« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

mercredi 4 septembre 2019

La vie est courte : #1 Le père

La vie est courte... Une histoire à trois personnages, trois visions des événements, trois épisodes. Voici le n°1.
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Lundi premier juin 1772

Jean François était triste : il disait adieu à son épouse Barthélémière.
Elle est était si jeune encore. Une cinquantaine d’années, c’est trop tôt pour mourir… et me laisser. Et puis il y a les enfants ! Que vais-je devenir avec ces sept-là ? Heureusement notre fille est déjà casée et les fils sont grands… Enfin, les aînés : les derniers n’ont que 16 et 14 ans. Mais bon : c’est comme ça et on n’y peut rien. Retournons à la ferme car la besogne n’attend pas.

Été 1773

Ouf ! la récolte est rentrée. Juste avant la pluie qui menace : nous avons eu de la chance. Tiens j’ai remarqué que Claude travaillait souvent au plus près de notre jeune voisine, Marie Françoise Alombert Goget. Je les ai vu discuter à la foire aussi je crois. Il serait bon d’aller voir le père : on pourrait les marier et cela ferait une bouche de moins à nourrir. Je ne pensais pas commencer par lui, mais pourquoi pas ?

Léon-Augustin Lhermitte © wikipedia

Lundi 7 février 1774

- Claude viens ici ! J’ai discuté avec le père Alombert : tu vas épouser sa fille. C’est prévu pour lundi prochain.
- Quoi ? Mais enfin je la connais à peine. Et je ne veux pas me marier. En plus elle est beaucoup trop vieille !
- Pardon ? Tu oses me contredire devant tout le monde ? J’ai dit que tu allais te marier et tu vas le faire. De toute façon tout est arrangé : tu ne voudrais pas me faire revenir sur une promesse ? Pour qui je passerai moi ? Et puis elle n’est pas si vieille.
- Mais…
- Ça suffit ! J’ai dit ! Fin de la discussion. Et maintenant va te mettre au travail : personne ne fera tes tâches à ta place !
Le père était contrarié :
Dire que je pensais lui faire plaisir ! Peuh ! Quel ingrat ! Bon d’accord il est un peu jeune pour se marier, mais à quelques jours près il a 16 ans. C’est un homme maintenant. Et puis, la dot nous amène une belle pièce de terre…

Lundi 14 février 1774

Dans la solide église Saint Blaise, et devant ses paroissiens assemblés, le curé de Lalleyriat maria Claude Beroud Maure, 15 ans, et Marie Françoise Alombert Goget, 18 ans.
Le père était satisfait.

Dimanche 9 février 1783

Jean François agonisait : il n’allait pas tarder à rejoindre sa défunte épouse Barthélémière.
Faisant le bilan de sa vie il s’estimait content : il avait pu élever ses sept enfants, entretenir et faire prospérer la ferme, la léguer à son aîné. A près de 70 ans, il ne redoutait pas la mort. Il décida de préparer ses funérailles.

L’an XIII de la République française e t le quinzième jour de Germinal (jeudi 4 avril 1805)

Décédé le 10 février 1783, Jean François ne sut jamais si son fils lui avait pardonné ce mariage précoce : ils ne se parlaient plus depuis longtemps. De la même manière il ignora que son fils, en outre d’être un très jeune marié, eut une vie assez courte aussi. 


La suite demain…

Retrouvez la série complète :
#1 Le père




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