« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

vendredi 23 mai 2014

#Généathème : Souvenirs de guerre

Daniel Astié épouse Marcelle Assumel-Lurdin en 1935 à Angers (49). Lorsque la seconde guerre mondiale éclate ils ont deux enfants : Françoise née en 1937 et Jean né en 1938. Il est employé de commerce.

Rapidement les conditions de vie se dégradent en ville. Le rationnement devient très difficile. Marcelle et ses deux jeunes enfants sont évacués "en sud Loire" : ils vont habiter à Martigné-Briand, petite localité de 1 600 habitants à 35 km au sud d'Angers, chez Rose, la sœur de Marcelle, et son mari André qui ont un garage. Jean se souvient avec gourmandise d'une découverte incroyable en ces temps de guerre : une tartine beurrée ! C'était peut-être une des premières fois qu'ils mangeaient du beurre.

Marcelle et ses 5 premiers enfants, 1945, coll. personnelle

Daniel est resté à Angers. Il a été réformé, probablement pour faiblesse de constitution. Il travaille pour une association (dont le nom s'est perdu dans les méandres de la mémoire) qui assiste les familles. Il est chargé de trouver des fermiers dans les campagnes angevines qui acceptent d’accueillir des enfants de la ville afin qu'ils puissent être nourris convenablement. Il organise des convois pour emmener les enfants à la campagne. Françoise se souvient du car complètement peint en blanc avec une grosse croix rouge dessinée sur le toit afin que le véhicule ne soit pas bombardé. L'association apporte son secours au travers de différentes actions, comme la distribution de lait en poudre dans les écoles.
Toujours à Martigné-Briand, Marcelle accouche de son troisième enfant, une petite fille appelée Odile. Celle-ci a souvent raconté qu'elle était née alors que ses parents n'étaient pas là !

La famille rentre ensuite à Angers, puisque lorsque Michel naît en 1942 ils sont tous réunis en ville.
Les enfants se rappellent des bombardements. Françoise raconte comment, dans l'église Saint-Laud, voisine de la gare, le curé se recule au moment de la communion et c'est alors qu'une bombe s'abat sur l'église (ratant sans doute la gare) décimant tous les fidèles assemblés dans l'église. Le curé reste seul survivant.
S'agit-il des bombardements de 1944 ? En effet, lors de la nuit du 28 au 29 mai, un déluge de fer et de feu s'abat sur le quartier Saint-Laud, les Alliés cherchant à ralentir la progression allemande en visant en priorité les nœuds ferroviaires, de Nantes à Tours. Pendant quarante minutes, plus de cent trente bombardiers emplissent le ciel, accomplissant leur cruelle mission. L'objectif est atteint. Mais autour de la gare et de ses matériels, totalement détruits, huit cents maisons le sont aussi, et près de sept mille partiellement. Dans les caves, dans les abris, dans les rues et les murs éventrés, on dénombre une multitude de victimes et de blessés. Dans le journal Le Petit Courrier des jours suivants, on fait état des travaux de déblaiement et des recherches des victimes, parmi lesquels les mineurs ardoisiers de Trélazé se distinguent particulièrement. Des bombes à retardement ralentissent la progression des recherches, tuant ou blessant les sauveteurs. "Partout les sinistrés sortent de leurs maisons ce qu'ils ont pu sauver et entassent dans les rues un pitoyable mobilier. Un lamentable exode se poursuit et les environs d'Angers hébergent de nombreux réfugiés".
Le 1er juin, le Petit Courrier rend compte des obsèques des victimes : on recense plus de 20 000 personnes lors des funérailles, pressées en l'église Saint-Serge et dans les rues alentours car l'édifice est trop petit pour accueillir la foule. L'évêque préside aux obsèques. Une centaine de cercueils s'alignent devant le maître autel et jusque dans le transept. "D'innombrables bouquets, gerbes et couronnes de fleurs garnissaient les cercueils".

Plus tard, Jean se souvient de la débâcle allemande. Il est à nouveau à la campagne, cette fois à Saint-Georges-des-Gardes. Malade, sa mère le soigne. Il ressent sa peur face aux convois de camions allemands qui passent devant la maison. Les fenêtres sont calfeutrées pour éviter que la lumière ne filtre à l'extérieur et attire l'attention. La tension est à son maximum lorsqu'un Allemand frappe à la porte.

Après la guerre, la famille travaillera pour  l'UDAF (Union Départementale des Associations Familiales). Celle-ci est née après-guerre, fédérant les diverses associations familiales pré-existantes (dont celle pour laquelle travaille Daniel).
La famille prend la gestion de la maison familiale installée au domaine du Hutreau, à Sainte-Gemmes-sur-Loire. A l’origine ce n’était qu’une closerie, dite « la Perrière » : exploitation agricole complète avec jardins, verger, terres labourables, prés, vignes, destinée à entretenir une famille de bourgeois citadins. Il reste deux bâtiments, "l'annexe" (dépendances) et le château de style Renaissance. De 1932 à 1952 : la société anonyme immobilière du Hutreau loue le domaine aux Ursulines d’Angers, pour en faire un établissement d’enseignement de jeunes filles. En 1944, la Gestapo fait du Hutreau son quartier général. Lors de la libération d’Angers ils s’enfuient précipitamment laissant le domaine en l’état. Les Ursulines reprennent l’enseignement au domaine, de 1944 à 1946. En 1947, le Hutreau devient l’une des quarante maisons familiales de vacances du Mouvement Populaire des familles. 

Daniel et Marcelle s'installent alors au Hutreau avec leurs 5 enfants (Christian, né en 1945 est venu agrandir la fratrie). Dès le lendemain, ils doivent accueillir une vingtaine de pensionnaires. Marcelle prélève ses propres économies pour faire les premières courses et doit très vite s'improviser cuisinière à grande échelle. Au cours des années, le couple va faire des travaux réguliers pour entretenir le domaine, notamment de peinture se souvient Jean. Mais la première action de Daniel est de jeter la baignoire où la Gestapo torturait ses prisonniers lorsqu’ils occupaient le château.

Daniel, fils de Daniel et Marcelle, naît au château en 1948, dans la chambre qu'occupent ses parents dans l'appartement du premier étage. Il est l'avant-dernier de la fratrie.

Détail du Hutreau, fenêtre cerclée de rouge: la chambre où est né Daniel, 
© D. Letellier


Daniel est mon père. Daniel et Marcelle étaient mes grands-parents.


Merci à mon père, mes oncles et tantes pour leurs souvenirs qui m'ont permis de rédiger cet article.

mercredi 21 mai 2014

Challenge AZ 2014

J-10 pour le Challenge AZ !
Le principe est simple : un article par jour et par lettre, suivant le fil de l'alphabet (sauf les dimanches * ) toujours sur le thème de la généalogie, bien sûr.

Calendrier Challenge AZ 2014

C'est grâce au Challenge AZ 2013 que j'ai découvert les blogs de généalogie : en tombant par hasard sur les articles des participants, j'ai ensuite navigué dans les divers blogs.

Et ça m'a donné très envie !

Envie de participer au challenge - mais découvert vers la fin du mois, trop tard pour y participer en 2013.
Envie d'écrire sur une passion - la généalogie.
Envie de transmettre - mes découvertes.

Et me voilà lancée dans l'aventure :
  • ouverture du blog en novembre 2013
  • première participation au Challenge AZ en 2014
Une production d'articles donc conséquente à venir (et à lire) . . . En espérant que vous y trouverez autant de plaisir que j'en ai eu à les écrire.


* Comme il manque un jour ouvrable en juin, le challenge commence exceptionnellement le samedi 31 mai.

jeudi 15 mai 2014

Décès originaux

Les actes de décès sont parfois émaillés de mentions précisant la cause du décès ou les lieux d'inhumation; c'est ce qui en fait "l'originalité". Cocasses ou tristes, informatives ou pleines de sous-entendus, voici un florilège de ces mentions : 

Cimetière de Conques, coll. personnelle


- la mort naturelle :
  • Le Joly Michel est décédé "d'une mort inopinée", selon son acte de décès en 1688 à Loudéac, mais heureusement « après s’être confessé depuis quelque temps [ . . . ] et avoir reçu l’extrême onction ».
 
Détail acte de décès Le Joly Michel, AD22

  • Hugon Humbert est décédé en 1732 à Apremont : « dans son lit ».
  • Testafort Henry est décédé en 1731 à Apremont : «  de mort naturelle ».

    - l'accident :
    • Monneret Clemence est décédée "par une chute" en 1720 à Viry.

    - la maladie :

    • Merlan Jeanne est décédée en 1725 de maladie, à la Chapelle sur Crécy, mais "après avoir reçu les sacrements de l'Église".
    • Alombert Goget François est décédé en 1775. Selon l'acte « Il est décédé à Villers les Bois "où il est venu pour peigner le chanvre, s'y est trouvé saisi d'une maladie delaquelle après avoir été muni des sacrements il est mort" (copie de l'acte de décès reçu par le curé de Lalleyriat qui "certifie avoir couché mot à mot sans avoir ni ajouté ni diminué l'acte mortuaire"). »
    • Collet Guillaume est décédé en 1705 à Merléac : "Les Saints Sacrements d'eucharistie de pénitence et d'extrême-onction luy ont été administrés pendant la maladie".
    • Ouvrard Magdelaine est dite "morte de contagion" le 28 septembre 1640 à Villevêque. L'époux de Magdelaine, Pierre, est lui-même décédé le 8 dudit mois (la cause du décès n'étant pas précisée). En parcourant les registres, on s'aperçoit qu'un autre couple est décédé de la même façon le mois précédent. Par ailleurs, on sait que la peste sévissait à Villevêque en 1640 : Selon Célestin Port, dans son Dictionnaire historique de Maine et Loire, "en 1640 la peste était sur la paroisse et le curé en fuite." C'est donc sans doute la cause de ces décès. 
    • Vigneron Mathurine est décédée en 1668 à La Gaubretière "après avoir reçu les sacrements requis au malade".
    • Daburon Aubin décède le 20 juin 1626 à Bauné, après 6 de ses enfants, tous décédés à moins d'un mois d'intervalle, âgés de 5 à 20 ans. La cause de ces morts n'est pas précisée, mais on sait que la peste sévit en Anjou à cette période aussi : c'est sans doute la cause de ces morts multiples.
    • Josso Mathurine est décédée en 1658 à Loudéac : "ayant préalablement reçu les saints sacrements de pénitence, eucharistiques et extrême onction en la dernière maladie par Maître Pierre le Bourgeois prêtre approuvé pour la confession."
    • Jegard Julienne est décédée en 1796 à Loudéac "après une maladie de langueur".

    - les noyés :

    • Gibert Pierre André est décédé par noyade le 22 avril 1834 à La Chapelle sur Crécy : "il a été noyé dans le Morin par accident au pont de Coude et n'a été retiré qu'hier" (le pont du Coude se trouve vers Tigeaux, à 5 km de La Chapelle). Selon l'acte de mariage de son fils il serait décédé le 11 décembre 1833 : est-il resté tout ce temps dans l'eau ? La mention "n'a été retiré qu'hier" pourrai le laisser supposer.
    • Pochet Jean Denis est décédé par noyade en 1792 à Guérard. Le rédacteur de l'acte de décès précise qu'il est "autorisé à donner une sépulture ecclésiastique" à la dépouille retrouvée le lendemain de sa noyade.

    - les lieux d’inhumation :
    • Le Dilhuit Jean est décédé en 1722, à Mûr de Bretagne, « chez Marguerite Baudic veuve de feu Guillaume Guilloux [ . . . ] et transporté par ses enfants en sa demeure au village de la Villeneuve [ . . . ] et a esté ensuite enterré [ . . . ] dans l'église paroissiale." Son épouse légitime est décédée 18 ans auparavant. On peut penser qu'il entretenait avec cette veuve des relations... particulières.
     
      Acte de décès de Le Dilhuit Jean, AD22
    • Lors de son décès, en 1765 à La Cornuaille, le corps de Gilberge Denise  a été "levé, conduit au couvent des Augustins de Candé et y inhumé".
    • Allory Jean est décédé en 1648 à Cheviré le Rouge et il est "inhumé dans la fosse de sa défunte première femme" (elle-même décédée  en 1639; la seconde lui survit jusqu'en 1673).
    • Batejat Anne est décédée en 1768 à Bez Notre-Dame (Campouriez) et elle est, elle aussi "ensevelie au cimetière de l'église paroissiale dud Bez au tombeau de ses parents et predecesseurs".
    • Baudin Jean Jacques est décédé en 1709 à Cerdon et il a été "inhumé en la nef de l'église de cette paroisse près la chapelle".
    • Coconnier Louise est décédée en 1664 à Aviré et elle a été "inhumée en l'église d'Aviré au-dessus de la petite porte proche [du] benitier".
    • Nicod Thérèse est décédée en 1718 à Viry et elle a été enterrée "dans le cimetière de l'église de Viry derrière la sacristie".
    • Peytier Pierre est décédé en 1698 à Samognat et il a été "enterré en la place de ses prédécesseurs après avoir reçu les sacrements que doit recevoir un chrestien".

    - les curiosités :
    • Perret Marie Humberte est décédée "à 20 h du matin" en 1739 à Taninges.
    • Le décès de Guilliot François est curieusement signifié : "le 29 [mai 1695 à Samoëns] a commencé l'anniversaire de François, fils de feu François Guilliot mort dehors". Dans le même registre des décès figurent d'autres mentions semblables. A-t-il disparu ("mort dehors") et considère-t-on au bout d'un moment qu'on peut légitimement le déclarer mort et entreprendre "l'anniversaire" du décès ?
    • Lors du mariage de Baudin René et Poisbleau Louise, à Saint Mesmin en 1806, les témoins du mariage "ont tous assuré par serment ne savoir ni où ni quand les parents [desdits mariés] sont décédés".
    • Marolleau Hilaire : Dans son acte de décès, en 1789, à Nueil les Aubiers, il est fait mention qu'il était présent "un très grand nombre d'autres parents et amis" : la formule, rare, montre-t-elle sa popularité ?
    • Le Dilhuit Etienne est décédé en 1737 "dans la paroisse de Neuliac sur le grand chemin de Pontivy à Corlay et la levée du cadavre ayant été faite par les juges dudit Pontivy le lendemain [ . . . ] comme il est conté par la lettre missive du sieur Reteux dudit Neuliac qui a gardé par devers lui la permission des juges dudit Pontivy par eux à luy donné après avoir fait la levée dudit cadavre lequel suivant aussi permission [ . . . ] pour recevoir la sépulture ecclésiastique, a été enterré dans le cimetière de cette église paroissiale".
    • Après le décès de Raisne Toussainct, à Jarzé en 1650, on "célèbre à son intention un trentain", c'est-à-dire trente messes traditionnelles célébrées pendant trente jours et sans interruption, pour la délivrance des défunts.
    • Viau Françoise est décédée trois jours après son époux, à Pellouailles-les-Vignes, en 1631. Dans le registre, son acte de décès et celui de son époux se suivent. Elle n'est pas nommée, mais seulement dite "la femme dudit bougard". Elle est décédée en même temps que "trois de ses enfants" (ils ne sont pas prénommés).
    • Martin Pierre et Amagat Marianne ont un premier enfant en 1759 à Conques; mais la naissance se passe mal : "le chirurgien a baptisé par un pied un enfant de Pierre Martin et Marianne Amagat et puis la tiré mort, lequel a été enseveli". On remarque la présence d'un "chirurgien" (et non la matrone ou sage-femme habituelle) : l'accouchement a donc dû être long et difficile pour qu'on fasse appel à un praticien. En on comprend pourquoi : l'enfant se présentait par le siège, les pieds en avant. La mort du nouveau-né a dû être pressentie avant l'expulsion car le baptême a lieu alors que le bébé n'est pas encore complètement né. En effet, une fois sorti, la mort a été constatée. (cf. article Hélas monsieur . . . sur ce blog).