« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

dimanche 3 mai 2020

Les petits cailloux de la guerre de Vendée

Apprenant par hasard que des archives relatives au secours aux soldats vendéens avaient été numérisées et mises en ligne sur Geneawiki (par jeangontard : merci à lui), j’ai tenté d’y retrouver la trace de mes ancêtres, puisqu'une branche de mon arbre est originaire du Nord Deux-Sèvres, près la « frontière » vendéenne : il y a donc de forte chance que quelques uns d’entre eux aient laissé leur trace dans ces documents…

Quatre en effet y ont semé des petits cailloux : trois ancêtres directs, simples soldats dans l’armée du roi, ainsi qu’un collatéral, capitaine dans cette même armée. Ces cailloux m’ont donné quelques informations – certaines précieuses, d’autres dont je me serai peut-être bien passée…

 Pièce du dossier de Jean Gabard © AD79 via Geneawiki

  • Le petit caillou de la naissance
Les dossiers de demande de pension sont composés de plusieurs pièces dont un acte de naissance, ou à défaut un multi-témoignage attestant de ladite naissance. C’est ainsi que pour certains de mes ancêtres j’ai enfin la preuve de leur naissance. Par exemple : Jean Gabard. Selon les actes il serait né en 1776 (acte de décès de son père), 1779 (son acte de décès), 1778 (son acte de mariage qui mentionne "un extrait de naissance délivré par les archives de Niort" pour pouvoir procéder à la cérémonie), ou 1782/1783/1786 (actes de naissance de ses enfants). Mais aucun registre antérieur à la Révolution n’a été conservé à Saint-Amand-sur-Sèvres afin confirmer une date. C’est finalement le dossier de demande de pension qui peut le faire : Jean Gabard fait comparaître sept témoins qui « ont déclaré certifier que Jean Gabard est né dans la commune de Saint Amand dans le courant de l’année mil sept cent soixante seize. »
Ceci nous apprends deux choses : que son année de naissance est bien 1776 et que Jean ne devait pas connaître la date précise de son anniversaire puisqu’il ne peut donner que son année de naissance, et non pas la date entière.
Le dossier de Mathurin Gabard, son cousin, nous indique que « les registres de naissances de la commune de Saint Amand » sont introuvables pour cette période car ils ont disparu dans « l’incendie qui le dix neuf décembre mil huit cent cinq a consumé à Niort [lesdits] registres ».

  • Le petit caillou des combats
Ces quatre dossiers sont déposés dans la procédure d’attribution d’une rente viagère attribuée aux « anciens militaires des armées royales de l’Ouest ». Logiquement ces hommes ont donc combattu du côté des royalistes.
Au travers de leurs différents dossiers, on voit l’évolution des combats :
- 12 mars 1793, bataille de St Florent (49) : deux jours auparavant, la loi sur la levée en masse est annoncée à St Florent le Vieil. Trois cent mille hommes doivent être désignés ou enrôlés par tirage au sort, parmi les hommes de 18 à 35 ans de toute la France, pour venir grossir les rangs de l'armée. Ces levées en masse renforcent considérablement les armées mais suscitent de forts mécontentements populaires régionaux, entraînant des émeutes et insurrections. C’est ainsi qu’à St Florent des échauffourées éclatent. Les jeunes convoqués pour le tirage au sort des conscrits réclament l’ajournement du tirage au sort. Suite à un premier coup de feu tiré, les gardes nationaux répliquent en tirant sur la foule. Mais ils doivent finalement se replier : St Florent est aux mains des insurgés.
- 13 avril 1793, bataille des Aubiers (79) : l’opposition à la levée en masse gagne les rangs de la noblesse locale, incarnée par le comte de la Rochejaquelein, un des chefs de l’armée catholique et royale de Vendée. Lorsqu’arrive une colonne républicaine aux Aubiers, les paysans se rangent derrière la bannière du comte pour la combattre. Plus nombreux mais mal armés, ils engagent un véritable combat de rues dans le bourg des Aubiers. Tandis que Quetineau et sa colonne se replie derrière les murs du cimetière, les insurgés prennent le dessus sur les républicains. Ceux-ci s’enfuient, en déroute, vers Bressuire.
- le 13 mai 1793, La Châtaigneraie (85) : les Vendéens s’organisent et planifient désormais des attaques ciblées. Mais les paysans sont nombreux à ne vouloir qu’une chose : rentrer chez eux. Les effectifs des troupes s’en ressentent et diminuent de façon importante. Le 13 mai ils sont entre 12 000 et 15 000 hommes à attaquer La Châtaigneraie où sont réfugiés les 3 000 hommes du général républicain Chalbos. Celui-ci ordonne finalement le repli et la ville est livrée au pillage.
- le 16 mai 1793, Fontenay (85) : trois jours après l’armée vendéenne se présente sous les murs de Fontenay-le-Comte. Cependant, non seulement les effectifs ont encore diminué (10 000 environ), mais ces hommes sont habitués à pratiquer une guerre d'embuscade dans le bocage et ne sont pas préparés à une guerre qui se professionnalise avec des batailles rangées, à terrain découvert, comme sur les plaines devant Fontenay où s'étaient déployés les 6 000 soldats républicains du général Chalbos. Après une charge de cavalerie, celui-ci réussit à prendre les Vendéens en tenaille et à les mettre en déroute.
- le 5 juillet 1793, Châtillon (79) : la violence monte d’un cran. Après avoir repris la ville et mis en déroute le cruel général Westerman (« le boucher de la Vendée ») les royalistes, ivres de vengeance, ripostent impitoyablement aux exactions commises par les républicains en massacrant de nombreux prisonniers.
- le 14 août 1793, bataille de Luçon (85) : l’état-major vendéen est divisé sur la suite des opérations : étendre le conflit vers les côtes du Nord, afin de permettre un débarquement allié via un port breton, ou protéger les villes du sud de la Vendée jugées plus vulnérables. Il est finalement décidé de rester en Vendée. On élabore alors un plan d'attaque complexe en lançant plusieurs assauts à différents échelons, déployant fantassins et artillerie. Si la bataille semble un temps favorable aux Vendéens, le manque de coordination finit par fragiliser leurs rangs. Dans la confusion ils prennent la fuite, poursuivis par la cavalerie républicaine. Selon les sources les chiffres des blessés et tués lors de cette bataille varient grandement (de 1 500 à 6 000 morts). Mais on s’accorde à dire que cette bataille est alors la plus désastreuse de toutes celles qui s'étaient déroulées jusqu'à présent.

  • Le petit caillou des blessures
Mathurin Gabard, « par sa valeur » ôtera un drapeau aux troupes républicaines dans cette « affaire qui eut lieu aux Aubiers » mais, à La Châtaigneraie, il est atteint de deux coups de feu, le premier au côté droit au dessous du sein et le second au poignet droit dont une balle ayant porté sur les tendons fléchissant « lui occasionnant une difficulté dans le mouvement de la flexion ».
Pierre Rabaud fut blessé à St Florent et Fontenay où il reçu un coup de sabre sur la joue et une balle au bras, blessures qui le gêne beaucoup « pour gagner la vie ».
Jean Gabard « a été blessé à Châtillon à l’affaire de vestherman […] d’un coup de bayonnette blessure qui est guérie mais qui le gene pour travailler et gagner l’existence à six enfants. »
Quant à Jacques Jadaud, il fut atteint d’une hernie inguinale « qui lui est survenue au combat de Luçon, en sautant un fossé étant poursuivi par la cavalerie, ce qui le prive de travailler fort souvent, rapport aux coliques qu’il éprouve et de gagner la vie à ces sept enfants. »
Coups de sabre, balle, baïonnette : la guerre a laissé son empreinte dans les corps des hommes.

  • Le petit caillou des démarches administratives
C’est le 3 décembre 1823 qu’est passée officiellement cette ordonnance royale accordant la possibilité d’une pension aux anciens soldats des armées royales de Vendée. Mais pour obtenir cette pension, il faut remplir un certain nombre de critères : prouver sa naissance, sa blessure et son indigence.
- le 11 juin 1824, Mathurin Gabard et Pierre Rabaud sont les premiers à se lancer dans les démarches administratives : Mathurin se rend à Châtillon et Pierre à Nueil, chacun pour faire établir un certificat de santé prouvant leurs blessures. Le 15 juin le certificat de Mathurin est authentifié par le maire de Châtillon. Le 16 juin Mathurin retourne à Châtillon voir le juge de paix, accompagné de sept témoins, pour obtenir deux certificats prouvant sa naissance (puisque les registres ont été ravagés dans un incendie) et attestant de sa présence aux combats.
Il fait cette démarche en même temps que Pierre Rabaud.
Le 20 juin Mathurin va à la mairie de Saint-Amand pour chercher un certificat d’indigence rédigé par le maire de la commune. Il peut désormais envoyer son dossier.
Le certificat de santé de Pierre n’est authentifié que le 20 juin par l’adjoint au maire de Nueil et le 23 par le maire des Aubiers.
Le 29 juin Pierre voit le juge de paix de Châtillon pour obtenir son acte de notoriété et le 6 juillet le maire de Saint-Amand pour son certificat d’indigence.
Le 30 juillet le sous préfet de Bressuire a une grosse journée devant lui : il légalise une première partie des pièces des dossiers de Mathurin et de Pierre (et de bien d’autres sans doute). Le 4 août a lieu la légalisation des dernières pièces des dossiers et leur présentation officielle par les demandeurs (Mathurin sait signer mais il en est empêché, Pierre ne sait pas).
Ces dossiers sont ensuite envoyés à l’échelon supérieur.
Le 9 août Jean Gabard et Jacques Jadaud commencent leurs démarches : officier de santé et juge de paix à Châtillon, maire à Saint-Amand (11 et 16 août), sous préfet à Bressuire (18, 19, 20 août).
A partir du 24 août le préfet de Niort légalise les signatures, examine les dossiers.
Puis les dossiers passent en commission et les jugements tombent : « Brave soldat, blessé grièvement et dans l’indigence », « blessé légèrement et sans fortune », « infirme et sans fortune », « la blessure de ce militaire ne sont pas aussi graves que celles de ses camarades qui précèdent », « il n’est parvenu sur son compte aucun éléments défavorable »…

Mathurin et Pierre apparaissent dans les tableaux de pensions du 30 septembre 1824. Ils reçoivent une pension de 100 francs pour Pierre, simple soldat, et 200 francs pour Mathurin qui fut capitaine.
Jean et Jacques n’ont pas obtenu de pension, leur cas ayant été jugé « hors de l’ordonnance » : Jean n’ayant pas droit et la blessure de Jacques (la hernie inguinale) n’étant pas reconnue consécutive aux combats.
Régulièrement les dossiers font l’objet d’un réexamen, mais « mes » deux pensionnés ne seront pas remis en cause.

  • Le petit caillou de l’indigence
Si j’ai été ravie, grâce à ces dossiers, de découvrir enfin la date de naissance de mon ancêtre Jean - longtemps recherchée, jamais trouvée - j’ai été nettement moins ravie de découvrir qu’à 57 ans Mathurin était un journalier sans ressource, vivant dans l’indigence, empêché de travailler correctement à cause de blessures de guerre reçue à 19 ans.
De la même manière, je n'étais pas pressée d'avoir des détails sur les coliques de Jacques !

Mais en généalogie on ne choisit pas ce que nous réservent les archives…

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Et comme les grands esprits se rencontrent, retrouvez ici l'article de Raymond paru sur le même thème !


jeudi 30 avril 2020

#Genealogie30 2020

Pour ce mois d'avril, le défi #Genealogie30 est de retour.
Nous nous retrouvons autour de ce mot clé pour partager sur les réseaux sociaux, sur nos blogs, notre passion pour la généalogie, nos coups de cœur.
Tous les jours un thème différent nous est proposé.

Tout comme le #ChallengeAZ, le but est de nous retrouver pour faire la fête et partager notre passion. Pas besoin de grands discours, un mot, une image suffisent parfois à communiquer et à toucher.
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Comme de nombreux généalogistes, j'ai posté une infographie (sur Twitter et Facebook) au jour le jour, selon le thème imposé. Si vous avez manqué une ou plusieurs de ces publications, ou juste pour le plaisir, retrouvez-les ici réunies. 



Le diaporama démarre automatiquement et change de diapo toute les 30 secondes.Vous pouvez aussi avancer à votre rythme en cliquant sur les flèches en bas à gauche du diaporama.

Jacques Célestin BREGEON a vu le jour le 6 juin 1842, sous la Monarchie de Juillet, à Saint-Amand-sur-Sèvre (79) petite localité à la croisée du pays poitevin saintongeais, de la Vendée militaire et du Sud Anjou. Fils de Jacques Isidore BREGEON et Geneviève Céleste JADAUD, il est l'aîné d'une fratrie de sept enfants. Seulement cinq d'entre eux atteindront l'âge adulte. L'un des témoins de sa naissance est son oncle, Esprit JADAUD, avec lequel il gardera des liens étroits tout au long de sa vie, travaillant avec lui à la métairie de la Ruffinière.

Il n'a dû aller à l'école que le strict nécessaire car il savait juste lire et écrire son nom. Il devait parler le  poitevin saintongeais, que l'on appelle le "parlanjhe". Et "jarthi !" ("peste !") il devait avoir un sacré accent car tout au long de sa vie son nom sera tantôt compris BREGEON tantôt BERGEON. Ce nom, courant dans l'Ouest et la Vienne, et qui connaît de nombreuses variantes (Brejon, Bergeon, Bréjeon...) dérivant sans doute d'un terme régional désignant une pièce de terre de forme triangulaire, rappelant son origine rurale.

A 20 ans il se rend au chef-lieu de canton, Châtillon sur Sèvre, pour le tirage au sort des conscrits. C'est son déplacement le plus long connu (13,5 km !). Mais finalement il est exempté pour "faiblesse de constitution". Il ne verra pas davantage de pays avec l'armée.

En 1871, il épouse Clémentine BOURY, jeune paysanne d'une métairie voisine. Son oncle Esprit est encore là pour l'accompagner. Ensemble, ils s'installent à La Ruffinière, où ils vont donner naissance à 11 enfants. Dit fermier ou cultivateur selon les modes du temps, il cultive la métairie héritée de la famille de sa mère.

Vivant un peu à l'écart du monde, et de ses changements politiques parfois violents, ils mènent une vie paisible sans faire de bruit (ils n'apparaissent pas dans la presse, ne semblent pas très actifs dans la vie de leur communauté). Modestement sans doute (la garde robe de Jacques n'est estimée qu'à 20 francs lors de son décès); leur seule richesse est la ferme. Mais ensemble. Ils restent fidèle à la famille, vivant à La Ruffinière avec plusieurs générations : parents, l'oncle Esprit bien sûr, leurs enfants, ou son jeune frère Louis. Voyant grandir leurs enfants, partageant une chouée (plat à base de choux) ou un pâté aux prunes, tous autour de la table. Ils assistent aux mariages des enfants, à la naissance d'une nouvelle génération. Et lorsqu'arrive le grand âge, ils rejoignent le coin de l'âtre tandis que leur fils aîné, aussi prénommé Jacques, a repris la ferme.

 Jacques Célestin BREGEON, début XXème © Coll. personnelle

Jacques s'éteint le 18 novembre 1917, au milieu des siens à La Ruffinière de Saint-Amand, à l'âge de 75 ans. C'était  mon ancêtre à la 6ème génération, l'arrière-grand-père de ma grand-mère maternelle.



samedi 18 avril 2020

#RDVAncestral : Le doublé

Parmi tous les invités, je cherchai un homme précisément. Pas le roi de la fête Joseph, le marié, mais… son père ! En effet, c’est Jacques Célestin Bregeon qui motivait ma visite. Je le trouvai, assis sur une chaise que l’on avait sortie pour lui dans la cour de la ferme. Il couvait d’un regard toute l’assemblée : sous les yeux ses fils, filles, gendres, brus, petits-enfants. 

J’approchai un vieux tabouret dépenaillé près de lui et m’assit à ses côtés.
- Vous ne dansez pas ? me demanda-t-il en plissant des yeux pour mieux distinguer les invités.
- Non, pas tout de suite…
Je le regardai : il avait revêtu son costume noir, celui des dimanches, sa cravate et ses souliers qui avaient vu des jours meilleurs. Sa canne était à portée de main.
- Ils sont beaux, hein ? me demanda-t-il avec fierté.
- C’est vrai. Ils sont beaux.

Il me donna un coup de coude amusé :
- Vous savez que c’est un doublé ?
Bien sûr que je le savais mais je le laissai dire, comme on le fait d'un enfant qui vous raconte une histoire drôle que l’on connaît déjà.
Il prit un air de conspirateur et se pencha vers moi comme s'il allait me dévoiler la recette pour changer le plomb en or :
- La mariée, la petite Marguerite, et ben c’est la sœur de Lucie, qui a épousé un de mes autres fils, Clément, l’année dernière, en 1911.
Je rentrai dans son jeu :
- Vraiment ?
Je faisais mine de réfléchir à cette révélation fracassante.
- Hum… Mais ne s’appelle-t-elle pas plutôt Marie Louise ?
- Oui ! Oui ! C’est son second prénom. Et c’est aussi le second prénom de Lucie, ajouta-t-il en se tapant la cuisse.
Avec un sourire par devers moi, je renchéris :
- Ooooh ! Mais c’est vrai : maintenant que vous le dites, je trouve qu’elles se ressemblent un peu.
- Eh ! Eh ! Eh ! Oui, c’est vrai.
Il riait sous cape, comme un gosse ayant fait une bonne plaisanterie.

Indifférents, les invités de la noce dansaient en formant une ronde joyeuse.
- Vos fils aussi se ressemblent drôlement, avec leurs moustaches bien lissées aux pointes. En particulier Clément et Joseph, vos deux fils les plus jeunes : on dirait presque des jumeaux.


Joseph Bregeon, vers 1907 © Coll. personnelle

- C’est vrai…
Avec un clin d’œil, je lui glissai à l’oreille :
- Un beau doublé !
- Ah ! Oui ! Encore un ! gloussa-t-il.
Il réfléchit une seconde :
- Oh ! J’en ai un autre : mes deux filles Radegonde et Marcelline se sont mariées le même jour, en novembre 1906.
- Ouuuii ! approuvai-je.

Et, poursuivant le jeu :
- Et en plus elles portent aussi toutes les deux le prénom Clémentine, n’est-ce pas ? Un autre doublé ?
- Oui ! C’est vrai… C’était le prénom de ma défunte épouse, dit-il, un brin nostalgique. Mais se ressaisissant aussitôt il enchaîna : en fait, on ne les appelle jamais Clémentine, on utilise leurs deuxièmes prénoms. D’ailleurs, toutes mes filles s’appellent Clémentine !
- Et deux de vos fils Clément : c’est plus qu’un doublé là, c’est le jackpot !
Il rit de ma plaisanterie.
Je réfléchissais : on pouvait ajouter un autre doublé à cette longue liste. En effet, deux des filles de Jacques avaient épousé des hommes qui faisaient partie de mon arbre : Adeline, mon ancêtre directe, bien sûr, mais aussi sa sœur Marcelline.
Cependant, Jacques fatiguait un peu. Il retomba dans sa rêverie. 

Finalement, il conclue ainsi :
- Ce sont les miens…
Et dans ce « miens » il y avait toute la fierté d’un homme au soir de sa vie. Un homme accompli. Heureux.
Finalement c’était peut-être lui le roi de la fête, trônant dans son vieux fauteuil d’osier, patriarche de plusieurs générations. Maître incontesté des doublés !



samedi 21 mars 2020

#RDVAncestral : L'épidémie s'étend

- Racontez-moi !
- Hum… Au début on n’y croyait pas, je pense. Chacun imaginait qu’il n’était pas concerné, hors d’atteinte de la maladie.

La place de l’église était silencieuse. Je n’osai rompre cette atmosphère propice aux souvenirs et au récit.

- Avec le recul, on s’est aperçu que cela avait commencé bien avant cet automne 1639. Les années précédentes on avait déjà eu des vagues d’épidémies, mais en général elles restaient en sommeil pendant l’hiver. Et ces quelques mois de trêve nous faisaient oublier la violence de la contagion. La mémoire est courte. Et des fois le fléau ne touchait que l’extrémité de la province : c’est loin. C’est chez les autres !
Des hôpitaux temporaires ouvraient leurs portes, soignaient les gens et fermaient. Mais cela restait abstrait. On croit alors que la crise est passée, sans se rendre compte que les gens n’ont pas tous été soignés…
Cette année-là, tout a commencé en juillet. Le mal a pénétré en ville, d’abord.
- En ville ?
- Oui : à Angers. Rapidement,  la situation s’est aggravée parce que de pauvres métayers, des closiers et autres gens de labeur des paroisses voisines s’entassaient dans les maisons et les rues de la cité. Ils avaient désertés leurs villages à cause du prix élevé des blés et étaient venus en ville avec femmes et enfants pour demander aumône et assistance.
Et puis le mal a débordé de la cité et atteint de nombreuses paroisses des campagnes alentours, un peu partout dans la province.
- C’est la circulation des personnes et des marchandises qui a répandu le mal ?
- Sans doute. Même si nous n’en n’avions pas conscience : à l’époque, le retour du mal a été perçu comme une fatalité inévitablement liée à la belle saison.
Au début, à l’été, l’épidémie était ni plus ni moins violente que celle des années précédentes. Mais dans les premiers jours d’octobre, elle s’est subitement aggravée dans de nombreuses paroisses de l’Anjou. 

Danse macabre © abbaye-chaise-dieu.com

- C’était une nouvelle épidémie de dysenterie, n’est-ce pas ? Rien à voir avec la peste ?
- Oui : dysenterie et peste sont des maladies trop distinctes l’une de l’autre et, hélas, trop fréquentes pour que l’on s’y trompe et qu’on les confonde.
Cette dysenterie est apparue soudainement et simultanément avec une brutalité particulière. Avant la saint Denis, le mal était enraciné de tous côtés tant dans les villes que dans les champs.
- Les docteurs devaient être débordés ?
- Plutôt les curés, je le crains… Sur la fin de l’année une infinité de personnes avait été emportée.
- Sait-on ce qui a provoqué cette crise ?
- Le fléau a sans doute été accentué par la sécheresse exceptionnelle qui s’est abattue en Anjou pendant l’été. Les puits et les fontaines étaient à sec, ou encombrés d’une eau sale et boueuse que nous avons été obligés d'utiliser et de boire.
Et forcément la circulation des personnes a accentué la situation puisque le mal était contagieux. Mais comment l’éviter ? On ne peut pas empêcher les gens de sortir, de travailler, de s’occuper des bêtes !

Je ne répondis rien : à cette époque oui c’était sans doute impossible.

- A la sainte Odile tout était fini : le mal a disparu avec la même soudaineté qu’il était apparu quelques semaines plus tôt.
- Et… pour votre famille ?

Perrine pinça les lèvres et ferma les yeux un instant.
- Le malheur n’a pas épargné ma maison : ma petite sœur Louise, née seulement une dizaine de jours plus tôt, a contracté la maladie la première. Elle n’a pas survécu. Ce n’était pas un phénomène nouveau : passer l’âge des nourrissons n’est pas toujours facile. Pratiquement en même temps, mon aîné Guillaume, ma cadette Marie Françoise et moi-même avons contracté le mal. Je n’avais que 7 ans : je n’ai pas beaucoup de souvenirs de cette triste période. Mais on me l’a souvent racontée et j’ai parfois des images floues, des sentiments qui me reviennent.
- Comme quoi ? Demandais-je la gorge serrée.
- La chaleur surtout.
- Due à la fièvre ?
- Oui. Et puis ma mère. Penchée sur moi, le visage inquiet.
- C’est en vous soignant qu’elle… a contracté la maladie elle aussi ?
- Sans doute… Quand je me suis réveillée, on m’a dit que ma maman était partie, que je ne la verrais plus, que le Seigneur veillait sur elle à présent.

Après un silence, Perrine reprit sa narration :
- Ma sœur n’a pas survécu non plus, mais mon frère et moi, oui.

Après un nouveau silence, les yeux perdus dans le passé, Perrine soupira et releva la tête.
- Ainsi va la vie.

Je devinai les mots que Perrine n’avait pas prononcés : pourquoi elles et pas mon frère ou moi ? L’arbitraire de l’épidémie, la peine des êtres chers disparus, les remords des survivants.
Je n’ajoutai rien. Il n'y avait rien à dire. J’aidai Perrine Contereau, désormais vénérable grand-mère, à se lever du banc ou nous étions installées et la raccompagnai à son domicile.



lundi 9 mars 2020

Cadastre napoléonien en généalogie

Bonne nouvelle : les archives départementales commencent à mettre en ligne le cadastre napoléonien. Et quand je dis cadastre, je parle de l’ensemble des documents du cadastre, pas seulement des plans. En effet, si les plans sont mis en ligne depuis assez longtemps déjà, ils ne sont néanmoins quasi inutilisables en généalogie : ils peuvent vous donner une idée de l’environnement de vos ancêtres, mais sans la "documentation cadastrale" on ne peut pas situer leurs possessions dans cet environnement. Et ce sont justement ces documents qui arrivent en ligne.

Le cadastre est composé de plusieurs types de documents :
- les plans eux-mêmes (tableau d’assemblage représentant l’ensemble de la commune et planches détaillant les parcelles)
- une documentation "littérale" ou "cadastrale" composée des état des sections (registres qui répertorient pour chaque section les différentes propriétés qui la composent) et des matrices des propriétés foncières - devenues ensuite matrices des propriétés bâties et non bâties - (qui recensent l’ensemble des propriétés d’une personne sur un territoire donné.)

Rappelons que le service fiscal a été mis en place à partir de 1807 par Napoléon Ier. Il a pour but de prélever la taxe foncière sur les biens bâtis et non bâtis en respectant la nature et la qualité du sol (pré, jardin, vigne, étang, maison...).

Ainsi grâce aux matrices vous pouvez avoir une vision globale des possessions de votre ancêtre.
Grâce aux états des sections, vous pouvez analyser plus finement ces possessions.
Grâce aux plans vous pouvez les situer dans l’espace.

Prenons l’exemple de l’Ain : le cadastre concernant mes aïeux y a été réalisé entre 1810 et 1840. En entrant par les états des sections, j’y ai retrouvé 8 de mes ancêtres, répartis sur 6 communes (et davantage encore en entrant par les matrices puisque celles-ci sont évolutives dans le temps).

Examinons quelques cas :

Jean Claude Assumel-Lurdin possède 28 parcelles dans la commune du Poizat : 2 jardins, 1 maison et cour, 1 pâture, 7 prés, 16 terres et 1 [terrain] vague en copropriété avec la veuve Beroud Maure Pierre; pour un total de 33,60 francs. Sa maison n'a qu'une porte et une fenêtre, elle est classée dans la 5ème catégorie (la dernière), 3ème du revenu non imposable (elle vaut 88 centimes).


Extrait du cadastre d'Assumel Lurdin JClaude © AD01


Bien sûr, comme toutes autres sources, il faut croiser les éléments. Ainsi la matrices des propriétés bâties et non bâties indique qu'il possède d'autres parcelles en section C, mais il ne faut pas perdre de vue que ce document date de 1842 (or lors de la création du cadastre en 1827 elles appartenaient à un autre propriétaire) et en section G, mais celle-ci est manquante dans les états des sections (ce que l'on ne peut donc pas vérifier).

Blaise Jeanvion, lui, ne possède que 12 parcelles dans sa commune de Lalleyriat, et toutes en copropriété (ou indivision) avec son frère Joseph. Leur maison ne vaut que 82 centimes (l’impôt le plus bas parmi cet échantillon d'ancêtres).

Si Jean Antoine Gros ne possède que 27 parcelles dans la commune proche de Groissiat, elles valent en revanche 128, 76 francs – presque quatre fois plus que celles de Jean Claude Assumel-Lurdin.

Quand à Claude Cochet, outre les terres cultivables il possède une masure, une maison et trois "bâtiments et cours". La masure mesure 4 perches*, ce qui en fait l’une des parcelles les plus vastes, classée en première catégorie (la meilleure). De ce fait on pourrait déduire que cette "masure" n’a rien d’une ruine, comme son nom le fait penser. Mais si on regarde les plans : surprise ! La propriété est non bâtie. D'où l'importance d'avoir accès à tous les documents du cadastre. Et voici une nouvelle énigme à résoudre : pourquoi la "masure" n'est pas bâtie...

A lire les états des sections concernant Benoît Mollie, on voit tout de suite qu’il est vigneron (il possède 24 vignes sur les 57 parcelles possédées dans la commune de Cerdon). Et sans doute un vigneron assez aisé : de nombreuses parcelles, plusieurs maisons à 2 ou 3 portes/fenêtres valant 24 francs. Le total de son imposition vaut 204,09 francs. C’est lui qui paye le plus d’impôts.

Joseph Marie Prost n’a que 12 parcelles ; mais il n’en n’a pas vraiment besoin : il tire l’essentiel de ses revenus de la parcelle n°210 située à Martignat. C’est une maison d’habitation, réunie à la patente d’aubergiste. En effet, contrairement aux précédents il n’est pas cultivateur, mais aubergiste. De ce fait sa « maison » comporte 12 ouvertures (portes et fenêtres) et deux portes cochères. Elle vaut donc logiquement beaucoup plus cher que les petites fermes vues précédemment : 30 francs pour le bâtiment à lui seul.
Si l’ont rapproche le cadastre napoléonien de l’habitat d’aujourd’hui, on retrouve nettement la parcelle de l’auberge. Autrefois elle était située au milieu d’un verger ; aujourd’hui près d’un rond-point. 


Martignat hier / aujourd’hui © Cadastre napoléonien AD01 / GoogleMaps

Et si l’on examine le bâtiment on s’aperçoit que sa partie gauche peut tout à fait correspondre à l’ancienne auberge, avec portes cochères et multiples fenêtres.

Emplacement de l’ancienne auberge de Martignat © GoogleStreetview

Si les états des sections donne un aperçu des possessions à un instant T, on peut suivre les propriétés sur le long terme grâce aux matrices des propriétés bâties et non bâties. Ainsi on retrouve le nom de Jean Marie Prost dans ce registre : sur un folio récapitulatif, indiquant l'entrée et la sortie de chaque parcelle, ou bien au fur et à mesure des agrandissements de l'auberge (en 1855 et 1867) puis une diminution (en 1868) et jusqu'au moment où l'auberge passe à l'un de ses fils (en 1878). 
On peut ainsi suivre l'auberge de main en main, de travaux en travaux.

Bref, ce cadastre « global » permet d’en savoir plus sur vos ancêtres : une nouvelle source qui permet de donner corps à votre généalogie... Et qui ouvre parfois de nouvelles perspectives de recherches.


* Pour en savoir plus sur le vocabulaire spécifique, voir la page Lexique de ce blog.


samedi 29 février 2020

#29fevrier

Que s'est-il passé les 29 février dans mon arbre ? Est-ce un jour comme les autres ?
Une infographie pour vous répondre :


samedi 15 février 2020

#RDVAncestral : Les deux fillettes

Les deux bébés gazouillaient dans leur panier rembourré qui leur servait de lit. 


© Pixabay

Soudain, dans un bel ensemble, elles se relevèrent maladroitement et se mirent en position assise, l’une en face de l’autre. Elles commencèrent alors un dialogue, compris d’elles seules, fait de babillages et de monosyllabes, entrecoupé de rires. Puis elles décidèrent de s'évader et elles sortirent du panier. Elles rampèrent et s’accrochaient à tout ce qu’elles pouvaient pour s’aider à se lever. Bientôt elles marcheraient toutes seules et il serait sans doute bien difficile de les contenir. Tout en gambadant, elles continuaient de se raconter une histoire, semble-t-il très drôle. Des boucles folles se formaient dans le fin duvet qu’était leur chevelure. L’une était le miroir de l’autre : elles se ressemblaient tant !

La femme qui m’avait invité à entrer les couvait d’un regard attendri. Nous nous étions rencontrées le matin et j’avais été invitée à dîner. J’étais curieuse, en effet, d’en savoir plus sur ces deux petites filles, si semblables.

Marie Thérèse, épouse Beroud, se détourna afin de s’occuper du dîner qui mijotait dans la cheminée.
- Mon mari et mes beaux-parents ne vont pas tarder à nous rejoindre.
Je tentai de capter l’attention des deux fillettes, mais je devais reconnaître que c’était un échec cuisant : je n’existai pas pour elles. Elles étaient dans leur monde et tout ce qui n’était pas elles ne semblait pas les intéresser.
Je me retournai, désemparée, vers Marie Thérèse :
- Mais… on dirait que je n’existe pas ?
Marie Thérèse eut un sourire et un haussement d’épaules :
- Je sais : elles font souvent ça. Et, si ça peut vous rassurer, je n’ai pas beaucoup d’existence pour elles moi non plus ; du moins tant qu’elles n’ont pas faim !

Les petites diablesses ! Elles agissaient déjà comme de véritables jumelles. Pourtant, elles n’étaient pas sœurs… mais tante et nièce ! Et seulement trois mois et demi d’écart les séparaient. L’une appartenait à la sixième génération de mon arbre et l’autre à la septième.
Claudine Marie était l’aînée ; elle était la nièce.
Marie Joseph était la cadette ; elle était la tante.
C’est cette bizarrerie temporelle qui m’avait fait venir ici.

Sur ce, mari et beaux-parents arrivèrent, comme l’avait prédit Marie Thérèse. Celle-ci fit les présentations et, sans attendre nous nous mîmes à table. J’observais Claude à la dérobée. Il n’avait pas encore 50 ans, mais il était père de onze enfants ; Marie Joseph était sa petite dernière. Pierre, quant à lui, était son deuxième enfant ; Claudine Marie était la première-née de ce dernier. C’est ainsi que la dernière d’une génération s’était trouvée à naître quelques mois après la première de la génération suivante !

Cette situation peu banale semblait amuser la compagnie. Entre deux bouchées Claude tenta d’expliquer ce phénomène :
- C’est que, voyez-vous, je me suis marié très jeune : je n’avais que 15 ans quand j’ai épousé Marie Françoise.
- Et moi j’étais déjà vieille, renchérit l'intéressée : j’en avais 18 !
Le marié le plus jeune de mon arbre…
- Notre aînée est arrivée quinze mois après. Puis ce fut notre Pierre dit-il en posant une main remplie de fierté sur l’épaule de son fils.
- Moi j’ai attendu un peu plus longtemps, enchaîna-t-il avec un clin d’œil vers son père. J’avais 20 ans !
- Mais tu n’as mis que 12 mois à nous faire une petite ! rétorqua le père dans un grand rire.
Je soupçonnais que cette gentille scène avait déjà été donnée au cours d’un, voire de plusieurs, échanges précédents.

Les deux fillettes continuaient leur conversation secrète, indifférentes au monde qui les entourait. Leurs royaume était fait de rêves, de jeux et de rires. Point de roi déchu, comme dans le royaume des grands : chez elles il n'y avait que deux reines. Qui, pour l’heure, riaient aux éclats, se tenant les côtes et se roulant par terre.

Inconsciemment le silence s’était fait autour de la table et tout le monde regardait les drôlesses. Chacun était perdu dans ses pensées.  
- Je les imagine rentrant de leur journée vagabonde, des traces d’herbes des prés, de poussière du chemin et d’eau de la rivière maculant leurs visages et leurs robes, dit doucement Marie Thérèse.
- Humph ! il va falloir les dompter, les diablesses : il n’est pas question qu’elles fassent la loi ici ! gronda Claude.
- Et mon Dieu quand elles seront en âge, je plains d’avance leurs futurs maris, s’alarma Pierre.
- Il sera bien temps alors de s’inquiéter, ajouta Marie Françoise, clôturant ainsi le débat.
Elle avait dit cela d’une voix morne. La voix de celle qui a déjà perdu deux enfants et craint toujours d’en perdre un autre. Elle se leva et mit le holà au jeu des fillettes en les reconduisant d’autorité dans leur lit pour les coucher.

Hélas ce n’était que trop vrai. Si j’étais venue en ce mois de février 1800, c’est que je savais que l’une de ces petites filles comptait, sans le savoir, son temps sur cette terre. En effet la tante (la cadette) ne survivrait pas à cet hiver. Les deux fillettes ne grandiraient pas ensemble, n’épuisant ni père ni mari. Est-ce que la mélancolie gagnerait l’aînée survivante ? Ou était-elle trop jeune pour que ce traumatisme de la petite enfance ne la marquât à jamais ? L’agréable soirée que je passai chez les Beroud ne répondrait pas à ces funestes questions.

Le dîner se termina et je quittai la maison alors que résonnaient dans la nuit glaciale les rires cristallins des deux fillettes, innocentes du sort qui les attendait, tout à leur joie d'être ensemble... et visiblement pas encore endormies comme elles l'auraient dû depuis longtemps déjà.