Tout commence par un sms de ma
tante : ces deux photos et cette courte phrase « ça
t’intéresse ? ».
Photo de la médaille mystérieuse et de
la rosette © Coll. personnelle
Photo de sa boîte © Coll. personnelle
Quoi ? Un objet ayant appartenu à
notre famille ! Je fais un bond sur ma chaise jusqu’à me cogner au plafond !
Bien sûr que ça m’intéresse… mais… heu… c’est quoi, au fait ?
Ma tante m’explique qu’elle
a retrouvé cette boîte au fond de l’un de ses tiroirs, par hasard, et
s’est
dit : « tiens, ça pourrait intéresser Mélanie ».
Pendant un instant, j’ai espéré que
c’était la croix de guerre de mon arrière-grand-père Jean-François Borrat-Michaud, que je suis pas à pas durant la Première Guerre Mondiale (voir le détail de ce projet ici) et que j’aimerais bien voir un jour. Mais rapidement je
distingue sur ladite médaille une femme tenant un enfant. Je pense donc plutôt
à une médaille de la famille. Cependant, n’en ayant jamais vue, je pense tout
d’abord que cela ne semble pas trop correspondre à l’inscription sur la boîte
« Ministère de l’hygiène, de l’assistance et de la prévoyance
sociales ».
Caractéristique de la médaille :
- RUBAN : Largeur de 32 mm. Rouge ponceau avec au centre une
raie verticale vert lumière de 11 mm. Rosette, aux couleurs du ruban, traversée
verticalement d’une bande verte, pour les médailles d’Argent et d’Or. Le
diamètre de la rosette étant respectivement de 18 mm et 27 mm.
- INSIGNE (« ma » médaille fait partie du premier modèle, ensuite modifié en
1985) : Étoiles à
huit branches en bronze, argent ou or suivant l’échelon et du module de 36 mm,
avec une partie centrale ronde. Gravure de Léon Deschamps (« Léon Deschamps fecit »).
Sur l’avers : l’inscription
FAMILLE FRANÇAISE
entoure une mère portant son enfant.
Sur le revers :
l’inscription LA
PATRIE RECONNAISSANTE [1] surmontant un emplacement destiné à la
gravure du nom du titulaire, est entourée par la légende REPUBLIQUE FRANÇAISE et MINISTERE DE L’HYGIENE.
Je lance une
bouteille à la mer Twitter pour essayer d’en savoir plus. La bouteille
est vite trouvée et j’ai plusieurs pistes à explorer :
- envoyé par @ValdyLyly, sur le site france-phaleristique.com je retrouve le visuel de ma médaille,
signalée "médaille de la famille française". Ma première intuition était bonne.
- envoyé par @gazetteancetres, des infos sur les médaille de la
famille française via Wikipedia. Il n’y a pas d’illustration, mais
des informations complémentaires au premier site, notamment sur l’historique de
ces médailles, les conditions d’obtention et les bénéficiaires potentiels. Or
la médaille d’argent dont je viens d’hériter est attribuée aux familles ayant 6
ou 7 enfants (cf. plus bas) : elle n’a donc pas pu être attribuée à ma
grand-mère Borrat-Michaud qui n’en n’a eu que 5.
- @guepier92 me conseille d’aller faire un tour
sur Gallica : il y a retrouvé son arrière-grand-mère médaillée de bronze.
Les
bénéficiaires :
La médaille de
la famille est une décoration créée par décret du 26 mai 1920 sous le
nom de « médaille d’honneur de la famille française », pour honorer
les mères françaises ayant élevé dignement plusieurs enfants. Ces médailles de la famille comportent
trois échelons selon les nombre d’enfants élevés (bronze : quatre ou cinq
enfants élevés ; argent : six ou sept enfants élevés ; or :
huit enfants élevés et plus).
Il existe différentes catégories de personnes concernées :
- Celles qui élèvent ou ont élevé dignement
de nombreux enfants ;
- Les personnes élevant ou ayant élevé
pendant au moins deux ans un ou plusieurs orphelins de leur famille,
- Les veufs de guerre élevant ou ayant
élevé au moins trois enfants,
- Les personnes qui ont rendu des
services exceptionnels dans le domaine de la famille (responsables
d’associations familiales par exemple).
- Etc...
A noter : La médaille peut être décernée à titre posthume si
la proposition est faite dans les deux ans du décès de la mère ou du père. La
médaille de bronze est attribuée aux veuves de guerre qui, ayant au décès de
leur mari trois enfants, les ont élevés seules.
L’attribution peut se faire au profit
de l'un ou l'autre des parents, ou bien
encore des deux parents ensemble s'ils en ont fait la demande.
Depuis le texte initial de 1920, ces
médailles ont connu de nombreuses modifications : formes, noms,
bénéficiaires, etc…
Le
Ministère de l’hygiène, de l’assistance et de la prévoyance sociale :
C’est l’ancêtre du Ministère de la
Santé. L'Assistance et de
l'Hygiène publique dépendait tout d’abord du Ministère de l’intérieur et la
Prévoyance sociale était rattachée à celui du Travail. Le ministère de la Santé
publique est créé en 1930, réunissant ces deux branches. Par la suite il va
connaître différentes évolutions d’attribution et de nom (on lui rattache ou
lui enlève successivement, la Famille, l’Éducation Sportive, les Affaires
sociales, etc…).
Au cours de son histoire, le Ministère de l’hygiène, de
l’assistance et de la prévoyance sociale a décerné plusieurs types de
décorations :
- la médaille de l’hygiène (destinée à
récompenser les personnes bénévoles, ainsi que les personnels des hôpitaux,
hospices, dispensaires et sanatoriums),
- la médaille de la prévoyance sociale
(récompensant les services désintéressés rendus à la prévoyance sociale par les
personnels des commissions et des conseils d’administration ou de direction des
œuvres de prévoyance sociale)
- ainsi, entre autres, que la fameuse médaille de la famille française. Créée
au lendemain de la Première Guerre Mondiale, elle visait à souligner le rôle
joué par les femmes pendant le conflit, alors que les hommes étaient
mobilisés : « La République doit témoigner d'une manière éclatante de
sa gratitude et de son respect envers celles qui contribuent le plus largement
à maintenir par leur descendance, le génie et la civilisation, l'influence et
le rayonnement de la France » (selon le Ministre créateur de ladite
récompense). Les candidatures et propositions se font à la mairie du lieu de
résidence. Le dossier doit y être accompagné de diverses pièces administratives
(notamment des extraits d’actes civils). Le maire de la commune doit porter un
avis sur le formulaire de demande ; tout avis autre que favorable ne peut
être pris en compte. Le dossier passe ensuite en commission et, s’il y a lieu,
la médaille est attribuée par le Préfet.
Le
Journal Officiel
Chaque bénéficiaire fait l’objet d’une
publication dans le Journal Officiel. C’est ici que j’ai une chance de
débusquer laquelle de mes ancêtres s’est vue attribuer la fameuse médaille. Ce
JO est numérisé sur site de la Bibliothèque Nationale de France, Gallica. Or, si le site Gallica est
merveilleux et contient des richesses insondables, son moteur de recherche est,
hélas, insondable lui aussi. Ainsi, après plusieurs tentatives de recherches
sur différents mots-clés, j’ai abandonné devant le résultat obtenu : 943
pages trouvées ! J'avoue ne pas avoir eu le courage de toutes les compulser...
Abandon par KO : je ne sais
toujours pas à qui a été attribuée cette médaille.
Enfin
la médaille…
Après plusieurs jours, la médaille
arrive enfin entre mes mains. Je suis surprise par la petite taille de la
boîte, notamment (9,3 x 4 cm). Cette boîte qui a vécu, c’est indéniable :
elle est usée, mais l’écriture sur le couvercle reste lisible.
A l’intérieur la médaille, l’épingle
pour l’attacher et la rosette assortie.
Mais un détail m’intrigue : à
l’emplacement du nom de la bénéficiaire, il n’y a qu’un emplacement vide. Donc
de deux choses l’une : ou cette médaille a été attribuée mais le nom de sa
bénéficiaire n’a pas été gravé ou cette médaille n’a, en fait, jamais été
décernée officiellement. Comme je ne sais pas quand et comment elle est arrivée
dans ma famille, il m’est difficile de déterminer laquelle de ces affirmations
est correcte.
Mais un jour peut-être…
Ma tante pense que la médaille lui
vient de feue sa mère; mais comment celle-ci l'a eue, cela reste
mystérieux ! De toute évidence, ce n'est pas grand-mère qui en a été bénéficiaire, puisqu'elle n'a eu que 5 enfants.
Alors, d’où lui vient-elle ?
- Ses parents à elle, le couple Gabard/Roy, n’ont que 4
enfants.
- Ses
grands-parents paternels, le couple Gabard/Benetreau, ont eu 9, de 1893 à 1912; soit avant la première attribution de ces médailles, à
partir de 1920 [2].
- Ses
grands-parents maternels, les Roy/Bregeon n’ont eu que 5 enfants. Encore trop court !
Mon grand-père, son mari, était fils unique. La médaille n’était donc pas pour sa mère !
- Ses grands-parents paternels, les Borrat-Michaud/Jay, ont
bien eu 6 enfants, mais 5 nés hors mariage (pour une médaille de la famille,
c’est pas super super…) dont trois décédés avant l’âge d’un mois.
- Chez ses grands-parents maternels, les Macréau/Le Floch, je compte 8
enfants (au moment où je rédige la première version de cet article, en 2017) : ce serait, en l’état de mes recherches,
des candidats sérieux.
Sans preuve cependant, l'histoire s'arrête ici... Je n'ai pas résolu mon énigme : à qui a été attribuée cette médaille de la famille ?
___
Edit 2023 :
Les archives de Seine et Marne viennent de mettre en ligne plusieurs titres de presse ancienne : je fais donc une recherche avec le patronyme des mes AAGP, les Macréau. Et là, surprise ! Le premier résultat qui sort est la mention de la médaille de la famille attribuée à Ursule Le Floch, épouse Macréau !
Le Briard, édition du 20 mai 1924 © AD77
Pas de doute possible ! Même si je journaliste s'est trompé de prénom (lui attribuant, chose curieuse, celui de sa sœur jumelle Marie Rose qui vit en Bretagne), c'est bien du couple Macréau/Le Floch que provient cette fameuse médaille.
Mais si l'énigme est enfin résolue, la surprise est de taille : car en continuant mes recherches dans la presse ancienne je découvre deux avis de naissance, portant la fratrie à 10 enfants et non 8 comme je le pensais alors ! L'une de ces enfants n'a pas vécu mais l'autre oui : Jeanne Louise, née en 1913, est décédée en 2002. J'en avais même une photo, dite par erreur à "Jeanne, cousine d'André" (c'était la tante de mon grand-père et non sa cousine). Cette enfant m'avais échappée, en particulier parce qu'elle n’apparaissait pas dans les recensements familiaux. Après quelques recherches je me suis aperçue qu'elle avait été élevée par une autre sœur d'Ursule, Marie Joseph Le Floch, épouse Chauvoix; que je peux suivre en Ile et Vilaine en 1921 et dans le berceau familial de Loudéac (Côtes d'Armor), en 1931.
Du coup, avec une date plus précise, je retourne sur Gallica : mon aïeule figure bien au Journal Officiel, édition du 15 mai 1924 (avec la même erreur de prénom).
Et voici comment, plusieurs années après l'enquête initiale, j'ai enfin résolu l'énigme de la médaille mystérieuse !
[1] Dans la version actuelle la
« patrie reconnaissante » a été remplacée par « République
française ».
[2] Décret officiel de
création sur Gallica
Sources : Wikipedia,
france-phaleristique.com, Gallica