CHAPITRE M
"Ma patience sera récompensée..."
Ma patience sera récompensée. Et ma curiosité. Enfin, c’est ce que j’espérai en arrivant en Seine-et-Marne. Depuis bientôt sept mois que cette affaire titillait mon intérêt, mon déplacement in situ verrait-il la résolution de cette énigme ?
Cinq heures de train et un petit tour de métro parisien au milieu : le voyage m’avait laissé tout le temps de réfléchir à l’affaire. J'en avais donc profité pour songer à tout ce que j'avais appris jusque là, déplaçant et replaçant les éléments pour obtenir un puzzle sans trou. Cependant il me manquait des pièces : la scène était encore morcelée. J’avais aussi préparé une liste de questions dont les réponses se trouvaient (peut-être) sur place.
On était en juillet. Je répondais à l’invitation d’Alexandre de venir à Mortcerf, mais auparavant j’ajoutai une étape. J’avais rendez-vous avec Charlotte Paulé, l’archiviste qui m’avait aidée par correspondance et que j’allai rencontrer pour la première fois.
Le bâtiment des archives, situé à Dammarie-les-Lys, avait une allure un peu futuriste avec ses différents volumes et son entrée évoquant un sas d’engin spatial. Je déposai mes affaires personnelles au vestiaire et récupérai la clé de mon casier. Je n’avais le droit d’entrer en salle avec absolument rien qui m’appartenait en propre, à part une feuille de papier, à condition qu’elle soit d’un format inférieur à 10 x 15 cm. En contrepartie un kit de consultation (constitué d’un crayon à papier, une gomme, une paire de gants et des poids pour maintenir les documents ouverts) me serait prêté. Je me sentais un peu toute nue, mais je pouvais accéder au saint des saints : la salle de lecture.
Elle était agréable, bien éclairée grâce à une façade entièrement vitrée. On y retrouvait le mobilier caractéristique des salles de lecture des archives : grandes tables numérotées, lampes individuelles orientables, étagères de livres usuels et d’inventaires. Depuis les meubles en bois composés de multiples tiroirs renfermant des fiches cartonnées jusqu'aux ordinateurs permettant la consultation de documents numérisés : on avait là l’alpha et l’oméga des archives, des méthodes anciennes aux plus récentes.
Je me fis enregistrer auprès du président de salle qui me délivra ma carte de lecteur (une de plus pour ma collection !). Enfin j’étais prête à entrer dans le vif du sujet.
- Vous avez la place numéro dix, me chuchota le président de salle.
- Je suis attendue par Charlotte Paulé, lui répondis-je sur le même ton.
- Je la préviens tout de suite.
Il m’indiqua d’un geste de la main l’emplacement de la place n°10 et décrocha le téléphone. Je me rendis sagement à la place qui m’était attribuée et attendis l’archiviste. Celle-ci arriva rapidement. C'était une grande femme, élancée, aux yeux verts. Un tailleur strict était assorti à ses yeux. Après les présentations d’usage, elle me proposa d’aller dans son bureau, espace plus convivial où l’on pourrait parler sans déranger quiconque.
- Dis-moi ce que tu sais et je te dirai ce que je sais.
- Bien, allons-y !
Lorsque j’eus exposé le point où en était l'enquête de mon côté, Charlotte prit la parole. Des boucles s’échappaient de son chignon haut perché sur son crâne. D’un geste mainte fois répété elle tentait, en vain, de les replacer dans le fragile édifice qui menaçait à tout instant de s’écrouler.
Cela cassait l'image un peu rigide qui se dégageait d'elle au premier abord et me la rendit tout de suite sympathique.
- Il y a du positif, du négatif et… de l’étonnant !
Avec cette entrée en matière, elle eut droit immédiatement à toute mon attention, pourtant acquise d’avance.
- J’ai trouvé la date et le décès d’Henri.
- Oui, moi aussi !
Les deux décès correspondaient, ce qui était plutôt rassurant (on n’est jamais à l’abri d’un homonyme ou d’une erreur).
- Par contre je n’ai pas trouvé davantage de trace de « l’affaire de Mortcerf ». Ni moi ni mon réseau, que j’ai activé il y a quelques semaines.
Je tordis un peu du nez.
- Dommage ! J’avais espéré que, de ce côté, les nouvelles seraient meilleures.
- Mais ce n’est pas complètement négatif : ne rien trouver c’est bien aussi.
J’agrandis les yeux. Je ne voyais pas bien où elle voulait en venir.
- Comment ça ?
- Et bien, si l’affaire de Mortcerf avait été quelque chose d’important ou de très grave, il y aurait eu des échos : dans la presse, du côté de la justice ou pourquoi pas, ce n’est pas si ancien, dans les mémoires ?
- Oui de ce point de vue, évidemment…
- Le vide n’existe pas : il n’y a que l’apparence du vide.
Hum… Charlotte était philosophe. Elle m’expliqua en détail ses investigations qui, toutes, conduisaient au même chemin de l’absence.
Je gardai le silence un moment, plongée dans mes pensées, pour mettre en ordre tout ce que je venais d’apprendre. Charlotte respecta mon silence, le temps d’absorber ce qui paraissait, à première vue, être un échec.
Relevant la tête, je lui demandai pleine d’espoir :
- Et pour l’étonnant ?
- Quoi ?
- L’étonnant : tu as dis que tu avais « du positif, du négatif et de l’étonnant ».
- Ah ! Oui ! J’ai pris la liberté de faire quelques prospections privées. Et voici ce que j’ai découvert.
Elle m’expliqua alors dans quelle direction, plutôt étonnante en effet, elle avait mené ses recherches. Et le résultat n’en était pas moins surprenant. Incrédule je la regardai en tâchant d’envisager tout ce que cela impliquait :
- Vraiment ?
- Vraiment !