« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

mardi 17 juin 2014

#ChallengeAZ : O comme où faut-il signer ?

Sur les 3 724 actes (naissances, mariages et décès) dont nous disposons à ce jour, 269 signatures ont été identifiées. Quelques actes portent d'autres signatures mais on ne sait pas à qui les attribuer : au marié ou au père du mariés, lorsqu'ils portent le même prénom, par exemple. 

Détail d'acte de mariage, AD79

Cela représente 7,22 %. Parmi elles, 50 sont des signatures féminines (soit 18,58 % des 269 signatures).

Bien sûr, nous aujourd'hui nous apposons nos signatures sur toutes sortes de documents, et sans même y penser, puisque l’illettrisme est devenu relativement rare dans nos sociétés modernes (7 % de la population française en 2013 tout de même). Mais pour nos ancêtres, il en allait tout autrement.

C'est l’ordonnance de Fontainebleau, en 1554, puis l’ordonnance civile d’avril 1667, qui vont rendre obligatoire l’apposition d’une marque autographe du nom propre d’abord sur les actes notariés, puis sur les actes des registres paroissiaux. Dès lors, c’est une nouvelle conception de l’individu et de son identité qui s’affirme : la reconnaissance d’un être singulier, unique, parfaitement identifiable.

La plus ancienne signature date de 1605 : François Legarré, signe l’acte de naissance de sa fille. Il habite Clefs (Maine et Loire). Il n’y a pas de mention de métier : on ne sait pas quelle profession il exerçait.

Par ailleurs, mon plus lointain ancêtre éponyme, Antoine Astié, signe son acte de mariage à Conques (Aveyron, en 1671), comme évoqué lors du premier article de ce challenge : A comme Astié).

Ces signatures sont toujours agréables à découvrir car elles rendent moins impersonnels les actes d'état civils : on a alors l'impression de rencontrer "vraiment" nos ancêtres. De plus, cela montre, ou plutôt laisse deviner, leur degré d'instruction : sait écrire, ou pas, manie facilement la plume, ou pas.

Ainsi certaines signatures sont tremblotantes (Goret Pierre en 1704 ou Baud Jean Marie en 1813), et on devine que la plume n’est pas un objet usuel chez quelques uns de nos ancêtres.

Dibon Pierre, signe son acte de mariage à Villevêque (Maine et Loire) en 1659 : il écrit son nom en majuscule d’imprimerie et inverse le N (И) comme le font parfois les enfants qui apprennent tout juste à écrire. Apportons d'ailleurs ici une nuance : celui qui signe ne sait pas forcément lire et écrire : il peut avoir simplement appris à écrire son nom et le reproduire, sans plus (en particulier lorsque l'écriture est malhabile).

Les illettrés signent aussi ! Plus rarement, il est vrai. Dans ma généalogie, seuls les curés de La Coulonche et La Sauvagère (Basse Normandie) font en effet apposer une marque à ceux qui ne savent pas écrire. Le curé note alors, à côté d’une croix : « la marque deladitte anne guibé » (acte de mariage, 1768).

Certains ancêtres signent un acte (par exemple le mariage), mais pas les suivants (par exemple les naissances de ses enfants), sans que l'on puisse l'expliquer. De même, on pourrait penser que lorsque le père signe, ses enfants le feront aussi; ce qui n'est pas toujours le cas : ce n'est pas parce qu'il est sensibilisé lui-même à l'écriture et l'instruction qu'il voudra (ou pourra) transmettre cela à ses enfants.

On ne signe pas forcément son nom exact (sans même parler de l'orthographe des patronymes qui évoluent) : Borrat-Michaud Joseph signe ses actes « Michaud Joseph ». Chaillou Cécile, épouse de Puissant Noël, signe « Cécille Chaious femme Puissant ». 

Aucun de mes aïeux n'accompagne, ou ne remplace, sa signature d'un signe distinctif, comme on peut en voir parfois (clé, ciseaux, encre de marine... ).

La signature de Guespin René, en 1653, est la plus alambiquée et décorée de fioritures; mais il est sergent royal et il a, lui, l’habitude de l’écrit de part sa fonction (on le voit d’ailleurs témoin dans de nombreux actes au fil des registres).


lundi 16 juin 2014

#ChallengeAZ : N comme noyés et/ou morts

La cause de la mort n’est pas toujours mentionnée dans les actes de décès. Toutefois le rédacteur de l’acte lève le voile sur ces circonstances malheureuses... et parfois même cocasses (pour apprécier ces mentions, voir l'article paru en mai à ce sujet sur ce blog). 

Loire © V. Brosseau

Mais concentrons-nous aujourd’hui sur le cas particulier des noyés. Deux de mes ancêtres sont mort noyés :
  • Gibert Pierre André est décédé par noyade en 1834 à La Chapelle sur Crécy (77) : "il a été noyé dans le Morin par accident au pont de Coude et n'a été retiré qu'hier". A noter, l'acte de mariage de son fils donne comme date de décès le 11 décembre 1833, mais l'acte de décès est daté du 22 avril 1834 : a-t-il disparu en décembre et retrouvé seulement en avril (ce que sous-entendrait la mention « n’a été retiré qu’hier ») ?
  • Pochet Jean Denis est décédé par noyade en 1792 à Guérard (77). Le rédacteur de l'acte de décès précise qu'il est autorisé à donner une sépulture ecclésiastique à la dépouille retrouvée le lendemain de sa noyade.
La proximité des cours d'eau ont toujours été un facteur de risque (quoique les populations riveraines soient en général plus averties, et prudentes, que les autres sur ce point).

"Les malheurs qui arrivent en se baignant ne sont que trop fréquents, surtout dans les villes où la jeunesse trop hardie s'expose aux dangers les plus grands ( ... ). Plusieurs personnes se sont imaginé qu'on mourrait dans l'eau, par le trop de boisson qu'on avalait; mais ce sentiment est totalement détruit par l’expérience, qui prouve, qu'après avoir ouvert les noyés, on ne trouve point d'eau dans leur estomac. Ce n'est donc que la suppression totale de la respiration, jointe au froid subit et à la peur, qui est la cause de la mort prompte et inévitable de ceux qui se noient ( ... )." - d'où l'expression "mort de peur" sans doute.

Selon ce "Dictionnaire portatif de santé" ( * ), il fallait porter une attention particulière aux noyés et je ne résiste pas à vous donner quelques recettes qui y sont inscrites (pour des commodités de lecture, j'ai retranscrit ces passages avec une graphie moderne) - et quelques réflexions personnelles aussi :

"Aussitôt que l'on tire quelqu'un de l'eau, la première précaution qu'on doit prendre, c'est de le transporter sur le champ dans un lieu chaud, de l'étendre sur une couverture en double, - j'aime le luxe de détail dans ce genre d'ouvrage - de l'approcher du feu pourvu qu'il ne soit pas trop fort, de lui faire des frictions sur le corps avec des flanelles et des serviettes chaudes, de lui faire respirer de la fumée de tabac, - oh  oui ! méfiez-vous, je pense que la recette a changé aujourd'hui et que les fumigations de tabac ne sont plus le premier remède préconisé par la faculté - et de lui donner des lavements avec la décoctions de cette plante, de lui mettre également sous le nez de l'eau de Luce, de l'esprit volatil, de sel d'Angleterre ou de corne-de-cerf; de le placer ensuite dans un lit bien bassiné et d'y exciter par degrés une chaleur plus forte ( ... ).

Si le noyé donne quelques signes de vie, - s'il ne s'est pas étouffé dans le tabac et les sels - il faut augmenter les frictions ( ... ) et lui faire prendre ensuite un bon verre de vin avec de la cannelle et du sucre, en continuant toujours de le tenir chaudement.
- vin et tabac : voilà les recettes miracles pour rester en bonne santé !

Le lendemain, s'il survient de la fièvre, on pratiquera une saignée. ( ... )
Et voici une autre méthode que l'on peut mettre en usage, pour sauver les noyés : il faut faire également le transporter, le plutôt qu'on peut, dans un endroit chaud, et faire, dans la chambre, un lit de cendre de genêt ou de sarment, sur lequel on le couchera, en enveloppant totalement leur corps de cendre, par-dessus laquelle on mettra des fers chauds, pour tâcher d'échauffer la cendre; et on laissera le noyé, de cette façon, jusqu'à ce qu'il donne quelques signes de vie; après quoi on le traitera comme ci-dessus.
L'ouvrage n'indique pas quelles sont les vertus et le pouvoir de la cendre pour faire renaître à la vie les pseudo-noyés.

Au reste, on ne doit tenter ces remèdes, que lorsqu'on est sûr que les noyés n'ont pas resté longtemps dans l'eau : tel est l'espace, depuis cinq ou six minutes, jusqu'à un quart d'heure. Quand ils sont livides, qu'ils ont le ventre gonflé, il est à propos de ne tenter aucun remède, parce qu'il serait inutile : ( ... ) il est impossible de sauver les pauvres malheureux qui ont été noyés. 

La suite ne doit être lue que si vous avez le cœur bien accroché.
Il ne faut pas non plus précipiter l'enterrement des noyés; et on doit se conduire dans ce cas, comme nous avons conseillé de le faire dans les morts subites, c'est-à-dire qu'il est important d'attendre des marques de putréfactions, et, en attendant, garder le cadavre, et employer tous les moyens que nous venons d'indiquer, et ceux dont il a été fait mention à l'article "mort subite".

Pourquoi la putréfaction ? Reportons-nous audit article :
Mort subite : il n'y a rien de plus certain que la mort; mais les signes de la mort sont incertains. Il faut donc, quand un personne passe, en peu d'instants, de la vie à la mort, ( ... ) être sur ses gardes, et mettre en œuvre tous les moyens imaginables, pour savoir si elle est réellement morte, ( ... ); car quel reproche n'a-t-on pas à se faire, si on a laissé enterrer comme mort quelqu'un qu'on trouvera, par la suite, dans son cercueil, débarrassé de son suaire, et avec les marques qui démontrent qu'il a vécu dans son tombeau ?
- tu m'étonnes ! -

Il ne faut donc pas se hâter de quitter un malade ( ... ) à la première nouvelle qu'on donne de sa mort, et cela doit être surtout observé pour les personnes qui meurent en peu de moment, et sans cause manifeste. On doit, dans ces cas, faire venir le médecin, malgré le proverbe; - j'ignore de quel proverbe il s'agit : si quelqu'un le connaît, qu'il n'hésite pas à le laisser en commentaire - et alors il fera garder le malade dans le lit, le fera frotter, chauffer : on appliquera des linges chauds; on pourra lui irriter le nez avec un crin ou un chalumeau
- gloups ! -

Suivent plusieurs actions à entreprendre pour s'assurer du décès de la personne, dont la suivante : la fumée de tabac, introduite dans l'anus, a réveillé le mouvement des intestins, et la machine a été remise en action plusieurs fois par ce moyen; peut-être même pourrait-on insinuer l'air dans la poitrine, par d'autres moyens.
- oui, il faudrait peut-être y penser... -

Si le sujet reste tranquille à tous ces remèdes, qu'il ne donne aucune marque de sentiment, il ne faudra pas, pour cela, se hâter de l'enterrer; on pourra ensuite tenter l'application d'un fer chaud à la plante de pieds, ou sur la poitrine, vers la pointe du cœur ( ... ); et il ne sera enfin enterré que quand il donnera des marques de putréfaction, seul signe certain d'une mort certaine, signe qu'il faut attendre dans les morts subites, si l'on ne veut pas avoir à se reprocher d'avoir enterré vivantes des personnes qu'on croyait mortes."

Ce dictionnaire date de 1777. On ne regrettera jamais les progrès de la médecine, n'est-ce pas ?


( * ) Ce Dictionnaire portatif de la santé est consultable en ligne, sur le site de Gallica : si vous êtes malade, à lire ici (articles Mort subite p132/605 et Noyés p144/605).



samedi 14 juin 2014

#ChallengeAZ : M comme Mil cinq cent soixante dix

1570 est l’année de l’acte le plus ancien de ma généalogie retrouvé à ce jour.

Extrait de l'acte de naissance de Ryondel Jean (acte en latin), 
coll. communale Samoëns

C’est l’acte de naissance de Ryondel Jean, né à Samoëns (74).

1570 est situé dans ce que l'on appelle aujourd'hui l'époque moderne. Cette période de l'histoire s'étend de la fin du Moyen-Age à la Révolution Française (c'est-à-dire 1453 - fin de l'Empire byzantin avec la prise de Constantinople - ou 1492 - découverte de l'Amérique par Christophe Colomb - à 1789; les historiens n'étant pas tous d'accord sur les dates précises).

Si cette période s'inscrit dans la continuité du Moyen-Age, elle connaît néanmoins de profonds bouleversements, les progrès techniques marquant une rupture avec la période précédente. Les découvertes en matières d'armement (artillerie notamment) vont faire évoluer les guerres et les champs de bataille, l'invention de l'imprimerie permet la diffusion du savoir comme jamais auparavant, les famines sont en net recul grâce à la découverte et la diffusion de la pomme de terre venue d'Amérique, la vision du monde s'élargit avec la découverte de nouveaux territoires et continents, la société se transforme sous l'influence du protestantisme et de l'humanisme. Enfin on voit la montée d'une nouvelle classe sociale : la bourgeoisie d'affaire.

Durant les trois siècles que dure cette période, on voit se succéder :
  • la Renaissance, courant artistique et intellectuel où les artistes ont introduit l'esthétique antique et où les humanistes se sont approprié le savoir antique déjà redécouvert au Moyen Âge. 
  • la Réforme protestante et la Contre-Réforme, dont les querelles religieuses vont aboutir aux guerres de religion.
  • l'émergence des Etats-nations, qui voient s'exacerber les rivalités nationales.
  • Les Lumières, dont les philosophes pointent les limites des monarchies absolues.

Jean Ryondel est né sous le règne du roi Charles IX, roi de France de 1560 à 1574 (branche des Valois). Sous son règne, le royaume est déchiré par les guerres de religion, malgré tous les efforts déployés par sa mère Catherine de Médicis pour les empêcher. Il déboucha sur le massacre de la Saint-Barthélemy (24 août 1572).
La colonisation américaine se poursuit, après sa récente découverte par Christophe Colomb (1492). Le protestantisme se développe, entraînant les guerres de religion.
La Renaissance, née en Italie, poursuit son développement.
En architecture, c'est l'époque des architectes Palladio (villa Rotonda), Pierre Lescot (aile du Louvre)...
C'est aussi celle du poète Pierre de Ronsard (1524/1585), des écrivains et dramaturges Montaigne (1533/1592), Cervantès (1547/1616), Shakespeare (1564/1615), des peintres Michel-Ange (1475/1564), Le Titien (1488/1576), du chirurgien Ambroise Paré (1509/1590)...

Autant de noms célèbres qui, aujourd'hui, nous évoquent (plus ou moins) quelque chose. Mais évidemment, pour Jean Ryondel cela devait être différent. Que savait-il de ces nouveaux courants artistiques, religieux et de pensée ? De ces bouleversements géographiques et techniques qui se faisaient sentir ? A-t-il même entendu prononcer ces noms immortels ? Impossible de le deviner, bien sûr.

Enfin, n'oublions pas que notre monde n'est pas celui de nos ancêtres. Ainsi Jean Ryondel n’était pas vraiment Français : Samoëns faisait alors partie du Duché de Savoie, qui ne sera réuni à la France qu’en 1860 (Traité de Turin).
Le 19 février 1416, l'empereur Sigismond Ier (empereur romain germanique) érige le comté de Savoie en duché de Savoie, lui offrant une autonomie politique sans précédent. Les ducs de Savoie vont ensuite devenir rois de Sicile, puis de Sardaigne au début du XVIIIe siècle. Les États de Savoie sont alors de plus en plus souvent appelés « États sardes » par les Français après 1718.
Les différents États, duchés ou royaumes d'Italie, n'ont été réunis qu'à partir de 1860. En 1860, la révolution italienne (Risorgimento) et les plébiscites pour l'unification en Italie fédèrent les différents États d'Italie et installent le roi de Sardaigne Victor-Emmanuel II de Savoie sur le trône d'une monarchie constitutionnelle avec l'appui de l'empereur des Français Napoléon III.
Le 22 avril de la même année, lors de la ratification du Traité de Turin, à la suite d'un plébiscite (130 533 "Oui" / "Oui et zone" contre 235 "Non"), le duché de Savoie est cédé conditionnellement à la France, formant les départements de la Savoie et de la Haute-Savoie.
Jean Ryondel naît donc sous le règne d’Emmanuel Philibert de Savoie, dit Tête de fer, époux de Marguerite de Valois (fille de François Ier).