« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

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lundi 4 février 2019

A vendre !

Les archives notariales réservent parfois de drôles de surprises. Comme dirait l’autre « c’est comme une boîte de chocolats : on ne sait jamais ce que l’on va trouver à intérieur ». Parmi les actes qui peuvent paraître un peu monotones (quittances, obligations [*]…) on peut trouver des pépites. Pour moi, pas de Grand Condé comme Brigitte, mais une anecdote qui m’a fait bien sourire.

En 1678 Jean Avalon, mon ancêtre marchand boucher en la ville d’Entraygues (Aveyron), loue une maison en ladite ville à Jean Boulue qui demeure à Villefranche. Pour payer son loyer, les monnaies sonnantes et trébuchantes n’étant pas légion (on n’a pas toujours de sommes importantes dans son coffre), il passe devant notaire deux obligations (correspondant à 19 livres 5 sols d’une part et 6 livres d’autre part, soit un peu moins de 565 euros actuels d'après notre convertisseur de monnaie préféré [**]) ; enfin, afin de compléter sa dette, il promet de payer la taille de son propriétaire, soit 4 livres (un peu moins de 90 euros).

Pour mémoire, la taille est un impôt direct qui trouve son origine au Moyen-Age. Sous l’Ancien Régime, il est très impopulaire car il est payé par le Tiers-État; la haute bourgeoisie, le clergé et la noblesse en étant exempté. La taille peut être perçue sur les terres (c’est la « taille réelle ») ou sur les personnes (c’est la « taille personnelle »). Celle-ci se base sur le « feu » [*], c'est-à-dire l'âtre autour duquel sont rassemblés le chef de famille, ses enfants, parents et domestiques le cas échéant : le foyer fiscal comme on pourrait dire aujourd'hui. Seul le nom du chef de famille est indiqué dans les registres (les « rôles » [*]). Son montant est fixé arbitrairement en fonction des besoins seigneuriaux et des capacités de la population, d'où la plainte des assujettis d'être « taillables et corvéables à merci ».

Pour revenir à notre histoire, force est de constater que l’année suivante Jean Avalon n’a toujours pas réglé ladite taille. Le sieur Bernard Brunet, marchand et second consul de ladite ville, se doit d’intervenir. En effet, en tant que magistrat, il a reçu une plainte à ce sujet de la part du « recepveur des tailles ». Consciencieux, le sieur Brunet s’en est allé vérifier le « rolle » des tailles et a bien confirmé que ledit Avalon était toujours redevable de la taille due à l’origine par Jean Boulue.

Il somme donc mon ancêtre de payer la taille dont il doit s’acquitter. Mais cela ne semble pas perturber outre mesure notre boucher… qui reste sourd à la requête de son consul. « Deux ou trois fois » le consul le « fait advertir de payer la taille ». En vain.

Jean Avalon « Nayant pas daigné de sattisfaire » la demande consulaire, le sieur Brunet est obligé de passer à l’étape supérieure : il prévient ledit boucher de la prochaine confiscation de l’un de ses biens, afin de régler la dette impayée. « sy entre icy et lheure de dix heures du jourdhuit il navoit pas sattisfait au payement de ladite taille il procederoit a la vente dudit [bien] ». Mais que veut-il vendre ? Aux grands maux les grands remèdes : le sieur Brunet fait confisquer… un chaudron !



Chaudron © tompress.com

Malgré la confiscation du récipient, Jean Avalon ne paye toujours pas son impôt. La vente du chaudron a donc lieu. C’est une vente aux enchères qui est organisée en place publique de ladite ville. On ignore le prix de départ fixé pour le fameux chaudron, ni le nombre d’enchérisseurs, mais c’est finalement un marchand, Vidal Solavialle, qui emporte la mise pour la somme de dix huit livres quatre sols, soit un peu plus de 406 euros. Par ailleurs, ledit Avalon doit aussi payer les frais « de constrainte » [*] entraînés par cette saisie/vente du fameux chaudron, soit trois livres (un peu moins de 67 euros).

Comment Jean Avalon a-t-il vécu cette vente un peu honteuse en place publique ? Sans doute assez mal, comme on peut l'imaginer. En tout cas, il a protesté officiellement. Et c'est d'ailleurs le nom de ce document notarié : "acte de protestation contenant confiscation" [*]. Par cet acte, il a marqué « son reffus disant ne vouloir accepter ny acquereur a la vente dudit chaudron [ni la] volonté[de] sattisfaire ledit brunet de la taille [qu’il doit pour] ledit boulue et fraix des constraintes ».

Ceci dit, cela ne change rien à l’affaire. Le chaudron a été vendu, un point c’est tout. Et si vous avez été attentif : il a perdu dans l’affaire (outre le chaudron lui-même) l'équivalent de 21 livres 4 sols (473 euros)… pour une taille non payée de 4 livres (90 euros).

Moralité : payez vos impôts en temps et en heure, ça vous reviendra moins cher !




[*] Retrouvez les définitions comme obligation, rôle, contrainte, protestation, etc... sur la page de lexique de ce blog. 
[**] Conversion à prendre à titre indicatif, les valeurs changeant selon les régions et les époques.



samedi 25 novembre 2017

Acte d'état

Mon ancêtre à la IXème génération (sosa n°412) se nomme Christophe Derolland… ou Cristophle, Christophle, Chrystophores (en latin) Derraulant, Derolland, Deroulland. Bref, malgré ces fantaisies orthographiques, j’ai pu reconstituer une partie de sa vie :
- né en 1732 à Morillon (Haute-Savoie),
- marié à Jeanne Josephte (ou Josette) Pomet en 1753 – dont il a 5 enfants,
- décès de sa première épouse en 1768,
- remariage avec Jeanne Josette Cullaz (tiens : elle a les mêmes prénoms !) en 1768 – dont il aurait 3 ou 4 enfants,
- décès en 1799, toujours à Morillon.
J’ignore cependant son métier. Son fils sera laboureur. Mais lui semble assez aisé puisque, et c’est ce qui nous intéresse aujourd’hui, il possède plusieurs "maisons".

En effet, grâce à un acte d’état (c'est-à-dire un état des lieux des possessions - immeubles notamment - réalisé par des experts et rédigé par un notaire) passé devant Me Denarie, notaire de Cluses en 1776, nous en savons un peu plus sur ses biens immobiliers. Cet acte nous indique qu’il "auroit fait batir deux maisons […]  procédée de la jeanne pommet sa premiere femme", l’une au lieu-dit les Follys et l’autre aux Pellys. Morillon est situé à flanc de montagne : les parties basses de la commune à 660 m, les parties hautes culminant à 2 500 m. Les Follys sont situés vers 800 m d’altitude et les Pellys vers 1 100 m.

Carte état major, Morillon © Geoportail

Les "deux maisons" sont en fait composées de trois bâtiments, comme on le verra dans un instant. Je n’ai malheureusement pas retrouvé le contrat de mariage Derolland/Pomet qui détaillerait peut-être ces immeubles et leurs provenances. A défaut, nous nous contenteront de ce document.
Par cet acte d’état, Christophe Derolland souhaite "faire proceder à l'estime [estimation] des vieux et des neufs bâtiments et acte d'état par experts pour assurer les frais desdits bâtiments quil convenoit y faire".

Cette procédure de l’acte d’état n’est pas anodine est obéit à des règles strictes :
Sur requête du juge, le notaire est nommé pour recevoir l’avis de deux experts et, de son côté, Christophe produit un maître maçon et un maître "serpentier" (variante du savoyard çarpênti signifiant charpentier). Des témoins complètent l’assemblée.
Les experts prêtent serment sur les saintes écritures "de bien et fidellement raporter l'estime [audit notaire] desdits bâtiments, tant des vieux que des neufs."
L’examen peut commencer : le "vieux bâtiments des follys est evalluée à la somme de huitante livres et celui des pellys a celle de dix livres ayant été ecrasé par la neige et ne pouvant servir que pour le feu." On voit ici que l’hiver (ou les hivers) a/ont fait des ravages sur le deuxième bâtiment qui n’est plus qu’une ruine.
"La nouvelle batisse desdits follits est evalluée à la somme de sept cent soixante quatorze livres et cinq sols monoye de savoye tout compris."
Soit un total de 864 livres et 5 sols ; on remarquera au passage le grand décalage dans la valeur des anciens bâtiments par rapport au nouveau.
L’origine et la date des différents immeubles n’est pas très claire : il y a visiblement deux édifices anciens et un neuf, mais dans le haut du document il était mentionné que c’est Christophe qui avait fait bâtir ces "deux maisons". Est-ce qu’il a fait ces constructions au début de son mariage, une quinzaine d’années plus tôt ? Ce laps de temps a-t-il suffit à les détériorer de façon si importante ? Ou sont-ils plus anciens et la bâtisse qu’il a fait édifier est-elle seulement la seconde maison des Follys ? Il nous manque des éléments pour pouvoir trancher.
L’acte se poursuit, en détaillant les "deux maisons" : elles sont composées de "muraille toilte [= toit ? tuile ?] serpente [= charpente] fournitures couvert four pressoir et ecurie et autres fournitures". Four, pressoir et écurie : ces bâtiments sont donc à usage agricole. "Savoir [ ?] soixante pieds de toilte a douze sols le pied, vingt quatre toises et demis de muraille a huit livres dix sols la toise, un four estimé à trante cinq livres, la ramure [ ?] estimée deux cent livres et deux cent huitante pour la main d'aure [ ?] et pour les barreaux epart et serrures la somme de quinze livres et pour le batiment des pellits ils mauroient rapportés qu'il vaut actuellement la somme de nonante livres."

Bon, j’avoue qu’entre l’écriture du notaire, les termes techniques, voire locaux, je n’ai pas bien saisi l’entière description des bâtiments ni qui vaut quoi exactement. Si ça vous parle davantage, n’hésitez pas à m’en faire part…

Suit un paragraphe où Christophe certifie avoir payé pour sa requête et la présence des quatre experts, ce qui lui en a coûté "cinq livres et dix huit sols" (soit, quand même, un peu plus de la moitié de la valeur de la ruine des Pellys).
Le document se termine par la liste des témoins et leurs éventuelles signatures. On notera que Christophe a "fait [sa] marque pour ne savoir signer de ce enquis" sur la minute originelle de l'acte. Aisé mais point lettré, donc.

L’histoire ne dit pas ce qu’a fait Christophe ensuite : a-t-il détruit la ruine, tout juste bonne à mettre au feu ? A-t-il réparé l’autre ? Pris soin de la dernière pour la transmettre à ses héritiers ? Nous le saurons peut-être un jour… ou pas !


vendredi 13 novembre 2015

Richesses (et pauvreté) des contrats de mariage

Un peu par hasard je me rends compte que, depuis que j'ai commencé à récolter les actes notariés de mes ancêtres, j'ai en ma possession 48 contrats de mariage.
Je les ai trouvés grâce aux archives en ligne, aux relevés posés sur Geneanet et à ceux des cercles généalogiques, aux bénévoles du Fil d'Ariane. Ce n'est donc pas une collection systématique et définitive : par exemple, bien que mes ancêtres soient les plus nombreux en Anjou, je n'y ai aucun contrat de mariage car je n'ai pas eu accès aux minutes notariales.

Contrat de mariage Guibe Noel, 1729 © AD61

Si on fait un petit tour de France en chiffres, j'ai pu avoir :
  • 12 contrats de mariage dans l'Ain
  • 2 en Vendée
  • 8 en Haute-Savoie
  • 17 en Rouergue
  • 9 dans l'Orne
Ils sont datés de 1601 à 1782.
Les contrats de mariage sont des documents notariés et obéissent donc à des règles précises et codifiées (comme les testaments, ainsi que nous l'avons vu dans Les deux testaments d'Aimé). On retrouve les mêmes rubriques : présentations du notaire, du lieu, des futurs, la date, la dot et les éventuels conditions de paiement, les témoins, les signatures.
Ces contrats de mariage  illustrent les niveaux de vie de nos ancêtres. Les dots ont souvent un socle commun (argent, animaux, trousseau de base), mais ont aussi parfois des singularités qui font tout le sel de ce type de document.
La plupart du temps, le contrat de mariage se rédige avant la noce, mais je dispose de plusieurs exemplaires passés chez le notaire après le mariage, comme celui de François Jannay et Andréanne Buffard daté du mois de juin alors que la noce a eu lieu en janvier 1710. Le délai le plus long entre les deux événements est de deux mois et seulement deux jours au plus court. Document précieux, il pallie parfois au manque d'acte de mariage (en cas de lacune des registres) : c'est le cas pour  19 d'entre eux.
On notera que dans l'Orne il est assez compliqué de trouver les contrats de mariage, car en fait puisque les dots étaient rarement payées dans les temps, on devait se référer à ce contrat souvent des décennies plus tard, lors de la "reconnaissance". Le notaire sortait donc à ce moment-là le contrat de son année réelle, et le reclassait avec la transaction passée des décennies plus tard. Ainsi le contrat mariage de Pierre Guillouard et Marie Bernier, passé en 1657, est classé en 1679, soit 22 ans plus tard !

  • L'argent
Dans tous les cas, la dot comporte une somme d'argent (citée en premier), "comme c’est une louable coutume au present pays [...] affin de plus facilement supporter les charges du mariage". Souvent elle est exprimée en livres (et ses divisions sols et deniers), mais en Haute-Savoie, avant son rattachement à la France, on trouve également des florins (de 400 à 6000 florins pour les contrats en ma possession). Le florin savoyard vaut une demi-livre tournois.
La moyenne des dots s'élève à 190 livres. Huit dépassent 1 000 livres, dont le record est détenu par Raymond Pradelly avec 15 250 livres ! (j'y reviendrai). Les plus humbles ne promettent que 50 ou 30 livres seulement, comme celle de Jean Claude Simon dans l'Ain (1720).

  • Le cheptel
On constate de grandes variétés selon les régions :
- dans l'Ain et en Savoie la coutume est de donner une vache, une chèvre et une brebis.
- dans l'Orne le cheptel prend une certaine importance : outre la (ou les) vache(s) il y a presque toujours une demi-douzaine de brebis (mais jamais de chèvre);
- en Vendée et Rouergue il n'y a presque jamais d'animaux dans les dots.
Les rares variantes font mention d'une génisse, une paire de bœufs et, cas unique, un véritable troupeau de 24 brebis (pour Raymond Pradelly, encore lui).

  • Le linge
Souvent les "habits" et le "linge" (de maison) sont bien séparés. En bonne place se trouve souvent "un habit de bon drap", une robe, une chemisette; parfois une jupe, un manteau, des coiffes, des cotillons; exceptionnellement des tabliers, une paire de manche, un corset.
L'usage en est quelques fois précisé : une chemise de noce par exemple. Si on a un peu de chance, les matières sont aussi détaillées (ratine rouge, sarge, toile, satin) voire même la "mode" ("un habit Dauphiné, un habit complet de droguet d'Angleterre, un habit en façon de l'ondre [Londres] noir").
D'autres fois au contraire le notaire se contente d'une simple mention comme "ses menus linges", ou plus amusant "un habit propre".
Les vêtements sont presque toujours destinés à la fiancée, ou bien de temps en temps à sa mère, ses sœurs, voire sa grand-mère.

Le reste du linge se compose de couverture, draps (dit aussi linceuls), tour de lit, nappes, serviettes, bref le "linge habituel", "servant à son usage". Les rares excentricités sont les franges du tour de lit ou de simples aunes de tissus non transformés.

  • Le mobilier
La plupart des dots comprennent un coffre en bois fermant à clé. La nature du bois en est assez souvent précisée : sapin en majorité, chêne, noyer, ou cerisier plus rarement. Ce coffre sert au linge de la fiancée.

Dans certaines régions, on y ajoute de la "vaisselle d'étain". La fille d'un praticien du Rouergue reçoit même, en plus de ses plats, assiettes et écuelles, une salière d'étain (objet d'apparat ?). Dans l'Orne , la vaisselle d'étain est presque systématique.

  • L'immobilier
Dans cinq cas seulement, les biens immobiliers sont inclus dans la dot, en particulier lorsqu'une communauté de biens est fondée pour le futur couple.

  • Autres
De temps en temps des donations sortent de l'ordinaire : des "joyaux", une croix d'or, une bague en pierres fines, un tour à filer, un grangeage, des terres, les biens hérités de défunts parents.

  • Les conditions de paiement
L'usufruit des biens donnés est parfois conservé pendant sa vie durant par le père donateur. Ou bien encore le futur époux se doit de doter ses frères et sœurs quand viendra leur tour de se marier.
En Rouergue les gains de survie (dons ou avantages qui se font entre époux en faveur de celui qui survivra) sont assez courants.
Pour certains, incapables de payer la dot en une seule fois, des termes de paiement sont établis : payable "dans l'année suivant le décès" du donateur, "d'ici Pâques" ou en partie "tous les 5 ans".
On notera que, parfois, la dot est en droit d'être réclamée par les donateurs si le couple ne donne naissance à aucun enfant.

Pour finir, un zoom sur le contrat de mariage de Raymond Pradelly. Daté du 2 février 1704, il anticipe le mariage de Raymond, donc, et Louise Fel. Tous deux demeurent à Ginolhac, en Aveyron. Il est fils de praticien, mais a été émancipé. Le père de Louise étant décédé, elle procède sous l’autorité de deux personnes, dont un prêtre (peut-être son oncle). Étant émancipé, c'est Raymond lui-même qui se dote de la somme non négligeable de 15 050 livres. Il tient cette somme de ses droits paternels et maternels, ainsi que de donations de ses proches (oncle, tante, frère). Il donne également 200 livres en louis d'or et d'argent à Louise et sa mère, ainsi qu'une vache, une génisse (évaluées à 3 livres) et 24 brebis (évaluées à 72 livres). Enfin, il promet de liquider les dettes de sa future belle-mère. Louise, de son côté, reçoit par sa mère et en respect du testament de feu son père, la moitié des biens parentaux (sans plus de précision). Le contrat de mariage prévoit en outre un gain de survie (100 livres pour la fiancée et 50 pour lui). Entre l'énumération des témoins et les signatures, l'oncle de Louise lui donne 24 livres.

On est donc très loin des 30 livres, la vache, la chèvre, la brebis et le coffre contenant le linge de la future mariée constituant l'ensemble de la dot détaillée dans le contrat de mariage de Jean Claude Simon et Louise Marie Levrat. Et c'est tout l'intérêt de ce type de document : outre les petits trésors qui les émaillent ("les coiffes de dentelle, la paire de manche de ratine presque neuve, la douzaine de mouchoirs tant de soie que de mousseline"...), ils permettent d'imaginer l'environnement de nos ancêtres, leur niveau de vie et de rentrer dans leur intimité.




vendredi 23 octobre 2015

Mon arbre vieillit soudain de 100 ans

1570 est la date de l'acte le plus ancien trouvé à ce jour concernant un de mes ancêtres : c'est la naissance de Jean Ryondel à Samoëns (74). Quelques généalogies sur internet repoussent sa parenté encore plus loin, jusqu'à la toute fin du XVème siècle. Mais seuls les registres de baptême ont été conservés à Samoëns et de ce fait les liens de parenté sont, à mes yeux, difficiles à prouver; je ne les ai donc pas retenus pour le moment.
Et voilà qu'une nouvelle source vient, elle aussi, explorer le XVème siècle, sur une autre branche de mon arbre en Haute-Savoie, les Baud. Plusieurs sources, en fait.

Étant donné que la Savoie (au sens large) n'a été rattachée définitivement à la France qu'en 1860, on y trouve des documents spécifiques à son organisation particulière. 

Ainsi la "consigne des mâles" : c'est un dénombrement pour le service de l'armée du duc de Savoie. Connaître le nombre d'hommes qu'il pouvait mobiliser était important pour le duc. C'est pourquoi une organisation a été mise en place très tôt pour obtenir cette information. L'organisation la plus aboutie est sans doute celle de 1713. Les hommes concernés, ou qui le seront plus tard, sont répartis en 4 classes : 0 à 12 ans, 13 à 18 ans, 19 à 40 ans, plus de 40 ans. La consigne des mâles de 1713 (et années suivantes) pour la formation des régiments provinciaux devait être mise à jour tous les 6 ans. Même s'il ne concerne que les hommes, c'est un document très précieux pour les paroisses où il existe car les AD n'ont pas tous ces états qui n'ont certainement pas été faits régulièrement. Ce document de 1713 pallie les manques des registres paroissiaux.

Il existe aussi un document appelé "état des âmes" : c'est un dénombrement ecclésiastique dressé en 1783. Il a été demandé par le roi aux évêques pour connaître l'état détaillé et exact de la population des paroisses. Il devait contenir :
- les noms, prénoms et âges des personnes composant chaque famille (deux sexes)
- les étrangers habitant la paroisse
- la liste des personnes nées dans la paroisse mais qui l'ont quittée définitivement
- la liste des personnes qui sont absentes temporairement.
On ne sait pas ce qu'est devenue cette enquête car il n'y a rien aux AD mais il existe des documents dans les archives de certaines paroisses. De plus, certains curés ont continué à mettre à jour cette enquête très longtemps pour les aider à mieux connaître leurs paroissiens. [ 1 ]
C'est ainsi qu'il existe un "état des âmes des anciennes familles de Morzine", rédigé au début du XIXème siècle. Il commence par une notice historique qui retrace l'histoire de la paroisse, avec notamment des transcriptions d'actes anciens (1358, 1365, 1498, 1505...) qui ont marqué la vie de Morzine et où on retrouve les noms des anciennes familles de la paroisse. Le document se poursuit par une notice pour chaque famille.

Enfin, une troisième source me permet de progresser dans ma généalogie : c'est la notice généalogique de John Baud (né en 1887). Rédigée vers 1950, elle recense les anciennes familles de la vallée, leurs armoiries, sceaux et marques diverses. Les textes sont complétés par des arbres généalogiques.

État des âmes des anciennes familles de Morzine © Geneanet via fouderg
  • Génération 9
L'acte de mariage le plus ancien de la lignée Baud que j'ai pu trouver date de 1742; François Baud y épouse Jeanne Marie Tabrelet. Cet acte est filiatif : il me permet donc d'identifier la génération suivante sans difficulté.
  • Génération 10
L'acte de mariage de Claude Baud et Jeanne Depoté n'a pas été trouvé. Mais le testament de Claude permet de pallier ce manque car tous les membres de la famille y sont clairement cités, notamment sa mère; ce qui me permet d'être sûre des parents.
  • Génération 11
L'acte de mariage de Claude Baud et Nicolarde Breyse n'a pas été trouvé non plus (lacunes partielles des registres de mariage). Mais c'est là qu'intervient la première de ces sources savoyardes particulières : la consigne des mâles. Rédigée en 1713, elle recense Nicolarde, la mère (veuve),Claude le père (décédé) et Claude le fils.
  • Génération 12
Les difficultés commencent : il n'y a plus de registres de mariage ni décès et pas plus de tabellion [ 2 ] : aucun acte les concernant n'a donc été trouvé. Comment connecter Pierre Baud et Nicolarde Marullaz avec leur fils Claude ? C'est l'état des âmes de Morzine qui s'en charge. Il précise aussi que Pierre a été syndic en 1640. Mais rappelons que ce document a été rédigé au XIXème siècle. La question est donc : peut-on s'y fier ?
  • Génération 13
Pierre Baud et Françoise Brun se rattachent au précédent Pierre Baud, leur fils, par la même source. Elle est complétée par la notice généalogique de John Baud, elle aussi rédigée tardivement. On sait que les sources du XIXème siècle sont parfois sujettes à caution, inventant des explications ne reposant sur rien (ou juste une "filiation phonique" qui a l'air d'aller bien). Ces sources indiquent que Pierre (surnommé "le Grou Piar" : le Grand Pierre) a été syndic en 1596 et 1597 et conseiller de la communauté pendant de nombreuses années : "grâce au régime privilégié dont jouissait la vallée d'Aulps, gouvernée par une abbaye de cisterciens qui respectèrent les antiques coutumes [...] burgondes, nos ancêtres vécurent librement, s'étant organisés en communautés [...] élisant leurs administrateurs". Pierre le Grand "défendit avec énergie les intérêts de la communauté". John Baud semble s'appuyer sur des documents judiciaires et en particulier sur une affaire nommée le "procès de Taillabilité" (soutenu par les paroisses de Morzine et Saint-Jean contre l'abbé d'Aulps) - affaire qu'il gagna - ainsi que sur des cahiers des comptes et délibérations des syndics parvenus jusqu'à lui et montrant les nombreuses démarches de Pierre le Grand à Thonon, Evian, Lausanne, Chambéry, etc.... John ajoute que Pierre teste en 1618.
  • Génération 14
Les sources se raréfient pour Pierre Baud (ou Baud Mollie) et son épouse Jacquemaz dont le patronyme n'est même pas connu. Mais l'état des âmes poursuit la lignée.
  • Génération 15
L'épouse de Jean Baud Mollie n'est pas connue non plus. Mais il est dit qu'il a (au moins) deux fils et qu'il est décédé avant 1564.
  • Génération 16 
Selon la notice généalogique, Pierre Baud est cité dans un acte de 1520, sous le patronyme latin "Petrus Balli de Mollia".
  • Génération 17
Selon John Baud, la famille Baud est mentionnée dans "d’authentiques documents" à Morzine, au XVème siècle, sous le nom latin de Balli (ou Bally) de Mollia et dès le XIIIème siècle plus loin dans la vallée d'Aulps.
Jean Baud Mollie est le plus ancien représentant de cette lignée. Il est connu sous le nom latin de Johannes Balli de Mollia. Il fait partie des fondateurs de la première chapelle de Morzine, dans un acte daté du 26 juin 1498 - chapelle aujourd'hui détruite. Il est identifié comme "mestral de la confrérie du Saint Esprit" [ 3 ].
John Baud assure que la filiation de cette lignée est "certaine", établie "d'après des actes notariés ou les registres paroissiaux".
Toute la lignée est citée également dans l'état des âmes.
Ce Jean Baud Mollie est donc né vers 1450 ou 1460.

Les lecteurs attentifs auront remarqué, en bonus, le dessin des armoiries de la famille, qui se décrivent ainsi : "coupé, au premier un aigle éployé [ailes ouvertes], au second un bœuf passant [marchant]".

État des âmes des anciennes familles de Morzine, détail © Geneanet via fouderg

Les travaux de John Baud semblent assez vraisemblables. Je ne suis pas sur place pour aller vérifier aux archives si les documents qu'il cite existent encore.

Si l'on en croit ces sources un peu tardives - et j'ai tendance à les croire en effet -  mon arbre vient donc de vieillir d'une centaine d'années et 8 générations supplémentaires.




Ces recherches généalogiques et article n'auraient pas pu voir le jour sans la contribution de "fouderg" (arbre et registres en ligne sur Geneanet). Qu'il en soit à nouveau, publiquement, remercié.
[ 1 ] Source : savoyards-lyon.pagesperso-orange.fr
[ 2 ] Le terme de tabellion désigne dans les États de Savoie des XVIIe et XVIIIe siècles l'ensemble des actes insinués (c'est-à-dire enregistrés).
[ 3 ] Le mestral (ou maistral) est une sorte d'officier municipal au Moyen-Age. Ici, il s'agit donc sans doute d'un administrateur de la confrérie.