« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

dimanche 24 décembre 2017

Le Christ en frêne

Récemment en visite chez ma jeune sœur, elle me prête sa chambre pour dormir. Sur le mur j’aperçois un crucifix. Il est tout simple. En bois de frêne. Ce n'est même pas vraiment un crucifix : juste un Christ en croix. Ses bras sont relevés, ses jambes jointes. Ses membres sont très allongés. Il penche la tête sur le côté, comme si elle reposait sur son bras gauche. Les détails sont à peine esquissés : tête, côtes, perizonium. On voit encore les marques de l’objet qui a servi à le sculpter.


Christ sculpté, Jean Astié, 1956 © Coll. personnelle

Je ne suis pas croyante : ce Christ ne représente donc rien pour moi sur le plan spirituel. Par contre, il m’a beaucoup émue. En effet l’objet lui-même, par sa simplicité, par le travail de sculpture effectué, par sa forme, m’a touché. Je l’ai trouvé très beau. Il n’est pas d’or, n’est pas décoré de pierres précieuses et, d’évidence, il n’a pas été réalisé par un grand nom de la sculpture. Et pourtant. J’ai été émue. Véritablement.

J’ai fait part de mon émotion à mon père et ce qu’il m’a raconté m’a d’autant troublée : il possédait ce Christ depuis un long moment déjà et l’a offert à ma sœur lorsque, parvenue à l'âge adulte, elle s’est fait baptiser. Effectivement, si nos parents ont reçu une éducation religieuse (catholique), ils nous ont toujours, à mon frère, ma sœur et moi-même, laissé la liberté de croyance. Et plutôt que de nous faire baptiser (et par là « imposer » une certaine religion) lorsque nous étions nourrissons, ils ont préféré nous laisser faire nos propres choix, en toute conscience ; à l’âge adulte donc. C’est ainsi qu’il y a quelques années ma sœur s’est fait baptiser. C’est à cette occasion que mon père lui a offert le fameux Christ qui orne aujourd’hui sa chambre.

Or donc, mon père me raconte cette histoire et m’en apprend encore davantage sur son origine : c’est mon oncle Jean (frère aîné de mon père) qui l’a sculpté ! Les bras m’en tombent ! Je savais que mon oncle a toujours aimé travailler le bois et qu’il aurait souhaité devenir menuisier (la vie en ayant décidé autrement), mais j’ignorais ses talents de sculpteur !

Aussitôt je le contacte et lui relate cette anecdote. Et là il m’en raconte une plus belle encore : il a sculpté ce Christ alors qu’il était jeune homme ! Un jour qu’il était chez les scouts (toute la fratrie, ainsi que mon père bien sûr, y est passée), il pleuvait beaucoup. Tout l’après-midi. Alors pour s’occuper, il a pris un morceau de bois et a sculpté ce Christ. C’était en juillet 1956 croit-il se souvenir. Le camp scout tout entier était paralysé par le mauvais temps et ils envisageaient un retour précipité à Angers quand le soleil est revenu. Ils sont donc restés sur place et ont poursuivi le cours normal de leurs activités. Avec un grand feu ils ont tout de même pris de temps de fait sécher tous leurs vêtements « qui commençaient à sentir le moisi » (je cite).

Et voilà que ma première émotion née de la vision de ce Christ se trouve doublée d’une seconde, directement issue de l’histoire familiale : le fait de savoir que c’est mon oncle qui a fait de ses propres (jeunes) mains ce si beau crucifix.

Sans cette pluie, ce Christ n’aurait probablement pas vu le jour. A quoi ça tient finalement…


samedi 16 décembre 2017

#RDVAncestral : la centenaire

Le silence est quasi religieux dans la maison de Loudeac (Côtes d’Armor) où je viens d’arriver. Il y a là plusieurs amis et voisins ; et puis deux générations d’une même famille, les Jouneau ou Jouniaux. Ou plutôt trois : les deux premières étant ici pour assister à la fin d’une troisième, leur aïeule à tous. On chuchote pour ne pas déranger la malade qui repose à côté. Chacun leur tour ils viennent faire leurs adieux. Car il est certain désormais que Mathurine va s’éteindre. La maladie l’a épuisée. Le vicaire est avec elle en ce moment : il doit très certainement la confesser une dernière fois et lui administrer les Saints Sacrement de Pénitence Eucharistiques et l’extrême-onction.

Je me fais toute petite dans un coin. Yvonne, la bru de Mathurine, me propose une collation… en attendant. Non loin de moi, je repère Jean. C’est le plus jeune fils d’Yvonne ; et c’est aussi mon ancêtre direct. Il a alors 10 ans. Il semble un peu perdu. Je me rapproche de lui. S’il est clair que les aînés ont compris ce qui se joue aujourd’hui, rien n’est moins sûr pour Jean. Je lui serre le bras, mais n’engage pas la conversation : je vois bien que ses yeux sont pleins et qu’au moindre tremblement les larmes déborderont. Il fixe la porte de la chambre de sa grand-mère.

Elle a toujours été là, sa grand-mère. Il ne peut concevoir qu’il en soit autrement. Même si les adultes le lui ont dit. Même s’il sait qu’elle est très vieille. Beaucoup plus vieille que n’importe qui. Dans deux mois ce sera son anniversaire. Il lui a préparé un cadeau : il lui a fabriqué une croix dans un morceau de bois que lui a laissé son père. Oh ! ce n’est pas la plus belle qu’il ai vue, mais enfin il a mis du temps à la faire, à cause des douces volutes qui la décorent et qui lui ont donné du mal pour qu’elles soient bien régulières. Et puis c’est lui qui l’a faite tout seul. Il a hâte de la lui donner. C’est pour ça qu’il ne faut pas qu’elle meure avant le mois de mars. Mais on n’est que le 8 janvier ! Jean serre les poings. Je m’apprête à le consoler, lorsque Julien, le père de Jean, s’approche de moi :
- Vous pouvez y allez si vous voulez…

Il m’entraîne à la porte de la chambre. Je reste sur le seuil, hésitante. Il me pousse gentiment et referme derrière moi. Mathurine est seule. Dans son lit. Sa respiration est lente. Difficile. Mais, sentant ma présence, elle ouvre ses yeux et me sourit. Son visage, plus ridé qu’un vieux parchemin, s’éclaire soudain.
- Allons ! Approchez-vous, n’ayez pas peur de moi.
Je suis surprise que le son de sa voix soit aussi claire alors que l’instant précédent elle semblait si menue, si fragile dans le grand lit. Elle a dû deviner ma surprise, car elle sourit et ajoute :
- Et bien ! je ne suis pas encore morte, alors causons un peu…
Je m’installe à son chevet. Elle émet un étrange petit rire avant de redevenir sérieuse.
- Je n’ai pas peur de la mort vous savez. J’ai fait la paix avec Dieu ; le vicaire vient de m’en donner l’absolution. Et puis, la mort n’est-elle pas la promesse de temps meilleurs ? De plus j’ai eu une longue vie. Elle fut marquée, comme tout le monde, par ses malheurs (la disparition de mes proches) mais aussi par de nombreux bonheurs (les naissances puis les mariages de mes enfants et petits-enfants). Vous avez vu comme ils sont nombreux à côté, amis et parents, pour me dire adieu ? N’est-ce pas le signe que je fus appréciée dans cette vie ?
- Si on le mesure à leur chagrin, sans aucun doute, grand-mère.
Elle sourit encore.
- Et savez-vous quel âge on me donne ?
- Oui, bien sûr : vous avez passé le centenaire il y a presque quatre ans !
Elle s’esclaffe.
- N’est-ce pas incroyable ? Si on m’avait dit que je vivrais si longtemps, je ne l’aurais sûrement pas cru ! Dire que je suis née sous le règne du roi Charles IX, vous savez, celui qui aurait été empoisonné comme disent les rumeurs. J’étais trop petite pour avoir connu le massacre de la saint Barthélémy, mais elle a frappé les esprits, hélas, et j’en ai souvent entendu parler. Et j’ai connu encore… Elle réfléchit… quatre rois après lui. Le règne de son frère Henri III a été marqué par les suites des guerres de religion et de brefs épisodes de paix. Les temps étaient durs. Ce qui n’a pas empêché le roi, dit-on, de fréquenter fort assidûment les belles femmes… voire de jeunes mignons ! Mais cela ne lui a guère porté de chance : assassiné à 38 ans ! En tout cas cette mort tragique a mis fin à une dynastie de roi. Quand à son successeur, le Bourbon tantôt protestant tantôt catholique, c’était encore un roi qui aimait les guerres. Les petites gens comme nous ont bien souffert et ne l’ont guère apprécié. La prospérité des ports bretons et le commerce de la toile de lin, si florissants, ont bien souffert de ces conflits de religion incessants. Si j’en suis si sensible, c’est que les seigneurs de Pontivy dont nous dépendons ici ont embrassé la religion prétendue réformée et leur château est devenu un refuge de huguenots ! Heureusement Louis XIII, successeur d’Henri IV était un roi très pieux. On l’appelait « le Juste », le saviez-vous ? Il avait le souci du bien-être de ses peuples et du salut de ses États. On l’a gardé 42 ans à la tête du royaume tout de même. Louis le Quatorzième, qu’on appelle le Dieudonné, a succédé à son père alors qu’il n’était qu’un enfant. Cependant cela ne l’empêche pas de tenir le royaume d’une poigne de fer, décidant de tout. Mais il semble qu’il ne veuille pas mourir lui non plus. Il est toujours là. Comme moi !
Son rire léger tinte encore une fois.

Malgré son incroyable énergie, Mathurine est fatiguée. Après un silence, elle ajoute :
- Cette fois, je crois que Dieu en a assez de me voir sur cette terre. Je ne lui en veux pas et lui rend grâce de la belle vie qu’il m’a accordée. Je crois que j’ai été à peu près honnête toute ma - longue - vie. Si j’ai fais du mal à quelqu’un c’est sans le vouloir. C’est pourquoi je pars l’esprit en paix.
Un sanglot m’échappe soudain.
- Allons ! Allons ! Ne pleurez pas. Embrassez-moi plutôt et allez ! vous pouvez appeler mes enfants pour que je leur dise un dernier adieu.

Enfants, brus, gendres, petits-enfants et compagnes ou compagnons se serrent dans la chambre de la centenaire. Guillemette tient la main de sa mère en sanglotant silencieusement. Un peu plus tard, Mathurine serra légèrement plus fort la main de sa fille et ferma les yeux. Presque aussitôt, sa respiration cessa. C’était fini.

On me pria de rester pour la veillée de la défunte, mais je déclinais. Dans la nuit, je m’en retournais chez moi, heureuse d’avoir eu cette étrange et singulière rencontre avec la seule centenaire de mon arbre, même si c’était au soir de sa vie.


Acte de décès de Mathurine Le Floc, 1677 © AD22

Mathurine Le Floc aagée de cent quatre ans de cette ville est décédée en la communion de nostre mere Saincte Eglise l’huictiesme jour de janvier mil six cents septante et sept apres avoir reçu en sa derniere maladie les Saints Sacrement de penitence eucharistiques et extreme onction de moy soussigné vicaire de Loudeac Le corps de ladicte deffuncte a esté inhumé le lendemain dans le chœur de cette eglise. ont assisté au convoy Julien Jouneau fils Guillemette Jouneau fille et Pierre duault gendre de ladite deffuncte qui ne signent

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Mathurine avait-elle véritablement 104 ans ? Un acte de naissance, daté de mars 1573, semble être celui d’une Mathurine Le Floc.

Acte de naissance de Mathurine Le Floc ?, 1573 © AD22 (vue 49/386)

Hélas, le document est très large, l’écriture très petite et la numérisation de trop basse qualité pour être sûre qu’il s’agit bien de l’acte de naissance de Mathurine, d’une part, et que cela soit celui de « ma » Mathurine de l’autre ; son ascendance restant par ailleurs inconnue, faute de registre conservés.
Si quelqu'un peut confirmer (ou non) cet acte de naissance, je suis preneuse...


samedi 9 décembre 2017

#Généathème : Votre plus grand bonheur généalogique de l'année

La généalogie est parsemée de multiples sentiments : frustration de ne pas trouver ce que l'on cherche, découverte d'un document inconnu, excitation de la recherche. Mais les plus grands bonheurs sont ceux que l'on ressent lorsqu'on arrive à résoudre une énigme restée longtemps obscure, lorsqu'on trouve une nouvelle branche ignorée jusque-là ou lorsque l'on tombe sur une trace tangible de ses ancêtres.

La nouveauté c'est vraiment le kif : de nouveau ancêtres, de nouveaux métiers, de nouvelles régions... Mais tout cela reste immatériel, impalpable. Des noms sur des papiers (ou maintenant plus souvent sur des écrans d'ordinateur !). Des documents dématérialisés à l'ère du numérique. Au fur et à mesure cela se transforme en chiffres, noms, qui finissent par se mélanger, devenir flous, presque irréels.

Mais en de rares occasions, nos ancêtres renaissent à la vie. Ils (re)deviennent vivants, prennent corps et chair.
  • Lorsque l'on possède une photographie de nos ancêtres
Pas de doute ils sont là en chair et en os (ou presque). Mais en tout cas on découvre leurs visages, leurs vêtements, leur environnement. Récemment, j'ai découvert dans une pile de photos de gens non identifiés mais sans doute de ma famille (ou de proches ?), un cliché du père de mon arrière-grand-père maternel. Je ne possédais qu'une seule photo de lui, alors qu'il avait une cinquantaine d'années. Et là je le découvre en vénérable grand-père, cheveux et barbe blanche ! Émouvant.
Bien sûr, ces petits bonheurs sont limités en nombre (les clichés ne tombent pas du ciel tous les jours) et limités dans le temps puisque l'invention de la photographie est finalement assez récente.
  • Lorsqu'on découvre la signature d'un de ses ancêtres au bas d'un document
La signature d'un(e) ancêtre c'est tangible : c'est lui, c'est elle, c'est eux. Ils étaient au bout de la plume et ce fil invisible nous relie directement. Une écriture malhabile et l'on sent les difficultés de l'apprentissage ou la vieillesse qui fait son œuvre. Au contraire des fioritures qui décorent le paraphe et c'est la culture et le savoir qui se déroulent sous nos yeux.
Ces signatures font partie de mes plaisirs généalogiques les plus marqués.
  • Lorsqu'on hérite d'un objet ayant appartenu à nos ancêtres
Évidemment c'est plus rare : il existe en général peu d'objets qui se transmettent de génération ne génération. Des bijoux, des livres, des vêtements... Mais cela concerne quoi ? trois ou quatre générations, guère plus le plus souvent. A part un mouchoir qui a appartenu à la mère de mon arrière-grand-père paternel, brodé à son chiffre, qui m'a été brièvement confié (mais que j'ai dû rendre à sa propriétaire actuelle), je n'ai aucun objet appartenant au patrimoine intime de mes ascendants.

Pourtant, au moment où je m'y attendais le moins, j'ai récemment eu une belle émotion grâce à l'un de ces objets de famille. Enfin, quand je dis objet, ce n'est pas tout à fait le bon terme. Sur les traces de mon arrière-grand-père paternel, garde des eaux et forêts en Maine et Loire, je suivais le petit chemin qui menait à sa maison. Derrière la maison, la Loire : il y surveillait les saumons. De l'autre côté du chemin, des parcelles : il y plantait des arbres. Et si les saumons se sont sauvés, les arbres, eux, sont encore bien là. C'est ainsi qu'accompagnée de mon père et de l'une de ses sœurs aînées, nous avons découvert les arbres qu'il a planté. Lui nous a quitté depuis longtemps (1929), mais il a laissé sa trace, notamment une magnifique peupleraie. Aujourd'hui ce sont de beaux grands arbres. Bien sûr mon arrière-grand-père ne les a pas connu dans cet état, mais il était émouvant de l'imaginer, sillonnant la parcelle, avec ses petits plants, travaillant pour l'avenir. Et son avenir c'est notre présent. C'était d'ailleurs d'autant plus émouvant que j'étais entourée de ses petits-enfants, aussi troublés que moi par cette découverte.

Peupliers de la parcelle "les Ayraults", Les Ponts de Cé (49), 2017 © Coll. personnelle

Était-ce "mon plus grand bonheur généalogique de l'année" ? Non peut-être pas. Mais cela faisait partie assurément de ces beaux moments qui font la joie des généalogistes et qui constituent le moteur pour nous faire avancer, poursuivre nos recherches et, au hasard des rencontres, nous procurer de belles émotions qui font le sel de la généalogie.