Mais en arrivant près de la maison ce jour-là, je fus fort étonnée de voir toute une assemblée en grand deuil. Sans doute feue Jeanne Maillard était elle estimée, mais tout ce monde encore présent une semaine après ses funérailles… Étrange.
Ils sont tous là : les amis, les voisins, bien sûr, mais aussi les enfants, leurs conjoint(e)s, les petits-enfants, venus des villes et villages voisins où ils demeurent aujourd’hui - Guérard, Faremoutiers, Saints, Saint-Augustin… Il n’en manque qu’un. Gabriel lui-même.
Et pour cause : toutes ces personnes ne sont pas là pour Jeanne, mais bien pour Gabriel. Gabriel qui a suivi de près sa défunte épouse dans l’autre monde. Sept jours. Seulement sept jours séparent les deux décès.
Qu'est-il arrivé ?
Je me glisse dans la file d’amis et de proches qui offrent leurs condoléances aux récents orphelins. Bien sûr, ils sont grands maintenant (entre 30 et 45 ans). Mais perdre ses deux parents dans un laps de temps aussi proche, c’est une épreuve tout de même.
Je m’approche de Jeanne, leur fille (mon ancêtre directe à la XIème génération) et son époux Jacques. Je tente d’en savoir plus :
- Que s’est-il passé ?
Jeanne est trop émue pour me répondre. C’est Jacques qui tente de m’expliquer :
- Bien sûr, il y a l’âge : ils n’étaient plus tous jeunes tous les deux (environ 70 ans). Il y a aussi peut-être des raisons « extérieures » : on a passé des années difficiles autour de 1709 et du « grand hyver » qui ont durement éprouvés les organismes. Ma belle-mère ne s’était jamais remise d’avoir perdue une petite fille âgée de quatre mois, même si ça peut paraître chose courante : il y en a certains pour qui c’est plus difficile que d’autres. Ça semblait s’être accentué ces dernières années : elle en parlait souvent de cette enfant qui n’avait pas vécu, surtout avec l’arrivée de la nouvelle génération. Les blessures du passé ont été ravivées. Et Gabriel se sentait honteux ne n’avoir rien pu faire : ni pour sauver la petite, ni pour soulager la douleur de son épouse. Cette tristesse-là, elle est restée à jamais dans leurs deux cœurs.
- Mais deux décès si rapprochés, c’est peu commun tout de même.
Je demande s’il y a une épidémie particulière qui sévit dans cette région. Jacques me réponds que non : on ne meurt pas plus que d’habitude en ce moment au pays. Plus tard, un coup d’œil aux registres paroissiaux me confirmera ses dires.
- C’est le hasard, ajoute Jacques, fataliste.
Il regarde son épouse : c’est à son tour de s’inquiéter pour quelqu’un d’autre maintenant. D’autant que son épouse n’a pas perdu un nourrisson, mais trois, dont une fille mort-née ! La mélancolie va-t-elle à son tour déployer ses griffes autour de la femme qu’il aime tout particulièrement ?
Essuyant une larme, Jeanne affirme dans un souffle :
- Ils sont décédés d’amour.
- « Décédés d’amour » ? Qu’entends-tu par là ?
- Ma mère était le pilier de cette maison, surtout depuis que nous, les enfants, avions quitté la ferme les uns après les autres. Le départ des deux derniers, Anne et Antoine, il y a quelques mois seulement a laissé un grand vide. Sans elle, mon père ne voulait pas vivre. Il ne pouvait pas vivre.
Jacques entoure les épaules de son épouse d’un bras consolateur. Ils s’éloignent : d’autres que moi réclament leur attention.
L’un ne pouvant survivre à l’autre ? Était-ce cela qui avait provoqué la mort de Gabriel si peu de temps après le décès de son épouse ? Nous ne le saurons sans doute jamais, mais peut-être que Jeanne avait raison...
Dans ma généalogie je compte 12 autres couples décédés avec un intervalle particulier :
- 3 jours pour BOUGARD André et VIAU Françoise, en 1631 à Pellouaille les Vignes (Maine et Loire)
- 4 jours pour CAILLAUD Pierre et BOURDET Marie, en 1759 à La Verrie (Vendée)
- 5 jours pour ASSUMEL Jean-Baptiste et GUILLERMET Louise Marie, en 1740 à Lalleyriat (Ain)
- 9 jours pour BOUGUIÉ Pierre et FELON Catherine, en 1699 à Corzé (Maine et Loire)
- 10 jours pour MERCERON Jean et HAMARD Jeanne, en 1643 à Villeveque (Maine et Loire)
- 3 semaines pour HAQUETTE Toussaint et VALLET Reine, en 1707 à La Chapelle s/Crécy (Seine et Marne)
- 1 mois pour POCHET Abel et JUDAS Margueritte, en 1711 à Guerard (Seine et Marne), BANIDE Jean et BESOMBES Jeanne, en 1747 à Florentin la Capelle (Aveyron) et COCHET Claude Joseph Bertrand et HUGON Jeanne-Marie, en 1840 à Martignat (Ain)
- 2 mois pour ROUAULT Nicolas et BIESLIN Françoise, en 1794 à Villeveque (Maine et Loire)
- 4 mois pour MOCCAND Gaspard et Xxx Michelle, en 1643 à Sixt Fer à Cheval (Haute-Savoie)
- 7 mois pour LE GOFF Olivier et ETIENNE Marie, en 1817 à St Caradec (Côtes d’Armor)
- Et pour l’anecdote : GROS Alphonse Elie Frédéric et PROST Marie-Philomène sont décédés tous les deux un 14 septembre mais à 30 ans d’intervalle (1898 et 1928) !
Hormis pour le premier couple, où une épidémie est certainement la raison de ces décès très rapprochés car trois de leurs enfants meurent en même temps qu’eux et que la peste règne en Anjou à cette époque, rien n’indique dans les actes de décès pourquoi les deux époux se sont suivis dans la tombe de façon (plus ou moins) rapprochée.
Merci Mélanie.
RépondreSupprimerMorts le même jour !.
François Durand X Anne Esnault le 17 2 1681 à Villevêque(vue 120)( ancêtres à la 10 génér )
Leur sépulture a lieu le 20 novembre 1701 à Corzé (vue 153)
Le prêtre note "morts tous deux du jour d'avant".
Oui ta conclusion est fort probable. Je crois qu'on s'est tous posés la question un jour 🙋 😃
RépondreSupprimerBravo pour ton billet 😉
Merci ! ;-)
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