« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

vendredi 20 novembre 2015

#Généathème : je rédige la biographie d'un ancêtre

Tout commença par un souffle. Un premier souffle de vie. Plus fragile et plus fin qu'un fil de la Vierge. Si ténu que le curé de Taninges lui-même n'osa baptiser officiellement le nouveau-né. Il coucha néanmoins sur le papier une courte note :

Le 11 avril est née et le lendemain baptisée à la maison  ... demors

Pourtant le nourrisson n'est pas mort. Deux mois plus tard, il fallu bien se rendre à l'évidence : accroché à la vie, il a repris des forces. Et c'est presque à la surprise de tous que "le 29 juin [1684] a été présentée à l'église une fille née le 11 d'avril d'honorable Jean Claude Perret et de Maurise Deleschaux mariés". C'est un chanoine de Saint Pierre de Genève qui lui a été choisi pour parrain. Lui et Demoiselle Humberte, sa marraine, "ont assisté aux cérémonies du baptême" qui ont été conférées à l'enfant miraculé, celui que l'ont avait "baptisé à la maison le jour de sa naissance à cause du péril" qu'il encourrait.


Le curé, perturbé par ce prodige, rajouta in extremis une mention dans la marge du registre : "on lui a imposé  le nom de Marie Humberte".

C'est ainsi que Marie Humberte entra dans la vie. Sur la pointe des pieds, mais entourée de l'amour et des soins attentifs de sa mère. Et la vie reprit son cours, les saisons succédant aux saisons. Au fil des années la fratrie s'est agrandie : sept enfants au total ont égayés le foyer, dont les venues au monde furent beaucoup plus calmes et moins éprouvantes pour les parents.

Le père, Jean Claude, s'est assuré une belle réputation de Maître chirurgien, et le respect de sa communauté : on ne croise jamais ce fier bourgeois savoyard sans lui donner le titre de "Sieur" ou  de "Maître".

A force de faire de menues courses pour son père chirurgien, Marie Humberte rencontra le fils d'un apothicaire d'une paroisse voisine, Bogève. Après de patientes discussions, un contrat de mariage fut dûment établi. Pour cela on fit venir Maître Cullaz, notaire à Cluses, au domicile de Jean Claude Perret, entouré d'un bel aréopage de bourgeois pour témoins. Tombent dans l'escarcelle du futur couple : "une montagne située au Plumey rière [banlieue ?] la paroisse de Fleyrier et 3000 florins" (de la part de Pierre Bel, le père du futur), 500 florins (promis par le testament de son aïeul François Bel), 3000 florins et un beau coffre de noyer contenant le trousseau de la future, à savoir "deux habits complets, l'un de serge de Londres et l'autre à la Dauphine, deux douzaines de linge de ritte, trois lots de serviette à la Venise (de 9 aulnes chacun), douze aulnes de nappe, deux douzaines de chemises et deux douzaines de tabliers de toile, les rideaux de lit garni, le menu linge et les habits quotidiens". Deux vaches, deux brebis mères et deux chevreaux complètent la dot (de la part de Jean Claude Perret, le père de la future).

Taninges © Delcampe

La noce peut avoir lieu et le jeune couple s'installe à Taninges. Un premier-né voit le jour dès l'année suivante, porté sur les fonds baptismaux par ses grands-parents maternels désignés comme parrain et marraine. Six autres bambins vont ensuite venir agrandir la famille.

Comme pour tous, les joies de la vie s'assombrissent de temps en temps. C'est le cas lorsque Jean Claude Perret quitte ce monde un jour de février 1718. Une belle cérémonie est organisée pour lui dire adieu. Marie Humberte réconforte sa mère Maurise. Aujourd'hui encore, elle savoure le bonheur d'avoir pu la garder auprès d'elle une quinzaine d'années supplémentaires.

Un soir de 1725, alors que les enfants sont couchés, François appelle son épouse. Auprès du feu, il lui explique qu'on lui propose d'ouvrir une officine à Bogève. Rapidement la décision est prise : la famille va déménager. François devient apothicaire. L'affaire est florissante et lui permet de passer sa maîtrise. Marie Humberte donne encore naissance à trois enfants.

Finalement, le couple revient à Taninges pour ouvrir une apothicairerie encore plus belle. François et Marie Humberte font partie des notables de la ville à part entière.

Alors que ses tempes commencent à peine à grisonner, Marie Humberte voit son fils François se rapprocher discrètement de la fille du noble Louis Aymé Marin. Peut-être qu'une union pourrait s'envisager : cela ferait un beau mariage... La nuit était tombée depuis longtemps en ce soir de janvier 1739. François était encore à l'apothicairerie à préparer des potions et des onguents, les enfants déjà couchés. Soudain la pièce se mit à tourner. Lentement, comme au ralenti, Marie Humberte s'affaissa sur le tapis de la chambre. Elle exhala un souffle. Un dernier souffle de vie. Plus fragile et plus fin qu'un fil de la Vierge.

Du neuf janvier 1739 a 20h du matin est morte et le lendemain a été enterrée honorable marie humberte perret femme de maître françois Bel Apothicaire aiant reçu les sacrement agée de 53 ans
J. Favre curé


Marie Humberte Perret est mon ancêtre à la dixième génération (sosa n°821). Née à Taninges (74) le 11 avril 1684, mariée à François Bel en 1710 (contrat de mariage du 11 février 1710 - acte de mariage non trouvé), décédée à Taninges le 9 janvier 1739.



5 commentaires:

  1. belle et émouvante histoire bien contée.

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  2. Une belle biographie, touchante et pleine de vie, comme le sont tous les articles de murmuresdancetres

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  3. Beau récit, où les événements sont bien liés entre eux.

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  4. -Histoire d'une vie...bien joliment contée.
    -Continuez de nous enchanter Mélanie.

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  5. Quelle belle évocation, certains doivent sourire tendrement au paradis...

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