Voulant participer au projet #SauvonsNosTombes, je suis allée photographier les tombes du cimetière de la commune où habitent mes parents (Faux-la-Montagne, Creuse ; un peu plus de 400 habitants). Pourquoi chez eux et pas le cimetière de ma propre commune (Limoges, Haute-Vienne) ? Sans doute parce que c’est l’un des plus grand d’Europe ! Commençons modeste.
En parcourant les allées, je me suis rendu compte que ce cimetière, situé exactement au centre du Limousin, portait des caractéristiques communes à tous les cimetières mais aussi des particularités spécialement limousines.
Rappelons qu’autrefois (c'est-à-dire il y a bien longtemps) les cimetières étaient accolés aux églises. C’étaient des lieux publics, ouverts sur la ville. Les concessions étaient en général des parcelles de terres nues, périodiquement retournée (environ tous les 5 ans) pour extraire les ossements (que l’ont mettait dans des ossuaires) et offrir une place pour les nouveaux. La proximité de l’église garantissait l’efficacité des prières qui y étaient dites. Les défunts les plus importants étaient inhumés à l’intérieur même des églises, au plus près de l’autel. Au XVIIIème le rapport à la mort commence à changer : on imagine un lieu vaste et clos, abritant des tombes pérennes, à l’écart du monde des vivants, loin de l’église paroissiale.
Le courant hygiéniste issu des Lumières a soulevé le fait que de vivre parmi les morts était le meilleur moyen de les rejoindre rapidement. La législation royale vient appuyer cette idée avec la publication d’un édit interdisant les inhumations dans les églises (1776). Mais il faudra attendre le début du XIXème pour que les cimetières soient massivement déplacés. En général on les aménage sur un lieu élevé et septentrional afin d’éviter que les vents dominants n’entraînent les miasmes des cadavres sur le monde des vivants. C’est ainsi que sont créés les cimetières neufs. Qui sont aujourd’hui nos vieux cimetières.
C’est pourquoi le cimetière de Faux- la-Montagne s’est retrouvé un peu à l’écart, à flanc de colline dominant des habitations.
Les nouveaux cimetières répondent aussi à une autre inspiration : la tombe individuelle. Auparavant seuls quelques privilégiés pouvaient en bénéficier : notables, ecclésiastiques… Les autres étaient dans une fosse commune jusqu’au regroupement périodique dans les ossuaires. La tombe individuelle implique alors une épitaphe : état civil, qualité du défunt, appelant au souvenir et à la prière.
Le cimetière de Faux est végétalisé : pas d’allées de gravier mais de l’herbe entre chaque tombe. D’après un récent comptage on a identifié 454 concessions, actives ou inactives (certaines parcelles ne contiennent plus de tombes). On peut diviser le cimetière en trois parties :
- le vieux cimetière, composé de quatre carrés de tombes anciennes et surmontés de tombes légèrement plus récentes et mieux rangées.
- une première extension moderne où les tombes sont alignées quatre par quatre. Au milieu du XIXème en effet les cimetières souffrent d’une croissance trop rapide (parallèlement à l’augmentation de la population, notamment dans les villes). Pour gagner de la place on élimine les allées sinueuses au profit du plan en damier permettant d’optimiser le système des concessions. L’hécatombe de la première guerre mondiale et la grippe espagnole qui suivit augmenta le processus d’urbanisation des cimetières. Dès 1920 ils n’offrent plus qu’un panorama monotone de caveaux de granit.
- une deuxième extension qui commence tout juste à être occupée mais qui fait la surface du premier cimetière ; ce qui laisse deviner l’espérance de vie dans la commune ;-)
Précisons au passage qu’en Limousin on qualifie le village (où se trouve église et mairie, etc…) de « bourg » et les hameaux ou lieux-dits sont nommés « villages ». L’appartenance au village était primordiale : on était, dans cet ordre, d’une famille, d’un village puis d’un bourg. Ce qui aura son importance dans le cimetière, comme on le verra plus loin.
Donc à Faux, dans le vieux cimetière, on retrouve les tombes disposées aléatoirement, non orientées (certaines tête -bêche), parfois très serrées. Beaucoup d’entre elles ont subi les outrages du temps : les noms se sont effacés et elles ne sont plus identifiables. Au contraire, dans la partie neuve du cimetière les tombes sont bien alignées, relativement aérées.
La première caractéristique locale se trouve dans les matériaux : nous sommes dans un pays de granit et de maçons (les fameux « maçons de la Creuse » dont vous avez peut-être déjà entendu parler). Naturellement la majorité des tombes sont en granit et certaines ont une épitaphe gravée (ce qui est une prouesse quand on connaît la dureté du granit).
Cimetière de Faux-la-Montagne © M.Astié
La majorité des tombes sont composés d’une pierre tombale en granit, dont la partie centrale est légèrement surélevée, avec une stèle ou croix à la tête. Cette croix peut être simple ou plus travaillée. En granit ou métallique.
Une croix dont il ne reste que le fût de la colonne brisée symbolise la vie brisée : elle était en général réservée à ceux qui mourraient jeunes.
Cimetière de Faux-la-Montagne © M.Astié
Les tombes modernes reprennent ce modèle tripartite, hormis la croix souvent remplacée par une forme moins « religieuse » (demi-cercle par exemple).
On trouve aussi deux autres formes de tombes récurrentes : la dalle et les grilles. La première est une simple dalle de granit ou autre, presque au ras du sol.
Cimetière de Faux-la-Montagne © M.Astié
L’autre est formée de grilles qui délimitent la concession, à la manière d’un petit jardinet. D’ailleurs souvent ces tombes ont été plantées. En effet l’offrande des fleurs symbolise l’inaltération des liens familiaux, par-delà la mort. Mais les fleurs coupées flétrissent trop vite : on leur préfère donc les arbustes plantés.
Cimetière de Faux-la-Montagne © M.Astié
En variante on trouve une chaîne accrochée à des poteaux.
Cimetière de Faux-la-Montagne © M.Astié
Au passage, si vous souhaitez planter une graine lors de votre propre enterrement, je vous conseille de le faire derrière la tombe et non à ses pieds, car quand la graine est devenue un buisson ou un petit arbre, on ne voit plus du tout la tombe !
Si au début du XIXème la tombe est individualisée, peu à peu les caveaux se « mutualisent » : on voit apparaître des caveaux familiaux avec l’idée que la mort réunit les êtres chers temporairement séparés.
Autrefois on confectionnait souvent des couronnes de perles, sensées tenir plus longtemps que les fleurs coupées. L’industrie et l’artisanat fabriquent en grande quantité ces couronnes de perles, croix, vases… Hélas même les perles finissent par s’abîmer : on voit donc fleurir un nouveau type d’architecture funéraire : des protèges-couronne. Ce sont de petits auvents, généralement en zinc, situés à la tête de la tombe et destinés à allonger la durée de vie des couronnes autres objets funéraires. Aujourd’hui la majorité d’entre eux sont rouillés et assez peu esthétiques, mais toujours efficaces dans leur rôle protecteur.
Cimetière de Faux-la-Montagne © M.Astié
Sous le Second Empire (1852-1870) apparaît un nouveau type de tombe bourgeois : le caveau et la chapelle. Ce sont des tombes collectives dont le coût les réserve presque exclusivement aux catégories aisées ; du moins dans un premier temps. L’architecture funéraire, souvent gothique, et la sculpture prennent le pas sur l’épitaphe. Souvent seul le nom de la famille est visible, faisant de la tombe un double de la maison. L’architecture de la mort reflète alors la stratification sociale du monde des vivants.
Cimetière de Faux-la-Montagne © M.Astié
Il y a bien quelques chapelles funéraires dans le cimetière de Faux, mais on a beau être dans le pays du granit, c’est aussi un pays pauvre : le plus souvent les chapelles (trop chères) sont remplacées par des structures en verre. Elles peuvent couvrir l’intégralité de la tombe ou seulement sa tête (comme les protège-couronne). Sur les 338 concessions de la partie ancienne du cimetière j’en ai compté une trentaine. Aucune dans les parties modernes : cela ne se fait plus aujourd’hui. La structure est métallique, couverte de plaque de verre. C’est assez solide puisque celles qui ont vu leur verre tomber et se briser sont très rares.
Cimetière de Faux-la-Montagne © M.Astié
Si c’est un caveau familial on retrouve le nom de la famille, pas toujours ceux des défunts eux-mêmes (comme on l’a vu ci-dessus). Mais très souvent le village est mentionné. Je vous ai dit plus haut l’importance du village : on la retrouve sur les tombes. Le fait que seuls figurent le patronyme et le nom du village laisse deviner le rôle primordial de ce dernier.
Cimetière de Faux-la-Montagne © M.Astié
- Les plaques de porcelaine
Ce qui fait la caractéristique principale des cimetières limousins est bien sûr la plaque de porcelaine. Dans cette région où le granit se prête peu à la sculpture, la plaque de porcelaine est idéale.
Ces plaques apparaissent dans les années 1820-1840 et se généralisent dans les années 1860/1870. Si le granit est monotone, les plaques de porcelaine offrent une infinité de tons, de couleurs et de variations autour du thème de la mort. Elles répondent à une commande individuelle, et n’ont jamais été faites en série. Initié par les élites, elles se propagent rapidement aux classes populaires et rurales via les ouvriers en porcelaine qui les confectionnaient à la demande.
On en distingue plusieurs types, plusieurs modes.
Au début elles étaient systématiquement rondes car elles étaient réalisées par les camarades dans les usines de porcelaine et reprenaient un moule déjà tout prêt : celui de l’assiette. De ce fait, elles avaient un coût relativement modique, ce qui explique leur succès. Plus tard, on a vu apparaître d’autres formes : rectangles, cœurs…
- La plus simple reste blanche cerclée d’un filet noir. Ce sont les plaques type « faire-part » : un texte plus ou moins long dressant le portrait du disparu, invitant à la prière. Un mince filet noir ou or encadre la plaque. Le noir, couleur du deuil, connaîtra une résurgence à partir des années 1860, faisant disparaître les scènes colorées apparues entre-temps.
Cimetière de Faux-la-Montagne © M.Astié
Cimetière de Faux-la-Montagne © M.Astié
Pour marquer son chagrin on peut appuyer le texte par différents symbole : des larmes noires par exemple (ou bien une croix, une vanitas, des mains jointes symbole de l’attachement conjugal… bien que je n’en ai pas vu à Faux).
Cimetière de Faux-la-Montagne © M.Astié
- Dans la partie supérieure peut figurer un paysage : c’est une vision idéalisée, romantique du cimetière. La symbolique végétale évoque l’éternité douce, paisible, l’assurance de la résurrection, le perpétuel renouvellement des générations. Le saule pleureur, en introduisant de surcroît l’idée de désolation, constitue le meilleur symbole de cette nouvelle représentation de la mort.
Cimetière de Faux-la-Montagne © M.Astié
Cimetière de Faux-la-Montagne © M.Astié
En général ces scènes étaient réalisées par les peintres de la manufacture. Elles se situent toujours dans la partie supérieure de la pièce de porcelaine, symbolisant le Ciel, tandis que le texte est dans la partie inférieure, la partie terrestre.
- Le portrait du défunt a connu un grand succès. En effet l’affirmation de l’identité individuelle de chacun des occupants d’une sépulture collective a favorisé la multiplication des portraits des disparus. La maîtrise locale de la technique de la peinture sur porcelaine a permis au Limousin d’adopter avec un demi-siècle d’avance sur les autres régions ce type d’art funéraire.
Cimetière de Faux-la-Montagne © M.Astié
Hélas le temps n’épargne pas ces objets funéraires et les portraits rentrent dans l’ombre comme leur nom dans l’oubli des mémoires.
Cimetière de Faux-la-Montagne © M.Astié
Et c’est un art qui perdure puisqu’on en trouve encore sur les tombes les plus récentes.
Cimetière de Faux-la-Montagne © M.Astié
Il existe une rare variante qui est celle du portrait… de la maison du défunt !
Cimetière de Faux-la-Montagne © M.Astié
On notera que la représentation de la défunte par un portrait en médaillon est déjà un grand pas vers la reconnaissance de la femme, qui est soudain promue en dehors de son seul rôle de « bonne mère et bonne épouse ».
Le mort représenté d’après photographie est plus ou moins idéalisé : belle posture, beaux vêtements… Le mort est ici un héros. C’est particulièrement vrai pour les militaires. Le Second Empire exalte les vertus militaires et valeurs guerrières, l’appartenance à l’armée est valorisée : on voit alors apparaître sur les plaques de porcelaine les premiers uniformes. On est témoin d’un glissement des valeurs du siècle : de l’appartenance à la communauté restreinte (famille, village), on passe à un ensemble plus vaste : la Nation, la Patrie. L’hécatombe de la première Guerre Mondiale entraîna un retour en force de la mort et de la spiritualité. Outre les monuments aux morts érigés dans les villes, les tombes donnent à voir de nombreux portraits de soldats.
A Faux, huit tombes portent une plaque et/ou un portrait de soldat : quatre Poilus de 14/18, deux dont la guerre n’est pas citée et deux de 39/45. Mais pour ça, je laisse Caroline (alias (@MumTaupe) faire le travail de mémoire !
Cimetière de Faux-la-Montagne © M.Astié
- les motifs floraux : peu présents jusque dans les années 1840, se diffusent massivement à partir de cette date (couronnes peintes, fleurs en relief, associées ou non à d’autres motifs). Roses et pensées sont les plus représentées. Les chrysanthèmes ne s’imposent dans l’iconographie qu’à partir de la fin du siècle. La présence de l’ange comme guide pour l’ultime voyage est révélatrice des représentations populaires concernant la mort. Mais cela n’est pas caractéristique de la région (il est le symbole même de la mort dans tout l’Occident). Une des premières plaques représentant un ange date de 1840. Dès son apparition, il est associé à la mort d’un jeune. On le retrouve pendant toute la seconde partie du siècle, parfois en putti ou en séraphin. [1]
Cimetière de Faux-la-Montagne © M.Astié
Cimetière de Faux-la-Montagne © M.Astié
Il ne reste qu’à aller vous promener dans votre cimetière local et repérer les indices universels et les particularités locales… Ce patrimoine unique, souvent méconnu ou méprisé, qui pourtant nous éclaire sur les mentalités liées au culte des morts à travers les époques.
Pour les curieux, encore quelques plaques :
[1] Source : JM. Ferrer et Ph. Grandcoing : Des funérailles de porcelaine, éd. Culture et patrimoine (2000)