« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

mardi 12 août 2014

Disparition inquiétante

Je tournais ma petite cuillère en une ronde infinie dans ma deuxième tasse de café de la journée quand la sonnerie stridente du téléphone retentit. Bon sang ! J'avais pourtant dit de ne pas me déranger avant le troisième café du matin !



- Quel est l'imbécile qui me dérange si tôt le matin ?
- Euh ! il est dix heures, chef. C'est moi, chef. On vient de nous signaler une disparition inquiétante, chef.

Je raccroche en bougonnant et j'enfile mon long manteau noir qui ne me quitte pas, assorti du chapeau en feutre noir qui me vient de mon grand-père. Le petit est déjà dans la voiture. On file à l'appartement de la disparue pendant qu'il me briefe : jeune femme de 40 ans, célibataire, a disparu depuis plusieurs jours. . .

- Combien de jours ?
- 17 jours, chef.

Arrivé dans l'appartement, une rapide inspection me suffit pour comprendre qu'il n'y a pas eu d’agression ici. Tout est nickel, bien rangé, rien ne dépasse. Tout le contraire de chez moi ! Il ne manque pas d'objet de valeur, mais le sac à main, le smartphone et l'ordinateur ne sont plus là. La seule bizarrerie : une pièce entière tapissée de photos d'individus non identifiés et une carte de France avec de nombreuses punaises marquant différentes régions de France.

- Chef, on a trouvé un truc, chef. C'est un code secret !
- Un quoi ?
- Un code secret, chef !

Le petit me tend un bout de papier, enthousiaste. Je le regarde d'un œil torve et prend le bout de papier. Dessus est inscrite une série de lettres : AGP, CPA, CA, NMD. Ouais du charabia, quoi ! Par contre, sur le programme télé resté ouvert, sont griffonnées des initiales et le début d'un numéro de téléphone parisien  AD 01. . . Elle n'a pas eu le temps d'écrire le numéro complet. AD ? AD ? Albert Dupontel ? Bon, en attendant d'en savoir plus, on va continuer à l'appeler Albert Dupontel.

Plus tard, au poste, on examine son téléphone : il est débranché. Ses comptes : des déplacements récents vers la Bretagne, l'Anjou, l'Aveyron. . . Rien d’extraordinaire. Mais le dernier paiement est un billet de train vers Bourg-en-Bresse. 

Bourg-en-Bresse ? Quelle idée ? Sans rire : personne sait où ça s'trouve Bourg-en-Bresse ! Bon, ben y'a plus qu'une solution : y aller !

Grâce aux collègues sur place, et aux caméras, on distingue une silhouette qui sort de la gare et qui pourrait être elle. Elle est seule, c'est déjà ça. Elle va peut-être retrouver cet Albert ? Elle se dirige droit vers un grand bâtiment allongé, moitié béton, moitié verre. J'y vais à mon tour.

Deux hypothèses, donc, puisqu'elle était seule et non sous la contrainte d'une tierce personne :
- Soit elle est en train de braquer ce bâtiment avec. . . euh elle n'a pas de port d'arme, donc avec. . . une paire de ciseaux ?
- Non, chef : on n'a pas le droit aux ciseaux dans ce genre d'endroit.
- Ah bon ? un coupe papier alors ?
- Non, chef.
- Un tube de colle ?
- Non plus, chef.
- . . . ?
- Un crayon à papier et une feuille, c'est tout, chef.
- Bon, alors, les braquages aux feuilles de papier, ça fait un moment que j'en n'ai pas vu. Passons à la deuxième hypothèse. Donc, soit. . . je ne sais pas encore.

J'arrive devant l'immeuble. Ce sont les archives départementales. 
Archives, archives. . . ? Archives départementales = AD ! Bien sûr. Bon ben, d'évidence, c'était pas le numéro de téléphone d'Albert Dupontel. 

Plusieurs personnes occupent la grande salle. Un silence de tombeau règne ici, seulement perturbé par un clang-clang régulier provenant d'une énorme machine occupant une alcôve au bout de la salle. Un vieillard chenu y fait défiler des documents si rapidement que je me demande bien comment il peut voir ce qu'il y a dessus. Tout d'un coup il exulte : 
- Ça y est ! j'ai trouvé !
Ma parole, il est si heureux qu'on dirait que c'est le Graal qu'il a trouvé.

Je me présente alors à l'accueil et, sortant ma carte et une photo de la disparue, je demande :
- Avez-vous vu cette femme ?
Aussitôt, une nuée de "chuuut" m'assaille de toutes parts. Je me retourne et les personnes présentes me regardent d'un air mauvais. Un couteau entre les dents n'aurait pas fait meilleure impression. La personne de l'accueil, avec un sourire, me montre une salle plus petite, tout au bout de la grande salle.

Au fur et à mesure que j'approche de cette salle, j’entends comme un bourdonnement. Un murmure constant s'élève des personnes attablées par petits groupes de deux, trois ou quatre devant les ordinateurs de la petite salle. Dans le silence assourdissant de ces lieux, ce bruissement est plus incongru qu'une mouche dans un whisky. Il y a là plusieurs personnes, de tous âges. J'essaie d'attirer leur attention, en vain. Ils discutent en eux, tout doucement, mais tous en même temps. Il y a un je ne sais quoi dans l'air. Une espèce d'euphorie. On dirait des abeilles sur un pot de miel. J'entends des bribes de conversations :

- il est granger là aussi.
- j'ai trouvé des achapts et des acquets.
- ton Vuailliat, c'est un "dit Cognat" ou pas ?

Bon sang ! je suis tombé sur une autre planète ou quoi ? Dans quelle langue on parle ici ? Enfin, je repère ma cible parmi ces extraterrestres. Je lui pose la main sur l'épaule, mais il me faut la secouer un peu pour qu'elle détourne enfin son attention de son écran. Pour moi ces pattes de mouches illisibles ne me retiendraient pas 15 secondes, mais bon.

- Je suis contant de vous retrouver : vous aviez disparu depuis longtemps et vos proches s'inquiètent.
- Disparu ? Mais non, je suis là.
- Ça je le vois !
- Depuis longtemps ?
- 17 jours pour être exact.
- Tant que ça ? Mais je n'ai pas vu le temps passer.
- Vous avez passé tout ce temps ici ?
- Bien sûr. Il y a tant d'informations à glaner !
- . . . ?
- Mais enfin, ne vous êtes-vous jamais intéressés à l'histoire de votre père ? de votre grand-père ?
Je jette un coup d’œil à mon chapeau.
- C'est tout ce que j'ai hérité de lui. Le reste, je ne sais pas : je ne l'ai pas connu. Une brouille familiale je crois.
- Mais vous ne savez donc pas le métier qu'il faisait, où il habitait, quel a été son parcours militaire, quelle est était sa vie, quoi !
- Ben non.
- Vous n'avez pas fait votre généalogie ?
- Géné. . . quoi ? 

Un grand silence soudain se fait dans la salle. Glaçant. Tout le monde a les yeux rivés sur moi, une lueur d'horreur dans les yeux. Quand le silence se fait trop gênant, chacun retourne à ses occupations, mais en chuchotant et en me regardant bizarrement.

- Bon, on ne peut pas vous laisser comme ça. 
Elle ouvre son propre ordinateur et, après m'avoir demandé mon patronyme, laisse courir ses mains sur son clavier. En moins de temps qu'il ne faut pour le dire elle trouve son adresse, la composition de sa famille, son contrat de mariage, ses affectations militaires, son bail, des documents qui les lient à ses voisins (reconnaissances de dette, ventes) et même son testament et l'inventaire de ses meubles après son décès donnant une description précise du contenu de sa maison. Bon sang j'en ai appris plus sur lui de durant toute ma vie.

- Mais comment vous avez fait ça ?
- Mais enfin, monsieur, c'est ça la généalogie !

Sur la route du retour, je repense à tout ça. Je croyais que la généalogie c'était un truc de vieux. Je ne pensais pas qu'on pouvait en apprendre sur soi-même et sur les siens. Et en rentrant chez moi ce soir là, je me suis dit que la journée avait été plutôt bonne : je n'avais pas simplement retrouvé la fille. . . mais aussi ma famille entière.


vendredi 8 août 2014

Et il n'y a pas d'âge pour transmettre ses découvertes

Il y a quelques temps, j'expliquais qu'il n'était jamais trop tôt pour commencer la généalogie.

Aujourd'hui je déclare qu'il n'y a pas d'âge pour transmettre ses découvertes !

Cette fois, je ne m'adresse plus à mes jeunes neveux/nièces, mais à la génération de mon père. Pour son anniversaire j'ai créé un livre sur sa famille. Ce n'est pas un roman familial, c'est plutôt un document visuel.
Je l'ai réalisé grâce à un site éditeur d'albums photos.

Livre de famille, couverture, coll. personnelle

J'ai choisi le format, le nombre de pages, la couverture. J'ai ensuite réalisé les pages intérieures selon mes envies.

 Livre de famille, pages intérieures, coll. personnelle

Très facile à réaliser :
  • Il suffit d'ajouter un bloc de texte et de rédiger ce que vous souhaitez (un copié-collé est aussi possible, si vous avez déjà rédigé ces informations ailleurs). On peut bien sûr modifier la police, le corps, etc. comme on veut. On place le bloc de texte à l'endroit souhaité. Et on peut même modifier son orientation pour lui donner un air penché qui apporte une dynamique à la page.
  • Ensuite, même chose pour les images : photos de personnes, de lieux, ou tout document iconographique souhaité. L'éditeur vous indique si la résolution de la photo est suffisante pour donner un bon rendu à l'impression. 
  • Pour créer une unité, j'ai rajouté les bandes de couleurs.

Une double-page par génération.

Une fois que le document convient, il suffit de passer commande et d'attendre son colis.

A l'origine, ce livre était prévu pour mon père, mais tant qu'à faire, je l'ai aussi proposé à mes oncles et tantes et l'ai fait éditer en plusieurs exemplaires. Et c'est comme ça qu'ils furent enchantés de recevoir un livre racontant l'histoire de leur famille.

Et c'est ainsi un bon moyen de transmettre ses découvertes généalogiques.




jeudi 31 juillet 2014

#Centenaire1418 pas à pas : juillet 1914

Pour commémorer le centenaire de la guerre 14/18, j'ai décidé de suivre pas à pas mon arrière-grand-père Jean François Borrat-Michaud au cours de ces années de conflit.

Jean François Borrat-Michaud est né en 1894 à Samöens (Haute-Savoie). 


Jean François Borrat-Michaud, vers 1917 ou 1918, coll. personnelle

Son père, Joseph Auguste, est né à Champéry (Suisse) en 1863. Installé à Samoëns sans doute dans la décennie 1880, en tant que cultivateur, il épouse Antoinette Adélaïde Jay en 1893. Lors de ce mariage, ils reconnaissent la fille d'Antoinette, Félicie Césarine (née en 1881) et la fille de Joseph, Marie Louise (née en 1892). Un autre enfant viendra agrandir la famille : Armand, né vers 1905.

Arbre généalogique Jean François Borrat-Michaud
 
Alors que Jean François a tout juste 20 ans, la Première Guerre Mondiale éclate. 

Nous avions déjà parlé de lui sur ce blog (ici, et ). Mais cette fois c'est une façon différente de lui rendre hommage, en le suivant pas à pas.

Revivez avec moi, au jour le jour, son parcours tout au long du conflit de la Première Guerre Mondiale sur son compte Twitter @jfbm1418 ( * ). Ou, si vous préférez la version blog, les tweets du mois seront regroupés dans des articles récapitulatifs mensuels.

Ce "live tweet 14/18" a commencé le 29 juillet 2014/1914 :

- Je m'appelle Jean François et je vais bientôt connaître 4 années peu communes, qui me marqueront à vie.

- J’ai tout juste 20 ans : né le 26 juin 1894, j’ai fêté mon anniversaire en famille le mois dernier.

- J'ai grandi à l'ombre du Criou (la montagne), dans le bourg de Samoëns en Haute-Savoie
Église de Samoëns et, en arrière-plan, le Criou © Delcampe

30 juillet :

- Papa a rapporté le Petit Journal. Ils en parlent encore ce matin : la tension est palpable. Aurons-nous la guerre ?
Le Petit Journal, 30 juillet 1914, © Gallica

- Je reviens de la place de l’église : sous le Gros Tilleul, on ne parle que du discours de Jaurès, longuement applaudi hier.

- Après une journée de labeur dans les parcelles hautes, de retour à la maison, nous apprenons la mobilisation générale en Russie.

31 juillet :

- Rentré en catastrophe à Samoëns, reverrais-je un jour le faubourg St Martin et le troquet où j’étais garçon de café ?
Paris, rue du Faubourg Saint martin, © Delcampe

- Et les jolis yeux bleus de Lisette ?

- Le temps est lourd : les pays d'Europe décrètent la mobilisation générale les uns après les autres; avec allégresse ou frayeur c'est selon.

- Nous venons d’apprendre que Jaurès a été assassiné ! Stupeur générale. Le conflit semble maintenant inévitable.


( * ) Pour mémoire, Twitter est un réseau social sur lequel on s'exprime en courts messages (140 caractères maximum); on peut aussi joindre des photos ou des vidéos. C'est pour cela que les messages de Jean François sont très courts.