« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

vendredi 23 novembre 2018

#ChallengeAZ : T comme tocsin

Lien vers la présentation du ChallengeAZ 2018
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Pendant de nombreux siècles, nos ancêtres ont vécu au rythme des cloches des églises. Elles sonnaient les heures du jour, les temps de l’année (fêtes liturgiques) ou les événements de la vie (et de la mort). Elles servaient aussi de moyens de communications, alertant les populations en cas d’incendie, d’inondation ou de catastrophes diverses.
De nos jours, on ne les entend guère plus. 

Les habitants des villes groupés autour de leur église paroissiale, comme ceux des villages et des bourgs dans les campagnes, suivaient les heures du jour, les temps de travail et de repos grâce aux cloches. On distingue trois catégories de sonneries, chacune ayant sa propre signification :
  • Le tintement : tintement des heures, angélus, tocsin, glas.
Le tintement des heures est le plus connus : il survit encore lorsque de proches voisins n’intentent pas de procès pour les faire taire !
L’angélus sonne trois fois trois coups avant le tintement horaire, en général à 7h00, 12h00 et 19h00 et rappelle l'importance de la dévotion mariale à qui il est originellement dédié.
Le glas : aujourd’hui il ne retentit que lors des enterrements. C’est une sonnerie lente par tintement de la cloche la plus grave, ou une alternance des deux plus graves. Le rythme approximatif est d’un tintement toutes les deux secondes.
  • Le carillon : carillonnement avec clavier manuel à bâton frappé (en anglais carillon), manuel par cordes (Russie, nord de l'Italie, Grèce) ou, de nos jours carillonnement électrique ou électronique automatisé.
Le carillon est une série de cloches disposées de manière à fournir une gamme plus ou moins étendue, se prêtant à l’exécution de mélodies complètes. Les premiers carillons selon cette définition dateraient du XIème siècle. Ceux du Nord de la France sont célèbres et leur tradition toujours vivante.
  • La volée : volée de messe, volée de mariage, volée d'utilisation civile (midi par exemple).
Lorsque l’on dit que les cloches sont mises en volée, cela signifie qu'elles sont propulsées en oscillation (par l'intermédiaire d'un moteur et d'une chaîne, ou de nos jours de moyens électriques plus modernes). La plus connue est celle qui précède la messe, appelée « la volée ordinaire ». Plus l’évènement est important, plus le nombre de cloches utilisé est élevé. Une volée fort connue est celle de Noël, qu'on appelle « la volée de minuit ». La volée de mariage ressemble à la volée ordinaire, mais elle compte un nombre élevé de cloches mises en oscillations (entre 3 et 8).

Et en cas d’alarme, d’événement extraordinaire (un incendie, une émeute ou une guerre…), on faisait retentir une sonnerie particulière : le tocsin. Il fait partie de la première catégorie de sonnerie, le tintement. C’est une sonnerie répétée et prolongée. Ce terme semble provenir de la racine du mot tumulte. Les premières utilisations du tocsin sous la forme actuelle dateraient des environs de 1570. A l'époque médiévale, des tours de garde étaient institués, les guetteurs placés en hauteur, dans le clocher de certaines cathédrales par exemple. Ils avaient pour charge de prévenir s'ils voyaient un incendie démarrer. Le mot tocsin avec cette orthographe date de 1611. C’est une déformation de touquesain, mot qui date du XIVème siècle, dérivant lui-même du vieux provençal tocasenh. Littéralement, cela signifie tocar (toucher) et senh (la cloche). Le tocsin est sonné avec la cloche la plus aiguë, surtout la plus criarde et sonore, à un rythme d’un tintement par 0,5 seconde, durant environ une minute.

C’est ce qu’il s’est passé ce 1er août 1914 après-midi. Surprenant les paysans, les marchands, les notables… Tous ont dû se figer en entendant ces cloches qui n’en finissaient pas de tinter. Parce que les rumeurs de guerre étaient dans bien des conversations depuis un mois, tous ont dû comprendre ce que signifiait cette sonnerie. Confirmant les intuitions, les gardes champêtres ou les gendarmes parcouraient les campagnes pour annoncer la mobilisation générale. Ceux qui ne croyaient pas à la guerre devaient en être muets de stupéfaction, en particulier dans les campagnes où on était en pleine moisson et où on lisait moins la presse et ses prédictions belliqueuses. Ceux qui rêvaient d’en découdre, de prendre leur revanche, ont dû se réjouir… sans savoir ce qui les attendait.


Tocsin © Youtube

A ce sinistre tocsin, répond la volée joyeuse qui sonna, le 11 novembre 1918 au matin, marquant la fin officielle du conflit. Si la tristesse du tocsin avait plongé les populations dans la stupeur, les volées de cloches, se répercutant de clochers en clochers, sont, cette fois, destinées à les entraîner dans une communion nationale d’allégresse. Elles mettent fin au temps des combats annoncé par le tocsin lugubre au moment de la mobilisation générale. Les seuls à ne pas les avoir entendus, peut-être, sont les soldats en premières lignes car là où ils étaient, il n’y avait plus de clochers pour les faire sonner. Mais pour les autres, la volée de cloches, associée aux drapeaux tricolores, a participé à l’union patriotique des foules, dans les villes et les villages, symbolisant l’euphorie de la victoire. 

Commencé au son des cloches. Terminé au son des cloches.



jeudi 22 novembre 2018

#ChallengeAZ : S comme Samoëns

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Samoëns est la ville d’origine de Jean-François. Elle est située en Haute-Savoie. Son nom aurait une origine médiévale signifiant "les sept monts" (de sat, "sept", et de moens, "monts ou alpages"), rappelant les 7 sommets qui entouraient le village ; C'est pourquoi ses habitants se nomment les septimontains et les septimontaines.

Samoëns dominé par le Criou © Delcampe

Au cœur historique de Samoëns, l’église, les anciennes halles du marché datant du XVIème  siècle, dites "la Halle de la Grenette", et le Gros Tilleul. Celui-ci, arbre emblématique de la ville, a été planté en 1438 pour célébrer un jugement rendu par le Duc Amédée VIII de Savoie, confirmant aux habitants de Samoëns la possession de plusieurs alpages situés dans une vallée voisine. Arbre remarquable, par son âge et par son envergure, le Gros Tilleul constitue un véritable repère et un lieu de rencontre et de convivialité incontournables de la vie locale.

L'église est une ancienne collégiale dépendante du diocèse de Genève. L’édifice actuel a été construit sur les ruines de l'ancien, détruit en 1476 lors de l'invasion des Bernois. Plusieurs réfections se sont succédé au cours des siècles, œuvre des maçons de Samoëns, tailleurs de pierre réputés en Savoie et en France. En effet, la tradition de la pierre a marqué la vallée du Haut-Giffre qui regorge de carrières de calcaire. Pour compléter leurs revenus issus de l'activité agricole, les hommes de la région travaillaient la pierre. 

En 1659, les frahans (nom donné aux tailleurs de pierre) étaient si nombreux à Samoëns et leur savoir-faire si réputé, qu'ils se sont regroupés au sein d'une confrérie très célèbre. Celle-ci menait des actions philanthropiques, prenait soin des malades, formait de jeunes apprentis et avait sa propre école de dessin qui abritait une importante bibliothèque. Les membres de la confrérie des maçons et des tailleurs de pierre de Samoëns étaient si réputés qu’ils furent appelés sur les plus grands chantiers : par Vauban pour ses fortifications, puis par Bonaparte pour les canaux de Saint Quentin, et même jusqu’en Pologne ou en Louisiane. Pour communiquer et pour ne pas se faire comprendre des autres, ils utilisaient un dialecte bien à eux : "le mourmé". Des témoignages de leur talent subsistent partout sur l'architecture du village.

La figure locale la plus célèbre de Samoëns est sans conteste Marie ­Louise Jaÿ (dont nous partageons un ancêtre commun... à la 12ème génération !). Née en 1838, à 15 ans, la jeune fille part tenter sa chance à Paris comme vendeuse au "Bon Marché". C'est dans la capitale qu'elle rencontre Ernest Cognacq, qu'elle épousera par la suite (devenant les fameux "Cognacq-Jay"). Ensemble, ils fondent le grand magasin "La Samaritaine". Le succès est immédiat. A la tête d'une immense fortune, sans enfant, Marie ­Louise et Ernest consacrèrent la fin de leur vie aux bonnes œuvres et n'oublièrent jamais son village natal à elle. Ainsi en 1906 Marie Louise créa le jardin botanique "la Jaÿsinia" et en 1917 subventionna la rénovation de l'intérieur de l'église.

Samoëns, dont l’altitude oscille entre 670 et 2 700 m (chef-lieu est situé à 703 mètres d'altitude), jouxte la frontière suisse. La famille maternelle de Jean-François, les Jay (tiens, tiens…) sont une vieille famille locale. Son père en revanche, est né en Suisse et a passé la frontière avant d’épouser Adélaïde. La ville est dominée par l'Aiguille du Criou, sommet pointu qui culmine à 2 207 mètres d'altitude.

En 1911, la ville compte 2 220 habitants. Si les parents de Jean-François demeurent toujours à Samoëns en 1914, lui-même est momentanément en résidence en région parisienne où il est garçon de café. Cependant son domicile officiel reste Samoëns, et c’est pourquoi il est mobilisé par l’armée en Haute-Savoie.

Le monument aux morts de Samoëns compte une soixantaine de noms, pour le conflit de la Première Guerre Mondiale. Parmi eux, ceux des jumeaux Jay, Joseph et Alphonse. Ils ne sont que des parents très éloignés de Jean-François (il faut remonter 7 générations pour leur trouver des ancêtres communs, au XVIème siècle), mais sont nés la même année et ont sans doute fréquenté les mêmes bancs d’écoles ou se sont retrouvés sous le Gros Tilleul. Cependant, ils ont connus des destins différents : si Jean-François a survécu à la guerre, Joseph a succombé à une bronchite dès 1915 (une de celles qui a touché Jean-François en Italie mais qui l’a épargné); Alphonse, quand à lui, est tombé dans la Somme en 1916.

Après guerre, Jean-François ne reviendra pas dans la ville d’origine, demeurant désormais à Eaubonne (Val d’Oise) avec son épouse et son fils unique... Épouse originaire de Seine et Marne, où il fut lui-même souvent cantonné lors de la guerre !


mercredi 21 novembre 2018

#ChallengeAZ : R comme registre matricule

Lien vers la présentation du ChallengeAZ 2018
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C’est le document de base qui renseigne sur le parcours militaire d’un homme, qu’il soit soldat ou ajourné.

Le document comporte plusieurs cases, variant au cours de l’histoire. Nous prendrons l’exemple ici de la fiche de Jean-François, datée de 1914


Fiche registre matricule Jean-François Borrat-Michaud © AD74

Certaines parties se passent de commentaire, d’autres font l’objet d’une explication si nécessaire. Les catégories sont les suivantes :

- l'identité

- le numéro matricule

- l'état civil

- le signalement physique

- le degré d’instruction :
0. pour le jeune homme qui ne sait ni lire ni écrire ;
1. pour le jeune homme qui sait lire ;
2. pour le jeune homme qui sait lire et écrire ;
3. pour le jeune homme qui sait lire, écrire et compter ;
4. pour celui qui à obtenu le brevet de l'enseignement primaire ;
5. pour les bacheliers, licenciés, etc...
X pour le jeune homme auquel aucun renseignement sur le degré d'instruction n'aura pu être obtenu.

- la décision du conseil de révision et ses motifs. Cette partie comprend le numéro d’inscription dans la liste cantonale du conseil de révision : Le recensement est la toute première étape des devoirs militaires qu'avaient les jeunes de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. Il s'agit de dénombrer tous les hommes appartenant à une classe donnée. Le recensement est effectué en décembre ce qui permet d'avoir une image précise du nombre de jeunes hommes au 1er janvier de l'année où ils vont rejoindre les casernes. Une fois le recensement effectué, jusqu'en 1905, l'administration peut organiser le tirage au sort puis la "révision" de ces hommes pour voir s'ils sont aptes à faire le service militaire. Après 1905, seul subsiste le conseil de révision, le tirage au sort étant supprimé. La dernière étape, moins d'un an après le recensement, étant l'appel sous les drapeaux. Lors du recensement, une fiche complète était établie avant d'être transmise à la préfecture (indépendante de la fiche de registre matricule). On retrouve la plupart de ces informations dans le registre matricule. Elles étaient probablement envoyées ensuite au bureau de recrutement de la subdivision. Le conseil de révision est composé d’élus et de membres de l’armée. Les jeunes gens sont appelés dans l'ordre du tableau de recensement (numéro que l’on retrouve sur la fiche matricule). A partir de 1905, le conseil de révision juge les aptitudes physiques des recrues suivant 4 catégories :
1. bon pour le service armé ;
2. bon pour le service militaire en raison d’une infirmité relative ou d’une constitution douteuse ;
3. constitution physique trop faible nécessitant un ajournement ;
4. infirmité qui entraîne une exemption de tout service militaire.
On notera le cas particulier du « bon absent » : Les jeunes qui ne se présentaient pas au conseil de révision étaient automatiquement inscrits "Bon absent". Un nouvel examen de leur situation se faisait lors de leur appel sous les drapeaux. S’il s’avère que leur omission a un caractère frauduleux, en plus de leur passage devant la justice, l'homme est envoyé dans les troupes coloniales d'office. C’est ainsi que Jean-François a été déclaré bon absent car résidant probablement encore à Paris lors de ces premières obligations militaires (voir la lettre E).

- le corps d’affectation : résumé des différentes affectations dans l’armée active, de réserve et territoriale.

- le détail des services et mutation diverses : ici le parcours du soldat est détaillé.

- les localités successives habitées : tant que le soldat est susceptible de retourner sous les drapeaux, il est suivi attentivement et ses adresses successives notées afin de pouvoir le rappeler ; ce qui est bien utile pour ceux qui déménagent souvent et dont on ignore la nouvelle adresse.

- les antécédents judiciaires et condamnations : pratique si votre ancêtre est un vaurien et que vous l’ignoriez ; cela peut donner d’intéressantes pistes de recherches ou expliquer de curieuses affectations militaires (par exemple un de mes collatéraux « bagarreur » a été affecté dans un bataillon d’Afrique « en représailles »).

- les campagnes : ici sont détaillées les campagnes auxquelles a participé le soldat. Pour Jean-François cette partie est particulièrement bien remplie (merci à ce militaire rédacteur consciencieux) avec le détail des dates et périodes « à l’intérieur » (à l’arrière : formation ou hospitalisation) et « aux armées » (premières lignes et zone arrière de 100 km considérées comme faisant partie du front) ainsi que les abréviations c.s. et c.d. signifiant campagne simple et campagne double (une campagne double, au front, étant considérée comme plus dangereuse elle va compter davantage pour la future pension du soldat).

- les blessures, citations, décorations, etc.

- les périodes d’exercices.

- les époque à laquelle l’homme doit changer de catégories d’armée.

- la date de libération du service militaire.

Toutes les cases ne sont pas forcément remplies. Mais parfois elles sont trop petites, en particulier lorsque le soldat, comme Jean-François a fait toute la guerre : dans ce cas on rajoute des petits papiers pour noter les informations supplémentaires. On les appelle des retombes. Lorsque les archives numérisent les fiches matricules, elles ont obligées de faire plusieurs numérisations pour bénéficier de toutes les informations : ainsi, au lieu d’une seule vue, la fiche de Jean-François en comporte 5 !