« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

mardi 12 novembre 2019

#ChallengeAZ : J comme justaucorps et chemisette

Un autre mystère concernant Jean Avalon (voir l’article d’hier déjà) : ses vêtements

Son inventaire après décès recense :
- un chapeau,
- des gamaches grises (guêtre ou jambières en étoffe ou en cuir qui enveloppait le pied et la jambe jusqu’au genou),
- dix chemises,
- deux caleçons de toile,
- deux paires de hauts de chausse dont une de couleur,
- deux manteaux,
- un justaucorps,
- une paire de bas blancs
- deux chemisettes blanches.

On remarque des vêtements correspondant à une classe de gens plutôt aisés, notamment le justaucorps et les bas blancs. Mais hormis les chemises qui se trouvent en quantité, Jean n'avait qu'un ou eux exemplaires de chaque : était-ce juste le "costume du dimanche" ?

Il nous manque par ailleurs les chaussures : Jean n'allait sûrement pieds nus, mais que portait-il : chaussures de cuir ? Bottillons ? Bottes ?... Sabots ?

Outre le fait que les armoires ne sont pas très garnies en linge pour un homme aisé qui est à la fin de sa vie, c’est l’état des vêtements qui surprend. En effet la plupart sont dit, au mieux, usés, au pire « vieux ».


Linge © Pixabay

Et madame ? Décédée seulement quelques mois plus tôt (en janvier 1700), on ne trouve cependant pas de linge de femme dans l'inventaire : robe, cotillon, coiffe n'apparaissent pas. Les a-t-on déjà donnés ? Aux filles du couple ? Aux pauvres ? Mystère.

Quand au linge de maison, il comprend une vieille nappe de table et du linge de literie (détaillé avec les lits dans la lettre M). Sans trop dévoiler de secret, on peux déjà dire que ce linge est généralement dit usé ou vieux.

Donc cet homme qui a plusieurs maisons et entrepôts, terres et domaines, argent qui dort (chez ses créanciers), va vêtu comme un pauvre hère et dort dans du vieux linge. Est-ce qu’il était pingre ? Était-ce une nécessité (c'est-à-dire n’avait-il véritablement pas d’argent pour s’acheter des vêtements malgré toutes ses possessions) ? Ou bien est qu’il se fichait bien de sa mise ?

Là encore, difficile de répondre à cette énigme.


lundi 11 novembre 2019

#ChallengeAZ : I comme instruction paradoxale

On peut sans conteste classer Jean Avalon parmi les notables de sa ville : il est marchand boucher, parfois élu consul de sa communauté, et brasse une certaine fortune comme le montre ses 400 actes notariés.

On peut facilement supposer qu’il a donc de l’instruction. D’ailleurs, dans son inventaire après décès on trouve :
- « vingt petits livres partie en latin et partie en françois»
- « trois écritoires [et un] cornet de poudre » (la poudre était appliquée pour absorber le surplus d’encre afin d’éviter les bavures malencontreuses).
En tant que marchand il sait compter (et les actes notariés prouvent qu’il tenait bien ses comptes, notamment quand il fallait recouvrer une créance impayée). Les livres nous laissent supposer qu’il sait lire non seulement le français mais aussi le latin. Enfin les écritoires indiqueraient qu’il sait aussi écrire.

Or Jean Avalon ne signe aucun des actes qu’il passe car, lorsqu’on vient son tour, il déclare « ne sachant [le faire] de ce requis ». Voici donc un joli paradoxe d’un homme qui a tout l’air d’être instruit mais ne sait pas signer.


Plume et papier © pixabay

Peut-on savoir écrire et ne pas savoir signer ? Cela m’étonne car une fois que l’on connaît ses lettres, on peut mettre son nom au bas d’un document, même si la signature est malhabile et sans ruche ou autre fioriture.

Autrefois on pouvait très bien être marchand sans savoir lire : compter suffisait. Beaucoup savaient établir des prix « de gros » en multipliant des prix unitaires. Ces marchands, gros ou menus, devaient tenir des livres de comptes car la plupart des achats ne se réglait pas comptant mais, au mieux, à la fin de l'année ou quand le compte du client s'allongeait par trop [1]. Est-ce le cas pour Jean ?

Mais alors que font les livres et les écritoires dans ses possessions ? Est-ce juste pour la galerie ? Est-ce que ce sont des cadeaux (on sait qu’il fait souvent affaire avec la comtesse), dont il n’a pas (ne peut pas) avoir l’usage ?

Son épouse ne sait pas signer non plus : ce n’est donc sans doute pas elle qui passe ses soirées au coin du feu à tourner délicatement les pages d’un des petits livres.

Cette histoire d’instruction reste donc un mystère.


[1] Source : Alain Derville, L'alphabétisation du peuple à la fin du Moyen Age 


samedi 9 novembre 2019

#ChallengeAZ : H comme houe et valise

Si la plupart des documents notariés de Jean Avalon concerne des terres, deux documents principaux nous renseignent sur les possessions de mon ancêtre : ce sont l’inventaire après décès et le partage de ses biens entre ses héritiers.

On y trouve les objets en rapport avec son métier de boucher, qui sont essentiellement composés de poids à peser de différentes tailles (dont certains en étain), des balances « romane », des « ais » (planche de bois servant d’établi ou forte table pour couper des dépecer la viande) et un quart à mesurer. La boucherie contenait aussi « une ache à tuer les bœufs et vaches, un petit couteau pour la boucherie, trois autres méchants couteaux, 13 crochets à pendre la chair ». Sept chaudrons, de différentes tailles, sont comptés : sans doute servaient-ils aux préparations du boucher.

Tranchoir © dytic.over-blog.com

On trouve aussi divers outils qui nous renseignent sur sa vie quotidienne : une houe, des petites bêches de fer, des faux pour couper les buissons, une petite trémie (grand entonnoir destiné à recevoir et trier divers matériaux, comme le grain) et trois crible à cribler le blé (instrument percé d'un grand nombre de trous qui sert à trier, ici en l’occurrence du blé) ; outils servant au travail de la terre.

Sont recensés ensuite :
-  des charretées de bois (dont des merrains et des douelles) et un coin à fendre le bois : le bois était-il destiné à la vente ou à son utilisation personnelle (notamment la fabrication de tonneaux à vin) ?
- un peigne pour peigner le chanvre.
- des fossoirs de fer (houe généralement utilisées pour le labour de la vigne), une comporte (cuve de bois servant au transport des raisins), plusieurs paniers de vendange, et des récipients pour contenir le vin : une pipe, des grands tonneaux, trois barils, des barriques (vides ou remplies de vin).

Bien que boucher, il possédait en effet plusieurs parcelles de vignes. Visiblement il avait aussi des terres en culture, dont peut-être une chenevière, à moins qu’il achetait le chanvre déjà coupé car son inventaire fait mention de « trois balots de chanvre ».

L’un des paniers de vendange était rempli de « mechante laine » : de deux choses l’une ou on filait et tissait chez les Avalon ou on stockait dans l’intention de les revendre le produit de ses terres et les laines des moutons abattus pour la boucherie. Ou les deux.

Le recensement de ses possessions fait aussi mention d’un pistolet de ceinture et d’un fusil. Si la possession d’armes n’est pas très courante, elle n’est pas extraordinaire non plus. Cependant un doute subsiste quant au fusil : est une arme ou… la simple tige d’acier sur laquelle on aiguise les couteaux (de boucher) ?

Notre homme possédait aussi une valise, un sac et un petit sac : faisait-il de nombreux déplacements ? Il avait d’ailleurs une bride avec sa têtière, ainsi qu’un « estrier » (une paire d’étriers ?) et des « esperons », ce qui sous-entend cheval ; mais l’animal était-il destiné à se déplacer ou… à être débité, vendu et mangé ? De même les cordes étaient-elles destinées à mener le bétail acheté dans les fermes jusqu’au lieu d’abattage ou à tout autre emploi ?

Enfin, il y avait aussi des réserves : on a parlé du bois, du chanvre, de la laine, mais ont été dénombrés également des peaux de moutons, du foin, des chaumes, une caisse contenant des légumineuses (pois, fèves, vesces), des châtaigne séchées, de l’huile de noix et un quartier de lard.

Ces inventaires recensent aussi du mobilier, de la vaisselle, du linge, etc… que nous verrons aux lettres J, M et W.