« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

jeudi 7 novembre 2024

F comme fouille

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT

 

Le 11 février, pendant que les gardiateurs [officier du roi établi pour garantir les droits des particuliers - cf. lettre E de ce ChallengeAZ] surveillaient la maison, l’un d’eux, Claude SAUGE, vit un sceau qui était près de l’entrée de la chambre et dit : « Voicy du linge mouillé dans ce sceau. Se serait des linges d’enfants ». Et les ayant soulevés et voyant qu’il y avait du sang dessus, il les laissa retomber. Mais Pierre DUC les ayant sortis à son tour, ils virent que c’était une chemise d’homme et une chemise de femme avec de la lessive, comme ils le reconnurent à l’audeur [odeur]. Ayant observé que ces chemises étaient extrêmement ensanglantées, et même qu'il y avait un sang sale qui semblait avoir été mêlé avec de la terre ou de la poussière, ils regardèrent ces chemises de plus près.

Ils virent qu’il y avait sept troups [trous] dans la chemise d’homme qui avait été faits avec un couteau, parce que la toile était coupée. Ils constatèrent aussi qu’il était sorti beaucoup de sang par les trous et que ceux-ci étaient tous du côté gauche. La chemise d’homme était plus neuve que celle de femme qui était presque usée, raccommodée dans le milieu sur le derrière par différentes pièces de toiles. Après quoi ils les remirent dans le seau, de la même manière qu’elles en avaient été retirées, sans bouger le seau jusqu’à l’arrivée des autorités. Ils firent avertir immédiatement le Sieur DEHUMADAZ.

 

Fouille, création personnelle inspirée de Van Ostade
Fouille, création personnelle inspirée de Van Ostade


Celui-ci en avisa le juge DELAGRANGE qui se rendit au village de Levy le lendemain, accompagné des ci-devant nommés [voir hier la lettre E de ce ChallengeAZ] et de Me Noël DELACOSTE, pris pour servir de témoins dans la visite qu’il se proposa de faire. Il était aussi accompagné de Me DUSAUGEY châtelain de la paroisse, pris avec eux pour indiquer la maison des JAY. Arrivés au village de Levy, Me DUSAUGEY montra une maison qu’il déclara être celle de François JAY et Françoise GUILLOT mariés, distante du bourg de Samoëns d’une portée de fusil et située au dessous du grand chemin qui tendait au village de Levy, la première de celui-ci.

 

Le juge s’arrêta au devant de cette maison et fit prêter serment aux témoins et à Me DELACOSTE sur les saintes écritures de l’assister fidèlement dans la visite de la maison pour y trouver quelques marques ou traces du délit dont il était chargé d’enquête. Les hommes entrèrent ensuite dans la maison.

 

Dans la cuisine ils retrouvèrent les trois gardiateurs et les sommèrent d’indiquer la chambre où étaient les linges, dont ledit Sieur DEHUMADAZ avait parlé au juge. Ils montrèrent une chambre qui est au levant de la maison et à la gauche de l’entrée. Le juge y entra et trouva à la droite de la porte de la chambre un seau de bois dans lequel les gardiateurs déclarèrent avoir contenu les chemises.

Le juge ordonna qu’ils les retirent du seau et reconnu effectivement deux chemises, l’une d’homme et l’autre de femme, mouillées et teintes de sang en plusieurs endroits et aussi sales en d’autres endroits, mais d’une saleté qui approchait du noir et d’un sang corrompu.

 

Celle d’homme avait deux boutonnières sans aucun bouton, un petit troup à la manche gauche, dans le devant, de la largeur d’un demi travers de doigt [0,95 cm]. Deux autres trous se trouvaient sur le derrière de la manche, de la même largeur. D’autres trous furent constatés encore dans le milieu de l’épaule gauche ou sur le côté gauche de la chemise, et tous de la même largeur. C’était sur ces derniers trous que l’on observait les plus grandes taches de sang. La chemise, d’une toile moitié ritte et moitié étoupe, et moitié usée, était aussi largement déchirée sur le devant. L’une des boutonnières de manche était rompue et son bord gauche paraissait avoir été attachée avec du fil.

 

Celle de femme était d’une toile de drap de pays de même qualité que l’autre, presque entièrement usée, raccommodée en plusieurs endroits notamment dans le milieu des reins, déchirée en devant et avait été de même recousue avec du fil et avait les manches l’ongues [longues]. *

 

Après quoi le juge exhiba les chemises audit Me DELACOSTE et le somma de lui déclarer si les trous qu’il avait reconnus dans la chemise d’homme étaient de la même largeur que celle de l’étui à couteau qu’ils avaient trouvés. Pour cela, il fit décacheter l’étui par Me VUARCHEX et le présenta à Me DELACOSTE. Celui-ci répondit, après avoir bien examiné tant les trous que l’étui à couteau, qu’il ne croyait pas qu’il y ait une grande différence entre la largeur des trous de la chemise et celle de l’étui. Il ajouta qu’il croyait bien que les trous de la chemise paraissaient avoir été faits avec un couteau pointu et qui devait être celui enfermé dans l’étui.

Ce que les autres témoins, à qui ont furent présentés les chemises et l’étui, approuvèrent.

 

Le juge présenta aux gardiateurs un seau de bois de médiocre valleur grosseur dans lequel il y avait les deux chemises et les somma de déclarer s’ils reconnaissaient ces chemises et ce seau comme étant les mêmes que celles qu’ils disaient avoir trouvé dans la chambre de la maison de François JAY. Et s’ils savaient si ces chemises appartenaient aux mariés JAY. Nicolas BIORD répondit que ce seau et les chemises qui étaient dedans étaient bien les mêmes que ceux qu’il avait trouvé à sept heures du soir du dimanche proche passé dans la chambre qui est au levant de la maison de François JAY. Il les reconnaissait pour les mêmes, à toutes les marques par lesquelles il les avait dépeintes au juge par sa description. « Je ne saurais pas vous dire si ces chemises et seau appartiennent audit François JAY ni a sa femme et quant [bien même] je les leur aurait vu porter je ne saurais pas les reconnaitre. »

 

Le juge ordonna de nouveau à Me VUARCHEX de recacheter les chemises avec le sceau sur cire rouge du même cachet qu’était dit ci devant pour conserver l’identité du corps du délit. Après cela, toute la troupe se transporta dans la cave située au dessous du poile, puis dans la grange et les deux greniers** de bois qui appartenaient à François JAY, l’un placé au devant de la maison et l’autre au dessous. Ils n’y trouvèrent que différents meubles et linges épars. Dans le poile et dans les appartements, ils examinèrent un gros presson [barre] de fer qui n’était pas extrêmement pointu au bout, rouillé. Mais il ne comportait aucune tache de sang.

 

Le juge et ses témoins poursuivirent la visite et firent de nouvelles découvertes inquiétantes.

 

 

 

 

 

* Les linges sont décrits plusieurs fois au cours de l’enquête. Pour éviter une lecture fastidieuse et redondante, j’ai allégé leur description très détaillée. On constate quelques légères différences dans les termes utilisés aux cours des descriptions successives : il est donc quelque peu difficile de se faire une idée précise de leur état. Retenons qu’ils sont bien entaillés et ensanglantés !

** Les greniers sont des bâtiments séparés en Savoie où l’ont met à l’abri d’un potentiel incendie de maison les grains, les biens précieux (papiers de famille, vêtements du dimanche...), etc....

 

 

mercredi 6 novembre 2024

E comme évadés

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT

 

Le juge requit le métral (ou mestral : petit officier d’une seigneurie) nommé REMOND afin qu’il distribue différents exploits (c'est-à-dire des assignations à comparaître). Aux heures dites de leurs convocations, les témoins se présentèrent devant le juge. 56 personnes furent auditionnées au total*.

 

Le Sieur Jean André DELACOSTE, cinquante deux ans, maitre armurier natif bourgeois et habitant du présent bourg de Samoëns, ne savait rien de ce cadavre découvert dans les bois de Bérouze. D’ailleurs il ne le connaissait pas, ni lui ni aucun soldat du régiment de Séville.

Tout ce qu’il pouvait dire néanmoins c’était que la Thérèse DELACOSTE femme de Joseph DUNOYER DUPRAZ sa cousine, lui dit la veille au matin en venant à la messe que la Françoise GUILLOT, femme de François JAY habitante du village de Levy, était passée le samedi précédent, le dixième du courant mois, dans le moulin que ladite Thérèse DELACOSTE habitait et elle lui avait dit qu’il fallait qu’elle se sauve. Sur ce, elles étaient allées en delà du pont de Clevieux dans la maison qu’habite Nicolas GUILLOT, père de ladite Françoise. Cette dernière l’avait laissée là. 

 

L’Honorable Claudine BIORD, femme de Claude JAY [cousin issu de germain de François JAY] était le vingt cinq, le vingt six et encore le jour suivant du mois de janvier proche passé dans une grange que lui avait laissé son père, où elle avait soin de son bétail. Cette grange était distante d’un bon quart d’heure de la maison de son mari et, de fait, elle ne put s’apercevoir si la nuit du vingt cinq au vingt six janvier dernier on avait commis, dans la maison de François JAY, qui était contigüe à celle de son mari, l’homicide en la personne du cavalier du régiment de Séville

« Je recontrais néanmoins François JAY dans la maison de mondit mari lors de la sépulture de Charles JAY mon beau-père, qui remonte au neuf du mois de fevrier dernier. Et j’observais qu’il avait une blessure au front et qu’il souffrait par le corps, et ne marchait plus de la manière qu’il marchait cy devant. Mais je ne m’informais pas de sa maladie. » 


Évadés, création personnelle inspirée d’A. Juillard
Évadés, création personnelle inspirée d’A. Juillard


Le lendemain, dixième du mois de février, sur le bruit qui s’était répandu publiquement que l’on avait trouvé un cavalier mort dans le bois de Bérouze, François JAY avec la Françoise GUILLOT sa femme, prirent la fuite. Et après midi dudit jour, la Claudine VUAGNAT leur servante fit de même. Quand cela fut connu, on n’hésita pas dans le village de Levy et dans le bourg de Samoëns de dire que ce meurtre avait été commis dans la maison dudit JAY, et même par celui-ci. On dit aussi que les plaies qu’il avait sur son corps lui avaient été faites par ce cavalier dans la dispute qu’ils eurent ensemble lorsque ce cavalier fut tué. Et comme le Révérend Sieur Nicolas CHOMETTY s’était de même enfuit, on n’hésita pas à l’accuser de complicité dans cet homicide. Et l’on y était d’autant plus fondé que ce Révérend CHOMETTY fréquentait cette maison. Et ladite Claudine VUAGNAT, avant de partir, avait dit en parlant desdits mariés JAY et d’elle « Hé ! Mon Dieu nous sommes perdus ».

Elle ne l’avait ouï dire en personne, mais on le lui avait rapporté dans la maison de son mari, sans qu’elle ne puisse désigner qui exactement. Et comme ni les uns ni les autres n’étaient revenus depuis ledit jour, on continuait dans le village et dans la paroisse de les accuser de cet homicide.

 

Le dimanche onzième du courant mois, le Sieur DEHUMADAZ, officier et aide major du régiment de Séville, avait lui aussi formé des soupçons contre François JAY et Françoise GUILLOT, à l’occasion de la mort du soldat Vincent REY, puisqu’ils avaient abandonné leur maison, ainsi que leur domestique, dès que le bruit s’était répandu que l’on avait trouvé un cadavre. Il s’était donc rendu chez eux. Il était accompagné par Me DUSAUGEY, châtelain de Samoëns.

 

Nicolas BIORD natif et habitant au dessus du village de Levy était, sur environ les dix heures du matin, au devant de sa maison avec Claude SAUGE habitant du même village. Survint alors Jean François FERRIER qui leur dit de descendre dans la maison de François JAY. Ce que firent les deux hommes. Et étant arrivé au-devant de ladite maison, ils y trouvèrent l’officier du régiment de Séville avec Me DUSAUGEY châtelain du lieu. Ils leur ordonnèrent d’entrer dans la maison et de prendre garde qu’aucun des effets ne s’écartassent. Nicolas BIORD entra avec Claude SAUGE. Un moment après Pierre DUC les rejoignirent et ils restèrent là jusqu’au lendemain lorsque le juge et sa compagnie arrivèrent.

 

C’est pendant leur garde que furent trouvées dans la chambre, qui est à la gauche de l’entrée de la maison, une chemise d’homme et une de femme teintes de sang et mouillées dans un seau.

 

 

 

 * Les témoins furent en fait 53, mais le greffier en a inscrit 56 (sa numérotation est passée du témoin 6 à 9 par erreur).

 

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Pour en savoir plus
De la manière de procéder dans les crimes très atroces

Elle est codifiée dans les Royales Constitutions de la façon suivante :

« Si le criminel est pris en flagrant délit, on procédera contre lui ex abrupto, & avec toute la célérité possible, tant à l'égard des informations & actes du procès, qu’à l’égard des défenses, de manière que dès qu'il constera [qu’il sera certain] du délit & qu'on aura une semi-preuve du délinquant, on en pourra venir à la torture.

Le criminel étant condamné, l’on procédera à l'exécution de l'Arrêt avec la promptitude de les peines les plus exemplaires & publiques qui seront jugées convenables à l'atrocité du cas, afin qu'elles inspirent de l'horreur & servent de frein aux autres.

Quand les accusés des crimes très atroces, ne seront pas pris en flagrant délit, si le fait est notoire, & qu'il résulte du corps du délit comme dessus, Nous voulons que l'on procède contre ceux qui sont détenus, de la manière qu'il a été dit à l'égard de ceux qui sont pris en flagrant délit, & s'ils sont contumax [accusé ou prévenu en état de contumace. Contumace = état d’un accusé qui ne se présente pas devant la cour d’assises où il a été cité], & qu'il conste de la notoriété du fait, on procédera de même contre eux sommairement. »

 

mardi 5 novembre 2024

D comme désertion

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT

 

Le 11 février 1748, soit le lendemain de la découverte du cadavre, Me BIORD le vice fiscal transmit une lettre au juge, l’avertissant d’un fait nouveau et le priant d’ouvrir officiellement une enquête :

 « A Monsieur le juge du marquisat de Samoëns remontre, je soussigné vice fiscal du Marquisat de Samoëns.

En conséquence d’un meurtre qui s’est commis rière [près de, derrière] le présent lieu, en la personne d’un cavalier du régiment de Séville, il apparaît que le Révérend Sieur CHOMETTY chanoine de la collégiale de Samoëns et le nommé François JAY et Françoise GUILLIOT sa femme se sont évadés, et ont abandonné le lieu. Ce qui fait former contre eux des soupçons d’avoir part à untel crime. Le soussigné requiert qu’il vous plaise, Monsieur, de procéder à information [enquête] sur ce délit et ses circonstances.
Signé BIORD vice fiscal
»

C’est la première fois que des soupçons sont formés officiellement contre le couple JAY. 

 

Dès le 12 février, une information fut prise suite à la requête du Sieur vice fiscal, demandeur en cas d’homicide, contre François fils de feu Claude JAY et Françoise GUILLOT, mariés de la paroisse de Samoëns, et le Révérend Sieur Nicolas CHOMETTY chanoine de la Collégiale dudit Samoëns, accusés du meurtre commis sur la personne de Vincent REY, cavalier du régiment de Séville.

 

Dans la maison du Sieur Laurent RENAND, choisie par le juge pour faire la présente procédure, le magistrat tenta de retracer les derniers faits et geste du cadavre.

 

Il apparu, d’après le Sieur Joseph POUIROY, natif de Thomaris [Tamarite ?] dans le royaume d’Aragon, maréchal des logis au régiment de Séville, que Vincent REY s’était absenté de Scionzier, leur quartier moderne, la nuit du vingt cinq au vingt six janvier proche passé. Mais son absence ne fut découverte que le vingt six au matin parce qu’il n’était pas venu donner l’avoine à son cheval, ni le soigner, ainsi que l’ordre lui en était donné. Étant allé sur les huit heures du matin ce jour-là dans la maison où il était logé, le propriétaire expliqua que le soldat n’avait pas reparu depuis les huit heures du soir la veille, heure à laquelle il était entré à la maison et ressorti sur le champ. En sortant, Vincent REY lui avait dit de fermer la porte parce qu’il ne reviendrait pas de la soirée, étant de garde à l’écurie.

 

Le maréchal des logis ajouta par ailleurs que, pendant qu’il était de quartier au présent bourg de Samoëns lors de l’hiver et une partie de l’été passé, il fréquentait beaucoup une maison qui se situait au village de Levy.

Le juge lui demanda des détails sur cette maison. C’est « la première que l’on rencontre pour aller audit village à main gauche en montant, qui est à une petite porté de fusil au bourg de Samoëns. J’y ai été souvent pendant que j’étais de quartier ici avec ledit Vincent REY. »

 

Soldats espagnols, création personnelle inspirée de F. Remington
Soldats espagnols, création personnelle inspirée de F. Remington

 

En outre, ce n’était pas la première fois que Vincent REY s’absentait de la compagnie sans autorisation. Ce fut déjà le cas vers les dix, onze ou douze novembre proche passé. Lorsqu’il revint à Cluses sur les huit heures du matin, il fut aussitôt arrêté et mis en prison. « Il nous a déclaré qu’il venait de Samoëns ou il s’etait venus promener. Comme nous étions instruit qu’il aimait la maitresse de la maison que je viens de vous designer, nous soupçonames d’abord qu’il venait de la voir ». Il resta huit jours ou environ en prison pour le punir. Après quoi un carabinier nommé Jean RODRIGUE, qui était logé dans une maison attigue [mitoyenne] à celle qu’habitait ledit Vincent REY, fut désigné afin de veiller sur sa conduite et de le réveiller tous les matins, parce qu’il y avait une porte de communication d’une maison à l’autre.

Lequel effectivement l’appela bien le vingt six janvier au matin, mais n’entra pas dans sa chambre et cru, puisqu’il ne lui avait pas répondu, qu’il pouvait être incommodé ou qu’il voulait dormir. C’est pourquoi son absence ne fut découverte que sur les huit heures du matin.

Voyant, sur les dix heures, qu’il n’était point revenu à la compagnie, le maréchal des logis reçu l’ordre de son capitaine de se rendre au bourg de Samoëns, avec deux carabiniers de sa compagnie, pour voir si Vincent REY ne serait point dans ladite maison de Lévy. Étant arrivé audit bourg de Samoëns, ils furent logés chez Michel ANDRIER, cabaretier, et après avoir soupé, sur environ les six heures du soir, ils se rendirent dans la maison de Levy pour voir s’ils ne trouveraient pas leur soldat absent. 

« Mais nous ne l’y trouvames pas et nous n’y vimes que le Révérend chanoine CHOMETTY qui sortit de la chambre qui est derriere la cuisine qu’on appelle communément le poile » Aussi appelé « poêle » ou « peile » en Savoie, c’est une pièce chauffée contiguë à la cuisine, qui est à la fois la pièce de vie et la chambre à coucher.

C’est donc le chanoine qui vint d’abord lorsqu’il entendit le maréchal des logis parler à la servante venue ouvrir la porte. « Il s’empressa de me saluer et de me demander ce que je cherchais. Lui ayant dit que c’était le soldat Vincent REY, il me repondit, comme la servante, qu’il ne l’avait pas vu. Mais ce fut d’une voix et d’une manière tout a fait tremblante. »

Les Espagnols entrèrent dans la chambre d’où sortait ledit chanoine CHOMETTY où ils trouvèrent la maîtresse du logis couchée dans le lit qui est le plus près de la fenêtre. Il fit à la femme la même demande sur ledit Vincent REY, qui répondit la même chose que les autres. Sur quoi il se retira. « Je vous dis aussi qu’il me paru que la porte de la chambre où était ledit CHOMETTY avec ladite femme était fermée et qu’il ne l’ouvrit que quand il m’entendit parler. »