Tout commence par un mariage, à Saint-Amand-sur-Sèvre (79). Il est assez bizarrement
formulé, mais on est en période révolutionnaire : les nouveaux maires, en
plus de leurs diverses responsabilités communales, sont en charge de l’état
civil – jusque là chasse gardée des curés.
Donc une Révolution, un nouveau calendrier, des nouveaux
citoyens… on peut comprendre que le maire soit perturbé que son style s’en
ressente.
Mariage Ribouleau Jacques, 1801 © AD79
LE BEL maire de la commune de St Amand sur Sèvre
arrondissement communal
de Thouars le nommé JACQUES RIBOULEAU maréchal
talandier demeurant au village de la Gidalière commune de
Saint-Amand fils de CHARLES RIBOULEAU bordier né commune de
Saintes ( ?), son père est CHARLES RIBOULEAU ; et
sa mère
est JEANNE JADAU, décédée de l'an huit, son frère
est PIERRE RIBOULEAU, et sa femme du dit
RIBOULEAU talandier de la Gidalière est
MARIANNE GABARD femme
du dit citoyen RIBOULEAU
demeurant au village de la Gidalière commune
de Saint-Amand fille de feu GABARD, sa mère
est HANNE GOBIN vivante demeurante commune de Saint
Amand, les témoins est le beau-frère de la femme
de JACQUES RIBOULEAU, son oncle est JACQUES
GABARD qui m'ont déclaré savoir signer et
ont signé avec moi. Louis Martineau,
J Gabard, Le Bel maire, Jacques Ribolleau,
Marie Anne Gabard,
Bon, Monsieur le Maire n’aurait sans doute pas reçu le grand
prix de grammaire et de conjugaison. Passons cela.
Ce qui m’a interpellé d’abord c’est la façon de désigner les
fiancés que l’on marie : « le nommé X (son nom n’a pas d’importance
ici), son père est X et sa mère est X ». Jusqu’à présent, ici et
ailleurs, même en période révolutionnaire, on ne dit pas que untel « est ». On dit plutôt Untel « fils de ». Ceci dit pourquoi pas ?
Cela ne change pas grand-chose à l’affaire, me suis-je dis au début.
Par ailleurs, les lecteurs attentifs auront remarqué qu’il n’y
a pas de date non plus. Ça arrive aussi parfois. L’acte précédent est daté du 7 thermidor an IX, le 28 juillet 1801. Les
deux suivant n’ont pas de date, le troisième est du 2 thermidor an IX. Bon le calendrier est peu chamboulé,
passé au shaker de la Révolution. Les personnes ayant déposé leurs arbres sur
Geneanet sont un peu perdus aussi : ils ont parfois daté le mariage du 20
mai (30 floréal). D’autres ne s’y sont pas risqué et sont resté sur un prudent « 1801 »
tout court.
Et puis aussi il y
a cette mention particulière : la fiancée, future épousée (normalement)
est désignées deux fois de suite par le terme « femme de », ce qui sous-entend qu’elle est déjà mariée.
Enfin, dans l’acte de
décès du père de la mariée, une autre mention tire carrément la sonnette d’alarme :
l’un des témoins est Jacques Ribouleau, qualifié de gendre du défunt. Or Jacques Gabard est décédé en 1798, trois ans
avant le fameux mariage bizarre. On peut tout accepter : des mariages sans
date, des mariages libellés curieusement, mais des gendres avant mariage, ça
non.
Et quand on
découvre un enfant né en 1799 du couple Ribouleau/Gabard, là c’est la goutte d’eau.
Bon d’accord les enfants nés avant mariage arrivent quelques fois, mais là c’est
n’est plus un péché c’est une anomalie spatio-temporelle. En examinant bien cet
acte de 1799 on s’aperçoit que Marianne est dite « sa femme en légitime mariage ». Plus de doute possible. Un mariage
a eu lieu avant 1801 (acte de confirmation ?). Avant 1799 (naissance du
fils). Avant 1798 (décès du père).
Pourquoi ne pas
feuilleter les registres, me direz-vous ? Et bien parce que nous sommes en
pleine Deux-Sèvres vendéenne, que les registres paroissiaux ont subi les
foudres des colonnes infernales. Que dans la décennie 1790 ont est davantage
occupé à ne pas se faire embrocher par un sabre qui traîne plutôt que de
remplir des lignes dans un registre.
Mais dans la
décennie suivante on régularise les choses. Et c’est ce qui a du se passer pour
Jacques et Marianne. C’est ce qui explique que Marianne soit dite « femme
de » Jacques dans cet acte de 1801. Reste à trouver le véritable acte de
mariage.
C’est le relevedu79
qui me met sur la piste : un acte daté du 20 janvier 1796, filiatif, avec
des informations complémentaires du genre parmi les témoins on compte le frère
du marié et l’oncle et parrain de la mariée. Hum… ça donne envie de voir cet
acte en vrai. Il précise même « Mariage célébré par Pierre GABART
curé de Chambreteau » : ah ! l’ancêtre mythique qui ferait
partie de la famille et qui permettrait de compléter une génération
supplémentaire car ses parents à lui sont connus (contrairement « aux
miens »).
Le Cercle Généalogique des Deux-Sèvres confirme cette pépite. Hélas ni l’un
ni l’autre ne donne la cote du document : ça se complique pour « le voir
en vrai ».
Bref, quoi qu’il en soit Jacques et Marianne ne se sont pas vraiment
mariés deux fois. Ils ont simplement fait confirmer ce qui s’était sans doute perdu.
Et les petites lumières qui ont clignoté à la lecture de l’acte de 1801 avaient
bien un sens caché. Toujours faire confiance à son instinct.