« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

samedi 23 juin 2018

#Généathème : Des ancêtres

Pour ce #Généathème de juin laissons faire le hasard : la loterie des ancêtres s'est chargée de désigner le/la personne à étudier. Et c'est le numéro 73 qui est sorti pour moi !

Mon sosa n°73 est donc forcément une femme (numéro impair) [1]. Elle se nomme Michelle Dubois. Elle appartient à la branche angevine de mon arbre. Comme c’est une femme, je n’ai que peu d’information sur elle (les femmes sont toujours moins présentes dans les archives). Néanmoins, je sais qu’elle née en 1768 dans la paroisse de Jarzé, située à une trentaine de kilomètres au Nord Est d’Angers, d’où vient un grand nombre de mes ancêtres. Dans les années 1790 Jarzé compte un peu plus de 1 600 habitants.

Michelle n’a pas connu ses grands-parents, tous morts avant sa naissance. 

Ses parents, René Dubois et Jeanne Redessant  (dont on connaît une dizaine de variantes orthographiques du nom au fur et à mesure des actes) se sont mariés en 1754 et ont donné naissance à 9 enfants (3 fils et 6 filles). Michelle est la numéro 8. Comment se sont-ils connus ? Difficile à dire. Mais on ne peut manquer de remarquer que leur premier enfant naît trois mois seulement après le mariage ; il était temps ! Ce fils, hélas, ne verra pas l’âge adulte : il meurt âgé d’à peine trois ans.

La famille Dubois a quelque peu bougé : les 5 premiers enfants naissent à Echemiré, les 4 derniers à Jarzé. Il semble que, comme son père avant lui, René Dubois ait déménagé au fil des emplois trouvés : travailleur de la terre, il est tantôt dit closier tantôt cultivateur. Il est né à Jarzé. Son épouse Jeanne est dite de même, mais son acte de naissance n’y a pas été trouvé. Il semble que la famille Redessant habite Echemiré, paroisse voisine, lors du mariage de René et de Jeanne en 1754 ; c’est peut-être la raison qui explique que leurs premiers enfants y soient nés.

Au moment où « notre » Michelle naît, la famille est revenue à Jarzé depuis 4 ans ; elle n’en bougera plus. La paroisse a, selon le Dictionnaire historique et géographique de Célestin Port (1876/1878), « un sol inégal, coupé de vallons et de hauts coteaux boisés ». Vignes et bois se partagent le paysage.

La famille Dubois allait-elle aux grandes foires du 23 avril et celle du 2ème mardi de juin ? Ces foires existaient-elles seulement à leur époque ? Peut-être que les dates n’étaient pas les mêmes, mais sans doute en existait-il déjà et la famille devait s’y rendre, comme la majorité des paysans, ne serait-ce que pour vendre une partie de leur production, faire des rencontres et échanger les dernières nouvelles.

Quoi qu’il en soit, ils allaient forcément à l’église de Jarzé. Celle-ci est dédiée à deux saints peu connus, Saint Cyr et Saint Julitte. Jeanne a-telle raconté leur histoire à Michelle ? Lui a-t-elle dit qu’il y a fort longtemps, dans une ville lointaine, à Tarse, vivait un juge nommé Alexandre qui aimait à condamner les chrétiens. Que Saint Cyr avait à peine cinq ans lorsqu'il se faufila dans le tribunal en criant: "Moi aussi, je suis chrétien". Il courait dans les salles du tribunal et personne ne pouvait le rattraper. Il fallut plus d'une demi-heure pour que le juge mette la main dessus. Devant les exclamations de l'enfant, il lui fracassa la tête contre un mur. Sainte Julitte (ou Julienne), la mère de saint Cyr, fut également martyrisée [2]. De quoi calmer les ardeurs d’une enfant trop remuante sans aucun doute…

L’église s’élève un peu à l’écart du bourg, sur un sol fortement incliné. Une simple église de quatre travées, ajoutées au XVIème siècle à l’édifice primitif, où la petite Michelle Dubois a sans doute contemplé les voûtes en croisées d’ogive ornées de clés armoriées. Peut-être s’est-elle laissée distraire de l’office par la lumière qui entre dans l’édifice par des fenêtres à double meneau. Sa mère l’a peut-être légèrement poussé du coude pour qu’elle recentre son attention sur le prêtre officant dans la nef antique, composée de trois travées, servant de chœur. En partant, la famille a peut-être fait des dévotions particulières à la Vierge, dont une chapelle latérale lui est dédiée .Michelle a-t-elle été impressionnée par le chanoine Grippon dont le cadavre, couché nu, les mains croisées, étaient représenté sous son épitaphe datée de 1524 ? Ne préférait-elle pas contempler les belles statues de Saint Christophe et celle de Notre-Dame qui ornaient, plus loin, la chapelle seigneuriale ? Dans le chœur, a-telle pu s’approcher des stalles dont les miséricordes étaient ornées de feuillages, chauves-souris, « têtes de sauvages et bêtes fantastiques » ?

Église de Jarzé, lithographie de Deshayes et Bachelier, XIXe © AD49

Je n’ai trouvé aucune information particulière sur l’enfance de Michelle. Sans doute s’est-elle écoulée comme toutes celles des enfants de cultivateurs, au milieu d’une nombreuse fratrie. La seule anecdote notable est que le curé s’est trompé en rédigeant son acte de naissance : il a noté que le nom de sa mère était Dubois (son nom d’épouse) et non Redessant (son nom de jeune fille).

Est-ce qu'à la veillée on racontait des histoires à faire peur, des anecdotes du passé ? comme les épisodes de peste qui ont décimé la population angevine, notamment celle des années 1640 ; ou bien encore l’histoire de cette femme tuée en 1611 à coup de bâton et achevée d’un coup de pistolet parce qu’on l’accusait d’être une sorcière (et cependant enterrée dans le cimetière de Jarzé) ? Est-ce que pour garder les enfants à la maison on leur parlait de la « bête féroce » qui dévorait les enfants isolés de la paroisse quelques 70 ans plus tôt ?

Lorsqu’elle a 26 ans, Michelle et sa famille vont sans doute assister à l’ouverture de l’enfeu seigneurial : formant deux caveaux, on y trouva quatre cercueils « usés et vétustes », dont deux étaient brisés. Le tout fut transporté à Baugé. Cela a dû représenter un événement important dans la vie paroissiale et alimenter bien des conversations.

Est-ce que la période troublée de la Révolution a eu un impact direct sur leur vie ? Difficile à dire. Le château seigneurial, par manque d’héritiers mâles, avait déjà été plusieurs fois vendu. Il est loin le temps où le roi Charles IX s’y était arrêté pour dîner. Jarzé connu bien quelques troubles, notamment en 1794 lorsque l’armée vendéenne incendia le château, mais on ne signale pas d’autres événements graves.
La famille ne semble pas avoir déménagé à cette période, ni changé d’emploi, mais les sources la concernant sont assez lacunaires et il est délicat de combler les trous.

Michelle se marie assez tard, à 29 ans, avec un cultivateur nommé Louis Lejard (en 1798). La famille Lejard est aussi un peu nomade, même si elle reste dans un cercle géographique relativement restreint : Vieil Baugé, Le Plessis Grammoire, Fougéré, Clefs, Saint Quentin les Baurepaire… Les nombreuses variantes orthographiques de leur patronyme m’ont souvent causé quelques difficultés pour les pister (sans compter les nombreux déménagements). Louis est né au Vieil Baugé, un peu par hasard puisque ses parents déménageait environ tous les 5 ans. Il a 27 ans lorsqu’il épouse Michelle. Celle-ci a perdu son père 6 ans plus tôt : est-ce l’un de ses frères (tous deux témoins de son mariage) qui l’a menée à l’autel ? Je ne connais au couple que trois enfants, nés entre 1799 et 1806, mais peut-être d’autres m’ont-ils échappé lors de déménagements demeuré inconnus. Entre temps, Michelle assistera au décès en sa mère, en 1800.

Le fils aîné des Lejard, Louis, né en 1799, est mon ancêtre direct. Il est l’arrière-grand-père maternel de mon grand-père. Michelle assistera à son mariage en 1826 à Saint Barthélémy d’Anjou, avec Marie Pillet. Celle-ci est aussi issue d’une famille de cultivateurs qui a un pied à Jarzé, un pied ailleurs selon les circonstances. Michelle verra la naissance de ses 4 petits-enfants.

Elle s’éteindra à Jarzé en octobre 1840, dix ans avant son époux, à l’âge de 71 ans.


[1] Pour mémoire les numéros sosa sont une façon de compter et d’identifier les ancêtres : la souche de l’arbre est le n°1, son père le 2, sa mère le 3, son grand-père paternel le 4, etc… De cette façon tous les numéros pairs sont des hommes et les numéros impairs des femmes.
[2] Ce qui fait de Saint Cyr l’un des plus jeu martyr de la chrétienté. Des variantes existent sur l’histoire, mais le crâne de l’enfant finit toujours par être fracassé. De même, son nom connaît plusieurs formes : Cirgues ou Cirq par exemple. 42 localités portent ce nom (Saint Cirq Lapopie, dans le Lot, est l’une des plus connue). Source : Nominis.

4 commentaires:

  1. Dans l'église de Jarzé en Anjou, à gauche du choeur,tombeau d'Isabeau Deslans femme de Bertrand de Tessé chevalier,morte en 1434.
    https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b6905015v.item

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  2. Dommage,le lien ne fonctionne pas !

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    1. Le lien n'est pas cliquable, mais on peut accéder au contenu en faisant un copier-collier dans la barre d'adresse de son navigateur internet préféré !
      Mélanie

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