Un peu par hasard je me rends compte que, depuis que j'ai commencé à récolter les actes notariés de mes ancêtres, j'ai en ma possession 48 contrats de mariage.
Je les ai trouvés grâce aux archives en ligne, aux relevés posés sur Geneanet et à ceux des cercles généalogiques, aux bénévoles du Fil d'Ariane. Ce n'est donc pas une collection systématique et définitive : par exemple, bien que mes ancêtres soient les plus nombreux en Anjou, je n'y ai aucun contrat de mariage car je n'ai pas eu accès aux minutes notariales.
Contrat de mariage Guibe Noel, 1729 © AD61
Si on fait un petit tour de France en chiffres, j'ai pu avoir :
- 12 contrats de mariage dans l'Ain
- 2 en Vendée
- 8 en Haute-Savoie
- 17 en Rouergue
- 9 dans l'Orne
Ils sont datés de 1601 à 1782.
Les contrats de mariage sont des documents notariés et obéissent donc à des règles précises et codifiées (comme les testaments, ainsi que nous l'avons vu dans
Les deux testaments d'Aimé). On retrouve les mêmes rubriques : présentations du notaire, du lieu, des futurs, la date, la dot et les éventuels conditions de paiement, les témoins, les signatures.
Ces contrats de mariage illustrent les niveaux de vie de nos ancêtres. Les dots ont souvent un socle commun (argent, animaux, trousseau de base), mais ont aussi parfois des singularités qui font tout le sel de ce type de document.
La plupart du temps, le contrat de mariage se rédige avant la noce, mais je dispose de plusieurs exemplaires passés chez le notaire après le mariage, comme celui de François Jannay et Andréanne Buffard daté du mois de juin alors que la noce a eu lieu en janvier 1710. Le délai le plus long entre les deux événements est de deux mois et seulement deux jours au plus court. Document précieux, il pallie parfois au manque d'acte de mariage (en cas de lacune des registres) : c'est le cas pour 19 d'entre eux.
On notera que dans l'Orne il est assez compliqué de trouver les contrats de mariage, car en fait puisque les dots étaient rarement payées dans les temps, on devait se référer à ce contrat souvent des décennies plus tard, lors de la "reconnaissance". Le notaire sortait donc à ce moment-là le contrat de son année réelle, et le reclassait avec la transaction passée des décennies plus tard. Ainsi le contrat mariage de Pierre Guillouard et Marie Bernier, passé en 1657, est classé en 1679, soit 22 ans plus tard !
Dans tous les cas, la dot comporte une somme d'argent (citée en premier), "
comme c’est une louable coutume au present pays [...] affin de plus facilement supporter les charges du mariage". Souvent elle est exprimée en livres (et ses divisions sols et deniers), mais en Haute-Savoie, avant son rattachement à la France, on trouve également des florins (de 400 à 6000 florins pour les contrats en ma possession). Le florin savoyard vaut une demi-livre tournois.
La moyenne des dots s'élève à 190 livres. Huit dépassent 1 000 livres, dont le record est détenu par Raymond Pradelly avec 15 250 livres ! (j'y reviendrai). Les plus humbles ne promettent que 50 ou 30 livres seulement, comme celle de Jean Claude Simon dans l'Ain (1720).
On constate de grandes variétés selon les régions :
- dans l'Ain et en Savoie la coutume est de donner une vache, une chèvre et une brebis.
- dans l'Orne le cheptel prend une certaine importance : outre la (ou les) vache(s) il y a presque toujours une demi-douzaine de brebis (mais jamais de chèvre);
- en Vendée et Rouergue il n'y a presque jamais d'animaux dans les dots.
Les rares variantes font mention d'une génisse, une paire de bœufs et, cas unique, un véritable troupeau de 24 brebis (pour Raymond Pradelly, encore lui).
Souvent les "habits" et le "linge" (de maison) sont bien séparés. En bonne place se trouve souvent "
un habit de bon drap", une robe, une chemisette; parfois une jupe, un manteau, des coiffes, des cotillons; exceptionnellement des tabliers, une paire de manche, un corset.
L'usage en est quelques fois précisé : une chemise de noce par exemple. Si on a un peu de chance, les matières sont aussi détaillées (ratine rouge, sarge, toile, satin) voire même la "mode" (
"un habit Dauphiné, un habit complet de droguet d'Angleterre, un habit en façon de l'ondre [Londres] noir").
D'autres fois au contraire le notaire se contente d'une simple mention comme "
ses menus linges", ou plus amusant "
un habit propre".
Les vêtements sont presque toujours destinés à la fiancée, ou bien de temps en temps à sa mère, ses sœurs, voire sa grand-mère.
Le reste du linge se compose de couverture, draps (dit aussi linceuls), tour de lit, nappes, serviettes, bref le "
linge habituel", "
servant à son usage". Les rares excentricités sont les franges du tour de lit ou de simples aunes de tissus non transformés.
La plupart des dots comprennent un coffre en bois fermant à clé. La nature du bois en est assez souvent précisée : sapin en majorité, chêne, noyer, ou cerisier plus rarement. Ce coffre sert au linge de la fiancée.
Dans certaines régions, on y ajoute de la "
vaisselle d'étain". La fille d'un praticien du Rouergue reçoit même, en plus de ses plats, assiettes et écuelles, une salière d'étain (objet d'apparat ?). Dans l'Orne , la vaisselle d'étain est presque systématique.
Dans cinq cas seulement, les biens immobiliers sont inclus dans la dot, en particulier lorsqu'une communauté de biens est fondée pour le futur couple.
De temps en temps des donations sortent de l'ordinaire : des "
joyaux", une croix d'or, une bague en pierres fines, un tour à filer, un grangeage, des terres, les biens hérités de défunts parents.
- Les conditions de paiement
L'usufruit des biens donnés est parfois conservé pendant sa vie durant par le père donateur. Ou bien encore le futur époux se doit de doter ses frères et sœurs quand viendra leur tour de se marier.
En Rouergue les gains de survie (dons ou avantages qui se font entre époux en faveur de celui qui survivra) sont assez courants.
Pour certains, incapables de payer la dot en une seule fois, des termes de paiement sont établis : payable "
dans l'année suivant le décès" du donateur, "
d'ici Pâques" ou en partie "
tous les 5 ans".
On notera que, parfois, la dot est en droit d'être réclamée par les donateurs si le couple ne donne naissance à aucun enfant.
Pour finir, un zoom sur le contrat de mariage de Raymond Pradelly. Daté du 2 février 1704, il anticipe le mariage de Raymond, donc, et Louise Fel. Tous deux demeurent à Ginolhac, en Aveyron. Il est fils de praticien, mais a été émancipé. Le père de Louise étant décédé, elle procède sous l’autorité de deux personnes, dont un prêtre (peut-être son oncle). Étant émancipé, c'est Raymond lui-même qui se dote de la somme non négligeable de 15 050 livres. Il tient cette somme de ses droits paternels et maternels, ainsi que de donations de ses proches (oncle, tante, frère). Il donne également 200 livres en louis d'or et d'argent à Louise et sa mère, ainsi qu'une vache, une génisse (évaluées à 3 livres) et 24 brebis (évaluées à 72 livres). Enfin, il promet de liquider les dettes de sa future belle-mère. Louise, de son côté, reçoit par sa mère et en respect du testament de feu son père, la moitié des biens parentaux (sans plus de précision). Le contrat de mariage prévoit en outre un gain de survie (100 livres pour la fiancée et 50 pour lui). Entre l'énumération des témoins et les signatures, l'oncle de Louise lui donne 24 livres.
On est donc très loin des 30 livres, la vache, la chèvre, la brebis et le coffre contenant le linge de la future mariée constituant l'ensemble de la dot détaillée dans le contrat de mariage de Jean Claude Simon et Louise Marie Levrat. Et c'est tout l'intérêt de ce type de document : outre les petits trésors qui les émaillent ("
les coiffes de dentelle, la paire de manche de ratine presque neuve, la douzaine de mouchoirs tant de soie que de mousseline"...), ils permettent d'imaginer l'environnement de nos ancêtres, leur niveau de vie et de rentrer dans leur intimité.