Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT
Les rumeurs vont bon train à Samoëns. Non seulement Vincent
REY fréquentait la maison de Levy, comme c’était de notoriété publique, mais de
nombreux témoins ont aussi vu François JAY assez gravement blessé.
Meurtrissures, création personnelle inspirée d’A. Juillard
Le Sieur Jean François FERRIER, avait vu à plusieurs reprises
Vincent REY fréquenter la maison de François JAY, puisqu’elle n’était guère
éloignée de chez lui. Il le voyait depuis son jardin. Il y allait lors de l’après
dîner, indifféremment que François JAY fut absent ou qu’il fut dans la paroisse,
de nuit comme de jour. L’amitié que portait Vincent REY à ladite Françoise
GUILLOT femme dudit JAY était bien connue.
En outre, il avait entendu dire, une quinzaine de jours auparavant,
que François JAY se plaignait d’avoir des plaies, qu’il disait avoir été faites
par des coups de pied du cheval du Révérend chanoine CHOMETY. Il paraissait même
qu’il avait gardé le lit à cause de ces plaies pendant trois à quatre jours. Cependant
il ne l’avait pas vu lui même et ne se rappelait pas ceux qui le lui avait dit.
Le Sieur Michel ANDRIER se rappelait fort bien que le jour
de St François de Sales [24 janvier*] dernier, il vit sortir François JAY de
l’église, entre environ midi ou une heure, et que l’ayant salué il vit au front
qu’il avait une petite plaie ou une contusion. Mais il ne put pas bien l’observer
parce qu’il était éloigné de lui d’environ neuf à dix pas et qu’il s’occupait
d’autres affaires.
Nicolas BIORD, était un voisin des JAY mais ne les fréquentait
pas beaucoup parce que leur maison était un peu éloignée de la sienne. Il lui avait
cependant bien dit qu’il avait été malade parce qu’il avait gardé un cheval qui
l’avait renversé et maltraité et cela aux environs de la St François de Sales
passée. Mais il ne lui avait vu aucune plaie. Françoise GUILLOT sa femme aurait
été malade pendant ce temps là aussi, mais il ne l’avait pas vue : c’était
seulement un bruit publique. Lui-même n’avait rien su au sujet de sa maladie.
Il fallut attendre le témoignage de François SIMOND pour
avoir un peu plus qu’une rumeur.
Un jour de la semaine passée, sans se ressouvenir
positivement duquel, François JAY vint le trouver chez lui. Ayant su qu’il
avait de la fièvre, il venait s’informer de l’état de sa santé et segayir [s’égayer, de divertir] un peu
avec lui. « Je le remerciay de sa
politesse et luy dit que je ne pouvait point sortir que la fievre m’avais trop
fatigué. Il passa une partie de l’après midy avec moy. »
Vers les trois à quatre heures après midi, voyant que la Claudaz
Michelle BURNIER sa femme allait goûter, il l’invita à manger un morceau avec eux.
Il vit alors François JAY s’assoir avec beaucoup de peine sur un banc, qui était
cependant fort haut, et prendre le pain avec la main droite et le mettre entre
les genoux pour en couper. Il lui demanda pourquoi il ne se servait pas de la
main gauche et pourquoi il s’asseyait avec tant de peine. Il lui répondit qu’il
avait mal au bras gauche, de même qu’à la hanche gauche, qu’un cheval qu’il
avait emprunté au chanoine CHOMETTY l’avait extrêmement maltraité à coup de
pied. Il ne le questionna pas davantage sur ces coups mais il observa bien
qu’il avait encore une plaie ou une contusion au milieu du front, large comme
une belle faine.
Jean François VIOLLAT autre voisin de Levy avait aussi
rencontré François JAY blessé. Il lui avait expliqué qu’une dizaine de jour auparavant
il avait reçu un coup de pied du cheval de Monsieur CHOMETTY, qui l’embarrassait
bien. Sa femme lui avait aussi dit quelques jours avant, vers la St François de
Sales, que son mari était malade et qu’il gardait le lit. Il avait été le voir
sur les six heures du soir et l’avait trouvé effectivement couché. Lui
demandant ce qu’il avait François JAY lui avait répondu qu’il était un peu
malade, et que cela n’était rien. Il observait bien qu’il avait une contusion
au milieu du front de la grosseur d’une noisette et lui demanda ce qui l’avait
fait mal-là. Il répondit que c’était lui-même qui se l’était fait, par le moyen
d’une chute. Sur cette réponse, il se retira. Par contre, il ne vit pas si Françoise
GUILLOT sa femme avait une plaie au bras ou ailleurs.
Claudaz DUNOYER avait souvent travaillé comme journalière chez
François JAY pendant le courant de l’été et du printemps passé. Elle avait souvent
vu Vincent REY dans cette maison.
Quelques jours avant la St André [30 novembre] elle était à Cluses
et elle y avait rencontré le soldat Vincent REY. Il lui avait chargé de dire à
la Françoise GUILLOT de venir le trouver à Cluses. Si elle ne venait pas, il
viendrait mettre le feu à la maison, et la tuerait. Il lui fit voit un mouchoir
d’indienne bleu qu’il lui avait pris quelques temps auparavant et il voulait le
lui rendre. Et aux environs de la St André passée, la Claudine VUAGNAT servante
dudit JAY lui avait dit que le soldat était venu de Cluses, où il était de
quartier, chez ledit JAY. Sur quelques difficultés qu’ils avaient eues, ils
avaient fait fermer la porte mais le soldat était entré par la fenêtre de la cuisine. Il avait alors dégainé
son sabre et blessé la servante à une main lorsqu’elle avait fermé la porte du poile où elle avait voulu se retirer. Il
avait d’abord menacé de tous les tuer, et de tout saccager, et mais à la fin il s’était
adouci et était redevenu tranquille. Il était resté jusqu’à deux heures après
minuit, puis s’en était retourné à Cluses.
Quelques jours avant sa déposition, peut-être le vendredi
passé, Françoise GUILLOT lui fit voir une plaie qu’elle avait à la main gauche,
large d’un pouce et demi, près du petit doigt. Elle lui dit que cette plaie l’empêchait
de laver la lessive et lui demanda qu’elle lui fasse le plaisir d’y aller, mais
la journalière ne le pouvait pas.
Devant ces témoignages, le juge demanda à Me Noël DELACOSTE le
chirurgien s’il n’avait pas pansé et médicamenté ledit François JAY et
Françoise GUILLOT sa femme. « Il y a
plus de deux ans que je n’ay pas mis les pieds chez François JAY du village de
Levy, si ce n’est que pour médicamenter un cavalier du régiment de Séville qui
y était logé et qui y était malade. Je n’ay donné aucun remedes aux mariés JAY
ny pansé aucune playes. Et il y a comme je vous dit plus de deux ans que je
n’ay pas été appelé de leur part et ne leur ay donné aucun souin. »
Me Jean François DUSAUGEY, aussi chirurgien de la paroisse,
n’a pas été appelé dans cette maison-là depuis plus de six mois, ne leur a
fourni aucun remède et ne les a pas pansé. « Et, Seigneur, je n’y ay pas été depuis environ le mois de juin ou
juillet dernier pour y soigner sa femme dudit François JAY. Et il y a plus dune
année et demy que je n’ay pas vendu arssenis [arsenic] qui est la seule drogue
que jaye là en fait de poison, n’en ayant plus tenu depuis lors. Et je ne sache
pas que les mariés JAY aye été malade. »
Me Jean Baptiste BOEGEAT, maître chirurgien du bourg de
Taninges, avait vu le Révérend CHOMETTY aux environs du vingt cinq ou vingt six
janvier dernier, un des deux jours qui était un jeudi [jeudi 25 janvier**] et
qui était jour de marché à Taninges, vers les dix à onze heures du matin. Le Révérend
Sieur Nicolas CHOMETTY chanoine de la collégiale de Samoëns, qu’il connaissait
parfaitement pour être natif de sa paroisse, vint le trouver un peu enfarouché dans
sa boutique située au bourg de Taninges. Il lui demanda s’il n’avait point d’onguent.
« Quel ongan et pour le mettre sur
quoi ? » répondit le chirurgien. Le Révérend lui répliqua que
c’était un ami qu’il lui avait écrit et qu’il ne lui avait pas demandé quel
onguent précisément il voulait. « Il
sortit une lettre de sa poche sans me la montrer ny m’en faire la lecture. Et je
luy dit ensuite que je ne pourrais point donner d’ongan sans que je ne vis les
playes. Et il me dit que vous ne voulez pas m’en donner, je m’en vay ailleurs. »
Un petit moment après le chirurgien le vit passer à cheval.
Depuis, au vu des bruits publics, il pensait que le Révérend
était venu chercher chez lui cet onguent pour guérir les plaies qu’avait faites
le cavalier de Séville, tant à François JAY qu’à Françoise GUILLOT sa femme dans
le débat qu’ils devaient avoir eu lorsque celui-ci a été tué. D’autant que ce
François JAY avait été obligé de tenir le lit à l’occasion de ces plaies, ainsi
qu’il avait été rapporté au chirurgien, sans qu’il puisse dire précisément qui le
lui avait rapporté. Il parait d’autant plus probable que ce Révérend Sieur
CHOMETTY, suivant le même bruit public, était très bien avec ledit JAY et même
accusé de complicité de cet homicide. Mais le témoin reconnu cependant que ce
même bruit public n’avait pour fondement précisément que la fuite des mariés JAY
et du Révérend Sieur CHOMETTY, aussitôt qu’ils s’étaient aperçu que l’on avait découvert
le cadavre dans les bois de Bérouze.
* Ce n’est pas logique : François JAY ne peut être
blessé qu’après le 26 janvier (pas le 24). De même les soldats espagnols à la
recherche de leur déserteur sont venus à Samoëns le 26 et non pas quelques
jours avant la St François.
** Ce devait plutôt être le vendredi car le jeudi personne
n’était encore blessé.