C'est l'époque où des officiers d'état civil sont nouvellement nommés et n'ont pas encore compris qu'un acte de décès n'est pas un roman (et tant mieux pour nous, généalogistes !). Très disert, François Duboin, "membre du conseil général de la commune de Samoën, département du Monblanc", décrit avec moult détails ces trois décès de 1794 ("An Second de la République Française une et indivisible").
- Le premier est daté du 26 germinal an II (15 avril 1794) : il a été trouvé un "cadavre sur la montagne de Bostant" (Tête de Bostan, 2 403 m d'altitude). A l'époque les autorités se déplaçaient sur les lieux du décès : ledit François Duboin, accompagné du secrétaire greffier et de trois hommes servant de témoins dument assermentés, se rendent au village des Allamands, "distant d'une heure et demi environ dudit bourg de Samoën". Il y découvre une femme "couchée la face contre la neige, ayant sur son corps une chemise de toile mellée avec un corset et un juppon de drap de pays, avec des bas de laine gris et un mouchoir d'indienne, avec encore un mauvais tablier d'indienne rayé bleu dans lequel était enveloppé un morceau de pain gros, ayant ses souliers dans les poches". La "morte sur la montagne" est reconnue par les témoins comme étant Françoise Biord, épouse de François Gindre, mais "il ne s'y est rien trouvé ni aucun objet autour de son corps qui peut faire présumer le sujet de sa mort".
- Le deuxième est rédigé un mois et demi plus tard (13 prairial / 1er juin). C'est en fait un acte rétroactif : le juge de paix du canton "est comparu en la salle publique de la maison commune" pour produire un procès verbal "par lui dressé le vingt six avril 1793 vieux style [ 1 ] au sujet de Jean Baptiste Brissay, prêtre et chapelain de Taninges mort sur le territoire du village de la Mollutaz distant du bourg de Samoën de six heures vu la grande quantité de neige ce qui empêche de la traverser". Deux témoins déclarent "avoir trouvé un cadavre reconnu de tous les assistant pour être celui dudit prêtre", divers papiers trouvés sur lui attestant de son identité : ses lettres de prêtrise, son extrait de baptême, une espèce de formule de serment, une liste contenant des dus à un habitant dudit Taninges "et plusieurs autres indices qui ne laissent pas ignorer sa connaissance".
- Le dernier de la série date du jour suivant : le même juge de paix revient produisant un autre procès-verbal rédigé le 26 mai 1793 "qu'il a dressé sur le rapport" d'un habitant de la commune voisine de Vallon. Il s'est transporté, avec son greffier, "au-delà de la montagne appelée la petite ...?". Il y a "trouvé un cadavre, couché à la renverse, attachés par la cuisse, avec sa ceinture, reconnus par les assistants pour être celui de Claude Morel de Taninges". Ils n'ont "trouvé autour dudit cadavre aucun objet qui puisse faire présumer le genre de mort".
Comme d'habitude, chaque indice distillé dans les sources soulève beaucoup de questions : pourquoi Françoise Biord avait-elle ses souliers à la main ? Pourquoi le père Brissay avait-il emporté son extrait de baptême dans sa poche ? Pourquoi Claude Morel s'était-il fait un garrot avec sa ceinture ?
Pour tout cela, la montagne a gardé ses secrets !
[ 1 ] Le "vieux style" désigne l'ancienne façon de compter les dates, c'est-à-dire avant la mise en place du calendrier révolutionnaire en 1792, et qui sera à nouveau adopté en 1806.
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RépondreSupprimerCes nouveaux officiers d'état civil écrivaient comme les prêtres dans les registres paroissiaux, et effectivement c'est tant mieux pour nous ! Merci pour le partage.
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