« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

jeudi 26 novembre 2020

#ChallengeAZ : Chapitre W

 CHAPITRE W

"Whisky ! Il me faut un whisky !"

 

Whisky ! Il me faut un whisky ! Je rejetai les couvertures, espérant noyer mon insomnie dans l’alcool. La pleine lune éclairant suffisamment, je décidai de me passer de lumière. Discrètement je descendis l’escalier en prenant soin de ne pas faire craquer les marches. Dans le salon je fouillai le bar à alcools et me servis un verre. C’est équipée de ces munitions que j’allai m’enfoncer dans un fauteuil club confortable, les pieds sur la table basse. 

Alcide et Charlotte m’avaient convaincue. Examinées en détails, les pièces du dossier révélaient des traces de falsifications irréfutables. Ce pouvait être des couleurs d’encre légèrement différentes, des formes de lettres tapées à la machine un peu plus rondes, des papiers vieillis artificiellement.
- Bonne facture, avait jugé Alcide. Les documents ont été réalisés à partir de véritables pièces. C’est ce qui a permis de se laisser abuser si facilement.
« Abuser si facilement ». Les mots d’Alcide étaient tombés comme un couperet. 

Et pour couronner le tout, mon téléphone se mit à vibrer : c’était un message de Charlotte. En un « oui » laconique elle confirmait mes pires intuitions. Oh ! Oui, la recherche qu’elle avait faite pour moi avait donné des résultats… Mais pas ceux que j’espérai. Tout s’écroulait autour de moi. Le premier sms fut suivi aussitôt d’un second : « Je viens au plus vite ». Tout en posant mon verre vide sur la table basse, je ne cessai de retourner tout ça dans ma tête. Je finis par me frotter le visage d’un geste rageur et me levai. 

J’errai longtemps dans la pénombre, ne sachant comment donner suite à ces dernières révélations désastreuses. Du bout des doigts j’effleurai le mobilier émaillé de post-it. Je me coulai silencieusement d’une pièce à l’autre. Mon exploration m’amena dans la cuisine. Je m’aperçus que la faim me tenaillait : je me préparai un en-cas sur le pouce et rangeai tout soigneusement derrière moi. Mais mon estomac était tellement noué que je fus incapable d’avaler quoi que ce soit. Je jetai mon sandwich à peine entamé dans la poubelle et quittai la cuisine. 

ombre menaçante

Derrière moi, au fond du couloir, une silhouette immobile m’observait. Après mon passage, sa paire de souliers vernis quitta l’ombre protectrice et, sans faire plus de bruit qu’une paire de chaussons, se glissa à ma suite. Revenue dans le salon, ignorant tout de cette présence inquiétante, je m’approchai de la cheminée. Une succession de visages m’observait depuis leurs cadres photos, témoins de temps oubliés. Aucun n’avait de post-it. Du doigt, je reliai par un fil invisible un bébé, une noce au grand complet, un visage buriné par les ans, tous prêts à être jetés à la poubelle. 

Envahie par la nostalgie, mon doigt courait sur le manteau de la cheminée quand soudain je ressentis une brusque douleur. Je m’étais pris le doigt dans quelque chose. J’aspirai le sang qui perlait au bout de mon index, tout en essayant de déterminer ce qui avait pu me blesser. Sur l’arrière de la cheminée une brique était légèrement descellée et un petit quelque chose dépassait à peine entre les joints. C’était un fragment de papier, fin et aiguisé comme une lame. Je me morigénai en silence, déplorant d’être aussi fragile et de me couper ainsi sur un morceau de papier aussi insignifiant. Au début je crus que les maçons avaient étoffé leurs joints de papier, genre béton armé ("papier armé"), mais non : la languette glissait toute seule si on tirait dessus. Ce que je fis, délicatement. Je m’aperçus que la brique derrière laquelle elle se cachait n’était pas scellée. À force de patience, je réussis à la déloger. Elle révéla une cavité dans laquelle se trouvaient des pages soigneusement pliées. Je sortis le tout et replaçai la brique. 

Installée dans le fauteuil qui avait si bien accueilli ma pause alcool, j’examinai mon énigmatique découverte nocturne. Soudain un bruit me fit sursauter. Je me retournai et…
- Sosa ! Tu m’as fait peur ! Tu es fou d’apparaître comme ça, sorti de nulle part.

Je tentai de calmer les battements de mon cœur par une caresse féline. Le matou se frotta à mes jambes et repartit dans la nuit. Mon attention se reporta sur ce que j’avais dans les mains : un ensemble de feuillets jaunis par le temps mais en assez bon état, d’après ce qu’il ressortait d’un premier examen. Je les étalai sur mes genoux avec précaution. C’était une longue lettre, signée d’un certain Gaston Croisy. Ce nom évoquait quelques chose dans ma mémoire et il me fallut un moment de réflexion avant de me souvenir qu’il s’agissait de l’un des enfants accueillis par Marie-Louise, la mère d’Henri. 

Je commençai la lecture de la fine liasse, non sans une certaine émotion, consciente que je tenais là sans doute un témoignage de première main sur le mystère planant autour d’Henri. Je lus la lettre dans un état second, me décomposant un peu plus à chaque ligne. Il manquait plusieurs pages, mais ce qui avait été conservé était bien suffisant. Par ailleurs, j’étais heureuse d’être seule pour prendre connaissance des révélations de ce document, tant elles étaient intrigantes. Entre mes mains, c’était un véritable message d’outre-tombe. Je ne savais pas comment réagir à cette confession. Je repliai soigneusement les feuillets et les remis dans leur cachette. 

Que faire maintenant ? Compte tenu de tout ce que j’avais appris, il me fallait agir rapidement. Bien sûr, au milieu de la nuit, cela restait compliqué. Je décidai donc de regagner ma chambre et de me lever à la première heure le lendemain matin. Soudain, je perçus une respiration : je n’étais pas seule dans la pièce ! Lentement, je me retournai. Une silhouette était là, qui m’observait. 

Toute la partie supérieure du corps restait dans l’ombre. Seuls ses souliers vernis brillaient sous la lune. Tétanisée, je reconnu immédiatement l’observateur de l’autre nuit. J’étouffai un cri. Une voix sourde, déformée par la haine, résonna dans le silence de la nuit :
- Il a fallu que tu t’en mêles, que tu ailles là où tu ne devais pas aller. Comme ton Henri, ce sale fouineur. Vous êtes tous de la même engeance. Des rats ! C’est tout ce que vous êtes ! 

J’eus du mal à reconnaitre la voix, tant l’aversion et la férocité altéraient le timbre ordinairement doux d’Alexandre. Atterrée, je ne parvenais pas à articuler un son. Alexandre, quant à lui, continuait sa diatribe. Maintenant sa voix était pleine de hargne, enlaidie par le ressentiment. Son teint prit une couleur pourpre. Je ne pus rien trouver à répondre. Les mots se bousculaient dans ma tête et aucun n'était assez fort pour exprimer l'horreur qui me saisissait.
Je fixai Alexandre comme si j’avais devant moi une apparition diabolique surgie des entrailles de la terre. Il avait perdu toute son humanité et sa bienveillance.

Tout prenait un sens à présent.
Les mots se bousculaient dans sa bouche pleine de fiel. Brusquement il poussa un long cri lugubre et sauta vers moi, les mains en avant. Je l’évitai juste au moment où il allait me saisir au niveau du cou. Je plongeai sur le côté tandis que lui, déséquilibré, tombait en avant. J’en profitai pour me précipiter vers la porte. Jamais la maison ne me parut aussi grande et aussi hostile. 

Quand enfin j’approchai de la porte d’entrée, je vis du coin de l’œil un éclair blanc. Ce n’est qu’en entendant son cri de douleur que je compris que c’était mon chat Sosa qui avait tenté de faire barrage, fragile obstacle dressé devant la fureur d’Alexandre. D’un coup il l’avait balayé et envoyé rouler dans la nuit noire. Cela n’avait pris qu’une seconde et avait à peine ralenti Alexandre. Les larmes perlant aux paupières, j’atteignais enfin la porte. Je l’ouvris et me retrouvai au milieu du chantier laissé à l’abandon par les ouvriers partis en vacances. 

À la dernière seconde j’évitai des tuyaux en plastique, je contournai une brouette et faillis déraper sur une bâche translucide, pâle reflet de lune. Tournant soudain à droite, je contournai l’échafaudage appuyé sur la façade et me précipitai vers les profondeurs du parc. Derrière moi, j’entendis le pas d’Alexandre qui gagnait du terrain. 



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mercredi 25 novembre 2020

#ChallengeAZ : Chapitre V

 CHAPITRE V

"Vol ? Jalousie ? Adultère ?"


balance de la justice


Vol ? Jalousie ? Adultère ? Les mobiles ne manquaient pas. Seul l’argent ne semblait pas être en cause. Allongée sur mon lit mouvant, j’avais trouvé une position qui, bien que précaire, était à peu près stable. Je faisais le point sur ce que j’avais appris ces derniers jours. À peine installée, Sosa surgit. Après de prudents détours il se mit en devoir de me renifler d'un air suspicieux. L'examen ayant dû être concluant il s'allongea près de mon épaule et me donna de petits coups de tête sous le menton. Je le caressai d’une main distraite ce qui enclencha aussitôt un volumineux ronronnement de satisfaction. 

Je ne savais pas par où commencer, mais la confusion de mes sentiments me bouleversait. En l'espace de quelques mois toutes mes certitudes s'étaient envolées. D’une personne ordinaire j’étais devenue la descendante d’un assassin. Aujourd’hui pourtant, tout semblait indiquer qu’Henri n’avait commis aucun crime mais qu’on avait ourdi cette machination pour le faire plonger. Qui lui en voulait à ce point ? Qu’avait-il fait pour mériter ça ? Un lien ténu, mais sans doute décisif, devait relier ces faits les uns aux autres. Hélas il m’échappait encore. 

Le lendemain je décidai de retourner une dernière fois aux archives. J’y retrouvai Alcide Bodin. Il me proposa de se pencher sur les archives judiciaires pour confirmer son hypothèse. Le but de notre recherche du jour était donc… de ne rien trouver. Les voies de la généalogie sont impénétrables.
- Bon déjà, mettons-nous d’accord sur le vocabulaire. L’homicide est le fait de tuer un homme. Mais on distingue le meurtre (tuer sans préméditation), de l'assassinat (lorsque l'homicide est prémédité). Un crime est une action considérée comme très grave par la loi. On utilise aussi le terme crime pour désigner un homicide, mais tous les crimes ne sont pas des homicides. Par exemple, le viol, la torture, le vol sont qualifiés de crimes. Le meurtre est en général puni de 30 ans de réclusion criminelle. L'assassinat, quant à lui, est puni de la réclusion criminelle à perpétuité. Tous deux sont des crimes, passibles de la cour d'assises.
- La cour d’assise ?
- C’est une cour jugeant uniquement les crimes les plus graves, c'est-à-dire encourant une peine de plus de 10 ans. Elle comporte la cour proprement dite (Président et ses assesseurs) et un jury. La cour d’assises ne siège pas en permanence : les procès sont regroupés en session. Pour chacune d’elle on tire au sort les jurés parmi les personnes de plus de 23 ans figurant sur les listes électorales. Je te passe les détails de la finalisation du jury.
- OK.
 

- Maintenant les protagonistes : les « magistrats » sont les personnes qui rendent la justice. Il en existe deux catégories : les juges et les procureurs. Parlons d’abord du procureur (ou ses substituts). Il représente le Ministère public (qu’on appelle aussi le « parquet »), c'est-à-dire l’autorité chargée de défendre l'intérêt de la collectivité et l'application de la loi. Il intervient en majorité pour des affaires pénales. Dans le cas d’un crime, le procureur est obligé d’ouvrir une information judiciaire qu’il confie au juge d’instruction. Le juge d’instruction, lui, est indépendant du Ministère de la Justice. Il est chargé d’instruire, c'est-à-dire de rassembler des preuves quand une infraction est commise. Pour cela il s’appuie sur des enquêteurs de la police. Une fois l’enquête terminée et un suspect trouvé, le juge d’instruction le met en examen et éventuellement en détention provisoire. Le procureur reprend alors le dossier et le met en forme pour qu’il aille à l’audience. En cas d’homicide, aux assises. On parle de « magistrature debout » puisqu’à l’audience, les procureurs se lèvent pour s’exprimer (contrairement aux juges qui font partie de la « magistrature assise », car ils exercent leur fonction dans cette posture).
 

- Je comprends. Le juge d’instruction est une spécialisation, tout comme d’autres sont juges aux affaires familiales ou juges d’application des peines.
- C’est ça. Tous les juges font partie de la magistrature du siège. De même il existe différents types de procureurs, en fonction de leur rang hiérarchique : avocat général, procureur général, substitut du procureur, etc… Ensuite, au tribunal, il y a l’avocat : c’est un juriste dont les fonctions sont de conseiller, représenter, assister et défendre ses clients. La partie civile ou demandeur est la personne qui s'estime victime soit d'une infraction (à propos de laquelle une action publique a été déclenchée par le ministère public) soit d'un préjudice (pour lequel une juridiction civile a été saisie). Enfin, il y a le juge (« du siège ») qui est chargé de trancher les litiges opposant des parties (ou plaideurs). Ça va toujours ?
 

- Oui, je te suis. Mais quelles sont les différences entre contravention, délit et crime ?
- Ah ! La contravention est l’infraction la moins grave où la peine encourue est inférieure à 3 000 euros d’amende. Le délit est la catégorie intermédiaire. Il est, comme le crime, défini par la loi et jugé par un tribunal correctionnel. Le crime, on l’a vu, est l’infraction la plus grave.
- Et là, dans les archives, on a les pièces du tribunal civil et du tribunal correctionnel. Quelle est la différence ?
- Comme je le disais à l’instant le tribunal correctionnel juge les affaires les plus graves. Le tribunal civil juge… les affaires civiles !
- Merci !
- Pardon : j’ai pas pu m’empêcher. Les affaires civiles concernent les conflits juridiques entre deux parties appelées le plaignant et le défendeur. Le droit civil est le droit applicable à tous les citoyens. Il est omniprésent dans la vie quotidienne car il concerne toutes les étapes de la vie d'une personne : naissance, travail, vie familiale, consommation...
- OK ! C’est plus clair pour moi. Dire que je me gave de séries policières depuis des années et que je n’ai jamais prêté attention à tout ça avant…
- Attention : là on parle de la justice en France. Rien à voir avec d’autres pays, comme les États-Unis par exemple.
- C’est noté !
 

- Parfait. Donc les archives judiciaires se trouvent en série U, pour ce qui concerne les affaires « modernes », soit après 1800.
- De mémoire, c’est la série B pour les affaires antérieures à 1800 ?
- C’est ça. Et en série L pour la période révolutionnaire. Les archives judiciaires sont assez rarement en ligne, mais on y viendra certainement. Comme pour les notaires, nos ancêtres faisaient assez souvent appel à la justice : demande de dommages et intérêts, nomination de tuteurs ou de curateurs, litiges de la vie quotidienne. La première étape consiste à consulter les tables. Elles permettent de trouver le nom de la personne et le motif de la condamnation. Parfois il faut passer par un second registre, appelé rôle judiciaire, qui permet de découvrir le numéro de la chambre qui a prononcé le jugement, ainsi que la date à laquelle il a été rendu.
- Oui, c’est le cas à Paris. J’ai déjà effectué une recherche auprès du tribunal de la Seine.
- Et ça c’est pour le tribunal correctionnel ou civil, mais il y a aussi les tribunaux de commerce, les conseils des prud’hommes, etc… Tout un monde merveilleux dont on n’a pas idée, ajouta Alcide en souriant. Et pour chacune de ces juridictions on peut trouver les décisions du tribunal (arrêts, jugements, référés, ordonnances) mais aussi des dossiers de procédures (procès-verbaux de police, déclarations de témoins, procès-verbaux de séances du tribunal…). Et si on faisait des travaux pratiques maintenant ?
 

Je ne sus pas trop s’il y avait un sous-entendu dans cette phrase. Quoi qu’il en soit, nous avons passé les heures qui suivirent à éplucher les répertoires en tout genre… sans trouver aucune mention d’Henri. Plus tard Charlotte nous rejoignit. Ensemble nous avons passé au crible toutes les pièces du dossier. De temps en temps Charlotte et Alcide se concertaient à mi-voix, montrant là un détail de calligraphie, là une ombre sur le papier. Enfin, ils relevèrent la tête et Alcide déclara :
- Pour moi cela ne fait aucun doute. Ce dossier est un faux ! 


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mardi 24 novembre 2020

#ChallengeAZ : Chapitre U

 CHAPITRE U

"Une nouvelle virée aux archives s'impose..."


vieux livres


Une nouvelle virée aux archives s’impose ! J’en avais beaucoup appris sur Henri et son environnement en venant fouler sa terre, mais je n’avais pas trouvé la clé du mystère principal : quand et pourquoi Henri avait assassiné sa femme. Je signalai donc par un sms rapide à Charlotte que je revenais aux archives et que si elle avait un moment à m’accorder elle me trouverait en salle de lecture. Alexandre déclara qu’il avait d’autres obligations et qu’il ne pourrait pas m’accompagner. C’est donc seule que je me rendis à Dammarie-les-Lys. 

Le trajet me permit de réfléchir à nouveau à cette histoire. Tandis que je marchai en direction du bâtiment des archives, je sentis un picotement dans la nuque, comme l’impression d’être observée. Je me retournai mais ne vis personne. Je repris ma route… Et ne vis pas la silhouette aux souliers vernis reprendre sa marche derrière moi. 

Arrivée aux archives je voulais explorer plusieurs pistes. Je demandais les premières cotes et pour patienter je me plongeai dans les inventaires à la recherche de nouveaux éléments pour faire rebondir mon enquête. Un archiviste vint me signaler aimablement que mes documents étaient arrivés et avaient été déposés à l’emplacement qui m’était dévolu. Je le remerciais et pris la direction de ma table. 

C’est ce jour-là aux archives que se produisit une anecdote que je n’aurais probablement pas retenue sans les événements qui ont eu lieu peu après. Debout devant ma place, un homme se trouvait en train d’examiner avec soin les registres qu’on avait déposés pour moi, cherchant visiblement une chose bien précise. C’était un petit homme aux yeux vifs et à la mine chafouine. Comme j’arrivai à sa hauteur, il releva brusquement la tête, surpris. Il afficha une mine déconfite comme s’il venait d’être pris en faute, et balbutia quelques mots d’excuse. Quelques secondes suffirent néanmoins pour qu’il retrouve son assurance et passe son chemin.
 

C’est à la pause déjeuner que je retrouvai Charlotte :
- Désolée, je n’ai pas eu une minute à moi ce matin. Mais tu as bien fait de venir : Alcide Bodin a réapparu.
Alcide Bodin ? Ce nom ne m’était pas inconnu, mais je ne parvenais pas à le remettre.
- Le responsable de l’association généalogique locale. Tu sais, je t’en avais parlé.
- Ah ! Oui, ça me revient maintenant. Et donc il est là ?
- Oui.
- Tu lui as parlé de l’affaire ?
- Tu penses ! C’est un archiviste contrarié : ses parents l’ont obligé à reprendre le commerce familial, mais il n’a jamais aimé ça. Du coup il passe tous ses temps libres ici où ses talents et ses aptitudes se sont épanouis. Il compile et classe avec gourmandise. Je crois qu’il a lu absolument tous les documents conservés dans ce bâtiment ! Je te le présenterai tout à l’heure. En attendant, allons manger !

Après le déjeuner Charlotte tint sa promesse : elle rentra avec moi et me conduisit vers le petit homme qui s'était intéressé de si près à mes documents le matin même. Elle fit les présentations. Je ne sais pourquoi, je ne relevai pas son indélicatesse du matin. Charlotte lui rappela le contexte de l’affaire qui nous occupait et je brossais un portrait rapide d’Henri et sa famille.
- Il travaillait essentiellement pour Houbé, celui qui possédait les tuileries et briqueteries de Mortcerf si ma mémoire est bonne.
D’un ton mielleux il releva :
- Mais oui ! Votre mémoire est excellente. Des archives vivantes… On prendrait sans doute plaisir à vous feuilleter. 

Déjà que je n’appréciai guère le petit homme et ses regards gênants, mais là j’eus carrément un haut le cœur. Je regardai discrètement Charlotte qui étouffait un rire derrière sa main.
- Bon, je vous laisse discuter, j’ai à faire. À plus tard.
Je lui lançai un coup d’œil désespéré, mais elle s’éloigna en riant. Surmontant mon aversion pour la fouine, j’acceptai le café qu’il me proposait.
- Charlotte vous a parlé de ce meurtre que nous ne retrouvons pas. Elle m’a dit que cela vous évoquerait peut-être des souvenirs. Vous avez trouvé quelque chose ?
- Oui, bien sûr… Le meurtre n'en n'était sûrement pas un !
- Quoi ?
 

À compter de cet instant l'intérêt de mon vis-à-vis ne faiblit plus. Aussi longtemps qu’il voudrait me parler, je ne répugnerais plus à l’écouter.
- Voyons, Mademoiselle, si vous entendez des sabots, vous pensez cheval… Pas zèbre. N’est-ce pas ?
- Oui mais…
- Mais rien du tout : s’il n’y a pas de trace de meurtre, c’est qu’il n’y a pas de meurtre. C’est aussi simple que cela.
- Mais… j’ai retrouvé des traces justement : des lettres de dénonciations, des rapports de police, des courriers officiels.
- Et bien, je ne sais pas d’où vous tenez vos sources, mais sachez que la Seconde Guerre Mondiale est une époque que j’ai spécialement étudiée. J’ai dressé des notes particulières pour chaque dossier jugé compromettant. De sorte que si un dossier venait à disparaître – c’est plus fréquent qu’on ne le croit, hélas – je conserverais par devers moi le dossier d’origine, sans mensonge ni fausseté. Puis-je vous demander où vous avez trouvé ces documents ?
- Il m’ont été donnés par une connaissance qui les tenait lui-même de son grand-père. Ce grand-père, aujourd’hui décédé, avait été un voisin d’Henri.
- Hum… Il faut revenir aux recherches premières, passer au crible l'ensemble des éléments, les trier, les classer et peut-être aussi les mélanger. Ne vous inquiétez pas, Mademoiselle, nous allons dénouer cette pelote de laine. Il n'existe pas de verrou qui n'ait sa clé. Voyons voir…
 

Tout au long du trajet du retour je m’étais échinée à trouver un lien cohérent à cette affaire (ou non-affaire ?), en vain. Qu’avait-on loupé ? Je me plongeais dans mes pensées. Un mot prononcé par Alcide - mais lequel ? - avait éveillé un écho en moi. Hélas, je ne parvins pas à m’en souvenir.
Revenue chez Alexandre, je lui exposai les découvertes du jour et l’hypothèse d’Alcide Bodin.
- Un faux ? Mais n’importe quoi ! Et d’abord qu’est-ce qu’il en sait, lui ?
- Ce n’est qu’une hypothèse. Écoute au moins ce qu’il a à dire…
- C’est ridicule !
- Mais tu ne trouves pas ça bizarre, toi, que cette histoire incroyable ne ressorte nulle part ?
- Tu as raison ! C'est une histoire incroyable. Mais ce n’est pas parce que ça ne te plaît pas que ce n’est pas vrai. Tu n'y peux rien ! L’histoire est implacable… et parfois féroce. Nous ne pouvons qu’en hériter et la respecter. Je crains que tu n’aies perdu ton temps aujourd’hui.
Il sourit et pivota sur ses talons.
- Le dîner sera bientôt prêt. Tu dois avoir faim.
 

Un silence pesant régnait sur notre table. Rien à voir avec l’ambiance des jours précédents. Une migraine commençait à poindre. J’avais envie d'aller me coucher. J’avais besoin d'être seule pour réfléchir calmement aux événements du jour. Mais l’atmosphère étant ce qu’elle était, si je montai maintenant, je devrais quitter Alexandre sur un conflit larvé et cela ne ferait qu'empirer les choses. Je dus me faire violence pour trouver des sujets de conversation insignifiants et tenter d’apaiser le climat avant de monter.
 

Une fois dans ma chambre, je réfléchis posément à la situation. Je savais qu’Alexandre était un homme de passion et de conviction, sûr de suivre le chemin qu'il pensait être le bon. Mais s'il avait tort ? Si Henri n’était coupable de rien depuis le début et qu’Alexandre avait simplement refusé de le voir ? Il était si facile de se leurrer quand on était persuadé d’un fait. 



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lundi 23 novembre 2020

#ChallengeAZ : Chapitre T

 CHAPITRE T

"Triste histoire"

 

- Triste histoire. Oui, bien triste.
Nous étions chez Honoré, un voisin du quartier qui avait connu Henri lorsqu’il était jeune, dans les années 1940. Henri était âgé d’une soixantaine d’années bien sonnée à l’époque.
Honoré était aujourd’hui un vieillard tout en rondeur. Un nuage de cheveux blancs saupoudrait son crâne. Des yeux doux, parfois un peu taquins, les pommettes roses, des joues bien remplies. La douceur l’environnait d’une aura bienfaisante.
 

- Vous souvenez-vous de l'incendie qui a ravagé la maison d’Henri en 1938 ?
- Bien sûr, comment pourrais-je l'oublier ? Une nuit, vers la mi-avril, il était 3 ou 4h du matin, nous avons été réveillés par des cris dehors. Mon père était déjà debout, tout habillé. Il nous a simplement dit "une maison brûle un peu plus haut". Depuis notre domicile on voyait le ciel se parer de sinistres lueurs rougeoyantes indiquant un incendie. Ma mère ne voulait pas qu'on quitte la maison, mais avec mon grand frère on n'aurait loupé ça pour rien au monde. Dès qu’elle a eu le dos tourné, on s’est faufilé à l’extérieur et, caché par l’ombre des bosquets, on a été assister au spectacle. Et oui, pour les gosses que nous étions, c’était plus une fête qu’un drame. Je suis désolé de dire ça, ajouta-t-il en me regardant.
Je lui fis signe qu’il était tout pardonné et l’invitai à poursuivre.
 

- D’ailleurs nous n’étions pas les seuls : on a vu quelqu’un d’autre sous les bosquets, mais on n’a pas vu son visage. Sans doute un autre gamin du quartier qui avait filé en douce comme nous.
En train de prendre des notes sur ce récit passionnant (effroyable bien sûr, mais passionnant), je ne prêtai pas attention à cette remarque anodine et enchaînai avec la question suivante :
- Les habitants du quartier sont-ils venus, comme votre père, pour lutter contre l’incendie ?
- Oui, bien sûr. Une chaîne humaine s’est formée pour arroser l’incendie avec des seaux d’eau. Ce n’était pas très efficace, mais au moins ils ont réussi à limiter les dégâts. Au petit matin la maison fumait encore, mais le feu ne s’était pas propagé aux autres habitations. Faut dire, la maison d’Henri était en brique : ça joue. L’incendie se propage moins vite. C’est sans doute ce qui l’a sauvée. La toiture par contre…
- Et Henri ? Vous l’avez vu ?
- Oui, il avait pris la direction des opérations pour coordonner les secours. Enfin, c’est ce qu’il nous a semblé de notre point de vue, car on n’entendait pas ce qu’ils se disaient : leurs paroles étaient couvertes par le bruit infernal du brasier. C’est fou ce que ça fait comme bruit, un incendie. Vous avez déjà entendu ça, mademoiselle ?
Dans un sourire, je lui répondis :
- Non, heureusement non…
 

Alexandre intervint :
- Et sa femme, à Henri, vous l’avez vue ?
- Attendez voir que je me souvienne. Non je crois pas. Il n’y avait que des hommes cette nuit-là. Pas de chemise de nuit, ajouta-t-il avec un sourire entendu dans le regard.
- Elle n’était pas là ? Où était-elle ?
- Hum… Ça, je l’ai jamais su.
- Que sont devenus Henri et Ursule après l’incendie ?
- Ben, je crois qu’ils sont allés habiter chez l’un de leurs enfants. Chez la Germaine, je crois. On voyait Henri régulièrement : il venait déblayer la maison et récupérer ce qui était encore en état.
- Henri ? Henri seul : pas avec Ursule ?
- Je saurais pas dire. Mais j’étais pas devant la maison en permanence à tout surveiller.
- Bien sûr… Et qu’est-ce qui avait provoqué cet incendie ?
- Ben… On n’a jamais vraiment trop su. Certains disent qu’il est parti de la cuisine à cause d’un feu de cuisson mal éteint. Mais je ne sais pas. Il y a eu du dégât quand même. Et une sacrée frousse, parce que nous, dans notre bosquet, on n'en menait pas large. C’était drôlement impressionnant. Finalement on est rentré chez nous la queue basse, sans se pavaner, je peux vous dire. C’était bien triste cette histoire. Oui, bien triste… Une autre tasse ? 


chocolat chaud


Je rempilai pour un second chocolat chaud, préparé à l’ancienne, qui fondait dans la bouche comme un nuage parfumé. Tandis que je me délectai, Honoré commenta :
- On n’en fait plus des comme ça, hein ? C’est ma mère qui le préparait de cette manière. Et encore : je ne le fais pas aussi bien qu’elle. Un petit gâteau pour aller avec ? me demanda-t-il en tendant une assiette pleine de sablés ronds et dorés comme des soleils.
Je déclinai les astres blonds pour demander ensuite :
- Et son arrestation ? Vous l’avez vue son arrestation ?
- Eh, non ! Je n’étais pas là. Mais on en a parlé bien sûr, vous savez ce que c’est.
- Pouvez-vous m’en dire plus ?
- Et bien, c’était pendant la guerre… en 42 ou 43 peut-être. Une Novaquatre noire est venue se garer devant la maison à ce qu’il paraît. Deux hommes en sont sortis. Ils ont été chercher Henri et sont repartis tout de suite. Ça n’a pas duré 5 minutes. Mais ne me demandez pas pourquoi ils sont venus. Ça je peux pas vous dire.
 

Honoré était du genre à ne pas colporter les ragots, et c’en était presque regrettable en l’occurrence : ça m’aurait bien aidé. À mon avis il ne disait pas tout mais je ne parvenais pas à déterminer si c’était par politesse ou pour garder par devers lui des éléments troublants.
- Comment était Henri, dans votre souvenir ?
- Hum… C’était un homme assez secret. Plutôt fier. Mais il ne se mélangeait pas trop aux autres. Oh ! Poli, attention ! Je ne veux pas dire. Mais réservé. Il aimait bien que tout soit comme il l’avait décidé, ça je m’en souviens. Il boitait, vous saviez ?
Je fis oui de la tête.
- Peut-être que c’était à cause de ça qu’il n’aimait pas trop se mêler aux gens. Une sorte de timidité à cause de son infirmité. Il n’avait pas fait la guerre à cause de sa claudication. Certains le lui ont reproché, bien sûr, mais il y a toujours des mauvaises langues pour dire n’importe quoi sur n’importe qui, hélas.
 

Enfin, j’osai poser la question qui me brûlait les lèvres :
- Et Ursule ?
- Comment elle était ?
- Non, comment est-elle morte ? Et quand ? Le savez-vous ?
Honoré fouilla sa mémoire.
- Non… Ça je peux pas dire. Je ne m’en souviens pas. Je suis désolé.
- Ce n’est pas grave, dis-je en dissimulant ma déception du mieux que je pouvais.
Honoré me regarda un moment avant de déclarer :
- Vous me faites penser à lui.
- A lui ?
- Oui. Des gestes, une attitude.
- Mais je ne l'ai pas connu !
- Il faut croire que ceux que nous avons aimés et qui ont disparu demeurent présents par des attitudes qui se transmettent de génération en génération. Leur mémoire demeure dans les gestes des vivants. 

Nous avons encore bavardé un moment, mais Honoré ne m’apprit rien de plus sur l’histoire d’Henri. 


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samedi 21 novembre 2020

ChallengeAZ : Chapitre S

 CHAPITRE S

"Sa sœur jumelle ?"

 

Coulommiers, 02 novembre 1942 

 

- Sa sœur jumelle ? Quelle sœur jumelle ?
- Oui ! Rosalie… Rosette… Rose… Ah ! Voilà ! Marie-Rose.
- Mais combien elles sont ?
- Ben… Deux : des jumelles, quoi.
- Humpf ! Kerdogan, je comprends rien : qui sont toutes ces Rosalie… Rose… ???
- Ah ! Oui ! Non ! En fait c’est une seule et même personne : Marie-Rose, que l’on appelle aussi Rosalie, ou Rosette ou Rose tout court. Et c’est Kergogan, monsieur.
L’inspecteur Abel Pochet jeta un regard noir à son jeune adjoint.
- Vous ne me facilitez pas la vie, Ker…
Il renonça à chercher la fin du nom de l’enquêteur : il avait assez à faire avec toutes ces sœurs jumelles. 


- Bon, donc elle avait une sœur jumelle. Elles se voyaient ?
- Ben… J’imagine…
- Vous imaginez ? Mais vous imaginez quoi Kerpogan ?
Par réflexe, Kergogan ouvrit la bouche pour corriger son supérieur, puis y renonça finalement et la referma.
- On n’imagine pas dans une enquête, Perdogan ! Vous savez ou vous savez pas ?
- Ben… Pas vraiment…
- « J’imagine », « pas vraiment »… 

L’inspecteur prit sur lui pour ravaler tous les noms d’oiseaux qui lui venaient à l’esprit.
- Bon, cette sœur jumelle, elle est venue à son mariage, n’est-ce pas ?
- Euh… Non chef, celle qui venue c’est… (il vérifia ses papiers) Marie-Joseph.
Soupir de l’inspecteur.
- Marie-Rose, Marie-Joseph… Que de Marie. Heureusement que la nôtre s’appelle Ursule.
- En fait elle s’appelle Ursule Marie Mathurine, chef. Et ses frères Vincent Marie et Auguste Marie…
- Vincent Marie ? Mais je croyais que c’était le père ?
- Oui, aussi.
- Aussi ?
- Oui : ils s’appellent pareil. Le père et le frère. Et la mère c’est Marie Mathurine, Comme Ursule.
- Oh ! Bon sang ! Vous me donnez mal à la tête Pergogan !
On y est presque, pensa Kergogan : peut-être qu’un jour il se rappellera mon nom correctement. Ou au moins il tombera dessus par hasard.
 

- Eh ! Vous rêvez ou quoi ?
- Non monsieur !
- Bon. Il y a d’autres Marie dans l’coin ?
- Oui, monsieur : deux oncles, trois tantes, une grand-mère, un grand-père…
- Oui, oui, bon ça va, j’en ai assez ! Quoi d’autre ?
- Euh… Marie est un prénom très porté chez nous en Bretagne depuis le XVème siècle. On le trouve aussi sous la forme Mari (sans -e à la fin) pour les hommes, et des déclinaisons comme Marianning, Marivonn ou Maiwenn…
Voyant la tête de son chef qui virait au rouge, Kergogan ne termina pas son exposé sur les prénoms bretons. 


cahier de notes


- A propos des sœurs, Lerbogan, les sœurs !
- Ah ! Oui, euh… Bien sûr, les sœurs.
Il feuilleta son calepin du plus vite qu’il pût.
- Les sœurs… Oui ! On sait que Marie-Joseph, l’aînée, est venue au mariage d’Ursule. Elle était sa témoin. Elle habitait alors Vernon dans l’Eure, donc elle a fait… près de 140 km… (il réfléchit)… sans doute en train, chef, termina Kergogan triomphalement.
- Au mariage ?
- Oui.
- En 1900 ?
Vérifiant ses notes, désormais beaucoup moins sûr de lui devant l’instance de son chef :
- Oui, c’est ça, en 1900.
- Mais on est en 1942 ! Barbogan ! 1942 ! Je m’en fiche moi de ce qu’il s’est passé il y 40 ans ! Est-ce qu’elle voyait ses sœurs là, maintenant ? C'est ça que je vous demande, moi !
- Ah ! Bah oui, je comprends. C'est-à-dire que, depuis qu’on surveille le suspect Macréau, on n’a pas vu de rapprochement entre les sœurs.
L’inspecteur n’en croyait pas ses oreilles.
- Quoi ?
- On… n’a pas…
- Mais bougre d’imbécile, évidemment que vous n’avez pas vu de rapprochement, puisque vous n’avez pas vu Ursule, puisqu’elle a DIS-PA-RUE !!! Vous comprenez « disparue » Radoban ?
 

L’inspecteur tenta de maîtriser ses nerfs.
- Bon ! Reprenons depuis le début. Que savons-nous ? Nos services reçoivent plusieurs lettres anonymes nous invitant à enquêter sur ledit Henri Macréau. Motif 1) écoute la radio anglaise 2) assassine sa femme. L’accusé nie en bloc mais ne peut pas dire où est son épouse.
Très vite, l’inspecteur avait senti que cette affaire leur donnerait beaucoup de fil à retordre. Il y a quelque chose qui ne collait pas. Un élément avait joué contre eux dès le début. Mais qu’est-ce que c’était ?
- Voyons l’affaire sous un autre angle…
Kergogan osa une suggestion :
- Si ce n’est pas le mari, qui est-ce ?
- C’est toujours le mari ! Retenez bien ça Berdogan. Ça vous facilitera les choses à l’avenir.
 

L’inspecteur coula un regard de travers vers son jeune acolyte, qui se le tint pour dit. En son for intérieur il pensa néanmoins : « Est-ce que le climat actuel et la piste d’un règlement de compte sous couvert de pays envahi par l’ennemi ne pourraient pas tenir ? » Mais il n’osa pas formuler cette audacieuse hypothèse à son supérieur.
Abel Pochet poursuivait son raisonnement :
- C’est sans doute à cause de la femme. Elle a dû faire quelque chose d’inconvenant. Elle a peut-être fricoté avec qui ne fallait pas… Oui… Mauvaises fréquentations, c’est sûr.
 

Kergogan leva les yeux pour réfléchir. Il réfléchissait toujours mieux les yeux en l’air : l’inspiration divine peut-être. Il avait renoncé à deviner si, pour son patron, les « mauvaises fréquentations » étaient du côté des Allemands ou des Résistants. Tout en fixant une des nombreuses taches de moisissure au plafond, il filait son propre raisonnement. Un coup on dénonçait Henri pour avoir écouté la radio, une autre fois carrément pour avoir tué sa femme. Comme si la première dénonciation n’avait pas été assez efficace. Et, de fait, la police n’avait enquêté sérieusement qu’après la deuxième lettre. Mais qui dans l’entourage d’Henri lui en voulait ? Qui l’avait chargé au point de faire tomber la lourde main de la police sur lui ? Et pourquoi ? Qu’est-ce qui avait motivé ces lettres de dénonciations quelques peu incohérentes ?  



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vendredi 20 novembre 2020

#ChallengeAZ : Chapitre R

CHAPITRE R

"Rendez-vous demain..."

 

Rendez-vous demain, avait dit au téléphone Honoré, le contact d’Alexandre. Rendez-vous demain pour connaître le passé : la ligne du temps faisait de drôles de nœuds.
- Il te racontera l’incendie de la maison d’Henri : il en a été témoin.
- L’incendie ? Je ne savais pas que sa maison avait brûlé.
- Hum… Tu verras ça demain.
 

Pour l’heure j’étais dans le salon, à genoux sur un tapis usé aux motifs compliqués et aux bords effrangés, en essayant de rattraper mon chat qui se dissimulait sous une commode. Enfin je saisis le rétif animal. Je portai sa tête à la hauteur de la mienne.
- Bon, maintenant on va avoir une conversation sérieuse tous les deux.
Je me rendis dans la chambre qu’Alexandre venait de m’indiquer comme mienne pendant toute la durée de mon séjour en pays briard. Il y avait déposé ma valise sur le lit. 

Je regardai autour de moi : la pièce n’était pas très grande. Ou peut-être était-ce juste le mobilier qui absorbait tout l’espace ? Un ensemble complet de chambre en bois massif meublait la pièce : un grand lit dont la tête était ornée d’un motif de pointe de diamant ; l’armoire, immense, sculptée du même motif et complétée par un miroir ; les tables de chevet de chaque côté du lit portant aussi ce décor, recouvertes d’une tablette de marbre veiné de bruns et d’ocres. Le tout était immergé dans la tapisserie à grosses fleurs délicieusement désuète tendue sur les murs. Tenant toujours mon chat dans les mains, je m’assis sur le lit. Je m’y enfonçai tellement que je me crue aspirée par des sables mouvants. Je tentai de rétablir mon équilibre en battant l’air des mains, des pieds et du chat !
 

- Bon sang ! On n’en fait plus des comme ça. Enfin, j’espère ! Bon, Sosa, on va parler d’homme à homme… Enfin de femme à chat. Alexandre est un ami et il faut le traiter comme tel. Tu dois établir la paix avec lui. Une paix sans condition. Tu m’entends ? Je ne veux plus de ces ébouriffades ! Compris ?
Après un instant les yeux dans les yeux, pour lui faire bien comprendre le message, je posai le chat sur le lit. Il y fit quelques pas prudents avant de sauter par terre : il valait mieux un vieux plancher que cette surface traîtresse qui pouvait vous avaler sans crier gare. S’installant confortablement il me jeta un dernier regard avant de s’endormir. J’aurai juré qu’il souriait alors. De mon lit mouvant j’envoyai un sms à Charlotte ; un truc que je voulais lui demander depuis longtemps au sujet d’Ursule. J’espérai qu’elle pourrait avoir ce renseignement.
 

Je redescendis au rez-de-chaussée où Alexandre me fit faire un tour du propriétaire. Certains meubles étaient recouverts d’un drap, qu’il ôta au fur et à mesure de la visite. L’ensemble était assez vieillot et démodé. Cependant on y trouvait de nombreux témoins du passé, comme la malle des Morins en vannerie ou les buffets carrés briards décorés de fleurs et de feuillages plus ou moins stylisés. 


- Ça ce sont les moules et les cercles en métal qui permettait de réaliser le brie. Le lait était mis à cailler dans ce moule, lui-même placé sur la table d’égouttage, appelée « dosse ». Le caillé perdait une grande partie de son eau, évacuée par les trous des moules. Petit à petit le fromage à pâte molle se formait. Le brie « à la mode de Meaux » doit mesurer 35 cm de diamètre pour un peu moins de 3 cm d’épaisseur ; soit environ 2,5 kg.
- Quelle est la différence entre un fromage à pâte molle et une pâte pressée ?
- Oh ! L’égouttage se fait par pesanteur : le caillé perd son eau « tout seul », par les trous du moule. Contrairement à une pâte pressée qui est un mode d’égouttage par pression, comme son nom l’indique. On distingue plusieurs types de Brie : Celui de Meaux, de Melun, de Montereau… Une quarantaine au total ! Si celui de Meaux est surnommé « le roi des bries » (parce que les rois s’en pourléchaient), on raconte que l’origine de celui de Melun, bien qu’obscure, est très ancienne. À tel point qu’on se demande s’il ne serait pas l’ancêtre de tous les bries ! Certains pensent qu’il existait déjà avant l’invasion romaine. La Fontaine, de passage au Château de Vaux-le-Vicomte, l’aurait rendu vraiment célèbre en plaçant un brie dans le bec du corbeau, dans la fable du Corbeau et du renard. Le brie de Meaux a son AOC depuis 1980, et bien sûr une Confrérie des Compagnons du Brie de Meaux. 


- Hum ! Ça donne faim tout ça.
- Alors passons à table !
Alexandre me servit une poularde à la briarde dont je réclamai la recette aussitôt.
- Alors, tu découpes la poularde en six morceaux que tu laisses mariner toute la nuit dans 1,5 litre d’eau, salée, poivrée, muscadée, avec un oignon piqué des clous de girofle, du thym et du laurier. Le lendemain, tu déposes les morceaux de poularde dans une cocotte au fond huilé et tu les fais colorer sur toutes leurs faces une vingtaine de minutes. Tu les réserves. Puis tu pèles des oignons et des carottes, que tu éminces et fais rissoler à leur tour avec de l’huile au fond de la cocotte. Lorsque les légumes commencent à brunir, tu verses un verre de la marinade (que, bien sûr, tu as pris le soin de conserver) et tu laisses mijoter sous couvert 30 minutes. Après ça tu remets les morceaux de volaille dans la cocotte, Tu n’oublies pas de saler et poivrer et tu saupoudres du persil haché. Tu mouilles avec du cidre et environ 20 cl de marinade, de manière à tout recouvrir. Tu laisses mijoter environ 15 minutes. Tu enlèves les morceaux de viande avec une écumoire et dégraisses la sauce au chinois. Ensuite tu déposes de la moutarde au fond d’une casserole et tu y verses la sauce obtenue, tu la fouettes en l’additionnant de la crème fraîche, afin d'obtenir une sauce onctueuse.

poularde à la briarde


Je roulai déjà des yeux gourmands en face de lui. Il termina la recette d’un ton solennel :
- Rectifier l’assaisonnement si nécessaire, disposer les morceaux de poularde sur un plat et les napper de la sauce réchauffée. Servir avec les carottes et oignons d’accompagnement. Et voilà Madame ! Bon appétit !
J’applaudis à la performance.
- Bravo ! Un véritable chef de haute gastronomie ! Et qu’est-ce qu’on mange d’autre dans la région ?
- Fritures de goujons de la Marne, pommes faro (déclinées en cidre), potage crécy…
- Ah ? Et qu’est-ce qu’il a de particulier ce potage crécy ?
- Oh ! Ce sont des carottes, oignons, céleri, ail et gingembre revenus dans un chaudron pendant une quinzaine de minutes (les puristes n’ajoutent pas de pommes de terre, les autres peuvent se le permettre), auxquels on ajoute du bouillon de poulet et qu’on laisse mijoter environ 45 minutes, jusqu’à ce que les légumes soient bien cuits. On mixe le tout et hop ! À table ! 

Nous avons ainsi parlé gastronomie locale et traditions pendant tout le repas. Je découvris ainsi une région mal connue, étouffée sous des voisins encombrants : Paris et Disney. Il me raconta le Multien, entre Haute-Brie et Valois, au nord-ouest de Meaux ; la Brie nichée dans les vallées de la Marne, de l'Orge et de la Seine. Je buvais ses paroles. Une tarte aux pommes - briardes bien sûr – vint clore ce festin de roi. 

C’est le ventre et la tête bien remplis que je remontai dans ma chambre. Sosa avait, pour sa part, vidé les croquettes que je lui avais laissées en partant. Tout le monde était à la fête. J’ouvris ma valise et fut saisie. En un instant une chape de glace me tomba sur les épaules. Je suis quelqu’un de particulièrement ordonné et je remarquai immédiatement lorsque quelques chose était dérangé. Or, aucun doute possible, ma valise avait été visitée. Oh ! pour un œil non averti ce serait sans doute passé inaperçu, mais moi je le vis instantanément. Mes vêtements et autres effets avaient été soulevés et replacés pendant mon absence. Je regardai dans la chambre : nulle trace d’intrusion. J’allai à la fenêtre pour fermer les rideaux. 

C’est dans l’ombre que je le distinguai pour la première fois. Il était dissimulé sous un arbre. Je ne l’aurai peut-être pas vu s’il n’avait bougé un peu. Un rayon de lune se refléta sur ses souliers vernis. Je refermai les rideaux d’un coup sec et appelai Alexandre. Il mit plusieurs minutes à arriver, un torchon à la main.
- Qu’est-ce qu’il se passe ? Je faisais la vaisselle.
- Il y a quelqu’un là, dehors !
- Quoi ? Mais non, enfin, je ne vois personne, dit-il penché à la fenêtre.
- Si je te jure ! Sous le gros arbre, je l’ai vu.
- Je ne vois rien. Un fantôme peut-être ? tenta-t-il de plaisanter.
Devant mon scepticisme il hésita puis décida de ne rien ajouter. Il passa près de moi pour sortir et se contenta de m’adresser un bref sourire.
 

J’avais gardé pour moi l’histoire de la valise : vu qu’il ne croyait pas à l’homme dans le jardin, il y avait peu de chance qu’il accorde du crédit à cette histoire qui supposait bien plus qu’une vague présence sous la lune. Je fermai soigneusement la porte derrière lui et, en l’absence de clé, coinçai une chaise sous la poignée en priant que ce soit efficace.
- Sosa : tu es mon « chat de garde » ce soir ! Ouvre l’œil, et le bon.
Conscient de sa tâche délicate, le chat sauta sur mes genoux, se dressa amoureusement et vint me heurter le menton avec sa tête soyeuse – une série de coups légers pour me rassurer. Puis il se coucha à côté de moi, gardien fidèle de mes nuits. 

Le silence et la nuit se refermèrent sur moi, m'entourant de solitude glaçante. Je mis plusieurs heures à m’endormir, ressassant les mêmes interrogations auxquelles je n’avais pas de réponse. Enfin vers quatre heures du matin, le sommeil s’empara de moi, mais ce fut pour me plonger dans une succession de cauchemars sans fin. 



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jeudi 19 novembre 2020

ChallengeAZ : Chapitre Q

 CHAPITRE Q

"Quelle horreur..."

 

incendie


Mortcerf, 12 avril 1938 


- Quelle horreur !
Henri se précipita vers la fenêtre de la cuisine mais les langues de feu léchaient déjà le mur, atteignant le plafond à une vitesse folle. Il tenta d’arrêter la progression de l’incendie mais ses efforts n’étaient guère récompensés. On était encore en pleine nuit. Trois ou quatre heures peut-être, Henri ne savait pas très bien. Il avait été réveillé par un bruit. Ou était-ce une odeur ? En tout cas quelque chose de pas normal. Peut-être était-ce son sixième sens qui l’avait averti ? Il s’était levé et avait demandé à haute voix :
- Il y a quelqu’un ?
 

Seul le silence de la nuit lui avait répondu. Le silence et ce petit crépitement qu’il entendait maintenant distinctement. Il s’était habillé en vitesse et était sorti de sa chambre. C’est dans la cuisine qu’il avait vu les flammes. Attrapant un torchon il avait essayé d’enrayer le feu en tapant du plus près qu'il put s’approcher. En vain. Sa maison brûlait. Pris à la gorge par les fumées il était sorti. À présent, il était sur le bord de la route, impuissant. Il regardait le bûcher qui éclairait la nuit comme en plein jour.
 

Les voisins arrivaient en courant, habillés à la hâte, surpris dans leur sommeil tant par l’incendie que par l’alerte qui se propageait de maison en maison.
- Il y a quelqu’un à l’intérieur ? Henri ! Il y a quelqu’un dedans ? demanda un sexagénaire, court sur pattes mais bien en chair, vêtu d’un simple marcel blanc sur un pantalon de flanelle.
La fraîcheur de la nuit laissait les hommes indifférents : la chaleur du brasier compensait largement la météo de cette nuit de printemps.
- Ta femme, Henri ? Elle est là ?
Henri ne répondit pas tout de suite, tétanisé par le spectacle qu’il avait devant lui. Les riverains venus en renfort n’attendirent pas pour commencer à lutter contre l’incendie. La solidarité jouait bien sûr, mais aussi la peur de voir le feu s’étendre aux autres maisons.
 

Au loin une ombre observait la scène. L’homme ne bougeait pas : du bosquet où il était caché il avait une excellente vue sur toute la scène. Il trouvait cela magnifique. Il ressentait un mélange de peur et d’excitation. Il allait enfin être vengé. Pendant toutes ces années il s’était senti rabaissé, critiqué, humilié. On lui avait bien fait sentir qu’il n’était pas légitime, qu’il n’avait droit de revendiquer aucune place dans ce foyer. Dans son esprit fragile la maison de son enfance à Tigeaux se superposait à celle d’Henri aujourd’hui à Mortcerf. 

Mais cette fois c’est fini. Le feu purificateur est un auxiliaire puissant. Des images fugitives se superposaient dans son esprit perturbé : la maison du bonheur, celle de Marie-Louise, la douce Marie-Louise, et sans transition le champ de bataille, les obus, les cris. Et la mort. Détachant ses yeux des flammes qui l’hypnotisaient il vit Henri, sur le bord de la route, toujours figé. Gaston sentit la colère monter en lui. Il aurait tellement voulu qu’Henri ne se réveille pas et périsse dans l’incendie. Au lieu de ça il avait l’air à peu près indemne. 


- Henri ! Tu es blessé !
Instinctivement Henri porta la main à sa jambe. Mais ce n’était pas elle qui inquiétait son voisin. Sans comprendre il regarda alternativement la face rougeaude du voisin puis sa manche. Il avait côtoyé le feu de trop près. Il était brûlé sur une partie du bras et de la main. Ses cheveux avaient été roussis par la chaleur. Des traces de suie maculaient son visage. Hébété, il ne réagissait toujours pas. Son voisin le secoua tant qu’il finit par répondre, hésitant, qu’il était seul dans la maison.
- Tu es sûr ? Ta femme ?
Brusquement Henri semblât s’éveiller. Il reprit ses esprits et, d’une voix plus assurée, affirma qu’il n’y avait personne d’autre. Il s’approcha de la chaîne humaine qui se formait déjà pour faire passer des seaux d’eau et prit sa place dans le rang. 

Quand les flammes sortirent par la fenêtre, s’élançant à l’assaut de la cheminée, un sourire s’était dessiné sur les lèvres de Gaston. Savourant le sentiment de plénitude qui l’envahissait, même si Henri s’était réveillé un peu trop tôt à son goût, il se décida à quitter les lieux de sa vengeance. Il pivota alors et s’éloigna lentement, goûtant chaque pas comme un verre d’eau fraîche dans le désert. Au loin, les hommes s’interpellaient mais leurs paroles se noyaient dans le vacarme du brasier. Il ne s’aperçut pas que, au bord de la route, une pluie fine comme de la dentelle était apparue. 

Comme lui, les voisins attaquant le feu ne la remarquèrent pas tant elle s’était manifestée discrètement. Et tout aussi subtilement la pluie força. C’est alors que les hommes la découvrirent. Une pluie fine, mais drue tombait régulièrement à présent. Elle fut beaucoup plus efficace que les riverains dans leurs efforts malhabiles de maîtriser leur ennemi flamboyant. Le feu continua une partie de la nuit mais il n’était plus un danger. Au matin la maison fumait encore, mais au moins l’incendie ne s’était pas propagé aux habitations voisines. Le caractère incombustible des briques de la maison avait permis aux murs de rester debout. Néanmoins, les façades avaient pris différentes teintes colorées allant du rouge vif au grenat. La suie et la fumée avaient laissé de longues traces noires sur le fronton de la maison. L’intérieur en revanche avait beaucoup moins bien résisté aux flammes. La cuisine était particulièrement atteinte. 

Après le moment de faiblesse qui l’avait gagné au plus fort de la crise, Henri avait repris ses esprits. Il s’était porté à la tête de ses voisins, organisant les secours d’une poigne ferme. Il n’avait pas épargné sa peine, ne sentant ni la douleur chronique de sa jambe ni celle, toute fraîche, de son bras. Ce n’est qu’au matin qu’il s’accorda une courte pause. Après avoir bu un peu d’eau il pénétra dans la maison pour recenser les dégâts et sauver ce qui pouvait l’être. Son inspection le soulagea : finalement la situation n’était pas aussi grave qu’il aurait pu le craindre. Un instant il avait cru perdre tous les souvenirs d’une vie. Bah ! Il était vivant, c’était l’essentiel. Sans attendre il plongea les mains dans les restes de l’incendie noyés d’eau et commença à trier les vestiges de son histoire. 



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