- Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -
Semaine 50 : Traditions
Pour cette antépénultième semaine du challenge #52Ancestors
(déjà !), je garderai le sujet au singulier : la tradition ; et
plus particulièrement la tradition orale. Voici quelques fragments de vie
recueillis auprès de mon oncle Jean.
Augustin Pierre Jean Astié est mon arrière-arrière-grand-père.
Il est né 1851, a grandi en Corse, s’est installé en Maine et Loire, a fait des
séjours en Aveyron et a fini sa fini en région parisienne en 1914. Je lui
compte plus d’une vingtaine de domiciles. Mon oncle Jean m’en a fourni une
probable explication : « Il était journalier dans une ferme.
Quand il n'y avait plus de travail, on le renvoyait. Il mettait ses enfants et
ses effets dans un coffre, le tout dans une charrette à bras, et partait avec
toute la famille à pied à la recherche d'un nouvel emploi. Si une parente avait
besoin d'une aide il lui laissait un enfant. C'est ainsi qu'Augustin Daniel
[son fils, 1888/1974] s'est retrouvé commis boucher boulevard St Michel [à
Angers, Maine et Loire]. Il allait chercher des quartiers de viande à
l'abattoir d'Angers, situé dans [le quartier de] la Doutre, avec une charrette
à bras et à l'occasion buvait un bol de sang frais pour se ravigoter. Vrai ou
faux ces souvenirs dégoutaient ses petits-enfants quand il le leur racontait... »
Son fils Augustin Daniel « travaillait au cardage du chanvre
à l'usine Bessonneau. Comme il était interdit de fumer il chiquait. Quand on
lui offrait une cigarette il la mettait dans sa bouche avec le papier (la
cigarette à bout filtre n'existait pas dans ma jeunesse) et la
mastiquant avec plaisir à grands crachats de jets de salives par terre comme
dans les films de cowboys. Au repas il plaçait sa chique dans la doublure de sa
casquette ou sous la table ce qui rendait grand-mère furieuse. Il était payé à
la semaine mais la paye finissait souvent au café du coin. Comme excuse il
disait que son frère qui lui ressemblait s'était fait passer pour lui ou qu'il
avait perdu son porte-monnaie. La grand-mère devait gérer la pénurie ce qui
explique leur faible niveau de vie et le surnom donné à Augustin à la retraite
de "grand-père pastis". Heureusement il avait un très bon côté. »
Augustin a épouse Louise Lejard en 1912 à Angers.
Jean se souvient des logements habités par trois générations
de notre famille :
« Au début Augustin et son épouse Louise habitaient au
dessus de la boucherie Frète, Faubourg St Michel ». Cette boucherie était tenue
par l’oncle et la tante d’Augustin, Daniel Frète et Elisabeth Rols.
« Le bâtiment était en partie creusé dans l'ardoise. Le
premier étage était réservé à la "grand-mère Frète" [Elisabeth Rols],
c'est ainsi que nous l'appelions et nous ne la voyions que très rarement.
L'étage au sommet du rocher était une petite cour avec le logement des
grands-parents et un cabinet d'aisance. Dans ces vieux bâtiments les logements
étaient imbriqués les uns dans les autres. L'escalier était taillé dans le
rocher d'ardoise. L'appartement était petit et sombre. La cuisine donnait sur la
cour et la chambre donnait sur la rue. Dans cette chambre une cloison séparait
le lit de Daniel du lit des parents. La fosse du cabinet était creusée au
deuxième étage dans le rocher, je te passe les détails quand il fallait la
vider…
Quand le grand-père était en colère après l'un d'entre nous,
il lançait sa casquette, en jurant d'un "Non d'une pipe de peau d'chien
vert ! ". C'était un signal d'un grand mécontentement et qu'il
fallait se tenir à carreau. »
Augustin et Louise n’ont eu qu’un seul enfant, Daniel Augustin.
En 1935, il épouse Marcelle Assumel-Lurdin.
« Militant populaire des familles, il prit avec son
épouse, l'organisation et la gestion de la Maison Familiale de Vacances et de
Repos des Travailleurs, située sur le domaine du Hutreau (de 1945 à 1952). »
Le Hutreau est un grand domaine situé près d’Angers. Ce
n'était à l'origine qu'une modeste closerie, une petite exploitation rurale. Au
XVIIème il est la propriété de familles de la bourgeoisie d’Angers, puis de
familles nobles. Petit à petit le domaine est aménagé. Le château de style néo-Renaissance
et le parc à l’anglaise datent du XIXème siècle. Le propriétaire est alors
Armand Laity, préfet des Basses Pyrénées. Il meurt sans enfants. Divers
propriétaires se succèdent alors jusqu'à l’installation des Ursulines en 1932 qui
y établissent un pensionnat. En 1944 la Gestapo le réquisitionne. La Maison
Familiale est installée après la guerre. Mais reprenons le cours des souvenirs de
Jean :
« Le Hutreau était, dans les années d'avant la guerre
1939/45, un collège pour les filles des donateurs au financement du Bon Pasteur.
La congrégation de Notre-Dame de Charité du Bon Pasteur est une institution de
religieuses qui, ailleurs, rééduquait les "filles perdues" (voleuses
et prostituées ou simplement "filles mères").
Ces demoiselles – les religieuses, pas les filles perdues – disposaient d'un parc de 8 hectares clos par un mur. Le château et l'annexe étaient
équipés en salle de classe et en internat avec logement du personnel. La ferme était
occupée par un couple qui entretenait le château. Au temps d’Armand Laity il y
avait plein de personnel qu'il fallait loger près de leur lieu d'activité d'où
cette profusion de logements indépendants, de combles pour les personnes de
service.
Après l'occupation par la Gestapo d'Angers et leur fuite
précipitée [lors de la libération d’Angers], l'association "Mouvement
Populaire des Familles" a loué le château, sauf la ferme, aux
religieuses. Papa a été nommé directeur de la maison familiale de vacances. »
Mon père, aussi prénommé Daniel, est né en 1948 dans le château du Hutreau,
au premier étage, où habitaient mes grands-parents.
« Quand notre famille est venue au Hutreau, les
grands-parents leur ont succédé dans la location du 56 rue des Fours à Chaux.
Il y avait un grand tennis désaffecté, un grand jardin entretenu avec soin et
une ancienne loge de 3 pièces qui était destinée au concierge. Au sous sol il y
avait les deux vestiaires destinés aux tennismans. Pendant les vacances
scolaires les parents nous envoyaient en vacances dans leur ancienne maison
chez les grands-parents. La loge, le tennis, et le jardin ont été rasés pour
laisser la place à une maison médicale et son parking.
Quand l'association a cessé ses activités, en accord avec
les religieuses, la famille a déménagé dans l'Annexe. C'était un grand bâtiment
avec les pièces hautes de 3 mètres, cloisonnées et séparée du reste de
l'espace, pour que toute la famille puisse y habiter dans une partie qui leur
était réservée. A la retraite, grand-père Augustin et sa femme Louise ont
rejoint Daniel et Marcelle au Hutreau. Ils habitaient deux pièces de l'Annexe
avec une entrée autonome.
Quand nous avons tous quitté le Hutreau en 1954, ils ont
habité le Frémureau, petite cité d'urgence d'après guerre, située à 500
mètres du Hutreau.
Le logement se composait de deux petites pièces de 9 m²
chacune (la cuisine et la chambre) avec un petit jardin. Grand-père Augustin y
avait construit une cabane pour y ranger ses outils de jardinage et de
bricolage. La dizaine de petites maisons construites était sans eau courante :
les habitants du hameau devaient de contenter d’un puits collectif desservant
des robinets au dessus de bacs à laver en ciment, un bloc sanitaire de
plusieurs cabinets mais pas de douche, dans un bâtiment commun à l’extérieur.
Pour le chauffage chacun apportait sa cuisinière à charbon qui servait de
chauffage l’hiver pour les deux pièces. Il y avait quand même un compteur
électrique individuel pour l’éclairage.
Daniel et Marcelle ont fait construire une maison rue Auguste
Blandeau. La famille devenait propriétaire d’une parcelle d’un petit
terrain triangulaire situé dans un vieux quartier où il y avait de
grandes surfaces de maraîchage que la ville grignotait progressivement. Il a
dessiné un plan qui lui convenait (ses études de commis d'architecture lui ont
bien servi) en fonction de sa famille de sept enfants. J’avais alors quinze ans.
C'est ainsi que nous avons quitté le Hutreau pour habiter une maison pas encore
finie (il fallait monter au premier étage par une échelle). Elle se situait à
un carrefour de cinq rues au sud de la ville d’Angers.
Quand il a fallu la couvrir, la ville à imposé une toiture
en tuile rouge pour éviter la trop grande monotonie des toitures d’ardoises
bleues.
Mon grand-père, papa et moi avons hissé les tuiles plates
dans les deux greniers. Comme les
escaliers n’étaient pas encore posés, c’était par des échelles qu’il a fallu
transporter tout le stock de tuiles. Grand-père et papa se sont chargés de les
poser puis de les fixer sur les liteaux de la toiture avec un fil de fer. Un
couvreur est venu tout vérifier et a posé les tuiles faîtières collées avec un
mortier.
Quand le menuisier eut posé l’escalier, tout le monde pris
possession des chambres. Les parents avaient la chambre, au premier étage,
donnant sur la rue. Notre chambre, celle des trois fils aînés, donnait sur le
jardin. Il n’y avait de place que pour trois lits et trois chaises. Mes deux
autres petits frères, avaient une chambre un peu moins grande. Un placard, sur
le pallier permettait de ranger les vêtements des cinq garçons. Nos deux sœurs
dormaient en bas dans la chambre donnant sur la rue. »
Merci à mon oncle Jean pour ses/ces souvenirs…