En ce 11 novembre commémoratif, je publie mon généathème du mois en rapport avec les Poilus de la Grande Guerre. Je ne participe pas à l’indexation collaborative des Poilus. Pas de « Un jour un Poilu » pour moi, mais « un Poilu tous les jours » ! Une sorte d’indexation « individuelle » si l’on peut dire. En effet, depuis l’été 2014 (1914 pour lui) je suis mon arrière-grand-père au jour le jour : ce sont les « pas à pas ». Le principe ? Suivre mon Poilu pendant tout le temps où il a participé (de près ou de loin) au conflit.
Ça m’a pris sur un coup de tête, moi qui ne m’intéresserais pas du tout à cette période. Après un rapide tour d’horizon des hommes de ma famille ayant potentiellement participé à la Grande Guerre, il me restait deux soldats en lice pour mener ce projet. Mais la condition sine qua non était au moins d’avoir sa fiche matricule, pour savoir dans quelle(s) unité(s) il avait été affecté et retrouver le(s) parcours de cette/ces unité(s).
Or pour mon arrière-grand-père paternel, j’ai eu beaucoup de mal à retrouver sa fiche matricule : il demeurait soudain dans un lieu que je ne lui connaissais pas (ce fut une mes plus ardues épines généalogiques). Quand enfin je l’ai retrouvé, son nom se trouvait en bas d'une page de la table alphabétique annuelle et son numéro matricule (qui me permettrait de mettre la main sur sa fiche) avait disparu : le coin de la page ayant été déchiré ! Bref, ce n’est que bien plus tard – bien trop tard – que j’ai enfin retrouvé sa fiche matricule. Il nous aurait emmené en Orient, mais sa fiche était assez peu détaillée finalement : la tâche aurait été plus laborieuse pour moi.
Il n’en restait donc plus qu’un : ce fut Jean-François Borrat-Michaud, mon arrière-grand-père maternel. Par ailleurs, ma mère m’a souvent raconté que lors des rares occasions où elle rendait visite à ses grands-parents, son « pépère » restait toute la journée assis devant la fenêtre. Elle avait 8 ans environ, lui tout juste la soixantaine. Ce n’est pas si vieux pour rester grabataire. Ma mère pensait qu’il avait été gazé pendant la guerre, ce qui expliquait sont état. Or, dès mes premières recherches généalogiques, j’avais découvert qu’il avait été déménageur après la guerre. Cela ne semblait pas trop correspondre avec l’image d’un homme gazé, brisé. Mais, pour sûr, cela a attisé ma curiosité !
Sans trop réfléchir (à ce que cela impliquerait), j’ai ouvert un compte Twitter à son nom, @jfbm1418, car le format court des tweets me paraissait convenir : il n’était pas question de faire un roman chaque jour, mais de voir (ou d’essayer de savoir) ce qu’il faisait et où il était. C’est lui qui parle, comme si nous étions à ses côtés : je n’interviens jamais en tant que descendante 100 après lui (enfin, pas sur ce compte-là en tout cas). Lorsque l’information est plus fournie, plusieurs messages sont publiés le même jour. Tous ces tweets sont réunis (et sourcés le cas échéant) dans un article qui paraît chaque dernier jour du mois sur le blog Murmures d’ancêtres. Une mention sur Facebook vient compléter le dispositif mensuel.
Lors de la déclaration de la guerre, Jean-François a 20 ans et vit chez ses parents à Samöens (Haute-Savoie). Il n’est incorporé qu'en septembre 1914 : je lui ai donc imaginé ces quelques semaines d’attente, entre inquiétude et impatience. Comme je ne dispose d’aucun document personnel le concernant (sauf une unique - mauvaise - photo, non datée mais vraisemblablement post-guerre), rien qui ne puisse m’éclairer sur son parcours, j’ai dû beaucoup inventer.
Jean-François Borrat-Michaud et sa famille, sans date © Coll. personnelle
Bien sûr, j’ai beaucoup lu sur cette période, sur le conflit, je me suis beaucoup documentée, mais j’ai toujours une légère frustration à lui faire dire des choses qu’il n’a peut-être jamais pensées ou prononcées de cette façon : je ne connais pas le « niveau de langage » qu’il avait, j’ignore même quelle langue il parlait : était-ce un patois savoyard de fond de vallée ou parlait-il un français soutenu ? Tant pis pour mes remords, le but n’est pas de faire une thèse sur lui, mais d’essayer de rendre compte de ce qu’il a traversé.
Lors de son incorporation, il est envoyé parmi les Chasseurs Alpins ; corps qu’il ne quittera pratiquement plus pendant tout son parcours militaire, même s’il a changé plusieurs fois de bataillon.
Pour sa période d’instruction militaire, un peu raccourcie, mais encore relativement longue par rapport aux générations suivantes et aux besoins rapides que l’Armée avait en hommes, je me suis basée sur un manuel d’instruction militaire, trouvé sur Gallica. Comme Jean-François, j’ai commencé à appréhender ce monde nouveau en douceur : gymnastique, paquetage, construction d’une tranchée…
Et puis c’est parti ! Il a rejoint le front. Affectation dans les Vosges, puis l’Alsace, la Somme, la Marne, la Meuse… A partir de ce moment-là, j’ai suivi les notes prises quotidiennement dans les Journaux des Marches et Opérations de chaque bataillon (trouvés sur le site Mémoire des Hommes). Au début son parcours était encore assez romancé, car j’avais amassé beaucoup de documentations, non seulement sur l’arrière mais aussi sur les soldats au front ou les grandes batailles plus ou moins connues auxquelles il a participé (Metzeral, le Linge…). Puis, avec le temps (celui qui passe et celui qui nous manque), les tweets collent de plus en plus aux JMO et sont moins « romancés ».
J’essaye néanmoins de publier des visuels (cartes postales anciennes, photos de guerre, « une » de journaux), quand je peux en trouver : champs de bataille, officiers qui ont commandé ses bataillons, vie au cantonnement… Pour chaque déplacement du bataillon, je fais une carte : cela me permet de le visualiser dans l’espace. Il en a fait du chemin (près de 80 cartes de déplacements à ce jour), mon arrière-grand-père, et ce n’est pas fini…
Deux infirmations cruciales me manquent néanmoins :
- où mon arrière-grand-père a-t-il passé sa convalescence après la blessure qu’il a reçu à Metzeral en janvier 1916 et qui l’a immobilisé six mois ? Son dossier aux archives médicales et hospitalières des armées (le SAMHA) ne le dit pas. C’est la seule fois où j’ai été contrainte d’arrêter les tweets quotidiens, l’incertitude étant trop grande et le temps me manquant pour combler les trous.
- a-t-il eu des permissions (sans doute) ? Quand ? Est-il rentré chez lui ? Comment était alors son état d’esprit vis-à-vis de sa famille, de ses proches ?
Je sais que plusieurs camarades de sa classe, originaire de Samoëns, sont tombés au front. Les connaissait-il ? Sûrement : Samoëns n’est pas si grand. Je les ai imaginés amis. Je l’ai imaginé affecté par leurs disparitions. Romans ou réalité ? Si ce n’est pas eux, c’est sans doute d’autres. Il y en a eu tellement…
Aujourd’hui, après 3 ans et demi (déjà !), et comme je le disais sur ce blog récemment, je suis un peu lasse de préparer ces tweets chaque jour ainsi que les reprises mensuelles sur le blog. Mais bon, on ne peut pas comparer ma situation et celle de mon arrière-grand-père, alors relativisons… et twittons ! Même si cette série d’articles fait partie des moins lues sur le blog (ce que je peux comprendre : ce n’est pas très glamour et la vie dans les tranchées pendant plusieurs années peut paraître lassant), je remercie néanmoins ceux qui suivent son aventure et me le font savoir, quotidiennement ou de temps en temps.
Combien de temps cela durera encore ? Autant qu’a duré sa guerre, bien sûr…
Au fait, d’après ce que je sais, à ce jour (c'est-à-dire novembre 1917), Jean-François n’a pas été gazé !
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