« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

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vendredi 25 août 2017

#Généathème : l'album énigmatique

Roman – Paru dans la collection Série généalogique, première édition 2043.

La journée avait commencé comme d’habitude : check des mails, messages sur les réseaux sociaux, vérification des dossiers clients… J’avais préparé des litres de boisson énergisante pour la tâche qui m’était dévolue aujourd’hui : rechercher un acte de naissance dans les registres parisiens.

Depuis mes débuts dans le métier, la technique avait fait beaucoup de progrès avec la mutualisation des métadonnées régionales et internationales… Sauf quelques régions qui résistaient encore, comme le « Grand Paris » (ce qui correspond à une douzaine des anciens départements, la mégalopole s'étant considérablement étendue ces dernières décennies), qui voulaient garder « leurs trésors » pour eux seuls. Comme si la diffusion et le partage étaient un vol caractérisé. Du coup, je me retrouvais à chercher un acte, depuis la troisième journée déjà, et je n’avais que compulsé que deux années et demi pour un seul arrondissement parisien. Si je ne le trouvais pas aujourd'hui je devrais passer à d’autres arrondissements, au hasard : j’en aurai pour des années de vaines recherches à ce train-là !

Tiens les vaines recherches, ça me rappelle ce vieil album de photos qu’une cliente m’avait apporté au début de ma carrière : elle l’avait trouvé dans un lot acheté chez un brocanteur. Elle voulait le rendre à son propriétaire légitime, mais l’album n’était pas légendé et elle n’avait aucune piste pour le retrouver. Elle me l’avait confié et j’avais commencé les recherches. Au premier abord, c’était l’album d’une vie. Des photos qui montrent le temps qui s’écoule : les jeunes fiancés qui se fréquentent, le mariage, l’arrivée successive des enfants, le vieillissement de la génération précédente, les vacances, les communions, les scouts, et puis les fiançailles des enfants devenus grands. Le cycle de la vie. Mais pas de nom. J’avais passé tellement de temps sur cet album que je le connaissais par cœur. A force, j’y ai vu aussi ces éléments plus ou moins invisibles : les lieux d’habitation, les modes vestimentaires, les rites religieux, le niveau social, etc…

Ou une certaine sensibilité artistique du photographe (le père sans doute), qui transparaît au fil des pages, dans les mises en scènes par exemple :

La jeune mariée dans ce qui est sans doute son premier appartement d’épouse © Coll. personnelle

Notez le jeu dans le reflet du miroir permettant de voir le visage de l’épouse.

Les deux filles adolescentes © Coll. personnelle

Un beau cadrage : une grotte enveloppante et maternelle pour deux belles jeunes filles…

Mais malgré de patientes recherches je n’avais jamais pu identifier l’auteur de l’album. Il était resté là, dans un coin de mon bureau. La cliente n’était jamais reparue. De temps en temps l’album m’appelait… comme aujourd'hui. 

Je mets un moment à le retrouver, mais il est bien là. Je caresse la couverture de faux cuir vert. C’est en fait un ensemble de feuillets de carton sur lesquels sont collées les photos, relié par un lacet de cuir désormais élimé. La reliure en est si étroite que les photos du bord intérieur sont difficilement visibles en totalité, mais le nœud était si serré qu’on ne pouvait le défaire sans trancher le lien ; et je n’avais jamais pu m’y résoudre.

Cela faisait longtemps que je ne l’avais plus ouvert. Mais maintenant, avec les technologies nouvelles, je pourrais peut-être faire une nouvelle tentative. On avait fait des progrès en la matière depuis mon premier ordinateur TO7 ! Désormais on pouvait lancer des recherches automatiques et attendre que ça « match », comme dans les séries policières du début des années 2000 : reconnaissance faciale, triangulation d’un lieu grâce à sa silhouette, la position du soleil, etc…

Tant pis ! Adieu les roboratifs registres parisiens : je veux savoir moi aussi qui sont les gens sur les photos. Je lance la recherche automatique. Pendant que l’ordinateur travail je résume ce que je sais déjà : un couple dans les années 1930, d’après leurs vêtements - il y a plus d’un siècle déjà ! – leur mariage, leurs sept enfants qui se ressemblent tellement qu’on dirait des septuplés. Je me rappelle mes premières recherches : je tentais de les différencier en me basant sur leurs vêtements, avant de m’apercevoir que lorsque l’un grandissait, le suivant récupérait ses habits. Raté !

Bien sûr l’habitude que les parents avait prise d’aligner leurs enfants dans l’ordre de naissance facilitait l’identification (n°1, n°2, n°3…).

n°1 © Coll. personnelle

n°1, n°2 © Coll. personnelle

n°1, n°2, n°3 © Coll. personnelle

n°1, n°2, n°3, n°4 © Coll. personnelle

n°1, n°2, n°3, n°4, n°5 © Coll. personnelle

n°1, n°2, n°3, n°4, n°5, n°6 © Coll. personnelle

n°1, n°2, n°3, n°4, n°5, n°6, n°7 © Coll. personnelle     

Mais quand ils sont « mélangés », c’est tout autre chose ! Et puis il y a les vacances à la mer... et les maillots de bain en laine !


n°6 © Coll. personnelle   

Et ensuite l’adolescence, les yéyés…

Soudain, une sonnerie retenti, me sortant de ma nostalgie : match ! Des lieux sont reconnus : la grotte de Lourdes, le domaine du Hutreau près d’Angers, le château de Chambord, La Guérinière sur l’île de Noirmoutier (aujourd'hui engloutie par la montée des eaux), la Loire. Bon honnêtement j’en avais déjà reconnus certains, mais pas La Guérinière.
Second match ! Grâce à une photo de l’aîné des enfants en uniforme militaire, le lien est établi via les fiches matricules. Miracle de la technologie nouvelle. L’aîné des fils étant connu, il suffit en quelques clics de retrouver le reste de la famille. Confirmation de l’identité des enfants avec les registres des communiants, puis ceux des jeannettes et des scouts qui correspondent aux photos de l'album. Les parents, grands-parents sont aussi facilement identifiables grâce aux bases de données biométriques.

Je continue à pianoter sur mon clavier tactile inclus dans ma table de travail. Hélas les registres de décès me confirment ce que je pressentais : la plupart des membres de cette famille marche dans le Monde d’Après. Mais il reste un fils encore vivant, un vieil homme aujourd’hui âgé de 95 ans. Je retrouve facilement son domicile et me rend chez lui avec le précieux album. Je ne sais pas trop comment il va m’accueillir.

D’abord réservé, il devient rapidement ému quand il reconnaît l’objet que je suis venue lui apporter. Malgré son grand âge, sa mémoire est sans faille. Ce carnet vert rectangulaire est pour lui comme une à machine à voyager dans le temps, et jusqu’à une époque qu’il n’a pas connu lui-même :
- La rencontre de ses parents lors d’un pèlerinage à Lourdes,
- Leur mariage en 1935,
- Les naissances successives de leurs sept enfants, entre 1937 et 1949 (il est le n°6),
- Les vacances à La Guérinière,
- La première voiture de la famille,
- Le terrain acheté par la famille à Mûrs Érigné, près d'Angers (ex-Maine et Loire) qu’il a fallu défricher et où il faisait bon prendre du repos devant le cabanon construit au bout du terrain,
- La caravane et son auvent qui emportait toute la famille en vacances,
- La maison de la rue Blandeau à Angers et son jardin garni de roses car « ma mère les aimait tant »…



La famille © Coll. personnelle
Au centre la mère, à gauche la tante paternelle, à droite ses beaux-parents
autour les sept enfants. La photo est prise par le père. 

Je lui laisse l’album avec plaisir. Somme toute la journée s’est terminée mieux qu’elle ne s’annonçait. Enfin, demain je devrais quand même me coltiner les registres parisiens. Mais demain est un autre jour…


___

Sources : ma (très) grande imagination (émaillée de vérités historiques) et l'album de la famille Astié, mes grands-parents (où figurent aussi mes oncles et tantes, mon père bien sûr, mes arrière-grands-parents et la "tante Henriette"), dont les clichés datent des années 1930 à 1970.


samedi 25 mars 2017

Dis-moi dix mots 2017

Bientôt va se terminer la Semaine de la Langue Française et de la Francophonie (#SLFF17 - 18/26 mars 2017). Comme en 2015 j'en profite pour jouer avec les mots. Mais pas n'importe quels mots : ceux de l'opération "Dis-moi dix mots" (pour en savoir plus : cliquez ici). Cette nouvelle édition illustre la manière dont le français s’adapte à des technologies et à des usages numériques en constante évolution, en s’enrichissant de sens nouveaux, sans qu’il soit nécessaire d’emprunter à une autre langue : "Dis-moi dix mots sur la Toile". Les dix mots choisis ont pour point commun d'être issus du monde virtuel, empruntés au monde physique et de présenter un fort « potentiel poétique » ; deux d'entre eux ont été créés plus récemment. Chacun de ces mots sont indiqués en gras et font l'objet d'une courte notice en bas de page. Pour le challenge, je l'adapte à la généalogie bien sûr !



Je décidais de revenir dans le passé. Cela faisait longtemps que je cherchais la trace d’un couple, qui ne cessait d’apparaître et de disparaître tour à tour. Au bout de plusieurs mois de recherches, j’avais abandonné l’affaire. Mais régulièrement elle revenait me hanter. Je décidais donc de m’y remettre. J’avais déjà trouvé sept actes les concernant, dans quatre départements différents. Mais ce que je voulais trouver c’était leur acte de mariage, en espérant qu’il me fournirait parenté, naissance et région d’origine, qui sait ? Il faut dire qu’ils ne me facilitaient pas la tâche : ils se nommaient Marie FAVRE et Jean MARTIN. Deux des patronymes les plus portés en France, et je ne parle même pas des prénoms…
Ça m’a pris comme ça, soudain, un soir, en rentrant du travail : dans le bus j’ai pris mon nomade [1] préféré : il contenait une liste de favoris [2] que je consultais régulièrement ; bien qu’en vain jusqu’à présent. Quand soudain une piste ! Je vérifiais dans le nuage [3] mon propre arbre : les deux couples offraient des similitudes troublantes. Bien sûr, c’est le moment que choisit le bus pour arriver à destination. Sans perdre un instant, je rentrais chez moi et allumais aussitôt l’ordinateur. Destination immédiate : le fureteur [4] !
Première étape : confirmer ce que j’avais entraperçu dans le bus. C’était un arbre en ligne qui indiquait le couple FAVRE/MARTIN avec les enfants et décès que j’avais déjà trouvé. Son auteur portait comme pseudonyme une suite de chiffres ("156845") et comme avatar [5] un beau blason multicolore… mais dont les motifs n’existaient pas en héraldique ! Mon cœur d’historienne trembla devant ce sacrilège, mais passant bravement outre je cherchais ledit mariage. Miracle ! Il était situé dans mon propre département. Mais je déchantais vite quand je constatais que personne (associations ou structures officielles) ne l’avait mis en ligne : il n’était hébergé [6] nulle part en ligne. Il me fallu attendre plusieurs jours encore pour pouvoir me rendre aux archives. Des jours qui paraissait une éternité et pendant lesquels je ne pensais guère à autre chose. Enfin, je pus reprendre mes recherches, non virtuelles celles-là.
C’était le troisième volume que je consultais : je m’usais les yeux sur des pattes de mouche, doublées de leurs cousines que l’on apercevait par transparence des feuillets. Je poussais un soupir de désespoir : le mariage tant espéré n’avait pas l’air d’exister. En tout cas pas ici. Pas à cette date. Plein de sollicitude, mon voisin de droite s’enquit des mésaventures qui me faisaient souffler ainsi. Je commençais donc à lui raconter l’histoire mais presque aussitôt je m’aperçus qu’il me télésnobait [7] ! Furieuse, je me demandais pourquoi il m’avait posé une question s’il ne souhaitait pas entendre la répondre. En mon for intérieur, j’inventais promptement une émoticône [8] bien sentie, une de celles qui n’existe pas encore mais que mes ancêtres n’aurait pas renié, et qui dirait un truc qu’on pourrait traduire à peu près par "grippeminaud" ou bien encore "gougnafier".
"156845" et son blason qui n’existe pas était un pirate [9] ma parole ! Je ne sais pas si cela l’amusait de mettre de fausses informations en ligne, mais vraiment je n’en voyais pas l’intérêt. Et je ne le vois toujours pas, bien qu’il me soit souvent arrivé par la suite de trouver ainsi des données erronées, voire complètement invraisemblables. Quel profit en retirer ? A quoi ça sert ?
Je savais qu’on ne pouvait pas faire confiance à ce genre d’individus (ceux qui inventent des blasons farfelus !). Après un examen attentif, je m’aperçus que tous les renseignements valables indiqués pour le couple FAVRE/MARTIN provenaient de mes propres données. Le reste n’était qu’un canular [10]. Et qui s’était vite propagé car je l’ai retrouvé plusieurs fois par la suite, sur d’autres arbres dont la véracité des événements n’étaient pas davantage leur première préoccupation.
Conclusion : toujours vérifier les renseignements à la source… et ne pas trop se réjouir quand on croit avoir trouvé une pépite. Quant aux FAVRE/MARTIN, je les cherche toujours !


[1] Nomade [nɔmad] adjectif et nom - ÉTYM. 1730 ; n. m. pl. 1540 ◊ latin nomas, adis, mot grec, proprement « pasteur ».
 1. GÉOGR. Qui n'a pas d'établissement, d'habitation fixe, en parlant d'un groupe humain qui se déplace.  2. errant, instable, mobile. Peuple, population, tribu nomade.
 ZOOL. Qui change de région avec les saisons.  migrateur.
 2.  PAR EXTENSION Vie nomade, d'une personne en déplacements continuels.  1. errant, itinérant, vagabond.
 3.  N. Peuple de nomades. Les nomades du désert vivent dans des tentes. Nomades à demi sédentarisés (semi-nomades).  forain.
 DR. Tout individu n'ayant aucun domicile fixe, qui se déplace en France, et n'entre pas dans la catégorie des forains.
 4.  Appareil nomade : objet de taille réduite qui permet la consultation, l'échange d'informations sans être relié à une installation fixe (téléphones, ordinateurs portables, agendas, répertoires électroniques…). L'informatique nomade.
▫ Travailleur nomade, qui utilise ce type de technologie pour travailler en toute circonstance, lors de ses déplacements.

[2] Favori, ite [favɔʀi, it] adjectif et nom - ÉTYM. 1535 ; fém. 1564 (favorie 1541) ◊ italien favorito, ita, participe passé de favorire « favoriser » ; cf. moyen français favorir, de faveur.
 I.  Adj.
 1.  Qui est l'objet de la prédilection de qqn, qui plaît particulièrement préféré. Balzac est son auteur favori. C'est sa lecture favorite, son livre de chevet
 2.  Qui est considéré comme le gagnant probable. Ce cheval est parti favori.
 II.  N.
 1.  VIEILLI Personne qui a les faveurs (de qqn). Cet acteur est le favori du public. coquelucheC'est le favori de sa maman.  chouchou, préféré. 
 2.  N. m. HIST. Celui qui occupait la première place dans les bonnes grâces d'un roi, d'un grand personnage.  aussi favorite.
 3.  N. m. TURF Le cheval considéré comme devant gagner la course. Il a joué le favori. Les favoris et les outsiders.
 4.  N. m. INFORM. Adresse d'une page, d'un site web choisie par l'internaute et mémorisée par le navigateur, en vue de faciliter l'accès ultérieur à ce site.  marque-page, signet. 
 III.  N. m. pl. 
Touffe de poils qu'un homme laisse pousser sur la joue, de chaque côté du visage. Il porte des favoris.  1. patte (de lapin), rouflaquette.

[3] Nuage [nɥaʒ] nom masculin - ÉTYM. 1564 ◊ de nue, qu'il a remplacé.
 1.  Amas de vapeur d'eau condensée en fines gouttelettes maintenues en suspension dans l'atmosphère.  1. brouillard, nébulosité ; LITTÉR. nue, nuée ; cirrus, cumulus, nimbus, stratus. Nuages en flocons.  mouton. Nuages de pluie, qui portent la pluie. Nuages bas, élevés. Nuages blancs, gris, noirs. Ciel chargé de nuages ( nébuleux, nuageux), couvert de petits nuages ( moutonné). 
 LOC. Être dans les nuagesêtre distrait ; se perdre dans des rêveries confuses (cf. Dans la lune). 
 2.  PAR ANALOGIE Amas vaporeux, ou mouvant. Nuage de fumée, de poussière. Nuage radioactif : concentration accidentelle d'éléments radioactifs dans l'atmosphère. Nuage volcanique: nuage de cendres provenant d'un volcan en éruption.
 3.  SC. Ce qui forme un amas dense. Nuage électronique (autour du noyau de l'atome). Nuage de points (sur un graphique). Nuage de tags : représentation visuelle de mots clés, la taille des caractères étant proportionnelle à leur fréquence.
 4.  INFORM. Nuage informatique ; informatique en nuagemode de gestion des données d'un client consistant à stocker celles-ci sur des serveurs à distance.

[4] Fureteur, euse [fyʀ(ə)tœʀ, øz] nom et adjectif - ÉTYM. 1514 ◊ de fureter
 1.  VIEUX Celui qui chasse avec un furet.
 2.  (1611) MOD. FIG. Personne qui cherche, fouille partout en quête de découvertes. chercheur, fouilleur.
 Adj. (1806)  curieux, fouineur, indiscret. Yeux fureteurs. Regard fureteur.
- N. m. Q/C inform. FURETEUR. Logiciel qui permet la navigation, la recherche et la consultation d’information dans un système hypertextuel, principalement le Web.
Navigateur, logiciel de navigation. Fureteur Internet.

[5] Avatar [avataʀ] nom masculin - ÉTYM. 1800 ◊ sanskrit avatâra « descente ».
 1.  Dans la religion hindoue, chacune des incarnations du dieu Vishnou.
 2.  FIG. (1822) Métamorphose, transformation. Après de nombreux avatars. 
 3.  (1916) Par contresens (généralt au plur.) Mésaventure, malheur. On a eu toutes sortes d'avatars au cours de ce voyage.
 4.  (du sens 1er, par l'anglais) Représentation virtuelle créée par un internaute pour évoluer dans l'univers des jeux en ligne. Choisir un avatar et un pseudonyme.

[6] Héberger [ebɛʀʒe] verbe transitif - ÉTYM. v. 1050 ◊ francique °heribergôn « loger (une armée) » → auberge. Famille étymologique  HÉRAUT.
 1.  Loger (qqn) chez soi, généralement à titre provisoire. Pouvez-vous nous héberger pour la nuit ?  abriter, recevoir.
 2.  PAR EXTENSION Accueillir, recevoir sur son sol. Héberger des réfugiés.
 3.  INFORM. Assurer le stockage et la mise en ligne de (un site web, un intranet…).

[7] Télésnober [telesnɔbe] verbe.
1. Consulter fréquemment son téléphone intelligent en ignorant les personnes physiquement présentes.
Domaines d'utilisation : télécommunication, communication sans fil, téléphonie, psychologie.

[8] Émoticône [emɔtikon] nom masculin - ÉTYM. 1996 ◊ anglais emoticon (1990), de emoti(on) et icon.
■ ANGLIC. Suite de caractères alphanumériques utilisée dans un message électronique pour former un visage stylisé exprimant une émotion, représentant un trait physique, une action, un personnage…
▫ On trouve aussi émoticône, n. f. Recommandation officielle frimousse.

[9] Pirate [piʀat] nom masculin - ÉTYM. 1213 ◊ latin pirata, grec peiratês, de peira « tentative »
Famille étymologique  PÉRIL.
1.  ANCIENNEMENT Aventurier qui courait les mers pour piller les navires de commerce. boucanier, corsaire, écumeur, flibustier, forban. 
 2.  (1969) Pirate de l'air : individu armé qui prend en otage l'équipage et les passagers d'un avion.
 3.  FIG. Individu sans scrupules, qui s'enrichit aux dépens d'autrui, dans la spéculation.  bandit, escroc, filou, voleur.
 Pirate informatique, qui pirate les logiciels ou s'introduit dans un système informatique par défi ou pour en tirer profit.  2. cracker, hacker (ANGLIC.).
 4.  (v. 1966) APPOS. Clandestin, illicite. Radio pirate, qui émet sans autorisation. Les radios pirates. Enregistrement, édition pirate : copie non autorisée.

[10] Canular [kanylaʀ] nom masculin - ÉTYM. 1913 ◊ latinisation plaisante de canuler. Famille étymologique  CANAL.
 1.  Mystification. Monter, faire un canular. ▫ PAR EXTENSION Blague, farce ; fausse nouvelle.
 2.  (recommandation officielle pour remplacer l'anglais hoax) Fausse information propagée par messagerie électronique. ▫ Adj. canularesque, 1895.





samedi 4 février 2017

#Généathème : généalogie côté insolite

Je n’ai pas souvenir d’en avoir rencontré après la Révolution, sans doute à cause des pages pré-remplies et à la rigueur des officiers d’État civil. Cependant, lorsque que c’était les curés qui tenaient les registres de baptêmes, mariages et sépultures (BMS), il n’est pas rare de croiser quelques digressions dans la marge ou carrément au sein du registre. Plus ou moins longues, cela peut être un dessin, le compte rendu d’une visite pastorale, le détail de travaux faits sur l’église. Très courantes sont les observations météorologiques (deux d'entre elles furent à l'origine de l'article L'effet papillon sur ce blog).

Je me rappelle avoir lu le récit d’une avalanche particulièrement destructrice, sur les hauts plateaux de l’Ain. Mais impossible de retrouver la date et la paroisse concernée ! Depuis, et sur les conseils de @gazetteancetres, à chaque fois que je rencontre une de ces mentions insolites, je l’enregistre dans un dossier dédié.

C’est ainsi que je peux aujourd’hui facilement ressortir celle-ci (parmi d'autres). Il s’agit d’une note d'un curé, nommé Récamier, en poste à Villes (Ain) dans les années 1730. La note commence sur l'avant dernier feuillet du registre BMS de la paroisse, à peu près au milieu d'une page (celle-ci débutant comme il se doit par les mentions de baptêmes et de décès, avant de laisser place audit commentaire). Sur le feuillet suivant, le début de la page concerne un acte de baptême, finalement rayé avec cette note dans la marge « il est écrit dans le registre suivant ». Tout le reste de la page est occupé par la fin de la fameuse note du curé. Ce qui suppose qu'elle a été écrite à postériori, là où il y avait de la place. Cette note est une véritable diatribe, au ton plutôt vif. Car, inutile de le cacher plus longtemps, M. le Curé est – de toute évidence – très en colère.
Un conflit l’oppose à l’un de ses paroissiens… pour une question d’argent.

Mais notre curé colérique ne manque pas d’ironie, commençant son texte par cette formule savoureuse « J’aurais laissé dans un entier oubli ce qui suit ». Il explique comment Pierre Bernard, orphelin de père, avait été placé en apprentissage chez un marchand toilier durant six ans. Le curé pense qu’il y a simplement « perdu son temps ». De retour chez sa mère et ses sœurs, il porte des accusations contre le curé, sans toutefois lui en parler directement mais en répandant des commérages « dans ce vilage ». Il prétend en effet « que ses parents avaient contribué aux réparations de l’église » ; « quoy que cela est très faux » rétorque le curé, insistant sur la « sotte vanité » dont fait preuve son paroissien. Il précise même que le père, feu Claude Bernard, « n’a jamais fourny ny un sol ny la valleur dicelluy pour la batisse en réparation de notre église ». Contrairement à « tous les autres habitants [qui y ont] contribué », chacun selon leurs capacités : « les uns en naydant à creuser les fondations », les autres en fournissant « les matériaux comme sable et pierre », voire en « faisant un four à chaux ». Et tous ces travaux ont été réalisés les jours de fêtes (normalement chômés), grâce à une autorisation spéciale de l’évêque. En lisant cette note, on perçoit la tension du curé crisser sous sa plume, à tel point que, tellement énervé contre son paroissien, il se refuse même à écrire de nouveau son nom, disant simplement « de l’autre part nommé ». On sent sous cette mention que des insultes, bien peu chrétiennes, auraient pu se libérer d’un coup. Quand à l’argent fourni, car il y a bien eu des dons en argent, « le curé soussigné […] en remercie Dieu de luy en avoir donné la pensé [= de s’en être rappelé ?] […] il est vray que il y a eu environ 130 livres qui ne sont pas de mon bien mais que je ne déclare pas non [plus] quelles proviennent d’aucune restitution mais elles sont venue d’une bourse dont le propriétaire n’en a pas scu l’employer, pieux et legitime. »

Non mais !

Diatribe à Villes, registre paroissial de Villes, 1734 © AD01

[première page] « J’aurais laissé dans un entier oubli ce qui suit mais
la sotte vanité de Pierre fils de feu Claude Bernard et
qui appres avoir perdu son temps  chez un marchand
toilier où il avait été mis pendant six ans par ses
parents pour y apprendre ce negoce, s’est venu revivre
dans sa maison a villes avec sa mere et ses sœurs , disoit
dans ce vilage, que ses parents avaient contribué aux
réparations de l’église de ce lieu quoy que cela est très
faux, je déclare que claude bernard enfant de feu Pierre
Bernard et qui socupoit à faire valoir son moulin
n’a jamais fourny ny un sol ny la valleur dicelluy
pour la batisse en réparation de notre église quoy que
tous les autres habitants y ayant contribué chacun [?]

[seconde page] comme il a pû les uns en naydant à creuser les
fondations les autres a fournir les matériaux comme
sable et pierre et tous a lexclusion dudit [… ?] qui est
de lautre part nommé, en faisant un four à chaux 
et le tout les jours de fetes par la permission
accordée par le seigneur eveque et tout largent fourni
par le curé soussigné qui remercie Dieu de luy
en avoir donné la pensé et le pouvoir de leffectuer
Il est vray que il y a eu environ 130 livres qui ne sont
pas de mon bien mais que je ne déclare pas non quelles
proviennent d’aucune restitution mais elles sont
venue d’une bourse dont le propriétaire n’en a pas
scu l’employer pieux et legitime ny pu le scavoir
cest tout ce que jassure en me signant
Recamier curé »

vendredi 18 décembre 2015

Insultes prohibées

A force de lire des histoires bizarres sur l'origine des noms - en particulier ceux qu'on ne voudrait pas porter comme Nibard ou Gueunon - ça m'a donné envie d'aller voir s'il y en avait dans mon arbre. Las ! Rien de rien ! Ou tout juste un Soulard et un Cocu : pas de quoi casser trois pattes à un canard ! Quelle tristesse. Alors pour me venger de mes ancêtres qui n'ont reçu en héritage que des patronymes fort corrects, j'ai écrit un texte composé - presque - uniquement de leurs noms (facilement identifiables car ils apparaissent en majuscules).
Les patronymes n'ont pas d'orthographe, c'est bien connu, ce texte n'en a pas non plus (inutile d'alerter le Bescherelle), ce qui va très bien avec cette histoire tout droit sortie des âges.

Ambrogio Lorenzetti, Effets du bon et du mauvais gouvernement © Larousse.fr

Il y a fort fort longtemps :

Tel un PELERIN et son POULLAIN, BERTRAND le CLERC, tout GROS et GRAS qu'il était, marchait dans la VALLEE, les bras BALAND, à côté de son BEAU BODET du POITOU, juste FERRÉ, qui préférait la FRICHE des FOURRÉ DE LA LANDE aux ROCHER DUCHEMIN. Avisant la RIVIERE, il s'écria "SEBAULT !". Il voulait traverser mais, TROUILLARD, il avait peur de LABOUE et d'abîmer ses SOULIÉ. Il se GARDAT de tenter l'aventure. Sortant DESBOYS de BOULEAU et de SUREAU, il arriva au HAMEAU.

Par-dessus DESHAYES, il vit ALLAIN, LE JOLY BACHELIER, qui jouait au BALLON. Le TAVERNIER, nommé GUILLAUME, le regarda de BIAIS, puis lui dit BONJOUR et lui souhaita la BIENVENU. Il épousseta une MIETTE de FROMEN ou de MILLET de son GILLET, le dernier PATÉE de GORET au ROMARIN PESANT comme une PIERRE sur son estomac, tout en comptant sa MONET en bon LOUIS d'or. Sortant son COUTEAU, il découpa un PIGEON sur une PLANCHE, le farcit d'ANIS et l'arrosa de PINEAU avant de le cuir au CHALUMEAU. Un REZAU de QUENELLE entourait LE COCQ et LELIEVRE NOUÉ ensemble dans LE POT qui cuisaient. "Rien de DEBORDE DUFOUR" pensa-t-il. Satisfait, il se versa une BONNE rasade de PINARD. MICHELLE, avec qui il était en MENAGE, passait le BALLET dans les SALLES, tout en surveillant ses POUPIN JUMEAU, COLIN et GERMAIN, qui jouaient du HOCHET.

Plus loin GIRAUD, le BARBIER ROUX - BLANC comme un linge - livrait BATAILLE avec LE GRAND ETIENNE, MARECHAL FERRANT, pour lui faire une COUPPE sans l'ÉCORNÉ avec son outils TRANCHANT, comme la dernière fois où on lui avait DONNET le FERT pour le punir !

Près de la FONTAINE un GAILLARD, nommé PAUL CHIRAC, GUETTÉ LAPORTE de GREGOIRE le BAILLIF. Son NEPVEU HUBERT LAISNÉ avait un PACQUET CARRE pour sa BRU, un CADOS de NOEL : LAMOUREUX offrait un CHASLE à sa BEL amie.

Soudain le MESSAGER du PUISSANT DUC ANCELIN, précédé d'un PETIT PAGE, venu tout droit DUCHATEAU de la HAUTEVILLE, alerta la population : BERTRAND LECLERC, ANTOINE le BOTTIER, ALBERT le BOUVIER : tous s'approchèrent.
"- Le CHATELAIN a décidé LE DILHUIT JUIN année courante que le FELON, le JUDAS, nommé GUIBERT, n'ayant JAMAIS voulu mettre un GENOUST en terre devant le COMTE DAVID sera traîné derrière le cheval de LECUYER, DU GUÉ aux BORIES du MAS BRUN."
Mais le MUTIN s'était déjà BARRÉ ! TOUPLIN de CHEVALIER, VALET et COCHET partirent à sa recherche, DESMAREST DUBOIS DANIEL au GROZ CHASTEAUX, sans le CROISÉ. LE SEIGNEUR SERAIE très fâché.
"- JAY FAY le serment, les mains JOINTE et par LE ROY, de le MOUCHET à vue, lui et tout le pays, DELACOSTE à LAGARRIGUE !"

Le GRANDHOMME REDESSANT du FORTIN en JUILLET tout armé, la BREYSE dans les yeux. LAURENT LE BRETON et ROBERT LANGEVIN plaident pour l'apaisement.
Dans LE VERGER, un MERLE PELÉ PERCHER sur un POIRIER BRANCHU, siffle DESCHAMPS à un PAPILLON. LOISEAU VOLAND a un RAMEAU d'olivier dans le BECOT. L'ire du MARQUIS BAYSSE d'un coup.

En souvenir, SIMON LE PEINTRE immortalisa la scène. Ce que je METAIS décidé à voir, en venant DUPORT en GABARD : la CHARNIÈRE DELAPORTE DUMOULIN ne grinça pas. DURANT un long moment, j'observais LEBEAU tableau, sentant la SEVE de mes ancêtres...


Texte réalisé avec 91 des 1 313 patronymes de mon arbre.



vendredi 4 décembre 2015

Les morts sur la montagne

Faisant écho à l'article de Benoît Petit (sur son blog Mes racines familiales) intitulé série de noyades à Chaumont-sur-Tharonne j'ai aussi rencontré une série de décès accidentels, liés cette fois à la haute montagne, trouvés dans les registres de Samoëns (74).

 Samoëns, retour de l'équipe chargée d'ouvrir les chemins en hiver © Hier à Samoëns

C'est l'époque où des officiers d'état civil sont nouvellement nommés et n'ont pas encore compris qu'un acte de décès n'est pas un roman (et tant mieux pour nous, généalogistes !). Très disert, François Duboin, "membre du conseil général de la commune de Samoën, département du Monblanc", décrit avec moult détails ces trois décès de 1794 ("An Second de la République Française une et indivisible").
  • Le premier est daté du 26 germinal an II (15 avril 1794) : il a été trouvé un "cadavre sur la montagne de Bostant" (Tête de Bostan, 2 403 m d'altitude). A l'époque les autorités se déplaçaient sur les lieux du décès : ledit François Duboin, accompagné du secrétaire greffier et de trois hommes servant de témoins dument assermentés, se rendent au village des Allamands, "distant d'une heure et demi environ dudit bourg de Samoën". Il y découvre une femme "couchée la face contre la neige, ayant sur son corps une chemise de toile mellée avec un corset et un juppon de drap de pays, avec des bas de laine gris et un mouchoir d'indienne, avec encore un mauvais tablier d'indienne rayé bleu dans lequel était enveloppé un morceau de pain gros, ayant ses souliers dans les poches". La "morte sur la montagne" est reconnue par les témoins comme étant Françoise Biord, épouse de François Gindre, mais "il ne s'y est rien trouvé ni aucun objet autour de son corps qui peut faire présumer le sujet de sa mort".
  • Le deuxième est rédigé un mois et demi plus tard (13 prairial / 1er juin). C'est en fait un acte rétroactif : le juge de paix du canton "est comparu en la salle publique de la maison commune" pour produire un procès verbal "par lui dressé le vingt six avril 1793 vieux style [ 1 ] au sujet de Jean Baptiste Brissay, prêtre et chapelain de Taninges mort sur le territoire du village de la Mollutaz distant du bourg de Samoën de six heures vu la grande quantité de neige ce qui empêche de la traverser". Deux témoins déclarent "avoir trouvé un cadavre reconnu de tous les assistant pour être celui dudit prêtre", divers papiers trouvés sur lui attestant de son identité : ses lettres de prêtrise, son extrait de baptême, une espèce de formule de serment, une liste contenant des dus à un habitant dudit Taninges "et plusieurs autres indices qui ne laissent pas ignorer sa connaissance".
  • Le dernier de la série date du jour suivant : le même juge de paix revient produisant un autre procès-verbal rédigé le 26 mai 1793 "qu'il a dressé sur le rapport" d'un habitant de la commune voisine de Vallon. Il s'est transporté, avec son greffier, "au-delà de la montagne appelée la petite ...?". Il y a "trouvé un cadavre, couché à la renverse, attachés par la cuisse, avec sa ceinture, reconnus par les assistants pour être celui de Claude Morel de Taninges". Ils n'ont "trouvé autour dudit cadavre aucun objet qui puisse faire présumer le genre de mort".

Comme d'habitude, chaque indice distillé dans les sources soulève beaucoup de questions : pourquoi Françoise Biord avait-elle ses souliers à la main ? Pourquoi le père Brissay avait-il emporté son extrait de baptême dans sa poche ? Pourquoi Claude Morel s'était-il fait un garrot avec sa ceinture ?

Pour tout cela, la montagne a gardé ses secrets !



[ 1 ] Le "vieux style" désigne l'ancienne façon de compter les dates, c'est-à-dire avant la mise en place du calendrier révolutionnaire en 1792, et qui sera à nouveau adopté en 1806.

vendredi 11 septembre 2015

Décédé chez la veuve d'à côté

Que s'est-il passé en 1722 au village de la Villeneuve (paroisse de Mûr de Bretagne, 22) ? Une note sibylline du curé dans un acte de décès m'alerte et me fait mener l'enquête.

Avant d'en venir aux faits proprement dit, examinons le contexte :
En 1695 Jean Le Dilhuit épouse Olive Guitterel à Mûr de Bretagne. Il a une trentaine d'années (les sources ne sont pas toutes d'accord sur l'année exacte de sa naissance) et Olive a 23 ans. Ensemble ils auront six enfants, dont trois fils et une fille mort-née. En 1704, alors qu'elle n'a que 32 ans, Olive décède. Bien qu'à la tête d'une famille de cinq enfants, âgés de 8 à 3 ans, Jean ne semble pas s'être remarié (en tout cas pas à Mûr).

Jean décède à son tour, une vingtaine d'années plus tard. Mais voici le fameux acte de décès :

Acte de décès de Jean Le Dilhuit, Mûr de Bretagne, 1722 © AD22

Jean le Dilhuit aagé denviron soixante et trois ans décédé chez 
Marguerite Baudic veuve de feu Guillaume Guilloux du village de
Auquinian paroisse de Neuliac le vingt et unieme jour du mois de janvier 
mil sept sept cens vingt et deux et transporté par ses enfants par ses
enfants (sic) en sa demeure au village de la Villeneufe paroisse de
Mur, a esté ensuite enterré {le vingt et quatrieme} par moy soussignant Recteur dans leglise
paroissiale dudit Mur et ont assisté au convoy Estienne Ledilhuit
Guillaume Le Dilhuit ses fils marie Le Dilhuit Susanne le Dilhuit
ses filles et Claude Ralle qui ne signent lesdits jours et an que dessus
interligne vingt et quatrieme approuvé
yves le berre Recteur de Mur

Jean n'était donc pas chez lui lorsqu'il a quitté ce monde; c'est le moins qu'on puisse dire. Mais ses enfants ont ramené son corps fissa à la maison !

Ce court texte est plein de non-dits :
  • la relation qu'entretenaient Jean et la veuve Guilloux,
  • la réaction des fils face au lieu de décès, plutôt original, de leur père, 
  • la location d'un attelage, s'ils n'en possèdent pas (on ignore leur métier),
  • le retour du corps à la maison - la maison légitime,
  • la réaction de l'entourage, des voisins, du curé,
  • l'emplacement du tombeau : avec sa défunte épouse légitime ? Ses parents ?

Aussitôt, mon imagination s'enflamme et vient combler les trous : l'intimité entre le veuf et la veuve, la stupéfaction des fils apprenant le lieu de décès de leur père, le retour à la maison et l'organisation des obsèques.

Bien sûr, la veuve Guilloux est peut-être juste l'épicière du coin. Et le décès de Jean chez elle, tout à fait anodin. Néanmoins, je ne peux m'empêcher de penser qu'ils entretenaient des relations particulières. A cause de la mention du curé qui a souligné ce lieu de décès peu ordinaire et aussi à cause de son tremblement (un tremblement intellectuel, j’entends, avec la répétition des termes "par ses enfants" et l'oubli de la date rajoutée en interligne : était-il perturbé en rédigeant l'acte ?).

Puis je me suis intéressée à la fameuse veuve. Après l'avoir vainement cherchée (notamment sur Genearmor), j'ai essayé de la retrouver par sa paroisse. Malheureusement j'avais du mal à l'identifier : aucun nom ne semblait correspondre dans les Côtes d'Armor. Aux grands maux les grands remèdes, j'ai élargi la recherche à toute la Bretagne. Et c'est là que j'ai identifié la veuve et sa paroisse.

Auquinian est un village de la paroisse de Neulliac (aujourd'hui dans le Morbihan), distant de Mûr de 10 kilomètres - les paroisses sont voisines, malgré le changement de département actuel.

Marguerite et Guillaume ont eu au moins deux enfants, nés en 1706 et 1707. Plus surprenant, un acte de décès de Guillaume Guilloux a été trouvé... mais en 1730; un acte paraissant vraisemblable (avec mention de deux beaux-frères plausibles) mais qui vient contredire l'état de veuvage de Marguerite en 1722. Je penche plutôt pour un homonyme décédé en 1730 (notamment parce que sa fille se mariant en 1726 est dite "décrétée de justice" [ 1 ] et que le décès de la mère n'a pas été trouvé avant ce mariage : c'est donc le père qui est décédé).

Me voici ainsi épluchant les registres de Neulliac, à rebours : je trouve finalement un autre Guillaume Guilloux, décédé en 1720. Les témoins sont moins convaincants, mais la date correspond mieux. Sans certitude, je l'adopte; car enfin il y a peu de chance que Jean se soit trouvé chez son "amie" si celle-ci était encore mariée !

Où se sont-ils connus ? L'histoire ne le dit pas. Ils n'apparaissent ni l'un ni l'autre comme témoins de leurs actes familiaux respectifs. J'ignore quel métier ils pratiquaient.

Et en fin de compte, je ne saurais jamais quelles relations entretenaient Jean et Marguerite. Peut-être que je me suis laissée emporter par mon imagination ? Ou y avait-il vraiment une histoire entre eux ?



[ 1 ] Décrété(e) de justice : dit de l'un des époux qui est mineur et orphelin de père ou de mère. Spécifique à la Bretagne. Ce consentement (dit "décret") est reçu devant le juge du lieu où le mariage doit être célébré. L’opération, d’après la coutume de Bretagne, requiert en outre l’avis de 12 parents paternels ou maternels. Selon l’avis rendu par les parents, le juge "décrétait" ou non le mariage, en suivant l’opinion des personnes présentes.

vendredi 20 mars 2015

Dis-moi dix mots 2015

Ce n'est peut-être pas très flagrant, mais du 14 au 22 mars 2015 (cette semaine, donc), c'est la semaine de la langue française et de la francophonie. La 20ème édition, tout de même. Elle permet de fêter la langue française en lui manifestant son attachement et en célébrant sa richesse et sa diversité. Je me suis donc inspirée de l'opération "dix mots..." pour rédiger ce billet. La thématique retenue cette année est centrée sur la capacité du français à intégrer dans son vocabulaire des mots issus d'autres langues. Ce qui, finalement, correspond bien à l'esprit du généalogiste, prêt à accueillir toutes ses découvertes (enfin, en principe... !). Les dix mots retenus cette année nous viennent donc de langues étrangères, avant d'avoir été adoptés par le français au fil du temps (pour en savoir plus sur cette opération, cliquer ici). Chacun de ces mots sont indiqués en gras et font l'objet d'une courte notice en bas de page.


 

Alors que je musardais sur le net, zappant de sites spécialisés en wiki [ 1 ], j’errais jusqu’au bord de la nuit, ne sachant où me poser enfin : quel type de recherche cibler [ 2 ] ? Se concentrer sur une seule branche généalogique ou sur une catégorie d’actes ? Une famille complète ou une l’histoire d’une paroisse ? Bon ! Inutile d’errer ainsi indéfiniment : je me décide, me fixe un objectif et concentre mes recherches. Un nom, un lieu, une date. Mais, une fois mon choix arrêté, je suis finalement rattrapée par la sérendipité [ 3 ] ! C’est toujours ce que l’on ne cherchait pas qui nous tombe sous les yeux en premier. L’acte est ancien. Usé. Taché. Mais il est là.

Je commence la besogne ardue de déchiffrage. Et là, rapidement, je dis bravo [ 4 ] au rédacteur de l’acte : je pense qu’il a fait une kermesse [ 5 ] avec les lettres. Ils les a toutes prises, mises dans un sac, et les a couchées au hasard sur le papier, créant un joyeux mélange, un défilé de mots n’ayant ni queue ni tête. Ou alors il écrit en inuit [6 ] ?! Pourtant je n’ai pas d’ancêtre sur les terres arctiques. Alors je remets l’ouvrage sur le métier, comme dit le poète :

Hâtez-vous lentement, et sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage,
Polissez-le sans cesse, et le repolissez,
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez. [ 7 ]

Je compulse les ouvrages spécialisés, je réunis tous mes grigris [ 8 ], j’invoque les mânes de mes ancêtres, pour tenter de trouver un sens à cet acte incongru. Entre deux plongées dans ce monde inconnu, je pense décerner officiellement une médaille d’or à l’inventeur de cet amalgame [ 9 ] inextricable : un nouveau langage a été composé et je me sens dans la peau de cet aventurier entrevoyant une nouvelle espèce ignorée en forêt amazonienne. Je laisse un instant dériver mon imagination, m’offrant une pause comme une bulle de savon s’élevant dans l’air. Mais pendant cette respiration, mes yeux n’ont pas quitté le document. Peinant doucement sur cette tâche ardue, j’apprends la zénitude [ 10 ]. Je lève le nez, respire, attend une mystique inspiration. J’imagine différentes versions : qu’a-t-il bien voulu dire ? Quelles étaient ses intentions ? Je fais appel au corpus des expressions récurrentes dans ce genre d’écrits, acquis au fil d’une expérience qui s’enrichit chaque jour, tentant d’en déchiffrer (ou d’en inventer !) une. Je persévère toujours, poussée par l’envie de percer le mystère de cette archive définitivement kitsch [ 11 ]. Quand, tout d’un coup, je m’aperçois que le mot est limpide, la phrase déchiffrée, le sens enfin révélé. 

J’ai peut-être un peu souffert, mais j’ai voyagé, résolu une énigme, dépassé mes limites. Et j’ai progressé dans la connaissance de la vie de mes aïeux.
En un mot comme en cent : j’ai fait de la généalogie !


[ 1 ] DÉFINITION(S)
Wiki [wiki] n. m. – ÉTYM. 2003, mot anglais américain, abréviation de WikiWikiWeb, nom du site créé par W. Cunningham en 1995, de l’hawaïen wiki wiki « vite »
Site web collaboratif dont le contenu peut être librement modifié par les visiteurs autorisés. Le développement des wikis. APPOS. Site, encyclopédie wiki.
ORIGINE
Origine hawaïenne, terme emprunté par l’intermédiaire de l’anglais, lexicalisé en 2003

[ 2 ] DÉFINITION(S)
Cibler [sible] v. tr. (conjug. 1) – ÉTYM. v. 1970, de cible
I. Déterminer, circonscrire en tant que cible. Cibler la clientèle d’un produit, un marché. Chercher à faire correspondre (un produit) à une cible. P. p. adj. Produit mal ciblé. Campagne électorale ciblée. II. Prendre pour cible. Cibler une tumeur. Médicament qui cible une bactérie.
ORIGINE
Origine alémanique suisse, terme lexicalisé en 1970

[ 3 ] DÉFINITION(S)
Sérendipité [seʀɑ̃dipite] n. fém. – ETYM. de l’anglais serendipity, créé d’après le titre d’un conte persan
Capacité, aptitude à faire par hasard une découverte inattendue et à en saisir l’utilité (scientifique, pratique).
ORIGINE
Origine anglaise, terme lexicalisé en 1953, noté comme anglicisme par le Petit Robert 2013

[ 4 ] DÉFINITION(S)
Bravo [bʀavo] interj. et n. m. – ÉTYM. 1738, mot italien « excellent »
I. Exclamation dont on se sert pour applaudir, pour approuver. Bravo ! c’est parfait. II. N. m. Applaudissement, marque d’approbation. Des bravos et des bis. La salle croule sous les bravos. Vivat.
ORIGINE
Origine italienne, terme lexicalisé en 1738

[ 5 ] DÉFINITION(S)
Kermesse [kɛʀmɛs] n. fém. – ÉTYM. 1391, flamand kerkmisse, « messe d’église »
I. Aux Pays-Bas, en Belgique, dans le nord de la France, fête patronale villageoise, foire annuelle célébrée avec de grandes réjouissances en plein air. Ducasse. « La Kermesse héroïque », film de J. Feyder. « la frénésie des bacchanales et des kermesses » (S. Lilar). II. (1832) COURANT Fête de bienfaisance, souvent en plein air. La kermesse de l’école. RÉGIONAL fancy-fair.
ORIGINE
Origine flamande, lexicalisé en 1391 et, au sens moderne, en 1832

[ 6 ] DÉFINITION(S)
Inuit, e [inɥit] n. et adj. – ÉTYM. 1893, les Inoïts, mot de la langue inuite « les hommes », pl. de Inuk « homme »
Esquimau. La langue inuite. Inuktitut. N. Les Inuits d’Alaska. Rem. Courant au Canada où l’emploi de « esquimau » est officiellement proscrit.
ORIGINE
Origine inuktitute, lexicalisé en 1893

[ 7 ] Citation de Nicolas Boileau.

[ 8 ] DÉFINITION(S)
Grigri [gʀigʀi] n. m. VAR. gris-gris – ÉTYM. grigri 1643; autre sens 1557, origine inconnue
I. Amulette (Afrique, Antilles). II. Petit objet magique, porte-bonheur (ou malheur). Des grigris, des gris-gris. « Cette pièce de bijouterie fantaisie s’ornait de toute une ribambelle de pendeloques et de grigris » (Liberati).
ORIGINE
Origine inconnue, terme utilisé en Afrique et dans les Antilles, lexicalisé en 1643

[ 9 ] DÉFINITION(S)
Amalgame [amalgam] n.m. – ÉTYM. 1431, latin des alchimistes amalgama, probablement d’origine arabe
I. Alliage du mercure et d’autres métaux (qu’il liquéfie). Amalgame de plomb. Amalgame d’argent-étain pour les obturations dentaires. ABSOLUMENT Carie obturée avec de l’amalgame. II. FIG. Mélange hétérogène de personnes ou de choses de nature différente. « Le plaisant et le tendre sont difficiles à allier; cet amalgame est le grand œuvre » (Voltaire). Assemblage,composé. MILIT. Fusion d’unités militaires de provenance et de formation différentes. III. Fait d’englober artificiellement, en exploitant un point commun, diverses formations politiques afin de les discréditer. Un député qui pratique l’amalgame. IV. LING. Fusion indissociable de plusieurs morphèmes (ex. du pour de le).
ORIGINE
Origine arabe

[ 10 ] DÉFINITION(S)
Zénitude [zenityd] n. fém. – ÉTYM. 2000, de zen
PLAIS. État de sérénité. « Place au yoga, à la zénitude et aux produits bio » (Le Figaro, 2009).
ORIGINE
De zen, origine japonaise, terme lexicalisé en 200

[ 11 ] DÉFINITION(S)
Kitsch ou Kitch [kitʃ] adj. inv. et n. m. inv. – ÉTYM. 1962, de l’allemand Kitsch (Bavière, v. 1870), de kitschen « rénover, revendre du vieux »
I. Se dit d’un style et d’une attitude esthétique caractérisés par l’usage hétéroclite d’éléments démodés ou populaires, considérés comme de mauvais goût par la culture établie et produits par l’économie industrielle. Une robe kitsch. « des objets kitsch venus d’un concours Lépine des années trente » (Perec). N. m. « Le kitsch a pu être considéré comme une dégénérescence menaçant toute forme d’art ou au contraire comme une forme nouvelle d’art du bonheur » (A. Moles). II. PAR EXTENSION D’un mauvais goût baroque et provocant. RÉGIONAL quétaine.
ORIGINE
Origine allemande, terme lexicalisé en 1962