« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

lundi 16 décembre 2013

Bénédiction de cloche

Dans la série "vie quotidienne de nos ancêtres", voici un événement important dans la vie d'une paroisse : la bénédiction des cloches de l'église paroissiale.
Nous sommes ici à Andard (Maine et Loire) en 1692, où on procède à la "bénédiction de la petite cloche" :

Extrait des registres paroissiaux d'Andard, AD49


"Le septième jour de janvier mil six cent quatre vingt douze la
benediction de la petite cloche de cette paroisse a esté faite par mgr Jean
macé docteur en théologie chanoine de l'église St mainbeuf de la ville d'angers
la quelle a esté nommée Renée Lucresse par mgr Louis avril Sr des monceaux
conseiller de Roy Lieutenant civil et criminel de l'élection et grenier a sel
dangers et dame Renée Joullain veuf deffunt monsgr millon [ . . . ] Sr de
Luaudier, ont estés presents mgr urbain quiquaire curé de Couné mgr
michel Ramboux vicaire de Brain et maurice dupont cappelain dudit Brain
mgr mathurin Ravalery marchand droguiste tous demeurants dans la ville
dangers fors lesdits Ramboux et dupont demeurants paroisse de Brain"


Certains de nos ancêtres ont dû connaître cette bénédiction, comme Flon Pierre, vigneron à Andard (décédé en 1707), Guespin Marguerite (décédée en 1709), sa fille Houdouin Jeanne (décédée en 1703), sa petite-fille Lecuier Jeanne (née en 1685).

Cette cloche n'existe plus aujourd'hui : elle a été refondue en 1758 (selon Célestin Port, Dictionnaire historique de Maine et Loire), avec l'autre cloche.

jeudi 12 décembre 2013

1570

1570 est la date de l'acte le plus ancien retrouvé à ce jour. Il s'agit de l'acte de naissance de Ryondel Jean, à Samoëns (collatéral de mon ascendance maternelle).

Acte de naissance de Ryondel Jean, 1570, coll. personnelle

Cet acte est en latin : il y est prénommé Johanes. Il est le fils de Louis, habitant le village de Vallon, et . . . Pernette ? (s'il y a des latinistes, je suis preneuse d'une traduction).
Il fait partie de la 13ème génération (la 12ème au-dessus de moi, ce qui n'est pas le record en terme de génération . . . ).

En 1570, Jean Ryondel est né :

  • A l'époque moderne, qui s'étend de la fin du Moyen-Age (1492, découverte de l'Amérique), à la Révolution française. C'est la naissance du capitalisme, de l'humanisme et de l'État-Nation. 
  • Sous le règne du roi Charles IX, roi de France de 1560 à 1574 (branche des Valois). Sous son règne, le royaume est déchiré par les guerres de religion, malgré tous les efforts déployés par sa mère Catherine de Médicis pour les empêcher. Il déboucha sur le massacre de la Saint-Barthélemy. 

  • La colonisation américaine se poursuit, après sa récente découverte par Christophe Colomb. Le protestantisme se développe, entraînant les guerres de religion.

  • La Renaissance, née en Italie, poursuit son développement.

  • En architecture, c'est l'époque de Palladio (villa Rotonda), Pierre Lescot (aile du Louvre) . . .

  • C'est aussi l'époque de Pierre de Ronsard (1524/1585), Montaigne (1533/1592), Cervantès (1547/1616), Shakespeare (1564/1615), Michel-Ange (1475/1564), Le Titien (1488/1576), Ambroise Paré (1509/1590) . . .

Est-ce que Jean a connu ou entendu parler de ces grands noms, ces grands événements ? Nous ne le saurons jamais.

A noter: Samoëns fait aujourd'hui partie du département français de la Haute-Savoie. Mais jusqu'en 1860 ce territoire dépendait de la Maison de Savoie, État indépendant depuis le XIème siècle. Le département de la Haute-Savoie est créé suite au traité de Turin (1860), le réunissant définitivement à la France.


lundi 9 décembre 2013

Sévère ou touchant ?

Article disponible en podcast !


 

Sur l'unique cliché que je possédais de mon arrière-grand-père, il paraissait très austère, avec sa moustache bien droite, le regard vous transperçant.

Jules Assumel-Lurdin, 1922, coll. personnelle

Puis j'ai découvert une autre facette de sa personnalité, grâce à un dossier le concernant conservé aux archives de l'Ain [ * ].
En effet, il était garde forestier et les correspondances entre lui et l'administration ont été conservées (28 documents sont parvenus en notre possession).

Le premier document date de 1904 : c'est une recommandation du Maire Bondet adressée au député Chanal afin qu'il appuie sa candidature au poste de garde forestier.

Le préfet accepte ces recommandations et nomme, par arrêté du 31 octobre 1905, "le sieur Assumel, ancien brigadier d’artillerie", cultivateur au Poizat (Ain), garde forestier à Samognat ; son traitement annuel est fixé à 500 francs.


Au travers des différents courriers envoyés à l'administration, on suit sa carrière :

- en 1907, il souhaite sa mutation à Apremont ; ce qui lui est refusé car il n'a pas assez d'ancienneté : "Le poste d’Apremont auquel est affecté un traitement de 700 francs n’est pas un poste de début. Sous peine de décourager le personnel forestier communal, il importe qu’un pareil emploi soit attribué à un garde déjà en fonctions et méritant de l’avancement."
- en 1908 il est nommé à Martignat, après recommandation du Conservateur des Eaux et Forêts. 
- en 1910 il souhaite être muté à Saint-Germain de Joux ; mais laissons-le parler, puisqu'une lettre écrite de sa main nous est parvenue :


Lettre de Jules Assumel-Lurdin, Archives de l'Ain


Martignat, le 10 janvier 1912
Monsieur le Sénateur
J’ai l’honneur de venir vous renouveler la demande que je vous ai fait il y a quelques temps pour me faire attribuer le poste de Brigadier de St Germain de Joux, j’ai appris que j’étais en ligne et que j’avais un petit espoir.
Je compte sur votre dévouement pour écarter un peu de moi ma mauvaise chance, car avec toutes les envies de bien faire je n’ai jamais pu réussir en rien : à 32 ans j’étais veuf pour la 2ème fois et aujourd’hui j’ai ma femme au lit malade de l’albumine. Le médecin a déclaré que c’était très grave, on dirait que 

le destin s’acharne contre moi.
Veuillez donc s’il vous est possible me faire parvenir à ce poste qui améliorera sensiblement ma situation.
Vous pouvez persuader M. le Préfet qu’ayant été élevé dans un pays de forêts je peux mieux que personne apporter aux forêts les améliorations qu’elles ont besoin et que je resterai un serviteur fidèle et dévoué.
Dans l’espoir que vous ferez votre possible et en attendant que je vous prouve ma reconnaissance.
Veuillez agréer M. le Sénateur mes sentiments dévoués
Assumel garde des Eaux et forêts à Martignat

Et soudain le roide personnage laisse place à quelqu'un de plus touchant, criant son désespoir, le mauvais sort s'acharnant sur lui.

Puis viennent plusieurs documents qui sont des recommandations signée du sénateur Baudin pour qu'il obtienne le grade de brigadier.
Ces demandes multiples seront systématiquement refusées : d'abord parce qu'il n'a pas encore assez d'ancienneté, puis parce qu'il est en compétition avec d'autres agents "plus méritants". Enfin pour raisons de santé : il n'est "pas en état de supporter les fatigues inhérentes aux fonctions de brigadier, car un chef de brigade doit fournir de longs trajets pour visiter et contrôler les divers triages de sa circonscription." (le conservateur des Eaux et forêts, 7 septembre 1916).

Pourtant, il semble rendre un service satisfaisant :

- "Ce préposé est un bon garde, actif et zélé et sera probablement susceptible de devenir ultérieurement brigadier, bien que son instruction soit un peu faible."  (rapport Le Clerc, 21 septembre 1910) 

- "J’ai l’honneur de vous faire connaitre que M. Assumel s’acquitte de ses fonctions d’une manière très satisfaisante et que ses chefs estiment qu’il pourra très probablement accéder au grade de chef de brigade." (lettre au sénateur Baudin, le 28 septembre 1910)

Cependant, d'autres causes, plus politiques, semblent influencer ces refus multiples : 
-  "C'est un agent clérical accompli, parlant toujours contre le gouvernement." (lettre du maire de Martignat, 30 mai 1912)
- " Ce dernier fait partie de l’Action Libérale. [ . . . ] Nous vous prions de bien vouloir nommer à Apremont en remplacement du garde Humbert un fonctionnaire dont on ne puisse suspecter les opinions républicaines." (lettre du maire d'Apremont, 16 août 1912)

De toute évidence, c'était un homme de conviction, quelles qu’en soient les conséquences.

Finalement, il sera transféré en Anjou en 1921. Le relief plus plat lui convient mieux (c'est moins fatigant pour lui). Il finira sa carrière aux Ponts de Cé, à côté d'Angers, et s'éteindra en 1929 à l'âge de 53 ans.

C'était mon arrière-grand-père. Je ne l'ai pas connu.

 
 [ * ] Merci à B. Boisard pour ces documents