« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

vendredi 20 février 2015

Le sosa qui n'existe pas

Légèrement en panne d'inspiration, je réponds à mon tour à la question posée par Maïwen Bourdic sur son blog D'aïeux et d'ailleurs "Et vous quel est votre sosa n°1000 ?"

Pour mémoire, le système de numérotation dit "Sosa-Stradonitz" est le plus couramment utilisé en généalogie. Le personnage central de la généalogie porte le n°1, son père le n°2, sa mère le n°3, son grand-père paternel porte le n°4, sa grand-mère paternelle le n°5, etc... De ce fait, le numéro 1000 est toujours situé au même endroit dans l'arbre, quelque soit la généalogie. Comme dit Maïwenn "tout droit à droite sur 5 générations, tournez à gauche, prenez la suivante à droite, puis à gauche de nouveau sur 3 générations". En d'autres termes : la lignée maternelle sur cinq générations, puis son père et la mère de celui-ci (vous me suivez ?), et enfin les pères sur les trois générations suivantes.

Personnellement, je n'utilise jamais les numéros sosa pour désigner ou chercher mes ancêtres, même si mon logiciel de généalogie le calcule lui-même automatiquement. Mais cette numérotation existe parmi les critères de recherche : je me lance donc à mon tour. "Aucune personne ne correspond aux critères". Mince, avec plus de 8000 ancêtres, le logiciel ne trouve pas le 1000 ? Évidemment je pense d'abord à une erreur (du logiciel ou de saisie ?). Et je prends mon courage à deux mains en suivant le chemin indiqué par Maïwenn.


Emplacement (théorique) du n°1000 de ma généalogie

Bah oui ! Le n°1000 n'existe pas dans ma généalogie ! Ce n'était pas une erreur.

On est là à l'époque révolutionnaire (et avant), à la frontière entre la Vendée et les Deux-Sèvres (mes ancêtres y font des "allers-retours" réguliers). 

Du n°1000, je ne connais rien.
De son fils, Jean Jadaud, je sais qu'il a résidé à Saint Amand sur Sèvre (79).
De ses petits-enfants, je sais que certains sont nés à Saint Amand, mais se sont mariés à La Verrie ou La Flocellière (85).

Jean Jadaud était sans doute cultivateur, bien que je n'aie aucune mention précise à ce sujet (tous ses descendants le sont). Il est dit décédé en 1796 (au mariage de l'un de ses fils), mais pas en 1801 (au mariage d'un autre fils). Si la première mention est plus probable (on déclare plus rarement son père décédé quand il est vivant, alors que le curé du deuxième acte a peut-être omis de mentionner le décès lors de sa rédaction), cela ne change pas grand chose finalement car, en l'absence de registre, je ne peux pas le vérifier. 

Parce que, pour ceux qui n'ont pas d'ancêtres dans ce coin, sachez que beaucoup de registres ont disparu à l'époque révolutionnaire. Impossible de remonter plus haut par ce biais-là. Les Jadaud font donc partie de cette mince lamelle blanche dans mon arbre circulaire qui, dix générations plus tard, forme une tache béante qui brille par son absence (si je puis dire).

Sur Geneanet on trouve des dates toutes plus fantaisistes (et parfois contradictoires) les unes que les autres; prouvant que les généalogistes amateurs ne lisent pas toujours/souvent les actes qu'ils indiquent.

Je n'ai pas trouvé cette famille chez les notaires vendéens. J'attends que les Deux-Sèvres mettent en ligne leurs actes notariés. Un jour peut-être. Ou peut-être jamais.

Il y a de grandes chances pour que le patronyme de n°1000 soit Jadaud (mais on n'est pas à l'abri de surprises...). Peut-être que son prénom est Jean, comme son fils et son petit-fils. Ou pas du tout.

Pour le moment, donc, le numéro 1000 de ma généalogie est caché dans les replis de l'histoire. Il m'attend, à l'abri dans un document auquel je n'ai pas (encore) accès. Ou bien il est oublié à jamais.

Sinon, je connais assez bien le numéro 100, si ça intéresse quelqu'un...


vendredi 13 février 2015

#Généathème : généalogie, côté insolite

 Certains de nos ancêtres ont des vies particulières, qui les font remarquer et entrer dans le livre des records : mariage à 12 ans, décès à 104 ans, 17 enfants, etc... En voici un, parmi tant d'autres, sorti de mon guinness généalogique personnel :

  • Deux
Pierre Rouault est né le 15 juillet 1692 à Villevêque (au Nord d'Angers). Il est le dernier d'une fratrie de cinq enfants. Son père, René, est vigneron. Mais sa mère, Perrine Dalibon, meurt alors qu'il n'a que deux ans. Il sera élevé par Louise Repussard, la seconde épouse de René. Cinq autres enfants viendront ensuite agrandir la famille.

  • Huit
A l'âge de 22 ans (en 1715), il épouse Andrée Lemele, une fille du pays, de 8 ans son aînée. Ensemble ils auront 4 enfants. Laboureur, il cultive sa terre paisiblement, entouré de son épouse et de ses enfants.

  • Trente neuf
Après 39 ans de mariage, Andrée quitte ce monde. Les enfants ont tous plus de 30 ans et sont tous installés et/ou mariés.

  • Trente sept
Trois ans plus tard, en 1757, alors qu'il a 64 ans, Pierre épouse Magdelaine Saulnier. C'est le record dans ma généalogie : l'époux le plus âgé. Magdelaine, lors de ce mariage, n'a que 27 ans. Ils ont donc 37 ans de différence (ce qui n'est pas le record !).

  • Soixante douze
Ils auront trois enfants, dont Nicolas (de qui je descends). Ce Nicolas est né en 1764. Son père est donc alors âgé de 72 ans. C'est aussi le record dans ma généalogie : le père le plus âgé.

Mains intergénérationnelles, P.Chauvin


  • Quatre vingt trois
Pierre décède à l'âge de 83 ans, en 1776.

vendredi 6 février 2015

Bête féroce à Jarzé

De 1695 à 1697, la paroisse de Jarzé (49) est "terrifiée par les courses d'une bête féroce qui dévore les enfants" [ 1 ].


Bête du Gévaudan, Gallica



C'est le curé Pierre le Roy qui annote son registre BMS, avec des descriptions assez précises (cœurs fragiles, accrochez-vous).

Françoise Picault et Marie Guitton, jeunes filles âgées d'une douzaine d'années, sont les premières de cette sinistre série. Au mois de juin 1695, on les retrouve à cinq jours d'intervalle, toutes deux victimes de la bête. Marie est dite "dévorée et demie mangée à la base par une beste feroce".

Pendant plusieurs mois on n'entend plus parler de la "maligne beste". Mais elle est de retour en 1697, toujours au mois de juin. Cette fois, ce sont des enfants gardant les troupeaux dans les prés (probablement) qui sont attaqués. Marie Mezange, une fillette de sept ans, s'est laissée surprendre : "Ladite fille a esté devorée dans la lande au bout de l'avenue de la Roche Thibault. Les jambes et les cuisses ont esté mangées entièrement et séparées du corps."

Fin juillet c'est un jeune garçon de douze ans, Pierre Dubois, qui est "devoré par la beste feroce dans la lande a lentrée des bois d'aigrefoin sur le grand chemin qui conduit a angers [...] ladite beste l'a tout a fait mangé fors les foyx et quelques petits os qui ont esté mis dans le grand cimetière de ce lieu."

On ignore si c'est la même bête ou non dans tous les cas. Cette situation évoque facilement à la bête de Gévaudan, mais le terme de "bête féroce" désigne en général plutôt un loup. S'il est possible d'avoir affaire à des hybrides de chiens et de loups - bien qu'il reste difficile d'affirmer que ce soit des chiens errants en raison de la faiblesse des sources - la plupart des cas ces agressions restent le fait d’un animal isolé, caractéristique du loup et de son opportunisme alimentaire. 

Comme d'autres provinces, l’Anjou a été épisodiquement touché par le danger du loup. Les bandes de loups trouvaient asile dans les forêts septentrionales ou orientales de la province : Craonnais, Baugeois, confins de la Touraine. Et certaines années, la faim faisait sortir le loup du bois D’avril à juin 1693, plus de soixante-dix personnes ont déjà été tuées dans la région de Bourgueil, et autant sont blessées. On n’ose plus aller garder les bêtes au pré. En même temps que l'épisode de Jarzé, la paroisse voisine de Fontaine Milon est aussi touchée, peut-être par la même bête.

Pour empêcher le loup de proliférer, la noblesse organise "la huée aux loups qui s’attacquent ordinairement aux personnes et les dévorent" [ 2 ].

Ces attaques de loup étaient parfois suivies d'épidémies de rage. La vieille recette de Jacques Leloyer (curé de Villevêque de 1648 à 1681) est ainsi restée célèbre et plusieurs fois rééditée jusqu'au XVIIIème siècle : sa formule comprenait du galéga, du romarin, de la sauge, de l'angélique, du cassier, des pâquerettes, des pointes d’églantiers, de l'ail, du sel et du vin 

Aucun des enfants cités ci-dessus ne fait partie de mes ancêtres. Mais plusieurs familles de mon arbre habitent Jarzé à cette époque (dont une famille Dubois, même si aucun lien de parenté n'a été prouvé jusqu'à présent). Elles n'ont pas dû manquer de vivre cet épisode tragique, dans ce bourg d'un peu plus de mille habitants où tout le monde doit se connaître.




[ 1 ] C. Port : Dictionnaire historique de Maine et Loire, AD49
[ 2 ] Délibération du conseil de ville d’Angers du 13 novembre 1598, via le site angers.fr