« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

vendredi 24 novembre 2023

U comme Union

A Conques il existait un couvent. On trouve cette communauté féminine sous plusieurs noms : Sœurs de l'Union, Filles de l'Union ou Filles du Travail.


Ancien couvent des Sœurs de l'Union


Elles furent établies à Conques vers 1733 pour enseigner (« dire la leçon ») aux jeunes filles. Pour cela, elles ne percevaient pas d’honoraires (contrairement au maître d’école, pour les garçons, qui percevait 150 livres). Au milieu du XVIIIème siècle elles étaient 8.

Ce sont elles qui ont donné le terrain où s’est établi l’hospice. Deux d’entre elles étaient au bureau dudit hospice.

 

Ces sœurs s’apparentent aux communautés de « pieuses filles » fondées à partir du XVIIème siècle, intermédiaires entre les tiers ordres (association de fidèles s'inspirant, le plus souvent, de la règle d'un ordre religieux) et les congrégations religieuses. Elles se distinguent des nonnes qui prononcent des vœux, apportent une dot à leur communauté, que l’on trouve davantage en ville.

 

Elles étaient dites parfois « sœurs agrégées » ou « associées ». Le succès vient de la polyvalence des sœurs, ce qui correspond aux besoins des communes rurales des régions pauvres : elles soignent les malades et les orphelins, assistent les mourants, font la toilette du mort, entretiennent le linge d’église, catéchisent les enfants, les initient au moins à la lecture comme aux travaux d’aiguille. Elles s’adressent en particulier aux jeunes filles des milieux pauvres. Simplicité, pauvreté et amour du travail les caractérisent. Elles sont souvent d’origine modeste. Ces communautés peuvent être très petites, comptant moins d’une dizaine de sœurs.


Les Sœurs de l’Union Chrétienne s’inscrivent dans ce courant. C’est une congrégation fondée en Rouergue au XVIIème siècle. Les sœurs se présentent à l’origine non comme des religieuses, mais comme des « veuves ou des filles unies dans une maison pour l’éducation et l’instruction des jeunes filles ». Devant leur succès, l’évêque de Rodez les reconnaît officiellement et leur accordent un règlement en 1682. En 1700 ces religieuses enseignantes obtiennent les lettres patentes du roi qui leur assure une reconnaissance officielle. Présentes dans les villes, dès les années 1680, elles ont, par la suite, essaimé dans tout le Rouergue en assurant une instruction sommaire aux jeunes filles.

Plusieurs Sœurs de l’Union apparaissent dans les registres paroissiaux.

Sépulture Françoise Issanjou/Issanchou, 1783 © AD12

"Françoise Issanchou sœur des Filles de l’Union âgée d'environ soixante et dix ans, mourut audit couvent le 22 janvier 1783 et fut enterrée le lendemain par nous curé soussigné, en présence de Me Jean Pierre Aymé vicaire, d'Arnaud Costes qui n’a su signer de ce requis"

 Elle était probablement la fille de mes sosas 1118 et 1119.

 

Sépulture Jeanne Astorg © AD12

"…a été inhumée Jeanne Astorg agrégée aux Filles de l'Union de cette ville décédée de la veille âgée d’environ 75 ans…"

Sépulture Catherine Cabroulie, 1790 © AD12

"L’an 1790 et le 6ème octobre a été inhumée Catherine Cabroulie fille agrégée aux Sœurs de l'Union de cette ville, restante à l'hôpital, décédée de la veille âgée d’environ 28 ans…"

 


 

 

jeudi 23 novembre 2023

T comme Tombeaux et levées des corps

Les curés de Conques sont assez avares de détails concernant les tombeaux des défunts. Toutefois certains des paroissiens de Conques se voient gratifier de quelques précisions quant à leurs décès.

Mise au tombeau, Anonyme, XIXème siècle © Louvre 


  • Quelques rares mentions du cimetière :

"L'an 1788 et le 13ème juillet est décédé Jacques, fils à père et mère inconnus, au village de Lapade paroisse de Montignac âgé d'environ cinq mois, a été inhumé dans le cimetière de cette paroisse en présence de Jacques Alran et de Joseph Delannes qui n'a su signer"

 

Sépulture Jean Escudier, 1784 © AD12

"Jean Escudier maçon veuf âgé d’environ 70 ans mourut le 6e février 1784 et fut inhumé le lendemain dans notre cimetière par nous curé..."

"Ce 8e mars même année un garçon maréchal ferrant natif de la paroisse de Bouillac habitant Conques depuis environ 20 ans a été trouvé noyé au dessus de la chaussée du moulin de Combelong sur les frontières de la paroisse de Noailhac et la vérification faite par la justice il a été enterré le 10 du mois de l'agrément du sieur père de Noailhac dans le cimetière de Conques. Il étoit âgé d'environ 65 ans"


  •  Les tombeaux des chanoines :

"…a été inhumé dans le cimetière et les tombeaux du chapitre messire Charles Lacarbonniere chanoine du chapitre de Conques…"

"… a été inhumé dans le cimetière et dans les tombeaux du chapitre messire Marie Anne François Charles Masson chanoine du chapitre de Conques…"

 S'agit-il de l'ancienne tour servant de caveau aux chanoines ?


"Marie Jeanne Besombes âgée de 4 ans fille légitime et naturelle de Pierre Besombes maréchal et d’Anne Toulouze mariés décédée le jour d’hier a été inhumée ce jour d’hui 8 septembre 1785 dans un tombeau appartenant à Mr Guiot de son consentement et pour cette fois ci seulement…"

Ce Mr Guiot est l’un des chanoines du chapitre. Histoire curieuse de cette enfant inhumée dans le tombeau d'un chanoine : les actes paroissiaux ne disent pas tout...


  • Autre tombeau :

"Le 15 est décédé Marion Laville fille légitime à feu Laurent Laville et Foy Vernhes mariés de la ville de Rodez et a été inhumée le 16 de février 1780 au cimetière devant un tombeau appartenant à la fraternité situé derrière la chapelle de St Jacques âgée de 7 ans…"

Pour mémoire les prêtres de la Fraternité disposaient de leur propre chapelle, dédiée à St Thomas de Cantorbery. Les notables s'y faisaient enterrer (voir à ce sujet la lettre H de ce ChallengeAZ). Laurent Laville était fils de notaire, qualifié de bourgeois; son épouse fille de marchand.

 

  • La levée des corps :
Sépulture Foy d'Humières, 1784 © AD12

"Noble Foy d’Humières âgée d’environ 62 ans décédée le jour d’hier a été inhumée ce jour d’hui 5ème août 1784. En présence de Me Jean Pierre Aymé vicaire et de Me Jean François Labro hebdomadier du chapitre. L'enlèvement a été fait par le chapitre de notre consentement lequel consentement nous a été demandé par ledit chapitre qui nous a envoyés Mr Labro hebdomadier dudit chapitre pour l'obtenir et lequel nous avons accordé après qu'il ait été convenu avec Mr labbe de Masson syndic dudit chapitre et en présence dudit Me Labro que cela étant une pure concession de ma part cela ne tiendrait ne tirerait à aucune conséquence pour l'avenir, nous présents à l'enlèvement du corps qui a été fait dans la chambre de Mademoiselle d'Humières où nous sommes montés avec l'officiant toutes les cérémonies faites à l'autel de paroisse"

Foy d'Humières était la fille du seigneur de diverses places. Elle vivait avec sa mère et ses sœurs au château d'Humières dans les hauts de Conques. La levée du corps est faite par les chanoines avec le consentement du curé de la paroisse et en présence de celui-ci, avant la cérémonie funèbre à l'autel de la paroisse.

 


Sépulture de Pierre Benezech, 1788 © AD12

"L’an 1788 et le 18ème décembre a été inhumé Pierre Benezech marchand décédé de la veille, époux de Jeanne Baurs, âgé de 71 ans, à laquelle inhumation a assisté le chapitre, de notre consentement donné aux parents du défunt, et nous avons assisté au présent enterrement et sommes entré en la maison du défunt pour faire l'enlèvement et conjointement avec Me Figeagol chanoine officiant, et le tout s'est fait en présence de monsieur Antoine la Rousse vicaire de la présente paroisse et de Jean Baptiste Fabre régent des écoles soussignés avec nous"

Les chanoines du chapitre ont donc assisté à l’enterrement du marchand, mais avec l’accord du curé de la paroisse. Après la levée du corps, une procession s’est déroulée de la maison du défunt jusqu’à l’église. Et c’est l’un des chanoines qui a procédé à la cérémonie. Mais pas n’importe lequel : Me Figeagol (ou Fijagol) était aussi vicaire général du chapitre (premier collaborateur de l’abbé).

 

 

mercredi 22 novembre 2023

S comme Sages-femmes

On trouve de nombreuses références aux sages-femmes dans les registres de Conques.

Sage-femme, J. Ruff © BIU Santé Médecine

Selon le dictionnaire de l’Académie Française en 1694, « On appelle ainsi celle dont le métier est d'accoucher les femmes », avec pour étymologie « Sage » dans le sens d'habile.

Les sages-femmes rurales sont généralement des femmes ayant une expérience personnelle des accouchements. Elles portent assistance aux autres femmes au moment de leur accouchement. Leurs formations sont très diverses essentiellement basées sur la transmission individuelle et sur une connaissance empirique grâce à leur propre expérience de la maternité. Dans les milieux urbains des formations plus « professionnelles », institutionnalisées, existent aussi.

Sous l'Ancien Régime, sage-femme est un métier, et plusieurs ordonnances royales, en particulier sous Louis XIV, exigent que toutes les communautés de village choisissent une sage-femme et décident de percevoir une contribution pour payer leurs gages comme pour les maîtres d'école.

La sage-femme se doit d’être « vertueuse » et de bonne moralité, car elle peut être amenée, en cas d’urgence, à administrer le baptême. Elles reçoivent pour cela une « formation » de la part du curé. Aussi, les conciles exigent des sages-femmes qu’elles aient « un témoignage de catholicité ou du curé ou de l’évêque [et] qu’elles [soient] approuvées par l’évêque ou son vicaire ». En cas de baptême administré par les sages-femmes, elles devaient trouver au moins deux personnes qui soient témoins du baptême qu’elles administrent, afin que le curé puisse les interroger lorsque l’enfant sera porté à l’Église pour officialiser le baptême.

 

Dans les registres de Conques, je compte quatre sages-femmes.

Baptême Xxx Marty, 1786 © AD12

"Un enfant naturel de Pierre Marty vigneron et de Marie Jeanne Cabrolier mariés est né le 15 octobre 1786 et a été ondoyé à la maison y ayant cas de nécessité par Marguerite Bories sage femme…"

 

"Est né hier 11e mars 1787 un enfant mâle fils naturel et légitime de Jean Delannes vigneron et de Marie Carmes mariés et fut ondoyé à la maison par mademoiselle Vergnhes sage femme qui a signé"

Celle-ci est l’épouse de Pierre Bories, maître chirurgien.

 

"Une fille naissante d'Antoine Anterrieux vigneron et de Marie Jeanne Serles mariés fut ondoyée à la maison y ayant cas de nécessité par Marie Carles sage femme et mourut de suite le même jour 12 juin 1790 et fut enterrée le lendemain."

 

Les deux premières ne sont citées qu’une seule fois durant la décennie étudiée. Marie Carles ondoie 4 nouveau-nés et est marraine de 3 autres.

 

Baptême Anne Vigouroux, 1784 © AD12

"... la baptisée qui avait reçu l'eau a la maison par Jeanne Rols sage femme y ayant cas de nécessitté ainsi qu'elle nous la assuré..."

Jeanne Rols semble être la sage-femme principale. Elle intervient à partir de 1780 et jusqu’en 1792 au moins. Elle ondoie 11 enfants, en présente 2 autres et est témoin à 1 naissance. Avant elle, les sages-femmes ne sont jamais nommées dans les actes paroissiaux : est-ce un hasard ou est-ce parce qu’il n’y avait pas de sage-femme « officielle » ? Elle est prénommée Jeanne au début, une fois Janetelle (surnom ?) en 1782, puis Anne (parfois en 1784 puis à partir de 1788) ; en 1792 elle est nommée Raouls.
Elle est peut-être la fille de Joseph et Marie Jeanne Bousquet (mes sosas 272 et 273), Jeanne, née en 1751. Elle aurait 29 ans lorsqu’on la rencontre la première fois en tant que sage-femme. Cependant elle ne semble pas mariée ni mère (je n’ai pas trouvé son décès). Elle n'apparaît jamais dans les registres hors de son rôle de sage-femme.
Autre hypothèse : Elle se nommait en fait Raouls
(le patronyme Raouls est couramment dit Rols dans les registres, ou inversement). Dans ce cas, je compte 4 candidates possibles :

  • Jeanne Raouls née en 1725, fille de Géraud et Marie Issanjou (mes sosas 558 et 559). Née en 1725 elle aurait 67 ans lors de son dernier accouchement.
  • Jeanne Raouls, fille de Jean Raouls mon sosa 526 et de sa seconde épouse Anne Durieu.
  • Jeanne fille de Pierre et Anne Fontanier, née en 1711, mariée en 1745 avec Jean Arnaud.
  • Jeanne fille de Guillaume et Marie Delagnes, née en 1713, mariée en 1742 avec Jean Fournier, originaire de la paroisse voisine de Saint Marcel. 

Je n'ai plus trouvé trace des deux premières après leurs naissances. Si les deux dernières sont bien des femmes mariées, elles étaient âgées de plus de 80 ans lors du dernier accouchement (si toutefois elles étaient encore vivantes à cette date : je n'ai pas trouvé leurs décès).

 

Curieusement Marie Carles ondoie une fille « a pere et mere inconnus » ! Le père, passe encore, mais la mère devait bien être un peu connue…

Baptême Jeanne, 1786 © AD12

"Jeanne fille a pere et mere inconnus a été baptisée à la maison par Marie Carles y ayant cas de necessité, les autres cérémonies lui ont été supplées aujourd'hui 30 juin 1786 par nous vicaire soussigné après quelle nous a été présentée par Jeanne Rouquette veuve de Pierre Brozes qui a été sa marraine et qui nous a certifié que ladite Jeanne était née hier au soir et qui requise de signer a dit ne savoir ainsi que ladite Carles"

 

Jeanne Rols présente un enfant né dans les mêmes conditions :

"Antoine fils a pere et mere inconnus présenté par Jeanne Rols sage femme ..."

 

En fait, cela n’est guère étonnant car les sages-femmes étaient tenues à ce que l’on appellerait aujourd’hui le secret professionnel. Elles doivent garder inviolablement les secrets qui lui sont confiés. Comme l’identité d’une mère qui ne souhaite pas être connue par exemple.