longtemps ? Le doute est permis.

J’ai tenté d’en savoir plus sur André, intrigué par son paronyme, identique à celui de François, le nouveau père du jour : sont-ils frères ? Cousins ? Au moment où Marguerite Merlet épouse Coeffard, sœur de Louise et mère de Marguerite (vous me suivez ?), allait me répondre, nous avons été interrompues, le dénouement de la naissance étant proche. Je n’ai donc pas pu satisfaire ma curiosité.

Finalement le bébé est né. Mais fragile. D’où la décision de la sage-femme. D’un sac en toile, elle sort les instruments nécessaires au baptême du fragile nouveau-né : une bible, un crucifix, un cierge, un bassin propre, un linge et une fiole d’eau bénite. Les parrain et marraine sont invités à se rapprocher. Le cierge allumé leur est donné. Ce sont André et Marguerite (la jeune). André se tient près de Marguerite, un peu plus que nécessaire peut-être… Le bébé est vivement démailloté. Respirer semble l’épuiser. Il ne pleure toujours pas. Seuls ses petits points sont crispés. La sage-femme est expérimentée : la cérémonie est expédiée hâtivement, mais sans oublier aucune étape nécessaire au salut de cette âme fragile. La sage-femme s’adresse au parrain :
- Nommez cet enfant.
- Je le nomme André.
Elle verse par trois fois l’eau bénite sur le front de l’enfant, tout en faisant un geste de croix. L’eau versée sur la tête de l’enfant tombe dans le bassin : la sage-femme veille à la jeter dans le feu après la cérémonie, avec le linge qu’elle a utilisé pour essuyer la tête du nouveau-né. Elle termine en prononçant les paroles sacramentelles : « Je te baptise au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit ». Et adroitement emmaillote le bébé à nouveau avant de le rapporter à sa mère.

Georges de la Tour, Le nouveau né © reproduction-grands-peintres.com

Je remarque que pendant cette cérémonie un peu particulière André a regardé davantage la marraine que son filleul. Tiens ? Une histoire commencerait-elle ?


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Retour de nos jours : j’épluche les registres de baptêmes. Je trouve celui d’un autre bébé nommé André Fortin, en 1741. Il est le fils d’André Fortin et de Marguerite Coeffard – et mon ancêtre direct. Les deux protecteurs spirituels du premier bébé André ont donc finit par se marier.

Se sont-ils rencontrés au baptême de 1734 ? Etaient-ils déjà mariés ? Hélas des lacunes dans les registres ne me permettent pas de répondre à cette question. Ils semblaient proches mais était-ce juste l’effet de cette cérémonie particulière et éprouvante ou est-ce que cela datait déjà d’avant ? Un des nombreux mystères généalogiques que je ne suis pas en mesure de résoudre pour l’instant…


jeudi 6 décembre 2018

#Centenaire1418 : 5 ans de guerre

De juillet 2014 à novembre 2018 j'ai suivi le parcours "pas à pas" de mon arrière-grand-père Jean-François Borrat-Michaud pendant la Grande Guerre. Tous les jours j'ai tweeté sa guerre sur le compte @jfbm1418, ou du moins ce que j'ai pu en reconstituer (ou imaginer un peu quand les sources me faisaient défaut !); publications rassemblées tous les mois sur ce blog.

Je lui ai aussi dédié le ChallengeAZ 2018 : une autre façon de témoigner des événements qu'il a vécu il y a 100 ans.

En ultime hommage, je publie cette synthèse des 5 années qu'a passé Jean-François sous les drapeaux :


Les flèches vous permettent de naviguer à votre guise. Vous pouvez mettre en plein écran cette animation interactive en cliquant sur les trois points en bas à droite.