« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

samedi 25 mars 2023

La grange de Conques

Au début de ce mois j’ai été porter mes pas dans les pas de mes ancêtres : sur leurs traces, j’ai arpenté le village de Conques en Rouergue (suivi de trois jours au archives départementales), ce village aveyronnais que mes ancêtres ont habité pendant un peu plus de deux cents ans. Préparant ma visite, j’ai repéré les propriétés de mes ancêtres sur le cadastre napoléonien. Une fois sur place, j’ai vu la chapellerie de pépé Augustin, la maison du Palais (voir ici comment j’ai reconstitué l’emplacement de ces maisons) et les maisons de Jean Pierre Rols situées non loin de l’abbatiale.

 

Celui-ci, né en 1784, cultivateur propriétaire, apparaît sur les états des sections du cadastre napoléonien de Conques : il possède une vingtaine de parcelles dans la commune (1 bois, 3 châtaigneraies, 2 jardins, 2 sols et cours, 5 pâtures, 1 pré, 1 séchoir, 1 terre, 3 vignes, 3 bâtiments; pour un total imposable de 42,01 francs). Trois bâtiments sont construits :

- une grange et écurie, sur la parcelle 239 ;

- sa maison, parcelle 251, qui a 4 portes et fenêtres, classée dans la 8ème catégorie, elle vaut 4 francs.

- celle de la parcelle 252 en a 2 (10ème catégorie) et vaut 1 franc. 

 

Propriétés bâties de JP Rols sur le cadastre napoléonien de Conques, 1840 © AD12
Propriétés bâties de JP Rols sur le cadastre napoléonien de Conques, 1840 © AD12

 

Une fois dans l’ancienne rue Droite, j’ai facilement reconnu les maisons 251/252 et, de l’autre côté de la rue, la parcelle 239 qualifiée de grange en 1840.

 

Maison de la parcelle 251 ; sur la gauche on aperçoit la 252.
Maison de la parcelle 251 ; sur la gauche on aperçoit la 252.

 

En face, maison de la parcelle 239
En face, la parcelle 239

 

Le village de Conques est installé sur un site très accidenté. De nombreuses maisons appartiennent ainsi à deux propriétaires : l’un possède le premier étage ouvrant sur une rue haute, l’autre possède le rez-de-chaussée donnant sur une rue basse. C’est le cas de parcelle 252 : Jean Pierre Rols ne possède que le rez-de-chaussée ; l’étage, que l’on devine à gauche sur la photo, appartient à un autre propriétaire, François Bousquet.

Les rues étant étroites, il y a peu de recul pour prendre des photos ! De solides murs étayent parfois les constructions, comme on le voit côté 239. Cette grange a manifestement été transformée en habitation.

 

Déjà heureuse de cette visite, je ne me doutais pas de ce que j’allais trouver le lendemain aux archives…

 

Mon temps était compté, j’avais donc fait plusieurs listes de recherches à faire en priorité sur les cotes qui ne sont pas sur le site internet des archives départementales : listes de tirage au sort militaire, successions et quelques contrats de mariage dont j’avais mention par exemple… Le nombre de cotes est limité à 10 par demi-journée. Afin, de rentabiliser au maximum cette précieuse visite, je ne me suis pas contentée de récupérer les contrats de mariage visés mais j’ai consulté les liasses notariales en entier à chaque fois que j’en demandais une. J’ai ainsi fait des découvertes au hasard dans ces liasses.

 

C’est le cas pour l’acte concernant François Rols. Celui-ci est le père de Jean Pierre. Il est tantôt qualifié de marchand, vigneron ou propriétaire.



Accord de François Rols © AD12
Accord de François Rols © AD12

Le 9 messidor an XIII (28 juin 1805) il se présente devant Me Pierre Paul Flaugergues, notaire à Conques, avec Pierre Dalmon (est-ce le cultivateur né vers 1752, marié en 1800 avec Marie Servie ? Je pers sa trace après ce mariage – je n’ai pas trouvé d’autre Pierre Dalmon). Celui-ci possède la parcelle 237, qualifiée de "patus". Le patus désigne un terrain dépendant d'un bâtiment, destiné à ses commodités (cour intérieure, basse-cour, fumier, place) ; il peut être divis (appartenant à un seul propriétaire) ou indivis (plusieurs propriétaires en indivision, parfois la communauté des habitants). La parcelle 237 est donc une petite cour.

Souhaitant construire une bâtisse ou une grange sur une parcelle contigüe à celle dudit Dalmon, François Rols s'accorde avec son voisin pour avoir l’autorisation de "bâtir une muraille avec mortier, d'aplomb au roc, [au] nord, sur lequel ledit Rols élèvera la muraille à la hauteur qu'il jugera à propos, qui demeure et sera pour toujours à sa charge".

La question de l’eau étant de tout lieu et de tout temps une question cruciale, les deux parties s’accordent sur ce point :

Ledit Rols aura "toute faculté même de faire tomber les eaux du couvert du côté du patus dudit Dalmon qu'il recevra au moyen d'un canal pour les conduire dans la ruelle [...] qui sépare le patus sur lequel est bâti ladite grange d'avec d'autre patus restant audit rols. […] Ledit rols [pourra] recevoir [...] dudit dalmon les eaux qui découleront d'icelui sans aucune indemnité quelconque."

 

L’accord est très précis quant aux différentes possibilités des deux parties concernant cette muraille : ledit Rols "pourra faire placer des pierres saillantes dans le mur à construire du côté du patus de dalmon pour le soutien [dudit] canal ; et rols consent de son côté que dalmon ait la liberté de batir et faire construire un pilié sur la muraille du côté du patus de dalmon sur l'angle oriental de la grange dudit rols sur lequel il pourra placer des poutres et autres matériaux au cas il voulut augmenter sa maison sur ledit patus . Ledit dalmon sera tenu de laisser un jour pour l'emplacement [du] canal".

 

Or, cet accord entre voisins a lieu parce que François Rols fait bâtir une grange. Cette grange que l’on retrouve dans l’état des sections napoléonien au nom de son fils. Et que j’ai photographiée au début de ce mois (du moins son emplacement).

 

Et voici comment l’émotion ressentie sur place, dans le village, s’est trouvée doublée d’une autre devant un papier vieux d’un peu plus de 200 ans qu’a tenu et signé mon aïeul.

 

 

 

 

 

vendredi 10 février 2023

Le mystère enfin résolu

Cet article fait suite au polar généalogique que j’ai commis lors du #ChallengeAZ 2020 (si vous ne l'avez pas encore lu, je vous conseille de suivre le lien parce que - spoiler - je vais résoudre le crime dans les lignes ci-dessous).

Cherchant vainement le décès d’Ursule Macréau, mon imagination s’est enflammée… au point de croire que – peut-être – son époux Henri l’avait assassinée.

 

Aujourd’hui j’ai enfin résolu ce mystère.

 

Pour vous resituer les protagonistes, Ursule est née en Bretagne en 1874. A la toute fin du XIXème siècle elle émigre en Seine et Marne où elle rencontre Henri Macréau. Ils se marient en 1900 à Tigeaux et auront 8 enfants. Ursule est l’arrière-grand-mère de ma mère. En 1948 Henri décède à Coulommiers : il est alors dit « veuf ». Mais d’Ursule, point de trace.

 

J’ai cherché en vain Ursule. Pendant des années j’ai tenté de la pister. Grâce aux actes de naissance de ses enfants, j’ai su qu’elle avait déménagé plusieurs fois dans des villages aux alentours de Tigeaux.

Mais après plus rien car il n’y avait plus de registre numérisé en ligne. Comme une éclipse, elle avait disparue. Je garde en tête cette image : où a bien pu disparaître Ursule ?

Papiers et loupe

Longtemps je suis restée bloquée en 1902, « limite du temps » des documents en ligne. Puis, petit à petit, de nouveaux versements m’ont permis d’en savoir un peu plus sur l’entourage d’Ursule, comme sur sa fille, la tante Paulette, restée une épine généalogique obscure pendant plusieurs années (voir l'article Comment trouver la tante Paulette).

En récoltant les actes de mariage de ses enfants, je devine qu’Ursule est encore vivante en 1926, 1934 et peut-être même en 1937.

 

L’étau se resserre : 1937/1948. Les recensements arrivent en ligne : ils me confirment la présence d’Ursule à Mortcerf, où elle s’est fixée avec son mari depuis 1911 jusqu’en 1936.

 

A nouveau une période creuse pour mes recherches… C’est alors que je commence à délirer doucement : j’imagine tout et n’importe quoi pour expliquer cette « disparition ». Ce sera le polar généalogique du ChallengeAZ 2020 cité plus haut. Henri aurait-il quelque chose à voir avec la disparition de sa femme ?

 

Régulièrement je consulte le site des archives départementales de Seine et Marne. Les communes ne sont pas toutes logées à la même enseigne : l’état civil de certaines ne s’affiche que jusqu’en 1912 tandis que pour d’autres on peut consulter les décès jusqu’en 1962. Les recensements en ligne progressent; ainsi je découvre en écrivant ces lignes que celui de 1946 à Mortcerf est désormais affiché. Mais le couple Macréau n'y figure pas.

 

C’est finalement l’enregistrement qui va apporter la réponse tant souhaitée. Comme l’explique le site des archives « La Régie de l’Enregistrement a été créée en 1791 : les actes notariés doivent être enregistrés par un receveur des impôts, c’est-à-dire transcrits sur un registre public, contre la perception d’un droit d’enregistrement.
Des tables spécifiques des décès permettent de contrôler les successions. À partir de 1825, elles sont remplacées par les tables de successions et absences.
Tenues alphabétiquement, elles fournissent, avec des variations selon la date, des informations sur la personne décédée (nom, prénom, âge, profession, domicile, date du décès), ses héritiers (nom, prénom, profession, domicile), ses biens (détail et localisation, valeur), la date de déclaration et du paiement des droits, et des observations éventuelles. 
»

L’intérêt de ce document, dans le cas qui m’occupe, est évidemment de signaler le lieu et la date du décès.

 

Une première salve 1814/1907 avait d’abord été mise en ligne ; j’attendais la seconde qui était prévue couvrir la période jusqu’en 1968.

 

Enfin je m’aperçois que ces documents sont en ligne. Je cherche dans plusieurs bureaux autour de Mortcerf, dernier domicile connu d’Ursule. Et c’est finalement la table de succession du bureau de Coulommiers qui m’apporte la clé du mystère : Ursule Macréau, née Le Floch, est décédée à Coulommiers le 29 octobre 1943.

 

Sans trop y croire je vais voir l’état civil et là : joie ! Les registres de décès y figurent. Je peux donc dans la foulée consulter l’acte tant convoité.

 

Ça y est ! J’ai trouvé le Graal ! Ursule est clairement identifiée : ses parents, sa date et lieu de naissance, son époux Henri Macréau. C'est bien elle.

 

Il reste quelques incohérences et questions non résolues dans ce document (mais heureusement, sinon ce ne serait pas drôle !).

 

Henri n’est pas présent au décès de son épouse. Sa résidence « est inconnue ». En effet, je perds sa trace après 1936. Où est Henri entre 1936 et 1948 ? Les recherches ne sont pas toutes épuisées...

 

Les deux témoins/déclarants du décès d’Ursule sont Maurice Edouard Druelle, économe, et Gaston Bertier. Ce dernier est le maire de Coulommiers (de 1941 à 1944 puis de 1947 à 1955). Il est ici présent en tant qu’officier d’état civil. Né à Meaux en 1881, il a reçu la Croix de Guerre comme « officier de haute morale […] opposant une résistance opiniâtre aux efforts des Allemands qui disposaient de forces bien supérieures » et a été nommé Chevalier (1921) puis Officier de la Légion d’Honneur (1932). Le premier, Maurice Druelle, est plus intéressant pour découvrir l’histoire d’Ursule. Il est donc dit « économe ». Croix de Guerre lui aussi, il est rappelé à l’activité en 1939 où il est « classé en affectation spéciale pour une durée indéterminée au titre de l’hôpital de Coulommiers ». Il est considéré comme démobilisé en juin 1940 (soit après l’armistice signé par Petain).

Avec ces informations j’ai déjà une bonne piste pour savoir où est décédée Ursule.

 

Dans l’acte, elle est dite décédée « en son domicile 7 rue de la Ferté sous Jouarre ». Or, pendant que je laissais mon imagination divaguer pour rédiger le ChallengeAZ, je ne cessais de me baser sur la réalité. Ainsi, au chapitre I je raconte comment j’ai découvert à quoi correspondait cette adresse du 7, rue de la Ferté s/Jouarre car Henri lui-même y est décédé en 1948. Il s’agit de l’hôpital de Coulommiers. Donc, comme son époux 5 ans plus tard, Ursule s’est éteinte en milieu hospitalier. D’où la présence de Maurice Druelle, sans doute économe de l’hôpital ; les employés d’hôpitaux servant souvent de déclarants des actes de décès.

 

Reste une petite incohérence :

  • Le domicile : lieu où l'individu a son principal établissement, c'est-à-dire son habitation principale ; 
  • La résidence : en droit civil, c'est le lieu où l'individu se trouve en fait. Contrairement au domicile, la résidence se veut temporaire.


L’acte de décès dit qu’elle a son domicile (donc sa résidence permanente) à l’hôpital. Donc, soit c’est une erreur, soit elle vivait depuis suffisamment de temps pour n’avoir d’autre adresse.

 

Bref, Ursule s’est éteinte à l’hôpital de Coulommiers, âgée de 69 ans. Où était son mari ? Je l’ignore. Peut-être était-il déjà lui-même hospitalisé ? Ou pas.

Mais pas de meurtre, ça c’est sûr. Ou presque.

 

 

 

samedi 14 janvier 2023

Le cadastre de l'homme mort

Ce premier article de l’année sur le blog ne sera pas consacré (pour une fois) à ma généalogie, mais à celle du village de mes parents. Et, grâce à vous, j’espère résoudre un mystère : un propriétaire au cadastre mort depuis plusieurs années… (sic).

 

En effet, mon père s’est intéressé à l’histoire de sa maison, et par extension à celle du village. Pour vous situer, nous sommes en Limousin. Le village s’appelle Mercier Ferrier, dans la commune de Faux la Montagne (département de la Creuse). Entendons-nous bien, en Limousin un village désigne ce que l’administration appelle un hameau. Le chef lieu de la commune, où se situent notamment église et mairie (ici Faux la Montagne, donc), est désigné sous le terme vernaculaire de « bourg ». Le village de Mercier ne compte qu’une poignée de maisons.

Extrait du plan du cadastre "napoléonien", section C dite de Mercier Ferier 3ème feuille © AD23
Extrait du plan du cadastre "napoléonien", section C dite de Mercier Ferier 3ème feuille © AD23
 

Mon père s’est intéressé au cadastre. Ou plutôt « aux cadastres » :

  • Le premier, dit « napoléonien », érigé en 1834, contenant plan et états des sections. Il est consultable en ligne sur le site des archives départementales de la Creuse ;
  • Le deuxième date de 1882. Il n’y a pas de (nouveau) plan pour cette période. Les états des sections se divisent en un registre des propriétés bâties et un autre des propriétés non bâties. Le premier a été consulté en mairie, leur exemplaire du second a disparu.
  • Le troisième est de 1911. Toujours pas de plan (on continue d'utiliser ceux de 1834), mais la mairie a conservé les deux registres, bâti et non bâti.

 

Sur la totalité de la période (1834/1911), le village compte 23 bâtiments : maisons, masures, granges, moulins, écuries.

 

La maison de mes parents est issue de trois propriétés, chacune dites « maison écurie à cour ».

  • La parcelle C467 a appartenu en premier à « Brugère Pierre à Mercier ». Le bâtiment qui est construit dessus ne contient qu’une seule fenêtre (les portes ne semblent pas être comptabilisées). Il est classé dans la septième catégorie (la dernière), entraînant un revenu de 1,07 franc. La parcelle totale mesurait 84 m² ; si l’on se base sur la construction actuelle, on estime la maison à environ 42 m². Elle correspond au salon actuel de mes parents.
  • La parcelle C468 appartenait à « Nauche Antoine à Mercier ». Elle est similaire à la première : légèrement plus grande (91 m²), le bâtiment dispose de deux fenêtres, il est classée dans la même catégorie et dégage le même revenu. Il est estimé à 44 m². Elle correspond à la chambre actuelle et la cuisine de mes parents.
La salle de bain correspond à un ancien appentis (agrandi) appartenant à la C469. En face d’une petite cour se trouve le (futur) atelier de mon père : il déblaie actuellement une ruine qui correspond au grand bâtiment de la parcelle C469.
  • Cette parcelle C469 appartenait à « Chapelle Jean à Mercier ». C’est la plus vaste : 1,67 are. Classée elle aussi dans la septième catégorie, elle valait 1,14 franc et avait deux fenêtres. Sa petite bosse caractéristique sur le plan indique la présence d’un four à pain (ce qu’a confirmé l’exploration des ruines par mon père).

 

Extrait du plan du cadastre "napoléonien", section C dite de Mercier Ferier 3ème feuille © AM Faux
Extrait du plan du cadastre "napoléonien", section C dite de Mercier Ferier 3ème feuille © AM Faux


Afin de savoir qui étaient ces gens, je me suis intéressée aux familles : en croisant état civil, recensements, et éventuellement tables de successions ou registres matricules, j’ai établi leurs généalogies. C’est là que j’ai soulevé un loup. En effet, si Jean Chapelle est clairement identifié comme propriétaire de la C469 en 1834, il le reste jusqu’en 1928. Première bizarrerie : propriétaire en 1834, il serait né vers 1815 au minimum (je ne pense pas qu’il puisse être propriétaire avant ses 20 ans). Désigné ainsi jusqu’en 1928, cela le ferait âgé de plus d’une centaine d’années. Des recherches complémentaires étaient nécessaires pour éclaircir cela.

 

Pour ceux qui ne sont pas familiers des généalogies limousines, il faut savoir quelques éléments : d'abord tous les enfants se prénomment Léonard. S’ils ne s’appellent pas Léonard, ils s’appellent Léonarde, parce que c’est une fille. Bon, j’exagère, mais à peine.
Les homonymes sont très nombreux. Ainsi l’épouse de Jean Chapelle se nomme Marie Chapelle (les deux familles ne semblent pas avoir de liens, bien qu’elles portent le même patronyme). Ils ont nommé leurs trois filles Marie. L’une d’elle a épousé un Antoine Laluque et a nommé ses six filles Marie ! A la génération suivante je compte encore trois Marie supplémentaires.

Autre éléments récurrent de la généalogie limousine : le prénom de naissance on s’en fiche ! Ainsi dans les recensements j’ai trouvé un Antoine qui devient au fil des comptages Jean, ou bien un Léonard > Eugène et même une « Eugénie, fille » mutée en « Eugène, fils » au dénombrement suivant ! L’état civil est tout aussi fantaisiste : née Léonie en 1884, elle meurt Élise en 1888 ; née Jeanne en 1863, elle meurt Marguerite en 1864 ; né François en 1833, il meurt Léonard en 1835, etc…

Ah ! et, régulièrement les parents « oublient » de déclarer la naissance de leurs enfants : il faut alors passer par le tribunal pour établir un acte de notoriété. C’est le cas par exemple du second fils de Jean et Marie Chapelle né en 1823 mais jamais déclaré officiellement.

Bref, de jolis sacs de nœud et beaucoup de patience pour démêler tout ça.

 

Mais revenons à notre Jean Chapelle. J’ai retrouvé sa naissance, en 1767. Et son décès en 1840 ! Ce décès est confirmé par les tables de successions : ses héritiers sont ses enfants.

 

Donc comment Jean peut-il être déclaré propriétaire au cadastre jusqu’en 1928 alors qu’il est décédé dès 1840 ?

Avez-vous déjà rencontré ce cas ?

Je veux bien croire qu’un agent recenseur ne soit pas tout à fait rigoureux dans ses enregistrements, mais l’administration fiscale ?

Alors comment est-ce possible ?

 

Il va de soit qu’il n’y a pas d’autre Jean Chapelle (du moins officiellement), ni dans l’état civil, ni dans les recensements.

 

Pourtant le numéro de case est relativement petit (61), ce qui confirme son ancienneté. En effet, à partir du cadastre de 1882, chaque propriétaire dispose d'une fiche portant un numéro où sont regroupées toutes leurs possessions, appelée la « case » pour les propriétés bâties et le « folio » pour les non bâties. Les propriétaires déjà présents au cadastre précédent ont les premiers numéros de ces cases, tandis que les nouveaux propriétaires de cette fin du XIXème ont les numéros suivants, donc plus élevés (par exemple les derniers propriétaires dont le nom commence par un C indexés en 1882 ont des numéros autour de 350). D'après son numéro de case, ce propriétaire ne peut pas être un homonyme plus récent (il aurait alors un numéro dépassant la centaine).

 

Par ailleurs, le nouveau propriétaire de la parcelle C469 en 1928 est Léonard Fleitout (ou Eugène, ça dépend des jours)… qui se trouve être l’arrière petit fils de Jean Chapelle.
Filiation : Jean Chapelle > Marie Chapelle épouse Laluque > Marie Laluque épouse Fleitout > Léonard Fleitout fils.

 

Sur le cadastre de 1911, la case 125 a d’abord été attribuée à « Fleitout Léonard veuve à Mercier Ferrier » (c'est-à-dire Marie Laluque) avant d’échouer en 1921 à « Fleitout Léonard fils à Mercier Ferrier ». La C469 sort de la case appartenant à « Chapelle Jean à Mercier Ferrier » en 1928 pour entrer dans celle de Léonard Fleitout. Celui-ci l’a donc probablement hérité de son arrière grand père.

 

Sur les répertoires des formalités hypothécaires, Léonard Fleitout a bien une transaction en 1928, pour 23 315 francs, désignée sous le terme de « donation » (?). Je n’ai malheureusement pas plus d’information sur cette transaction, et notamment le propriétaire d’origine du bien.

 

J’ai pensé un temps qu’il y avait eu un changement de prénom d’usage, bien que je n’étais pas sûre que les prénoms d’usage puissent être employés dans le cadastre (mais bon, ils le sont bien dans l’état civil, alors…). Mais la transmission se fait par les filles : pas moyen de changer Marie en Jean (du moins j’espère).

 

Et vous savez quoi ? Le propriétaire de la C468 est, à partir de 1882, Antoine Ruby, petit fils par alliance du précédent propriétaire, Antoine Nauche. Il l’est toujours dans le cadastre de 1911… mais il est décédé en 1901 !

 

Bref, je cale. Si vous avez une explication pour ces mystérieux propriétaires fantômes, je suis preneuse.