« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

mardi 30 avril 2024

#Généathème : les 11 ans du ChallengeAZ

Le 1er avril 2013 se tenait la première édition du ChallengeAZ. C’est en le découvrant que l’envie m’est venue de créer un blog de généalogie. Le temps de trouver un nom, une identité visuelle et quelques mois plus tard je publiais mon premier article. Depuis j’ai toujours été fidèle au ChallengeAZ, ne ratant aucune édition.

 

Avec ou sans fil rouge, photographique ou romancé, consacré à une personne, un lieu ou des objets… : 10 façons de réinventer l’alphabet généalogique ! Vous pouvez retrouver toutes les éditions grâce à l’onglet dédié de menu de ce blog.

Généathème fêtons les 11 ans du ChallangeAZ

Pour fêter les 11 ans du ChallengeAZ, je revisite certaines de mes participations… de façon auditive :

Vous pouvez écouter 3 éditions en cliquant sur les liens ci-dessous.

Si vous préférez, vous pouvez les retrouver sur Spotify, Deezer ou Castbox - ainsi que d’autres podcasts (voir ici).

 

Édition 2020 : Polar généalogique 

Partie 1 : lettres A à H
 

 
Partie 2 : lettres G à M
 

 
Partie 3 : lettres N à S
 


Partie 4 : lettres T à Z
 


Bonus : le mystère enfin résolu

 

Édition 2018 : Centenaire de la Première Guerre Mondiale

Partie 1 : lettres A à I
 

 
Partie 2 : lettres J à Q
 

 
Partie 3 : lettres R à Z
 

 

Édition 2015 : Des sources pour une vie, Jules Assumel-Lurdin

Partie 1 : lettres A à M
 

 
Partie 1 : lettres N à Z
 

 

jeudi 11 avril 2024

Les livres généalogiques

Vu de l’extérieur, faire de la généalogie c’est accumuler des dates, gâcher son temps devant un obscur tableau de matrice cadastrale ou s’enthousiasmer par la mort (surtout quand on trouve un acte mentionnant la cause particulière du décès). Bref, c’est bizarre.

Expliquer ses découvertes, transmettre ses recherches généalogiques à des personnes qui n’y entendent rien, ce n’est pas toujours évident.

Pour ne pas rebuter les profanes, il faut savoir adapter son vocabulaire, trouver un point d’intérêt, utiliser un outil de médiation accessible à tous.

 

Dans ce but, j’ai eu plusieurs fois l’occasion de faire des livres généalogiques.

 

Dans le cadre d’une cousinade, j’ai utilisé le carnet pré-imprimé de la Revue Française de Généalogie « Mon carnet – toute une vie à transmettre ». Ce carnet est destiné à raconter sa propre vie, y inscrire ses relations, lieux de vie, souvenirs, coups de cœur… et ainsi laisser un véritable témoignage pour les générations futures. Bref, raconter la vie du généalogiste et pas celles de ses aïeux, pour une fois !

Cependant j’ai détourné l’usage premier de ce carnet et j’y ai décrit la vie de mes arrière-grands-parents maternels Joseph Gabard et Flora Roy.

L’avantage de cet ouvrage est d’y trouver des rubriques qui aident à raconter le déroulé d’une vie. Le carnet est graphique et agréable à feuilleter. Mais la médaille a aussi son revers : toutes les rubriques ne sont pas forcément utiles pour la personne concernée. Il y  a donc des pages laissées vides.

Comme j’ai rempli le carnet pour un couple et non pour une personne seule, je me suis adaptée et j’ai doublé certaines pages (lieu de naissance, ma famille, etc…). Je me suis amusée à ajouter des papiers à soulever, à dérouler, à ouvrir… J’ai collé des photos, des reproductions de documents, des dessins. 

Exemple de pages intérieures "Mon carnet"
Exemple de pages intérieures "Mon carnet"
 

Bref, je l’ai modifié à mon goût.

"Mon carnet" de Joseph et Flora


Ludique, l’objet a été très apprécié lors de cette cousinade réunissant les descendants du couple formé par Joseph et Flora.

 

En 2020 j’ai inventé un polar généalogique (à lire ici). Écrit dans le cadre du défi d’écriture du ChallengeAZ, chaque chapitre correspond à une lettre de l’alphabet, comme le veut l’usage de ce défi d’écriture généalogique. Il se base sur des faits réels et des personnes ayant véritablement existé. Seule l’intrigue policière a été créée de toute pièce.

Chaque article aborde une source permettant d’établir la généalogie d’une personne et de donner corps à sa vie, son environnement, depuis l’état civil jusqu’à la gastronomie locale, en passant par le récit des recherches menées.

La fiction permet de faire de la généalogie sans le savoir.

A l’origine destiné à être publié seulement sur le blog, ma mère m’a fait la surprise d’éditer quelques exemplaires physiques de ce polar. Pour cela, elle n’a repris que les textes du ChallengeAZ (« dans un polar, il n’y a pas d’image ! »). Elle est passée par CoolLibri, un site en site d’auto-édition. Elle a pu y choisir la reliure, le format, le papier, etc…

Couverture du polar généalogique "Les racines du crime"
Polar généalogique "Les racines du crime"


J’ai aussi fait imprimer deux autres livres, qui laissent une grande place aux visuels. Ils ont été offerts en cadeau à mon père.

 

Le premier livre raconte les généalogies paternelles et maternelles de mon père. C’est un sujet assez large puisqu’il s’étend sur neuf générations. Au fur et à mesure des pages, on remonte le temps. Je me suis concentrée sur les hommes, ce que l’on appelle une généalogie agnatique.  

Couverture du livre "Une famille, une histoire"
Livre "Une famille, une histoire"
 

J’ai établi une double page par génération : sur le feuillet de gauche figure le nom et dates de l’ancêtre, accompagné de sa photo ou sa signature (ou son nom seul à défaut) ; sur celui de droite, j’ai rédigé un texte présentant une synthèse des recherches, émaillé d’anecdotes familiales et ornés de photos et de documents (copies d’état civil et d’actes notariés, cartes postales anciennes, illustrations de costumes ou d’outils…). Des arbres complètent l’ouvrage, ainsi que des planches spécifiquement dédiées aux lieux habités par nos ancêtres et aux photos familiales. Une bande de couleur rouge sombre fait le lien entre les différentes pages. 

Exemple d'une double page intérieure
Exemple d'une double page intérieure
 

Le format choisi est un A4 paysage (horizontal), avec une couverture rigide. Il comporte 24 pages (48 vues).

 

Le second livre est plus graphique : il reprend les codes du scrapbooking (une page, un décor). 

Couverture du livre "Cécile et Augustin Astié"
Livre "Cécile et Augustin Astié"


Cet ouvrage est centré sur un seul couple, Augustin Astié et Cécile Rols, les arrière-grands-parents de mon père. Le choix n’a pas été facile à faire car j’avais aussi envie de raconter aussi la génération précédente mais pour ne pas alourdir l’ouvrage, je me suis restreinte (peut-être un livre futur ?). J’y explore les différents aspects de la vie de ce couple : parents et fratrie (pour l’un, puis l’autre), rencontre, mariage, enfants, métiers, décès, etc... Une page est consacrée à chaque thème.

La plupart du temps le travail généalogique avait été fait en amont, mais parfois la chronologie des découvertes a été inversée : l’idée d’une page-thème a été le moteur de recherches complémentaires.

Réalisé dix ans après le premier livre, ma pratique généalogique a évolué : j’ai pu inclure dans ce second ouvrage des sources que je n’explorais pas dans le précédent (cadastre, presse ancienne, dossier de carrière, etc…).

Le décor prend la majorité de la place, réduisant la taille du texte disponible. Cette contrainte d’espace dédié à l’écrit m’a obligé (permis) de faire une synthèse des recherches et de rendre abordable les sujets traités. De cette façon le lecteur n’est pas noyé dans des détails inutiles ou du vocabulaire abscons. Et permet une transmission plus facile.

Exemples de pages intérieures
Exemples de pages intérieures
 

Cette fois, pour changer, j’ai choisi un format carré, avec une couverture souple. Il comporte 19 pages (38 vues).

 

Ces deux ouvrages restent des objets visuels. L’écrit n’y tient pas la place principale. Ce n’est pas une étude complète. Je n’ai donc pas rédigé d’introduction ou de conclusion, développé le contexte historique ou la vie quotidienne locale. Je me suis concentrée sur de courtes biographies ou des thèmes particuliers.

Pour ces deux livres, j’ai utilisé les services d’éditeurs en ligne de livres photos (MonAlbumPhoto et PhotoBox). Ils sont faciles d’utilisation : il suffit de télécharger des photos et les placer comme on le souhaite sur la page ou de copier-coller des blocs de textes. Ces sites laissent le choix de la reliure, du format, de la qualité du papier, etc... Pas besoin de rentrer dans les relations parfois complexes avec un imprimeur. Le rendu très satisfaisant, c’est une solution pratique pour fabriquer ce type d’ouvrage.

A noter : ce sont des ouvrages à destination familiale. Si j’en ai fait imprimer plusieurs exemplaires (pour les membres de ma famille qui ont souhaité en posséder une copie), ils ne sont pas destinés à être vendus. Dans ce cas, les contraintes sont différentes, notamment pour les illustrations tirées d’un site d’archive soumises à la réutilisation à titre gratuit des informations publiques (à garder en mémoire, au cas où).

 

Ce sont de beaux objets, plaisants à feuilleter et tout à fait accessibles à tous.

 




vendredi 15 mars 2024

L'épicerie de la rue de la Roë

Article disponible en podcast !


 

Alexandre Rols naît en 1831 à Conques (12). Il est mon sosa 34. Après un bref passage à Saint-Patrice (37) où il rencontre son épouse, Marie Anne Puissant, il s’installe à Angers (49). Là, il devient concierge à la Banque de France pour quelques années. Il demeure rue Joubert (rue contiguë à la Banque), probablement dans un logement de fonction. 

Alexandre Rols, 1871 © coll. personnelle
Alexandre Rols, 1871 © coll. personnelle
 

Mais ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est la suite. Dans les années 1870 il déménage et ouvre une boutique - dite d’abord mercerie puis épicerie. La tradition familiale le dit marchand bonnetier mais aucune source ne vient corroborer ce métier. Ceci étant mercier et bonnetier sont proches : peut-être est-ce une confusion entre les deux métiers ? Toujours selon la tradition orale, cette boutique était située à l’angle de la rue de la Roë (au n°31) et de la rue Saint Laud (n°18), en centre ville d’Angers.

 

Mais où était-elle véritablement ? Les sources se contredisent sur ce sujet :

  • Dans l'annuaire alphabétique des habitants d'Angers, de 1872 à 1876, Alexandre est dit mercier,  au 26 rue de la Roë. Les deux années suivantes le donnent au numéro 31 (et non plus 26).
  • Pourtant dans les listes électorales de 1872 et 1873 il est dit encore concierge de la Banque de France demeurant rue Joubert. En 1874 on le trouve enfin épicier rue de la Roë (aucun numéro de rue n’est précisé) ; pas de liste en 1875 mais de 1876 à 1878 il bien dit demeurant au 31 rue de la Roë. Disons qu’Alexandre n’a pas fait sa mise à jour sur les listes électorales lorsqu’il a déménagé...
  • Le recensement de 1872 indique son domicile au 34 (sic) et le suivant daté de 1876 au 31.
  • Puis cela se complique encore : son acte de décès en 1879 le dit décédé en son domicile au 25 rue de la Roë.
  • Son inventaire après décès et le registre de mutation nous disent que son domicile est situé au 33 rue des Bas Chemins du Mail (aujourd’hui rue Franklin, à près de 2 km de la rue de la Roë). Ce document cite le fonds de commerce de l’épicerie… situé au n°25 de la rue de la Roë !

Bref, gardons à l’esprit que les sources ne sont pas toujours fiables.

 

Néanmoins plusieurs indices semblent s’accorder pour dire que l’épicerie était bien à l’angle des rues de la Roë et St Laud : c’était donc sans doute le n°31.

 

Vue d'Angers en ballon, 1878 © AM Angers (avec une loupe ajoutée par mes soins)
Vue d'Angers en ballon, 1878 © AM Angers
(avec une loupe ajoutée par mes soins)


Dans l’annuaire, je n’ai pas trouvé s’il y avait déjà un commerce à cette adresse avant Alexandre (mais peut-être que le téléphone n’y était simplement pas installé ?). A-t-il repris une épicerie précédemment établie ? Était-ce un nouveau type de commerce ? Ou une création ex nihilo ? Tout ce que je sais c’est qu’il est locataire et non propriétaire de la boutique et du (des) logements situé(s) dans les étages.

 

L’ensemble est en fait composé de deux parcelles au cadastre, entremêlées l’une dans l’autre (n°1858 et 1859), appartenant à l’origine à Victor Muller (1858) d’une part, et Louis Mabille puis Etienne Livache et sa veuve après lui (1859) d’autre part. Ces bâtiments sont classés dans la catégorie n°1 (la plus haute valeur) et comptaient respectivement 12 et 16 portes et fenêtres. La boutique d’Alexandre semble être la 1858 (à l’angle), mais le « bail d’une maison où s’exploitait le fond de commerce de l’épicerie » a été consenti par la veuve Livache (donc la 1859). La répartition entre commerces, logements et propriétaires n’est pas très claire pour moi ; d’autant plus qu’au rez-de-chaussée de la 1859 existait aussi une autre boutique (une boucherie exploitée par Joncheray dans les années 1870, puis Bourgault à la fin du siècle). Dans les étages vivaient aussi d’autres personnes : des couturières, une lingères et un tailleur par exemple (d'après le recensement en 1876).

 

Cadastre d'Angers, section H (détail) © AM Angers
Cadastre d'Angers, section H (détail) © AM Angers

Une épicerie est un commerce de détail de denrées alimentaires et divers produits sans rapport avec l'alimentation. Ce nom trouve son origine au Moyen Age, époque où la spécialisation des commerces était très importante : l’épicier était celui qui vendait des épices. Celles-ci sont utilisées en cuisine mais souvent considérées comme des produits de luxe, réservées à l'aristocratie. On les trouve aussi chez les apothicaires-épiciers qui délivrent des remèdes à base d'épices (pour toutes les classes sociales cette fois) et dont les vertus thérapeutiques en font autant des médicaments que des douceurs (rappelons que le sucre est, à cette période, considéré comme une épice).

Peu à peu l’épicier se diversifie et inclut divers produits alimentaires dans sa boutique, jusqu’à ce que ceux-ci deviennent majoritaires. Les produits étaient vendus en vrac, emballés sur place par l’épicier.

Progressivement l’industrie agroalimentaire prend de l’essor. Les produits préemballés font leur apparition : des firmes comme Felix Potin développent des paquets d’un poids type (le client n’a plus le choix dans ce domaine) et siglé de sa marque. La généralisation de la pratique de l’appertisation, méthode de stérilisation inventée par Nicolas Appert à la toute fin du XVIIIème siècle (l’aliment est placé dans un récipient étanche et soumis à une température égale ou supérieure à 100 °C, qui détruit les germes qui altèrent la nourriture et la rendent impropre à la consommation) permet le développement de la boîte de conserve et sa vente dans les épiceries. Dans ce type de magasin on peut aussi trouver des produits de droguerie (liés aux soins corporels et à l'entretien domestique).

Comme on le voit dans une série de savoureuses publicités passée entre décembre 1875 et décembre 1877 (63 annonces, tout de même) dans L’Ami du peuple, journal du dimanche édité à Angers (1849/1950), l’épicerie Rols-Puissant est un des revendeurs officiels de la véritable et « délicieuse farine de santé Revalescière du Barry », qui combat une liste de symptômes longue comme le bras (plus de 40 !), de la dysenterie à la mélancolie. Elle faisait partie des élixirs aujourd’hui disparus mais qui soignèrent l’Europe entière. Faisant son entrée en fanfare en 1865 dans la Gazette de Lausanne, elle a connu un pic faramineux en 1899-1900, pour s’estomper ensuite, cassée peut-être par les pastilles Valda, vers 1910.

 

Publicité Revalescière, Amis du peuple, 1875 © Gallica
Publicité Revalescière, Amis du peuple, 1875 © Gallica

 

Existe aussi en version enfantine :

Publicité Revalescière, Amis du peuple, 1876 © Gallica
Publicité Revalescière, Amis du peuple, 1876 © Gallica
 

Je ne sais pas bien quand l’épicerie d’Alexandre a été ouverte (elle est attestée de façon certaine en 1872). Mais quoi qu’il en soit l’aventure n’aura pas duré très longtemps : elle s’interrompt brutalement avec la mort d’Alexandre en juillet 1879, alors qu'il n’a que 47 ans. Sa veuve n’a pas reprit le commerce de feu son époux (ce qui se faisait pourtant couramment, ces magasins prenant alors de nom de « veuve de… »).

Ce devait être malgré tout une bonne affaire : le couple était assez aisé, comme l’indique son inventaire après décès : à la mort d’Alexandre, ses possessions s’élèvent à 20 990 francs – ce qui correspondrait à un peu moins de 94 000 euros d’aujourd’hui* (dont meubles 1 029 fcs, fond de commerce de l’épicerie 4 696 fcs et immeubles 14 200 fcs). Il laisse l’usufruit de ses biens à sa veuve. Par ailleurs les recensements montrent qu’ils avaient plusieurs employés.

Ainsi dans celui de 1872 on voit notamment Jean Guibert, employé de commerce de 26 ans. Il s’agit en fait de son neveu Jean Pierre, fils de sa sœur Marijeanne et de son époux François Guibert, né à Conques en 1851. En 1876 il est toujours là, bien qu’il soit maintenant prénommé Germain (sans doute un prénom d’usage**). La même année le domicile compte aussi Augustin Astié, employé depuis deux ou trois ans dans la boutique et qui a rapidement épousé la fille aînée de la maison, Cécile Rols (mes sosas 16 et 17).

 

Mais le couple vivait sans ostentation, dans un logement qu’ils louaient, raisonnablement meublé : la valeur des « meubles meublants et objets mobiliers » n’est pas très élevée (seulement un millier de francs). La garde robe de monsieur (qui contient notamment cinq costumes, une jaquette, une redingote et une canne) est évaluée à 80 francs, celle de madame (dont quatre robes, leurs jupons, un châle de mérinos, six bonnets de nuit, quelques bijoux) le double, ce qui n’est pas ahurissant (surtout quand on compte dans son arbre nombres d’ancêtres qui ne possédaient qu’une chèvre, voire rien du tout). Les immeubles qu’ils possédaient - deux maisons donnant sur une cour rue de Bouillon - sont loués (montant total des loyers : 710 francs).

 

Le décès brutal d’Alexandre en 1879 jette famille et employés à la rue. La veuve et sa fille cadette déménagent vers le faubourg St Michel. Le couple Astié/Rols avait déjà quitté l’épicerie : Augustin s’était engagé dans la gendarmerie deux ans plus tôt.

Le fonds de commerce est vendu à des marchands d’Angers, les frères Prost, qui reprennent l’épicerie (dite au n°25 dans l’annuaire d’Angers en 1880), mais de façon très éphémère : l’année suivante ils n’y figurent déjà plus. L’épicerie est reprise par un certain… Germain Guibert !

 

L’adresse exacte de l’épicerie de Germain est toujours floue : n°25 dans le recensement de 1881, n°31 dans le suivant et dans l’annuaire à partir de 1883. Les recensements suivants alternent les prénoms Germain et Pierre, mais toujours au n°31. L’Anuaire de l’épicerie française et de l’alimentation la replace au n°25 dans ses éditions de 1891 et 1892, tandis que l’Annuaire général de l'épicerie française et des industries annexes la renvoie au 31 (en 1896).

Comme Alexandre, Germain n’est pas propriétaire mais locataire de la boutique et du logement qu’il occupe au-dessus avec sa famille.

 

Les cartes postales de l’époque nous donnent une  idée de l’allure de cette boutique, nommée « épicerie populaire » (notamment dans l’annuaire à partir de 1904). On remarque sur la devanture le nom « G. Guibert » : le prénom d’usage Germain est donc très officiel.

 

Carte postale ancienne Épicerie populaire G. Guibert, v.1905 © AM Angers
Épicerie populaire G. Guibert, v.1905 © AM Angers
 

Vin rouge et blanc à 40 cts le litre, meules de fromage entière, légumes en vrac, sacs de patates, boîtes de conserves. Le spectacle est autant à l’extérieur qu’à l’intérieur du magasin.

 

D’après l’annuaire d’Angers, Germain tient l’épicerie jusqu’à sa mort en 1932. A partir de 1927 il est secondé par son gendre Henri Quelin.

 

Je vous laisse lire ci-dessous l’épisode du jeune commis, employé depuis 6 mois à l’épicerie en 1933, bien sous tous rapports, qui s’est révélé être… un tueur en série !

 

Article "une fillette sauvagement assassinée" Ami du peuple, 1933 © Gallica
Ami du peuple, 1933 © Gallica

 

En 1952 l’épicerie populaire compte un nouveau patron, A. Guilleux. Mais il ne restera pas très longtemps puisqu’en 1956 c’est Julien Lemêtre qui lui a succédé. La boutique est identifiée par le terme « alimentation », perdant l’antique dénomination « épicerie populaire ». Elle figure ainsi dans l’annuaire jusqu’en 1970, dernière année disponible en ligne. 

Les années ont passées. Aujourd’hui l’ancienne épicerie se partage entre deux boutiques : boulangerie/pâtisserie côté rue St Laud et restauration rapide côté Roë.

 

Mais qui se souvent encore de l’épicerie de la rue de la Roë ?

 

 

 

* Évaluation à titre d’exemple, réalisée d’après le convertisseur de l’INSEE (qui ne commence qu’en 1901).

** Les prénoms d’usage peuvent sortir d’un peu n’importe où. Si mon sosa 16 est parfois prénommé Auguste au lieu d’Augustin, on peut comprendre. Mais cela peut être beaucoup plus curieux : la tante Henriette, qui se prénommait véritablement Célestine, avait reçu ce surnom par ses patrons qui avaient déjà eu une domestique qui se prénommait Henriette et ne voulaient pas se fatiguer à en apprendre un autre ! Bref, il n’est pas toujours facile de connaître les raisons d’un prénom d’usage.