« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

samedi 16 février 2019

#RDVAncestral : La dispute

Alors que je me rendais paisiblement chez mes ancêtres Martin, je vis passer Monsieur Flaugergues, curé de la paroisse de Saint-Marcel de Conques, courir à toutes jambes dans la même direction que moi. Sa robe noire flottait au vent, s’agitant comme les grandes ailes d’un corbeau. Sa canne à pommeau d’argent avait à peine le temps de claquer sur le pavé, tant il marchait vite. Et sa calotte était toute de travers, secouée sur le haut de son crâne à chaque pas qu’il faisait. Le spectacle aurait pu être amusant mais il m’inquiétait plutôt, la réputation de dignité du saint homme n’étant plus à faire : il se passait quelque chose de sérieux… peut-être même de grave ! Et le voilà justement qu’il entrait dans la maison où je me rendais. Je restais un instant stupéfaite, tandis que des éclats de voix me parvenaient. Je me dépêchais à mon tour de m’engouffrer par la porte laissée ouverte par le curé.

Immédiatement je constatais le chaos qui régnait : des tessons de poterie gisaient à terre, une chaise était renversée, la table de travers. Catherine était d’un côté de la pièce, une écuelle à la main, Pierre de l’autre côté tentait de se protéger à l’aide d’une chaise en paille. Plus loin se tenaient Guillaume et le curé, nouveau venu, qui essayaient d’apaiser la tempête. Tout le monde criait en même temps, les uns pour se plaindre, les autres pour calmer ; ce qui fait que l’on entendait rien ni personne, si ce n’est un brouhaha indéfini.


A. Brouwer, la dispute © eurocles.com

Dans un réflexe qui peut paraître, a posteriori, un peu incongru, je me glissais immédiatement vers la fenêtre laissée ouverte sur les beaux jours de juin afin que le voisinage ne profite pas pleinement de la scène. C’était un geste un peu vain car visiblement la querelle durait déjà depuis un petit moment puisqu’on avait eu le temps d’aller quérir le curé et qu’une assemblée de curieux avides de potins avait commencé à se former devant la maison. Je leur lançais mon regard le plus désapprobateur, ce qui eu l’effet escompté sur la plupart d’entre eux qui tournèrent les talons. Les plus tenaces néanmoins restèrent là pour profiter encore un peu, des fois que la scène tournerait mal à nouveau.

Pendant ce temps, le curé avait fait preuve de son autorité : le volume sonore avait un peu diminué et si les gestes menaçants étaient toujours aussi vifs, on pouvait commencer à comprendre ce qui expliquait cette scène qui déchirait la fratrie. Les trois enfants étaient les seuls survivants de leur famille : ils avaient perdus 5 frères et sœurs, dont deux mort-nés, leur mère était décédée en 1713 et leur père un peu moins d’une quinzaine d’années plus tard. A cette époque Guillaume, l’aîné, avait passé la vingtaine mais n’était pas encore majeur, Catherine avait ses 20 ans et Pierre une quinzaine d’années. Aujourd’hui, en 1739, Guillaume avait la quarantaine et était marié, Catherine en avait 37 et était fiancé et Pierre (mon ancêtre direct) avait la trentaine et était toujours célibataire. Mais cela ne les empêchaient pas de se chicaner comme des enfants !

La dispute avait pour objet le partage des biens, prévu dans le testament de feu leur père. 
Aussi vieux que le monde, ce motif déchirait une nouvelle famille.
Avant l’arrivée du curé - et de moi-même -  on avait déjà hurlé sur les droits légitimaires paternels (260 livres prévus) et maternels (40 livres), sensés être donnés à Catherine un an après le décès du père à raison de 15 livres par an jusqu’au paiement complet de la somme ; ce qui n’avait pas été fait. On en était maintenant aux ruches à miel :
- Notre père m’en avait promis quatre ! rageait Catherine. De celles qui sont au fond du jardin. Et que je pourrais les prendre quand je voudrais. Mais elles y sont encore ! lança-t-elle avec un regard noir à Guillaume qui avait hérité de la maison.
- Bon, bon, calmons-nous mes enfants, tenta le curé. Asseyons-nous et reprenons sereinement tout cela.
La tension et l’animosité n’était pas retombées, loin de là, mais au moins on pouvait se parler.
- L’argent d’abord ! imposa Catherine, l’écuelle menaçante toujours à la main. Ça fait 300 livres : je le sais ! Je les veux tout de suite !
Guillaume gémit :
- Mais enfin, où veux-tu que je trouve cette somme ?
- Ça m’est égal  Elle me revient !
- Oh ça va, hein ! On sait bien que tu étais la préférée de notre père : d’ailleurs il t’a promis 300 livres et à moi seulement 150 ! répliqua Pierre piqué au vif de ce que sa sœur avait eu plus que lui.

Je pensais par devers moi que ce n’était pas très courant qu’une fille hérite de davantage d’argent qu’un fils et qu’en plus elle avait été désignée héritière particulière, contrairement à son frère. Mais j’ignorais les raisons qui avaient poussé Géraud, le père, à faire cette répartition de la sorte. Catherine était-elle véritablement la préférée ou était-ce simple jalousie de la part de Pierre ?

- Peu importe : ce qu’on me doit je le veux ! insista Catherine de plus belle. Et que va dire mon fiancé si je n’apporte pas ma dot ? Que diront ses parents ? Ils pourraient me refuser !
- Et bien ce serait une vraie chance pour le promis ! répliqua Pierre du tac au tac.
- Ooooh !
Catherine s’apprêta à faire usage de son arme « de table ».
Le curé affolé tenta de calmer les humeurs belliqueuses de sa paroissienne :
- Bon : et si on promet de te les payer dans l’année après la célébration du mariage ? On mettra ça par écrit chez un notaire, bien sûr, comme ça personne ne pourra rien à redire.
- Pfff ! Notre père l’avait déjà mis par écrit, ça n’a pas empêché de rester dans les poches de certains…
Un silence gêné se fit. Mais Catherine ne voulait pas perdre la main : elle continua donc à énumérer ce qu’on lui devait.
- Il y a les 14 livres que j’ai gagnées par mon industrie chez les maistres, cités dans le testament de 1725. Mais toutes ces années j’ai continué à travailler : il faut donc ajouter 127 livres. Il y a aussi les 100 livres d’étrennes données par notre mère et qui me sont dues pour le temps de mes absences ayant cessé d’habiter la maison paternelle. Enfin, il y a 30 livres pour du bétail à corne dont notre voisin Antoine Servière est mon obligé.
- A corne ! Tiens donc ! On se demande bien pourquoi il a promis ça celui-là… laissa échapper Pierre entre ses dents, mais suffisamment fort pour qu’il puisse être entendu.
Un regard noir fusa mais, une fois encore, le curé joua les arbitres.

Guillaume, quant à lui, se tassait un peu plus sur sa chaise au fur et à mesure que la somme augmentait car il était celui qui avait été désigné hériter universel et général de feu son père, à charge d’exécuter ses dernières volontés et de rendre l’hérédité à son frère et sa sœur en temps voulu. Ce qui, il faut bien l’admettre, n’avait pas été réglementairement fait.

Sous l’insistance du curé, il promit du bout des lèvres de payer les droits légitimaires parentaux promis dans l’année après le mariage, les 14 livres à la fête de Noël, les 100 livres dans l’année à raison de quatre termes de 25 livres chacun et le restant des sommes dues (les 30 livres) en deux fois, 15 livres par an.
- Et les 127 livres ? Tu les oublies ?
Guillaume soupira, se leva pesamment et alla jusqu'à la garde-robe qu’il fouilla en profondeur afin d’y extirper un petit coffret de bois. Restant de dos à l’assemblée pour qu’on ne voit pas le contenu exact de la cassette, il compta 127 livres en écus neufs et autre bonne monnaie. Triomphante, Catherine prit la somme des mains de son frère et la fit prestement disparaître dans les plis de sa robe.

- T’es satisfaite maintenant ? demanda Pierre. C’est fini ?
- Sûrement pas ! répliqua Catherine. Il y a encore les ruches : toi tu t’es déjà servi, je le sais !
- Mais enfin, j’ai juste l’usage d’une ruche que m’avait donnée notre père avant son décès : les deux autres qu’il m’a promises je ne les aurai que lorsque je me marierai.
- Peu importe : je pouvais prendre les miennes quand je voulais. Et bien je les veux ! Maintenant !
- Et bien prends-les tes ruches ! Et va-t-en !
Le ton montait à nouveau. Je me demandais comment tout cela allait finir. Le curé redonna la parole à Guillaume :
- Concernant les biens que t’a octroyé notre père, je peux te donner les deux écuelles (il loucha craintivement sur celle que Catherine tenait toujours à la main, prête à s’en servir au besoin), l’assiette en étain et la robe de Rodez garnie pour ton mariage, mais pour le reste, la jupe de drap de couleur noire et les deux paires de linceuls, il faudra attendre la Noël, précisa-t-il.
- D’accord, mais au lieu de la couverte de laine aussi promise, je veux sa valeur en monnaie : 9 livres !

Ce fut un tonnerre de protestations, notamment de la part de Pierre qui n’en pouvait plus des exigences de sa sœur. Une fois encore, le curé dut se faire médiateur. On accepta la somme réclamée, qui serait versée dès la célébration du mariage, mais en échange de nouveaux conciliabules furent engagés, plutôt houleux. Ils portaient sur la part d’héritage de leur jeune sœur Antoinette, décédée ab intestat lorsqu’elle avait une vingtaine d’années. Finalement Catherine renonça à cette part d’héritage. Je ne sus jamais par quel miracle on en était arrivé là étant donné le vilain tour qu’avait encore la conversation quelques instants auparavant.

Satisfaite, Catherine se leva, abandonna la fameuse écuelle et partit sans un mot.
- Je crois qu’on n’est pas prêts de la revoir, dit Guillaume désabusé.
- Et bien tant mieux, je ne m’en porterai que mieux ! répondit Pierre en sortant, toujours aussi furieux.
Le curé s’épongeait le front après le rude combat mené. Il salua Guillaume et quitta la maison (le champ de bataille ?) à son tour.

J’étais triste de voir ainsi une fratrie se déchirer ainsi. En partant, la seule chose qui me remonta un peu le moral c’est que je savais que Guillaume ne couperait pas totalement les ponts avec sa sœur puisqu’il assisterait à son mariage. Mais était-ce une présence de convenance ou s’étaient-ils réconciliés ? Je l’ignore. Et plus jamais je ne revis un lien entre Catherine et Pierre.


lundi 4 février 2019

A vendre !

Les archives notariales réservent parfois de drôles de surprises. Comme dirait l’autre « c’est comme une boîte de chocolats : on ne sait jamais ce que l’on va trouver à intérieur ». Parmi les actes qui peuvent paraître un peu monotones (quittances, obligations [*]…) on peut trouver des pépites. Pour moi, pas de Grand Condé comme Brigitte, mais une anecdote qui m’a fait bien sourire.

En 1678 Jean Avalon, mon ancêtre marchand boucher en la ville d’Entraygues (Aveyron), loue une maison en ladite ville à Jean Boulue qui demeure à Villefranche. Pour payer son loyer, les monnaies sonnantes et trébuchantes n’étant pas légion (on n’a pas toujours de sommes importantes dans son coffre), il passe devant notaire deux obligations (correspondant à 19 livres 5 sols d’une part et 6 livres d’autre part, soit un peu moins de 565 euros actuels d'après notre convertisseur de monnaie préféré [**]) ; enfin, afin de compléter sa dette, il promet de payer la taille de son propriétaire, soit 4 livres (un peu moins de 90 euros).

Pour mémoire, la taille est un impôt direct qui trouve son origine au Moyen-Age. Sous l’Ancien Régime, il est très impopulaire car il est payé par le Tiers-État; la haute bourgeoisie, le clergé et la noblesse en étant exempté. La taille peut être perçue sur les terres (c’est la « taille réelle ») ou sur les personnes (c’est la « taille personnelle »). Celle-ci se base sur le « feu » [*], c'est-à-dire l'âtre autour duquel sont rassemblés le chef de famille, ses enfants, parents et domestiques le cas échéant : le foyer fiscal comme on pourrait dire aujourd'hui. Seul le nom du chef de famille est indiqué dans les registres (les « rôles » [*]). Son montant est fixé arbitrairement en fonction des besoins seigneuriaux et des capacités de la population, d'où la plainte des assujettis d'être « taillables et corvéables à merci ».

Pour revenir à notre histoire, force est de constater que l’année suivante Jean Avalon n’a toujours pas réglé ladite taille. Le sieur Bernard Brunet, marchand et second consul de ladite ville, se doit d’intervenir. En effet, en tant que magistrat, il a reçu une plainte à ce sujet de la part du « recepveur des tailles ». Consciencieux, le sieur Brunet s’en est allé vérifier le « rolle » des tailles et a bien confirmé que ledit Avalon était toujours redevable de la taille due à l’origine par Jean Boulue.

Il somme donc mon ancêtre de payer la taille dont il doit s’acquitter. Mais cela ne semble pas perturber outre mesure notre boucher… qui reste sourd à la requête de son consul. « Deux ou trois fois » le consul le « fait advertir de payer la taille ». En vain.

Jean Avalon « Nayant pas daigné de sattisfaire » la demande consulaire, le sieur Brunet est obligé de passer à l’étape supérieure : il prévient ledit boucher de la prochaine confiscation de l’un de ses biens, afin de régler la dette impayée. « sy entre icy et lheure de dix heures du jourdhuit il navoit pas sattisfait au payement de ladite taille il procederoit a la vente dudit [bien] ». Mais que veut-il vendre ? Aux grands maux les grands remèdes : le sieur Brunet fait confisquer… un chaudron !



Chaudron © tompress.com

Malgré la confiscation du récipient, Jean Avalon ne paye toujours pas son impôt. La vente du chaudron a donc lieu. C’est une vente aux enchères qui est organisée en place publique de ladite ville. On ignore le prix de départ fixé pour le fameux chaudron, ni le nombre d’enchérisseurs, mais c’est finalement un marchand, Vidal Solavialle, qui emporte la mise pour la somme de dix huit livres quatre sols, soit un peu plus de 406 euros. Par ailleurs, ledit Avalon doit aussi payer les frais « de constrainte » [*] entraînés par cette saisie/vente du fameux chaudron, soit trois livres (un peu moins de 67 euros).

Comment Jean Avalon a-t-il vécu cette vente un peu honteuse en place publique ? Sans doute assez mal, comme on peut l'imaginer. En tout cas, il a protesté officiellement. Et c'est d'ailleurs le nom de ce document notarié : "acte de protestation contenant confiscation" [*]. Par cet acte, il a marqué « son reffus disant ne vouloir accepter ny acquereur a la vente dudit chaudron [ni la] volonté[de] sattisfaire ledit brunet de la taille [qu’il doit pour] ledit boulue et fraix des constraintes ».

Ceci dit, cela ne change rien à l’affaire. Le chaudron a été vendu, un point c’est tout. Et si vous avez été attentif : il a perdu dans l’affaire (outre le chaudron lui-même) l'équivalent de 21 livres 4 sols (473 euros)… pour une taille non payée de 4 livres (90 euros).

Moralité : payez vos impôts en temps et en heure, ça vous reviendra moins cher !




[*] Retrouvez les définitions comme obligation, rôle, contrainte, protestation, etc... sur la page de lexique de ce blog. 
[**] Conversion à prendre à titre indicatif, les valeurs changeant selon les régions et les époques.



lundi 28 janvier 2019

En quête d'un bébé


Ce billet fait suite au #RDVAncestral : la rencontre, publié en décembre.

Je vais parler de personnes aux noms et/ou prénoms similaires, je vais donc faire en sorte d'être la plus claire possible pour que vous puissiez comprendre mon cheminement. Il s'agit de :
- François Fortin et André Fortin (sans qu’un lien de parenté n’ait été trouvé entre eux).
- Marguerite Merlet et sa fille Marguerite Coeffard (qu’on surnommera La Jeune pour la différencier de sa mère).
- André Fortin et André Fortin, le parrain et le filleul (qu’on surnommera bébé André pour le différencier de son parrain, qui est aussi son cousin par alliance).

Résumons:
Le couple Merlet Jean et Jaunereau Françoise, mariés en 1682, ont 8 enfants. Parmi eux on compte notamment Marguerite et Louise.
Louise épouse François Fortin (en secondes noces). La date n’est pas connue (entre 1722 et 1724 semble-t-il). De leur union naîtront sept enfant, notamment André Fortin en 1734. C’est lui « bébé André » dont j'ai raconté la naissance dans l'article de décembre.
Marguerite épouse Jacques Coeffard. De leur union naîtra notamment Marguerite « La Jeune » qui épousera André Fortin ; Malheureusement des lacunes dans les registres paroissiaux nous privent de la date de leur mariage. Tous les deux seront les parrain et marraine de bébé André né en 1734 (le cousin de  Marguerite la Jeune, vous me suivez ?).

On trouve les membres de cette famille dans différentes paroisses, voisines les unes des autres, mais dans trois départements distincts : Saint Hilaire de Mortagne et Evrunes (en Vendée), Cholet, le May sur Evre, La Tessoualle et Saint Christophe du Bois (en Maine et Loire), Le Puy Saint Bonnet (autrefois dans les Deux-Sèvres, aujourd’hui associée à Cholet, les limites des deux départements ont donc été modifiées à cette occasion, en 1973). Certaines de ces paroisses ont aujourd'hui disparues, absorbées par d’autres.

Territoire d'investigation © GoogleMaps

Lors de ce fameux RDVAncestral, j’ai donc raconté le baptême de bébé André. Son acte de naissance, trouvé dans les registres de Cholet (paroisse de St Pierre) est ainsi libellé : "Le 30 janvier 1734 par moy vicaire soubsigne a ete suplée les ceremonies de baptême a un enfant né du jour precedent dans la cour de la trembay de leglise mere de françois fortin laboureur et de louise merlet baptisé à la maison par la sage femme à cause du danger de mort ledit enfant a été nommé André par André Fortin son parrain et marguerite coeffard sa marraine qui ont declaré ne savoir signer."

A partir de ces quelques lignes, j’ai imaginé l’histoire d’une naissance fragile et d’un baptême par la sage-femme. Pour tout vous avouer, j’ai complètement raté mon exercice, car en fait je désirais aborder la rencontre de Marguerite La Jeune et d’André Fortin son (futur ?) mari. Mais de toute évidence je suis passée complètement à côté car, à ma grande surprise, beaucoup parmi vous ont surtout retenu l’histoire de la naissance de bébé André et, s’ils ont été touchés par mon récit, ils se sont surtout inquiétés du sort du bébé et pas du tout de ses parraine et marraine. Mais bon, tant pis !

En décembre, j’avais fait une rapide enquête mais n’avait point retrouvé la trace postérieure du bébé. Devant l’émoi provoqué par ce billet, j’ai donc repris mon enquête.

J’ai commencé par chercher les actes concernant les proches de bébé André.

J’ai trouvé 8 actes de mariages (un pour son frère François, un pour sa sœur Marie Hélène, trois pour son frère Jean et deux pour son « frère de mère », c'est-à-dire un demi-frère utérin né d’un premier lit de sa mère). André n’apparaît dans aucun d’entre eux parmi les témoins. Pas davantage dans les actes de décès de ses parents, en 1763 (tous les deux décédés à deux jours d’intervalle) alors qu'il serait théoriquement âgé de 29 ans.

Par ailleurs, j’ai retrouvé très peu d’actes concernant le couple Fortin/Coeffard et leurs enfants : ils vivaient au Puy Saint Bonnet, où il n’y a pas d’acte en ligne antérieur à l’An IX. D’ailleurs, les quelques mentions trouvées le sont la plupart du temps… dans les registres des paroisses voisines ! Ainsi les naissance des enfants du couple sont connues grâce au registres de Cholet, où il sont dits « baptisés au Puy Saint Bonnet ». Parmi ces raretés, bébé André n’apparaît pas non plus.

D’un premier abord, on peut penser que le petit André est décédé avant les mariages de ses frères et sœurs, c'est-à-dire au moins avant 1751 (donc avant ses 17 ans). Ou est-il simplement trop jeune pour être cité parmi les témoins ?

Il me reste un dernier test : la méthode escargot. Chercher dans tous les registres où la famille est connue, c'est-à-dire :
- Cholet (trois paroisses, avec une préférence pour Saint-Pierre dont ils dépendent), où sont nés ses frères et sœurs,
- Saint Hilaire de Mortagne où sont nés plusieurs de ses oncles et tantes,
- Le May sur Evre, où est décédée sa grand-mère et où demeure sa tante Marguerite lors de son mariage,
- Saint- Christophe du Bois, où ont eu lieu la plupart des mariages de sa fratrie,

J’ai d’abord privilégié l’année 1734 puisque bébé André a un petit frère qui naît seulement 19 mois après lui : l’écart entre ces deux naissances n’est pas extraordinaire mais révèle peut-être un indice sur la possible brièveté de la vie de bébé André.

J’ai commencé par compulser les registres de Cholet Saint Pierre, puisque c’est la paroisse de la demeure familiale de bébé André depuis les années 1720 (mariage des parents) jusqu’en 1737 (naissance du dernier enfant de la famille). Il n’apparaît pas sur l’excellent moteur de recherche des archives municipales. Cependant, des actes sont parfois libellés de cette façon : « est décédé un petit enfant de machin » : je ne sais pas comment ces actes ont été indexés. Mais si je trouve en septembre 1734 « est décédé un petit enfant de françois fortin âgé de 8 mois ou environ » je peux supposer qu’il s’agit de bébé André. Hélas ces recherches ont été vaines.

Je ne l’ai pas trouvé non plus à St Christophe du Bois où la plupart de ses frères et sœurs se marient, ni au May sur Evre.

Les recherches continuent, mais l’hypothèse de la mort précoce de bébé André est donc, pour l’instant, favorisée.

A celles et ceux qui se sont ému(e)s de son sort, je ne peux malheureusement pas vous renseigner précisément, même si je ne suis guère optimiste. Si quelqu’un croise sa route, n’hésitez pas à me faire signe !


samedi 19 janvier 2019

#RDVAncestral : Le dernier chemin

En cette fin de mois de janvier 1893, j’ai rendez-vous Célestine rue du Mail, sur le plateau de la Croix Rousse à Lyon. Je ne connais pas bien la ville et je suis un peu perdue. Au pied de la Montée de la Grande Côte j’avise une élégante jeune femme vêtue d'un mantelet brodé dernière mode sur une robe de mousseline blanche, portant sur la tête une toque en gaze de soie joliment ornée et, bien sûr, les indispensables gants assortis sans lesquels une femme du monde ne sortirait pas. Elle me confirme que je dois emprunter la Montée pour atteindre « la colline qui travaille », celle qui fourmille d’ateliers de canuts, ces ouvriers de la soie.
- C’est un peu raide, mais une fois sur le plateau la marche est plus aisée, vous verrez… m’assure-t-elle avec un grand sourire.
- Je vous remercie… heu…
- Marie ! Je me nomme Marie ! Bonne journée !
A peine ai-je eu le temps de la remercier que, dans un froufrou de satin, elle disparaît, happée par la foule. J’entreprends la fameuse montée et j’avoue que, une fois arrivée en haut, je ne suis pas mécontente d’avoir enfin atteint le plateau !

Débouchant sur la place de la Croix Rousse, je trouve Célestine qui m’attend.
- Je suis venue à ta rencontre car j’avais peur que tu te perdes dans cette grande ville…
Voyant que je suis encore un peu essoufflée, la vieille dame se met à rire.
- Moi aussi, la première fois, j’ai été essoufflée. Il faut dire que j’avais une soixante d’années, moi !
Et vlan pour mon ego.
- Bon, maintenant j’en ai plus de soixante quinze, alors je veux bien ton bras pour m’aider à marcher, ajoute-t-elle en riant toujours sous cape.
Nous nous dirigeons vers la rue du Mail, bras dessus bras dessous. Célestine se laisse aller à ses souvenirs :
- La première fois que je suis arrivée ici, quelle frayeur j’ai ressentie. Tu comprends, j’arrivais tout droit du Poizat. C’est un petit village de 700 habitants situé sur le Plateau de Retord, dans le massif jurassien, au milieu des bois. J’étais veuve depuis une dizaine d’années. Mes quatre aînés étaient casés, le cinquième fiancé et mon petit dernier… Elle essuya furtivement une arme qui perlait puis se reprit… Mon « petit » dernier, qui avait en fait une vingtaine d’années, était décédé à l’hôpital militaire de Belfort en 1873.
Je l’aurai bien interrogée plus avant sur ce décès, mais même s’il avait eu lieu vingt ans plus tôt, visiblement la blessure était toujours ouverte. Je laissais donc mes questions et, pressant le bras de Célestine, je l’encourageais à continuer.
- Bref, je me retrouvais seule et ma fille aînée Philomène qui demeurait à Lyon depuis les années 1860 insistait pour que je l’y rejoigne. Je m’y suis finalement résolue au début de la décennie 1880.

Quel drôle de voyage cela a été : je suis partie de ma campagne à l’arrière de la charrette d’un aimable voisin pour arriver dans la cité lyonnaise par le chemin de fer. C’était la première fois que je prenais un train. J’ai trouvé ça un peu bruyant et sale avec les fumées de la locomotive à vapeur et ces escarbilles qui encrassent les vêtements et brûlent les yeux. En arrivant gare Saint-Clair, j’ai eu l’impression d’avoir changé de monde ! Je venais de mon petit village où tout le monde se connaît pour arriver à la grande ville qui grouille d’inconnus. Quel chemin !

Pour rejoindre le domicile de ma fille et de mon gendre j’avais une petite heure de marche. Mais cela ne me faisait pas peur : dans nos campagnes on marche toujours beaucoup. Par contre, j’ai été très impressionnée par la ville : les rues encombrées de gens, de badauds, de portefaix avec leur marchandises, de cochers qui demandent à faire place pour pouvoir avancer, d’élégantes admirant les vitrines ; les bruits des souliers sur les pavés, des vendeurs de journaux qui crient les titres de la une, des marchands qui vantent leurs produits ; et les odeurs ! celles de la foule, mélange de sueurs, de corps au travail, de crasse, de parfums de dames parfois, des rôtisseries, du crottin de cheval ici ou là. Bien sûr, ayant grandi à la campagne, j’étais habituée à certaines (mauvaises) odeurs, mais ce mélange-là était inédit.

Finalement, après m’être égarée une ou deux fois, j’ai réussi à retrouver la rue du Mail et la résidence de ma fille et de mon gendre. Ma fille voulait que je vienne chez elle pour me reposer : elle me disait que je l’avais bien mérité. Mais je me suis vite ennuyée alors je les ai aidé à l’épicerie qu’ils tiennent au numéro 35 de la rue. 


Rue du Mail, Lyon, 1910 © AM Lyon

Tu sais, il y a bien longtemps la Croix Rousse n’était qu’un petit hameau sur une colline. Puis il a pris de l’importance et le commerce s’y est développé. La rue du Mail se trouve dans un secteur de la ville animé. Parallèlement à la rue du Mail il y a par exemple la Grand Rue de la Croix-Rousse où se trouvent des boutiques, des ateliers d’artisans, des débits de boisson et des auberges… C’est un quartier assez populaire, mais il y a aussi tout proche de là des rues où se trouvent des habitations bourgeoises avec des jardins, et même pas très loin des petits coins de campagne où poussent des cultures maraîchères. Bref, il y règne une certaine mixité : on peut y croiser bourgeois ou ouvriers, marchands ou miséreux. Mais on dit qu’ici l’air est réputé pour être meilleur que celui de Lyon ! Et oui : la Croix Rousse pense toujours un peu qu’elle ne fait pas partie de la ville. Pourtant elle a été annexée officiellement à la cité de Lyon dans les années 1850. Le quartier s’est alors modernisé. C’était l’époque des grands travaux d’urbanisme : la voirie a été améliorée, on a percé de grandes avenues, aménagée des places accueillantes plantées d’arbres, créé des réseaux d’eau potable, construit de gracieux hôtels particuliers et même les immeubles les plus modestes ont bénéficié de belles façades et de tout le confort moderne. Bien loin de ce que j’ai connu chez moi avant d’arriver là, tu peux me croire !

Ce quartier de la Croix Rousse est aussi celui des ateliers des canuts, les « soyeux ». Tu vois ces immeubles qui  ont cinq ou six étages et de grandes fenêtres : c’est pour abriter les immenses métiers à tisser. Les familles vivent en général dans les soupentes.

Il y a une cinquantaine d’années la ville a connu de grands troubles. On a appelé ça la révolte des canuts. C’était l’époque des grandes insurrections républicaines à Paris ou ailleurs. Si la ville n’en n’a pas gardé beaucoup de traces, les mémoires, elles, n’ont pas oublié. Il faut dire que les conditions de travail des ouvriers étaient rudes. Puis l’industrie de la soie a fait la gloire de Lyon et sa renommée. Mais depuis une dizaine d’années les crises se succèdent. La soie est concurrencée par d’autres tissus, moins chers. On a vu de célèbres ateliers fermer leurs portes les uns après les autres. Je ne sais pas comment cela finira…

Mais je parle, je parle ! et nous voilà arrivées sans même que nous nous en soyons aperçues !

Nous sommes en effet arrivées au n°35 depuis un petit moment mais, subjuguée par l’histoire de Célestine, je ne l’avais pas remarqué. Elle reprend, un peu rêveuse :

- Ce quartier en a fait du chemin. Comme moi finalement : tu te rends compte, moi, la fille d’un petit cultivateur de montagne, me voila citadine et rentière ! oui : rentière ! c’est ce que l’agent recenseur a inscrit en face de mon nom la dernière fois qu’il est venu nous inscrire dans ses grands registres il y a deux ans. Ça, on peut dire que j’en ai fait du chemin. De la campagne à la ville, des sabots aux souliers, du dénuement à l’aisance… Mais bientôt il me faudra entreprendre un autre chemin car je suis au bout de ma vie, je le sais bien… Regardant à l’Est elle ajouta : je n’ai pas de regret car j’ai eu une belle vie, mais… pour mon dernier chemin j’aurai bien aimé aller au levant, retourner au pays, être inhumée aux côté de mon époux… Pointant le doigt dans la direction opposée : au lieu de ça, je pense que j’irai plutôt du côté du couchant... 
Suivant son regard, j’imaginai, au-delà des immeubles, le cimetière de la Croix-Rousse.

Je comprenais sans mal ce sentiment de vouloir retourner au pays. Cependant, je restais sans voix : que dire ? je savais bien que jamais Célestine ne reviendrait dans ses chères montagnes. Heureusement c’est l’instant que choisit Philomène pour sortir de l’épicerie et nous accueillir sans remarquer notre nostalgie, toute à la joie de nous recevoir. Avant d’entrer dans la boutique et de partager cet heureux moment de rencontre, je regardai une seconde en direction du dernier chemin qui ne sera jamais pris…

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Un grand merci à Marie qui a guidé mon chemin dans cette grande ville…