J’étais venue à la Coulonge (Orne) pour le baptême de Catherine Mesenge, mon ancêtre à la XIème génération. Mais finalement, au lieu d’aller à l’église, je me dirigeai vers la maison de ses parents.
Je frappai : pas de réponse. Pourtant, Françoise Salles, épouse Mesenge, était forcément là : on était juste après la naissance du bébé et donc les relevailles n’avaient pas encore été accordées à sa mère. De plus, il y avait de la fumée qui sortait de la cheminée et de la lumière filtrant aux fenêtres. Je décidai d’entrer. Un petit chaudron était en train de mijoter lentement dans la cheminée. Seul le doux frémissement du ragoût troublait le silence de la maison.
La porte de la pièce voisine était entrouverte : je m’approchai. Le petit Pierre, âgé de trois ans, n’était pas visible. Mais Françoise était là, elle. Non dans son lit garni d’une couette, oreillers et traversin, au chaud sous une couverture de sarge comme je l’imaginai, mais par terre, agenouillée. Elle me tournait le dos. Elle était devant un grand coffre de bois de frêne ouvert, la clé encore dans la serrure. Son coffre de mariage j’imagine. Les aunes de tissus, draps, serviettes et même l’habit de noce reçu lors de son contrat de mariage s’y entassaient.
Je m’approchai : Françoise tenait serrée dans ses mains quelques pièces de toile. Les larmes inondaient son visage.
- Françoise ?
Pas de réponse. J’appelai encore, un peu plus fort cette fois.
- Françoise ?
J'avançai davantage et lui touchai l’épaule.
- Françoise ? Puis-je vous aider ?
- …
- Que tenez-vous là ?
- C’est…
- Oui ?
- C’est… Ce sont des toiles… que j’ai cousues et confectionnées pour… pour Marie.
Je comprenais mieux maintenant.
- Marie ? Votre première-née ?
- Oui. J’avais préparé des linges pour l’emmailloter et la tenir au chaud pour aller à l’église la faire baptiser. Malheureusement elle n’en n’a pas eu besoin du petit linge que je lui avais préparé… « Aussitôt après décédée et inhumée » qu'a dit le curé. Alors j’ai remisé ces toiles dans mon coffre.
- Et trois ans plus tard, tu les as ressorties, n’est-ce pas ? (j’étais passé au tutoiement sans m'en rendre compte).
- Oui, pour Marguerite. Née et décédée le même jour. Elle non plus ne les a pas utilisées.
- Puis est venu Pierre, et aujourd’hui Catherine.
- Oui… mais aura-t-elle le temps de les user ?
Elle serra contre elle les toiles destinées à l’usage du nourrisson et étouffa un sanglot plein d’appréhension pour l’avenir de cette petite fille dont les deux aînées n’avaient pas vécues.
Le mois de janvier 1685 soufflait sa fraîcheur jusque dans la chambre : j’aidai Françoise à se recoucher, bien au chaud. Doucement, je lui retirai les linges qu’elles tenaient encore et les déposait précautionneusement dans le coffre. Approchant une chaise de son lit, je lui tenais compagnie. Je tentai d’alimenter la conversation, mais Françoise, quand elle me répondait, ne prononçait que quelques monosyllabes. Finalement, je laissai le silence reprendre ses droits. Françoise fixait intensément la porte. Serait-ce la porte du malheur, le père revenant sans enfant, la petite Catherine ayant déjà expiré comme ses deux sœurs ? Ou serait-ce la porte sinon du bonheur au moins de l’espoir, le bébé revenant affamé de lait et de vie ?
Le temps passait et la tension montait.
Finalement Anthoine Mesenge rentra, dans un tourbillon de neige. Sans s’en apercevoir, Françoise et moi retenions notre respiration, dans un ensemble commun chargé d’attente. Enfin, Anthoine déroula la longue houppelande qui l’enveloppait et découvrit un nourrisson étroitement emmailloté. Était-ce le voyage, l’arrêt, le changement de température ou de position, quoi qu’il soit un cri de protestation se fit entendre, crevant d’un coup le silence angoissé de la maison et nous rendant le souffle, à Françoise et à moi. Anthoine donna le bébé à sa mère.
Je me rendis compte que je m’étais laissée contaminée par l’angoisse de Françoise, alors que je savais pertinemment que Catherine vivrait, puisque j’étais sa lointaine descendante. Je regardai le coffre de bois : les toiles qu’il contenait seront bien utilisées par Catherine, puis par ses futures sœurs, aussi prénommées Marguerite et Marie (dans cet ordre). Rassurée, je quittai le couple et leur bébé… et les aunes de toiles attendant qu’on les transforme en divers vêtements et robes au fur et à mesure que la jeune Catherine grandirait.
Tout comme toi, on se laisse gagner par l'angoisse... Ce linge cousu avec amour et tendresse sera-t-im utilisé un jour? C'est un beau récit qui m'a transporté.
RépondreSupprimerTrès belle rencontre contée avec beaucoup de retenue et d'émotion. J'aime beaucoup. Bravo
RépondreSupprimerUn très beau #RDVAncestral, comme toujours. Je suis bien contente pour Françoise et Catherine !
RépondreSupprimerAngoisse et émotion à la lecture de ce beau billet, on se dit que tous nos ancêtres vivaient le même dilemme.
RépondreSupprimerNous sommes bien soulagés de la fin heureuse du récit.
RépondreSupprimerOn est tenu en haleine jusqu'au ouf de soulagement !
RépondreSupprimerQuel talent de conteuse ! Mélanie se prend à son récit, au point d’être inquiète du dénouement qu’elle sait heureux.
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