« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

mardi 6 novembre 2018

#ChallengeAZ : E comme éléments de description

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La fiche matricule donne un certain nombre de renseignements sur le soldat :
- Son nom, prénom et surnom éventuel ;
- Son état civil ;
- Date et lieu de naissance ;
- Résidence et domicile (pour mémoire le domicile, en droit civil, c'est le lieu où l'individu a son principal établissement, c'est-à-dire son habitation principale et le centre de ses intérêts les plus importants, tandis que sa résidence est le lieu où l'individu se trouve en fait, en général de façon temporaire). Au point de vue militaire, la distinction entre le domicile et la résidence est tout aussi importante qu'en droit civil. Pour le recrutement, le canton assigné au jeune homme est celui du domicile de ses parents, qu'il conserve tant qu'il ne peut justifier d'un domicile personnel (quelque soit sa résidence au moment du recrutement) ;
- Profession ;
- Parenté ;
- Mariage éventuel.
- Signalement physique : couleurs des cheveux, des yeux, forme du visage, taille, marques particulières…
- Degré d’instruction.
- Localités successivement habitées.
- Parcours militaire (nous en parlerons dans la lettre R).


Extrait de la fiche matricule de Jean-François © AD74

C’est ainsi que j’ai fait quelques découvertes à propos de Jean-François :

Si je connaissais sa date et lieu de naissance, son domicile et l’identité de ses parents, j’ai remarqué en revanche qu’il avait sa résidence à Paris, au 174 faubourg Saint Martin, dans le 10ème arrondissement, et qu’il était garçon de café. Mais son domicile étant toujours en Haute-Savoie, il fut recensé militairement parlant dans les Alpes. A ma connaissance, après la guerre, il ne revint jamais faubourg Saint Martin et changea de métier.

Sur la fiche principale, la partie dévolue à son signalement a été très peu remplie : je sais juste qu’il était roux aux yeux châtains. Cependant la fiche contient plusieurs retombes (papiers collés parce que les cases d’origines étaient trop petites) ; or, au verso de l’une d’elles, on retrouve un extrait de sa fiche matricule (un double ? un brouillon ?) et là, surprise, on voit qu’il avait le front droit et le visage ovale. Et dire que je ne me suis aperçue de ce détail que 4 ans après avoir reçu ledit document !

J’ignore son degré d’instruction, partie non remplie également.

Après guerre, il naviguera entre Eaubonne (Val d’Oise), Samoëns, retour à Eaubonne et enfin Paris.

Sa fiche signale encore qu’en 1924 il était camionneur. Par ailleurs (et là encore je viens seulement de m’en apercevoir : comme quoi on ne lit jamais vraiment à fond les documents qu’on a sous les yeux !), il est mentionné qu’en 1937 il est « classé affecté spécial au titre de la Société des Matières Colorantes et Produits Chimiques de Saint-Denis (rue des Poissonniers à Saint-Denis) comme "ouvrier spécialisé en produits chimiques". Cette usine est née de la fusion en 1881 de l’usine Dalsace, qui produisait de l’aniline et des dérivés de la houille servant à la teinture, avec les établissements Poiriers, fabriquant des produits chimiques. Elle a fermé ses portes en 1965. Comment un fils de cultivateur, anciennement garçon de café puis camionneur s’est-il retrouvé à travailler comme ouvrier spécialisé pour une usine utilisant des produits chimiques tels que la soude, des engrais, des nitrates et diverses matières colorantes ? Mystère. Quoi qu’il en soit, il a quitté ce poste au moins en 1946 car alors une autre source m’indique qu’il entre à la Société Anonyme des Pneumatiques Dunlop… mais ceci est une autre histoire.


lundi 5 novembre 2018

#ChallengeAZ : D comme déplacements

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Parti de Haute-Savoie, Jean-François commence son périple par l’entraînement à la caserne, probablement celle de Chambéry. Lors de sa première affectation, avec le 23ème BCA, il est envoyé dans les Vosges. Il y connaîtra différents lieux, soit en premières lignes soit en cantonnements à l’arrière. Avec son nouveau bataillon, le 51ème, il rejoint la Somme, puis la Picardie, la Meuse, la Marne, les Ardennes. Ils sont finalement envoyés en Italie, avant de rentrer en France : Somme, Nord, Oise, Aisne et Somme à nouveau.

Les déplacements de courte distance, entre cantonnement et premières lignes, sont effectués à pied, parfois dans des conditions pénibles de froid et de neige (durant la période vosgienne par exemple). Parfois le transport se fait en automobiles ou en convois de camions. Et pour les trajets plus longs, des trains sont affrétés spécialement.

Il y a aussi d’autres types de déplacements : des missions de reconnaissances régulièrement effectuées.
Lors des périodes de « repos » sur les lignes arrières, les soldats ne restent pas inactifs et font de longues marches de manœuvre, avec barda complet sur le dos : ils vont d’un point à un autre ou marchent parfois en boucle, revenant à leur point de départ.
A tous ces déplacements il faudrait ajouter les permissions : en effet, en 4 ans de guerre, il est fort probable que Jean-François en ait eu ; malheureusement je n’ai pas d’indication quand aux dates et aux lieus de départ dont il aurait pu en bénéficier, si bien que je ne peux pas les prendre en compte.

L'année 1917 est particulièrement riche en déplacements : le bataillon va de cantonnements en cantonnements, monte parfois en première ligne, mais fait surtout de longues marches d'exercice. Vosges, Haute-Saône, Haut-Rhin, Marne, Oise, Seine et Marne, Marne, Meuse, Vosges, Marne se succèdent à un rythme effréné jusqu'au grand départ de novembre vers l'Italie.

Parfois les déplacements sont difficilement compréhensibles, comme cet aller-retour italien : étape Lonato-Cedegolo le 8 novembre 1917, poursuite vers Edolo le 9  et retour immédiat à Lonato (prévu le 13, mais reculé au 17 à cause d’un éboulement sur la voie), soit 240 km initialement prévus en 5 jours (et finalement réalisés en 9).

Si l’on ajoute tous les déplacements en 4 ans de conflits, d’après mes estimations, cela représente 13 037 km (hors les 5 mois de formation, les marches de manœuvres qui ne sont pas détaillées et les permissions dont je n’ai pas retrouvé les traces), soit environ 280 km par mois. L'étape la plus longue a lieu lors du retour d'Italie : de la Vénétie jusque dans la Somme, ce sont près de 1 400 km qui sont effectués en trois jours (par train principalement, terminés par une marche pénible sous la pluie et sur des routes défoncées).

Voici ce que cela donne sur une carte :



Bref, en 4 ans de guerre, Jean-François en a fait du chemin !


samedi 3 novembre 2018

#ChallengAZ : C comme costume alpin

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L’uniforme (appelé tenue chez les chasseurs) des Alpins comprend :
  • La « tarte » avec son insigne d'arme. C’est un béret, c'est-à-dire coiffure souple en laine tricotée et feutrée, circulaire et plate, généralement garnie d'une couronne intérieure en cuir, d’origine béarnaise. Il est adopté comme coiffe des chasseurs en 1891. La tarte devient vite l'emblème des chasseurs alpins : suffisamment grande pour protéger du froid lors des longues gardes en montagne (« Il faut pouvoir y glisser les deux pieds quand il fait froid au cantonnement. » selon le cahier des charges), elle protège aussi du soleil. Lors de la Première Guerre mondiale, les chasseurs abandonnent même le casque réglementaire pour porter leur tarte emblématique durant les combats. Selon certains, la tarte pouvait aussi être remplie de chiffons afin protéger les chasseurs des chutes de pierres.
  • La vareuse dolman bleue foncé et à boutons argentés. Son col est frappé du cor et du numéro de bataillon surmonté de pattes losangées ornées de deux soutaches (galon étroit et plat, à deux côtes).
  • Selon les époques, une taillole (ceinture de laine bleue entourée autour de la taille, mesurant 4,20 mètres de long) ou un ceinturon de cuir.
  • Un pantalon gris de fer avec, plus tard, un passepoil (liseré) jonquille sur la couture du pantalon.
  • Des bandes molletières, en drap gris bleu, autorisées en janvier 1895, mais déjà portées depuis longtemps en manœuvre.
  • De solides brodequins à semelle débordante et à clous adaptés aux manœuvres montagnardes; sur la semelle est gravée la lettre d’identification de la compagnie.
  • Une ample pèlerine à capuchon qui permet de s’envelopper dans le bivouac.
  • Un sac, modèle 1882, d’une capacité de 25 kg de chargement.
  • Un bâton en merisier également ferré, appelé alpenstock : c’est une canne se terminant par un fer de section carrée, initialement fourchue et permettant d’y appuyer l’arme pour faciliter le tir, puis simplement à bec recourbé.
  • Un piolet, une corde et des raquettes à neige.
  • L’insigne distinctif des chasseurs est le cor de chasse. Il est porté sur la tarte, les pattes d’épaules et les insignes de bataillons. Il est hérité de l’infanterie légère du Premier Empire.




Costume soldat du 13ème BCA © militaria-medailles.fr

Il existe de légères différences selon les bataillons. Ainsi la fourragère du 23ème BCA est aux couleurs de la croix de guerre de 14-18.




vendredi 2 novembre 2018

#ChallengeAZ : B comme bataillon

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Pour sa première affectation, en 1915, Jean-François est envoyé au 23ème Bataillon de Chasseurs Alpins (BCA). Il y restera jusqu’en septembre 1916 (20 mois), puis passera au 51ème jusqu’en juillet 1918 (21 mois) et enfin un court passage au 54ème jusqu’en septembre 1918 (2 mois). Il terminera la guerre dans un Régiment d’Artillerie Lourde, le 84ème (3 mois) ; première affectation hors du corps des Alpins.

Lors de leur création (cf. lettre A comme Alpins), les douze premiers bataillons alpins, issus des bataillons de chasseurs à pied, sont rattachés aux deux corps d'armée (chacun étant une grande unité militaire constituée de plusieurs divisions) qui défendent les Alpes, basés dans différentes garnisons :
  • Le XIVe corps d'armée de Lyon :
    - le 12e BCA (Grenoble),
    - le 13e BCA (Chambéry),
    - le 14e BCA (Embrun),
    - le 22e BCA (Albertville),
    - le 27e BCA (Annecy)
    - le 28e BCA (Grenoble),
    - le 30e BCA (Grenoble) ; 
    • Le XVe corps d'armée de Nice :
      - le 6e BCA (Nice),
      - le 7e BCA (Antibes puis Draguignan),
      - le 11e BCA (Barcelonnette),
      - le 23e BCA (Grasse),
      - le 24e BCA (Villefranche-sur-Mer).


      51ème bataillon © histoire-passy-montblanc.fr

      Ils constituent les bataillons d’armée active. Mais il existe aussi des bataillons de réserve et des territoriaux :
      Les bataillons de réserve sont constitués d'hommes âgés de 23 à 35 ans. Le numéro du bataillon de réserve est obtenu en ajoutant le nombre 40 au numéro du bataillon d'active correspondant ; par exemple : le 46e BCA est le bataillon de réserve du 6e BCA. Ils sont donc 12, comme ceux d’active.
      À ces bataillons s'ajoutent les bataillons de chasseurs alpins de l'armée territoriale (BCAT ) constitués d'hommes âgés de 35 à 45 ans. Il s'agit de sept bataillons, numérotés de 1 à 7.

      En 1914, on compte désormais 31 bataillons d’active, chacun composé en général de 6 compagnies et d’une section de mitrailleuses, soit environ 1 700 hommes.
      9 bataillons furent créés pendant la Grande Guerre, en complément de ceux déjà existants : les 32e, 102e, 106e, 107e, 114e, 115e, 116e, 120e et 121e.

      Les bataillons sont divisés en compagnies, elles-mêmes subdivisées en 4 sections, chacune commandée par un capitaine et comptant 210 chasseurs, ainsi que le clairon, infirmier, sous-officiers, etc…. Les sections se décomposent en 4 escouades, commandées par un lieutenant, soit environ 65 soldats au total.

      Chaque bataillon a un refrain qui lui est propre. En effet, à l'heure des combats d'infanterie sans moyen de transmission, le clairon sonnait son refrain au cor. Grâce à cela, les généraux supervisant les combats connaissaient la position de leurs troupes. La tradition veut que chaque numéro de jour corresponde à un refrain chasseur. C'est pour cette raison qu'il y a 31 refrains pour les 31 premiers bataillons. Par exemple, le refrain du 23ème est « V'la le vingt-troisième, nom de Dieu, ça va barder ! ».


      jeudi 1 novembre 2018

      #ChallengeAZ : A comme alpins

      Lien vers la présentation du ChallengeAZ 2018
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      Originaire de Haute-Savoie, Jean-François est presque naturellement affecté à un corps d’Alpins. On les appelle Bataillon de Chasseurs Alpins ou Bataillon de Chasseurs à Pied.
      Les Chasseurs Alpins sont des soldats spécialisés dans le combat en milieu montagneux. Cette unité a été créée en 1888.

      Dans les années 1830 une troupe d’élite à vocation temporaire est créée pour tester une nouvelle arme, la carabine Delvigne-Pontcharra : on la nommera bataillon provisoire de Chasseurs à pied. Mais, remplissant plusieurs missions avec succès (notamment la bataille de Sidi Brahim en 1845), on la fit perdurer plutôt que de la dissoudre. Le premier bataillon de Chasseurs à pied était né. Les Alpins constituent la plus ancienne subdivision de l’infanterie, après les régiments de ligne.

      Parallèlement, à la fin des années 1850, les royaumes indépendants d’Italie (pas encore réunifiés) sont une menace à la frontière française. D’autant plus que les Italiens se sont dotés d’une troupe spécialisée dans le combat en milieux montagnard. Les Français se doivent de pouvoir répondre à une de leurs attaques : ils créent donc une troupe de montagne en 1888. 12 des 31 bataillons de Chasseurs à pied sont choisis pour assurer cette mission (en 1916 ils prennent l’appellation de bataillons de Chasseurs Alpins).


      Alpins, 13ème BCA © memoire-des-alpins.com

      En général, ces bataillons agissent en tirailleurs à l’avant de l’infanterie. Profitant de leur expérience en milieu accidenté, ils se postent à couvert et peuvent viser l’ennemi, contrairement à l’infanterie de ligne qui attaque de matière compacte, en formation serrée.
      Selon la tradition, au tout début, les chasseurs étaient les seuls soldats de l'armée française auxquels on demandait de savoir lire et écrire. On disait d’eux qu’ils étaient les meilleurs tireurs et les meilleurs sportifs.

      1915 sera l’année la plus difficile pour les Alpins : regroupés au sein d’une « Armée des Vosges », ils mènent des attaques aussi héroïques que meurtrières sur les sommets vosgiens. Par exemple, le Braunkopf saigna le 11ème BCA, tandis que le Lingekopf sera le sinistre « Tombeau des Chasseurs » du 22ème BCA. Au total le conflit a fait plus de 80 000 morts dans leurs rangs.

      Mais leur bravoure leur vaut le surnom de « Diables noirs » donné par les Allemands. Du côté français, on les surnomme plutôt les « Diables bleus » en raison de la couleur de leur uniforme.

      La protestation des Chasseurs est le chant de base des Chasseurs à pied :



      I.
      Nous sommes trente mille braves,
      Au képi sombre, au manteau bleu,
      Et nous voyons même les Zouaves
      Derrière nous courir au feu.
      Vous qui voulez qu’on nous supprime,
      Qu’avez-vous à nous reprocher ?
      En guerre, en paix, notre seul crime
      C’est d’avoir su trop bien marcher.
      Ne touchez pas au Corps d’Elite,
      Chasseurs, Chasseurs, pressons le pas,
      Qu’on nous fasse marcher plus vite,
      Mais qu’on ne nous supprime pas.
      REFRAIN
      Encore un carreau d’ cassé... 
      V’là l’ vitrier qui passe,
      Encore un carreau d’ cassé
      V’là l’ vitrier passé...
       II.
      Essayez de nous suivre au pas,
      Voyez un peu notre démarche,
      C’est notre Bataillon qui marche.
      Allons, ne vous essoufflez pas ;
      C’est le clairon qui nous entraîne,
      Notre clairon, c’est notre amour.
      Fi du Biffin qui lent se traîne,
      Trébuchant derrière un tambour.
      Place aux Chasseurs, la route est large,
      La route qui mène au combat,
      Vous les verrez pousser la charge,
      Si vous ne les supprimez pas.
      REFRAIN
      III.
      Visez-vous à l’économie
      Des cinq milliards qu’on dût verser ?
      Nous vous offrons tous notre vie
      Pour vous les faire rembourser !
      Si vous tenez au drap garance,
      Qui coûte autant sans valoir mieux,
      Notre sang versé pour la France
      Rougira nos pantalons bleus.
      A nous les coups de main dans l’ombre
      Qu’il faut exécuter tout bas,
      Notre tenue n’est pas trop sombre
      Pour qu’on ne la supprime pas.
      REFRAIN
      IV.
      Vous avez vu nos frères d’armes
      Tomber au loin pour leur pays ;
      Vous leur avez donné vos larmes,
      Épargnez donc leurs vieux débris.
      Serez-vous plus durs que la guerre ?
      Ne voulez-vous pas ménager,
      Aux Chasseurs dormant sous la pierre,
      Quelques Chasseurs pour les venger ?
      Que le canon Krupp nous décime,
      Il a sur nous droit de trépas ;
      Et, s’il le peut, qu’il nous supprime,
      Mais vous, ne nous supprimez pas.
      REFRAIN
      V.
      (Strophe d’après la Grande Guerre)
      Vous avez vu la Grande Guerre
      Faire de nous des Diables Bleus.
      Ce nom, ceux qui le lui donnèrent,
      Allez, s’y connaissaient un peu...
      Sur tous les fronts, Verdun, la Somme,
      Plus de cent fois renouvelés,
      Nos Bataillons, comme un seul homme,
      Devant la Mort se sont dressés...
      Chez nous pas de paroles vaines,
      Les Chasseurs de Driant sont là,
      Qu’à leurs tombeaux on nous enchaîne,
      Mais qu’on ne nous supprime pas...
      REFRAIN


      (Les strophes en italique ne sont pas chantées dans cet extrait).

      Le refrain s’expliquerait par le fait que les « vitriers » dont il est question est le surnom donné aux chasseurs en raison du sac à dos en toile cirée qui brillait au soleil les faisant ressembler de loin à des vitriers.




      mercredi 31 octobre 2018

      #Centenaire1418 pas à pas : octobre 1918

      Suite du parcours de Jean François Borrat-Michaud : tous les tweets du mois d’octobre 1918 sont réunis ici.

      Ne disposant, comme unique source directe, que de sa fiche matricule militaire, j'ai dû trouver d'autres sources pour raconter sa vie. Ne pouvant citer ces sources sur Twitter, elles sont ici précisées. Les photos sont là pour illustrer le propos; elles ne concernent pas forcément directement Jean François.

      Les éléments détaillant son activité au front sont tirés des Journaux des Marches et Opérations qui détaillent le quotidien des troupes, trouvés sur le site Mémoire des hommes.

      Toutes les personnes nommées dans les tweets ont réellement existé.
      ___ 

      1er octobre
      Un nouveau docteur rejoint notre groupe pour remplacer l’ancien rappelé à l’intérieur. Le tube 476 de la 1ère batterie est échangé contre le tube 774.

      2 octobre
      Ordre du colonel : la colonne lourde fera manœuvre à 18h et la colonne légère à 5h pour Outrepont (région de Vitry le François).

      Carte Rarecourt-Outrepont

      3 octobre
      Arrivée de la colonne lourde à 4h et de la colonne légère à 10h à Outrepont où nous cantonnons.

      4 octobre
      Les camarades me racontent les progrès fait par le régiment d’artillerie lourde depuis le début de la guerre : parti dès le premier jour de la mobilisation, il a constitué une arme nouvelle qui a réussi à participer à tous les grands combats sur les fronts de France, d’Italie ou d’Orient.

      5 octobre
      Se déplaçant fréquemment le RAL a été appelé là où les bombardements faisaient rage, là où il y avait besoin de la puissance et de la portée de ses canons et de la vaillance de ses soldats.

      Artillerie lourde © museevirtuelmilitaire.centerblog.net

      6 octobre
      L’intelligence de tous, officiers et hommes de troupe, ont permis de perfectionner matériel méthodes. A tel point que le commandement décida la création d’unités analogues.

      7 octobre
      Si le RAL a subi de lourdes pertes, il a aussi mérité les honneurs, s’illustrant dans les grandes batailles de la guerre : Meuse, Yser, Champagne, Argonne, Verdun, Montdidier, etc…

      8 octobre
      Le RAL a aussi été récompensé par de nombreuses citations, palmes et étoiles. Sa fourragère verte et rouge restera, nous l’espérons, dans l’histoire comme le symbole du courage et de la vaillance du régiment.

      9 octobre
      L’ennemi est maintenant hors de portée. Le régiment est alors mis à la disposition de la Ière Armée dans la région de Saint-Quentin : nous reprenons la route.

      10 octobre
      Le Groupe envoie au PRA un avant train de la 1ère batterie l’affût 102 et la glissière 101 de la 2ème batterie qui vont être échangé contre un nouvel avant train l’affût 351 et la glissière 45.

      11 octobre
      Tout le régiment fait mouvement pour Sézanne. Nous cantonnons à Barbonne.

      Carte Outrepont-Barbonne

      12 octobre
      Étape de Barbonne à Trocy où nous cantonnons.

      13 octobre
      Étape de Trocy à Tarlefesse où nous cantonnons 48h. Une reconnaissance est ordonnée pour le lendemain afin de déterminer les positions des batteries entre la côte 87 et la route de Marcy à Bernot.

      Carte Barbonne-Bernot

      14 octobre
      Le chef d’escadron effectue sa reconnaissance avec les commandants de batteries.

      15 octobre
      A 5h30 départ d’une section par batterie pour les positions situées en bordure de la route de Regny à Seboncourt à 1 500 m au SE de Fontaine Notre Dame où s’installe le PC du chef d’escadron.

      16 octobre
      Le chef d’escadron prend pour trois jours, en l’absence du colonel, le commandement des groupes de G.P.F. du régiment.

      17 octobre
      Le groupe participe à une opération déclenchée à 5h30. 158 tirs sont exécutés.

      18 octobre
      235 coups sont tirés.

      Douilles de canon 75 © Wikipedia

      19 octobre
      Le groupe est chargé par le colonel d’assurer la liaison entre la 33ème DI et le régiment. Tirs exécutés par la 1ère batterie : 105 coups ; par la 2ème batterie : 60 coups.

      20 octobre
      Tirs exécutés : 120 coups.

      21 octobre
      Certains disent que c’est l’ultime bataille de la guerre. Pourvu que cela soit vrai !

      22 octobre
      Tirs exécutés : 62 coups.

      23 octobre
      Un de nos lieutenants est affecté à la mission française auprès de l’armée américaine. Tirs exécutés de nuit : 40 coups.

      24 octobre
      Évacuation du sous-lieutenant Monnet. Tirs exécutés : 65 coups et 10 de nuit.

      25 octobre
      Tirs exécutés : 373 coups.

      26 octobre
      Le groupe participe aux opérations de franchissement de l’Oise à 5h45 pour la 33ème DI et à 9h pour la 56ème DI. Tirs exécutés : 390 coups pour la 1ère batterie, 409 pour la 2ème batterie.

      27 octobre
      Reconnaissance des positions de batterie dans la région de Noyales. Tirs exécutés : 209 coups.

      Tir au canon de 120 © picclick.fr

      28 octobre
      Dans la matinée mise hors batterie ; les pièces sont conduites aux nouvelles positions au sud (1ère batterie) et au Nord (2ème batterie) de Noyales. Trois pièces seulement par batterie, les quatrièmes restent à l’échelon. Le PC est installé à Noyales, l’échelon se transporte à Regny. Le tube 520 de la 2ème batterie est échangé contre le tube 759.

      29 octobre
      Le capitaine Daubon prend le commandement du groupe en l’absence du chef d’escadron parti en permission.

      30 octobre
      Le groupe participe à l’attaque menée par le 31ème CA dont la mission d’ensemble comporte le franchissement de l’Oise en aval et au SE de Guise. Tirs exécutés : 177 coups.

      Carte Bernot-Guise

      31 octobre
      Tirs exécutés : 176 coups.


      samedi 20 octobre 2018

      #RDVAncestral : L'homme dans le brouillard

      Il faisait froid ce jour-là à Champéry, village haut perché du Valais Suisse. Le paysage était recouvert d’une épaisse couche de neige,  nappant tous les contours du paysage, des maisons, des silhouettes emmitouflées se dépêchant de rentrer chez elles. La buée qui sortait de ma bouche se confondait avec l’épais brouillard qui augmentait la confusion des formes. Tout était d’un blanc cotonneux et l’on ne savait pas où s’arrêtait la terre et où commençait le ciel.

      A la sortie de l’église, je repérai Justine, mon ancêtre située cinq générations au-dessus de moi. Nous échangeâmes quelques banalités, puis je proposai de l’accompagner sur le chemin du retour. D’un air distrait, elle accepta. Au moment de se mettre en route, elle sembla soudain se rappeler quelque chose. Elle se retourna et appela :
      - Pierre ! Louis !
      Deux garçons, qui jouaient avec d’autres à une bataille de boule de neige improvisée sur le parvis de l’église, quittèrent à regret la partie et leurs camarades.
      Le premier des garçons était un grand échalas, tout en os, âgé de 19 ans, avec de long bras qui semblaient l’embarrasser plus qu’autre chose. L’autre, âgé de 13 ans, était petit, plutôt rondouillard, ses joues n’ayant pas encore totalement perdu les rondeurs de son enfance.

      Tandis qu’ils nous rejoignaient, une légère neige commença à tomber. Doucement le ciel s'assombrissait.

      Champéry © lenouvelliste.ch

      Tout en marchant, je jetai un coup d’œil en biais au ventre de Justine. Sous son épais manteau, on devinait à peine que sa taille commençait à s’épaissir. Mais bien sûr, moi je le savais, ou du moins je le supposais, puisque c’était le père de mon arrière-grand-père qui devait s’annoncer là ! Il naîtrait en mai et ce serait le dernier de mes ancêtres Suisses à venir au monde de ce côté de la frontière. Deux ou trois décennies plus tard il passerait le col et s’installerait à Samoëns (Haute-Savoie actuelle), faisant souche... et pleins de petits Français !

      Mais le brouillard n’était pas que dans le paysage : il entourait aussi la naissance du futur Joseph Auguste. En effet, celui-ci est né de père inconnu.
      Déjà, l’identité de sa mère était sujette à caution :
      Il était difficile de prouver avec certitude que la Justine que j’avais à mes côtés était bien la mère de Joseph Auguste né en 1863, car il n'y avait pas d'indication de filiation de Justine au baptême de Joseph Auguste. Cependant, voici les indications qui avaient orienté le choix sur cette Justine (ou Marie Justine) Borrat-Michaud lors de mes précédentes recherches :
      - le parrain et la marraine de Joseph Auguste sont Joseph Borrat-Michaud et Alphonsine Gex-Collet. Joseph est le frère de Marie Justine, et Alphonsine deviendra sa belle-sœur en 1867 en épousant un autre frère de Marie Justine, Jean-Frédéric Borrat-Michaud.
      - d'après les relevés des familles du Val-d'Illiez, et il s'agit de la seule Justine Borrat-Michaud vivante à cette époque à Champéry ; ce qui me l’avait fait « adopter » officiellement comme étant mon ancêtre.
      Cependant, Justine est née en 1814, ce qui la fait âgée de 49 ans à la naissance de Joseph ! Le doute persistait donc toujours, comme un brouillard épais et collant. J’espérai que ma rencontre du jour dissiperait les incertitudes.

      Le premier fils de Justine est lui aussi né de père inconnu. L’identité du père du second est consignée dans son acte de naissance, bien que les parents ne soient pas mariés : ils vivent seulement ensemble. Celui-ci se nomme Pierre Julien Rey Mouroz. En 1863 il est toujours vivant : est-ce lui alors le père de Joseph Auguste ? Mais dans ce cas pourquoi s’être fait connaître lors de la naissance de Louis, et pas pour celle de Joseph ?

      Je retournai toutes ces questions dans ma tête, ne sachant pas très bien comment les aborder avec Justine. Après tout c’était un peu délicat. Justine paraissait toujours soucieuse, presque renfermée. Était-ce sa grossesse qui la préoccupait ? Il fallait que je me dépêche de trouver un angle d’attaque, car nous allions bientôt arriver à demeure et je n’étais pas sûre que la bonté de Justine irait jusqu’à m’inviter à entrer. Finalement, ne trouvant pas de moyen plus subtil, je m’apprêtai à la l’interroger carrément avec une question du genre « est-ce vrai que vous attendez un nouvel enfant de Pierre Julien ? » (Je n’étais pas sûre de mon fait, mais tant qu’à faire de mettre les pieds dans le plat, autant y aller au bluff).

      Je pris une grande inspiration et ouvrai la bouche, persuadée de me faire insulter à peine aurai-je posé une question aussi grossière. Mais tandis que je me tournai vers Justine pour perpétrer mon crime, celle-ci tendit vers moi sa main ouverte, m’intimant le silence.
      - Un instant, s’il-vous-plaît ! Pouvez-vous garder un œil sur les garçons ?
      Et avant que je n’ai pu lui répondre, la voici qui s’élance dans une ruelle. Je l’observai à distance, encore sous le coup de la surprise de ce qui venait de se passer.

      A cause du brouillard et de la pénombre naissante, je la distinguai à peine. Cependant, je voyais bien qu’elle y avait rejoint un  homme. Ils parlaient tous les deux et la discussion semblait assez animée. J’entendais des bribes de conversation portées par le vent, quelques mots échappés par hasard et arrivés jusqu’à moi. Il était question d’enfant, de responsabilité, de réputation… Pour moi, plus de doute possible : ce devait être le père de Joseph. Mais je ne le voyais pas bien d’où j’étais. Il semblait grand, enveloppé dans un large manteau, sa capuche retombant sur ses épaules, ses cheveux parsemés de petits flocons blancs. Mais le brouillard m’empêchait de distinguer les traits de son visage. Il demeurait une silhouette floue dans la neige tourbillonnante.

      Je devais absolument savoir qui était cet homme. C’est alors que j’avisai une commère qui passait par là, rentrant chez elle d’un pas pressé. Je l’attrapai par la manche pour lui demander si c’était bien Pierre Julien qui discutait avec Justine.
      - Mais ! Comment voulez-vous que je le sache ! On n’y voit goutte ! Et, plutôt furieuse, elle se dégagea d’un geste brusque, reprenant sa marche laborieuse dans la neige de plus en plus épaisse du chemin.
      Je regardai autour de moi, désespérée : il n’y avait plus personne en vue. Je me décidai donc à aller voir par moi-même, mais à ce moment-là l’homme quitta Justine et s’éloigna vivement. Le brouillard l’enveloppa d’un coup, le faisant disparaître à jamais. Justine revenait à pas rapides. Elle était visiblement bouleversée. Elle appela ses garçons et, semblant m’avoir oubliée, me planta là.

      Je restais un moment au milieu du chemin, immobile, désemparée : je n’avais pas pu obtenir les renseignements tant convoités et, pire que tout, j’avais peut-être été à quelques mètres seulement de mon ancêtre sans avoir pu l’identifier. Le constat était amer : je ne pourrai probablement jamais découvrir l’identité du père de Joseph. Enfin, le froid piquant me décida à bouger et à m’en retourner… dans le brouillard.