« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

lundi 18 novembre 2024

O comme observations

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT


Après les déclarations de différents témoins et la visite faite au domicile des JAY, le juge avait cherché à en savoir plus sur les trous des vêtements, le couteau et les blessures du soldat. 

 

Observations, création personnelle inspirée d’A. Juillard
Observations, création personnelle inspirée d’A. Juillard


Il  présenta donc à Me Noël DELACOSTE le chirurgien la chemise d’homme qui avait sept coups de couteau : trois à la manche gauche (un sur le devant et deux sur le derrière du bras), deux au rein, un sur l’épaule, et l’autre un peu plus bas. Elle avait aussi deux boutonnières au bord du col et deux à chaque manche, dont l’une était rompue. Ladite chemise de toile mêlée était mouillée et ensanglantée en plusieurs endroits. Il présenta aussi des culottes de drap de pays de couleur minimes, qui avaient un coup de couteau sur la fesse gauche, avec un bouton jaune à la ceinture de la culotte. La ceinture était doublée d’une toile neuve ensanglantée du côté gauche, quatre boutons de la même étoffe, et des jarretières au bas des culottes.

 

Et après avoir fait enlever les cachets de l’étui à couteau de cuir, tendant sur le rouge au dessus, et au dessous couvert d’un cuir noir, de la longueur d’un pouce [2,5 cm], le juge somma ledit chirurgien de lui déclarer si le trou qui était plus près du bas de la chemise et celui qui était sur la culotte pouvaient avoir été faits du même coup. Et si tous les coups qui étaient dans la chemise et celui qui était dans la culotte avait été faits avec le même couteau. Et si ceux qu’il a observés dans la cuisse du cadavre de Vincent REY lors qu’il procéda à la visite le dimanche précédent avaient été faits avec la même arme. Comme encore si tous les coups pouvaient avoir été faits avec le couteau, auquel l’étui qu’il lui exhibait servait de gaine.

 

Le chirurgien confirma que le trou de la culotte et celui de la chemise avaient bien été faits du même coup, parce qu’ils étaient tous les deux à travers et qu’ils donnaient tous les deux sur le même endroit. « Et quoy que le troup quil y a dans la cullotte soit un peu plus large que celuy de la chemise, cela nempeche pas quil n’ayent été fait de la même arme ». En effet, la culotte étant plus près que la chemise du large de la lame, son trou devait aussi être plus large que celui de la chemise. De toute évidence, les trous étaient presque aussi larges que la gaine à couteau, ainsi que ceux observés dans la cuisse du cadavre de Vincent. En conséquence, le chirurgien conclut que tous les trous et les blessures devaient avoir été faits avec le couteau qui était dans l’étui.

 

Le juge prit l’avis d’un second chirurgien, Me Jean François DUSAUGEY. Il lui présenta à son tour les vêtements et le somma de déclarer s’il croyait que les coups avaient été fait avec la même arme et si celle-ci pouvait être le couteau qui devait entrer dans la gaine de cuir rouge qu’il lui montra. Le chirurgien pensa lui aussi que les trous avaient été faits avec une arme identique, bien qu’ils soient de largeurs différentes. « Cela n’oppere pas une difference d’arme, mais fait seulement qu’il y a des coups qui ont plus penetré les uns que les autres. »

 

 

 

samedi 16 novembre 2024

N comme nocif

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT

 

Avait-on tenté d’empoisonner le cavalier de Séville ?

C’est ce qu’ont semblé insinuer plusieurs témoins, comme le Sieur Jean François FERRIER, qui, le 11 février, discutait avec les nommés DELECHAUX et REVEL, de Cluses, au sujet de la mort du soldat. Le premier lui avait dit qu’il s’était trouvé à Scionzier avec Vincent REY le jour où celui-ci devait être parti sans autorisation. Il était en sa compagnie, dans la soirée, lorsque le soldat avait sorti de sa poche un morceau d’andouille et déclaré : « Voila une landouille que l’on m’a envoyé de Samoëns. Je voulais la mettre cuire mais mes camarades n’ont pas voulu. J’ai bien fait de suivre leur conseil car j’en a donné un morceau à un chat qui est crevé sur le champ. Mais il faut que ceux qui me l’ont envoyé me la payent avant que ce soit demain matin. »

 

Nocif, création personnelle inspirée d’A. Juillard et A.Quin
Nocif, création personnelle inspirée d’A. Juillard et A.Quin

 

L’Honorable Jean François MERMIN, de Scionzier, avait lui aussi confirmé l’histoire de l’andouille empoisonnée. C’était quelques jours après les fêtes de Noël : on avait envoyé au soldat une andouille de Samoëns, qu’il n’avait pas voulu manger parce qu’il avait craint qu’il y eut quelques choses de mauvais dedans. « Mais il ne m’a pas dit qu’il en avait donné à un chat et qu’il en fut crevé et qu’il l’avait enterré ». 

 

Par ailleurs, Jean François MERMIN avait bien connu le soldat Vincent REY du régiment de Séville, parce qu’il logeait chez lui lorsque la compagnie était de quartier à Scionzier. Un soir, sans se ressouvenir duquel, sur environ les sept à huit heures, il lui dit qu’il ne venait pas coucher à la maison, parce qu’il allait être de garde à l’écurie. Il sortit effectivement enveloppé dans son manteau. Il vit alors un petit couteau qui se mettait dans une gaine dont la lame pouvait avoir quatre à cinq pouces de long [10 à 12,5 cm], ne coupait que d’un côté, était pointu et dont la lame pouvait être large d’un pouce auprès du manche, qui était de corne de cerf. Il a assuré pouvoir reconnaître le couteau s’il le voyait mais, hélas, non pas la gaine que le soldat avait refaite entre temps, car celle qu’il avait auparavant étant entièrement gâtée.

 

L’enquête n’a pas pu en savoir d’avantage sur cet épisode. Mais peut-être avait-il augmenté le ressentiment du soldat Vincent REY et nourri sa colère contre les JAY ?

 

 

 

vendredi 15 novembre 2024

M comme meurtrissures

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT

 

Les rumeurs vont bon train à Samoëns. Non seulement Vincent REY fréquentait la maison de Levy, comme c’était de notoriété publique, mais de nombreux témoins ont aussi vu François JAY assez gravement blessé.

 

Meurtrissures, création personnelle inspirée d’A. Juillard
Meurtrissures, création personnelle inspirée d’A. Juillard

 

Le Sieur Jean François FERRIER, avait vu à plusieurs reprises Vincent REY fréquenter la maison de François JAY, puisqu’elle n’était guère éloignée de chez lui. Il le voyait depuis son jardin. Il y allait lors de l’après dîner, indifféremment que François JAY fut absent ou qu’il fut dans la paroisse, de nuit comme de jour. L’amitié que portait Vincent REY à ladite Françoise GUILLOT femme dudit JAY était bien connue.

En outre, il avait entendu dire, une quinzaine de jours auparavant, que François JAY se plaignait d’avoir des plaies, qu’il disait avoir été faites par des coups de pied du cheval du Révérend chanoine CHOMETY. Il paraissait même qu’il avait gardé le lit à cause de ces plaies pendant trois à quatre jours. Cependant il ne l’avait pas vu lui même et ne se rappelait pas ceux qui le lui avait dit.

 

Le Sieur Michel ANDRIER se rappelait fort bien que le jour de St François de Sales [24 janvier*] dernier, il vit sortir François JAY de l’église, entre environ midi ou une heure, et que l’ayant salué il vit au front qu’il avait une petite plaie ou une contusion. Mais il ne put pas bien l’observer parce qu’il était éloigné de lui d’environ neuf à dix pas et qu’il s’occupait d’autres affaires.

 

Nicolas BIORD, était un voisin des JAY mais ne les fréquentait pas beaucoup parce que leur maison était un peu éloignée de la sienne. Il lui avait cependant bien dit qu’il avait été malade parce qu’il avait gardé un cheval qui l’avait renversé et maltraité et cela aux environs de la St François de Sales passée. Mais il ne lui avait vu aucune plaie. Françoise GUILLOT sa femme aurait été malade pendant ce temps là aussi, mais il ne l’avait pas vue : c’était seulement un bruit publique. Lui-même n’avait rien su au sujet de sa maladie.

 

Il fallut attendre le témoignage de François SIMOND pour avoir un peu plus qu’une rumeur.

Un jour de la semaine passée, sans se ressouvenir positivement duquel, François JAY vint le trouver chez lui. Ayant su qu’il avait de la fièvre, il venait s’informer de l’état de sa santé et segayir [s’égayer, de divertir] un peu avec lui. « Je le remerciay de sa politesse et luy dit que je ne pouvait point sortir que la fievre m’avais trop fatigué. Il passa une partie de l’après midy avec moy. »

Vers les trois à quatre heures après midi, voyant que la Claudaz Michelle BURNIER sa femme allait goûter, il l’invita à manger un morceau avec eux. Il vit alors François JAY s’assoir avec beaucoup de peine sur un banc, qui était cependant fort haut, et prendre le pain avec la main droite et le mettre entre les genoux pour en couper. Il lui demanda pourquoi il ne se servait pas de la main gauche et pourquoi il s’asseyait avec tant de peine. Il lui répondit qu’il avait mal au bras gauche, de même qu’à la hanche gauche, qu’un cheval qu’il avait emprunté au chanoine CHOMETTY l’avait extrêmement maltraité à coup de pied. Il ne le questionna pas davantage sur ces coups mais il observa bien qu’il avait encore une plaie ou une contusion au milieu du front, large comme une belle faine.

 

Jean François VIOLLAT autre voisin de Levy avait aussi rencontré François JAY blessé. Il lui avait expliqué qu’une dizaine de jour auparavant il avait reçu un coup de pied du cheval de Monsieur CHOMETTY, qui l’embarrassait bien. Sa femme lui avait aussi dit quelques jours avant, vers la St François de Sales, que son mari était malade et qu’il gardait le lit. Il avait été le voir sur les six heures du soir et l’avait trouvé effectivement couché. Lui demandant ce qu’il avait François JAY lui avait répondu qu’il était un peu malade, et que cela n’était rien. Il observait bien qu’il avait une contusion au milieu du front de la grosseur d’une noisette et lui demanda ce qui l’avait fait mal-là. Il répondit que c’était lui-même qui se l’était fait, par le moyen d’une chute. Sur cette réponse, il se retira. Par contre, il ne vit pas si Françoise GUILLOT sa femme avait une plaie au bras ou ailleurs.

 

Claudaz DUNOYER avait souvent travaillé comme journalière chez François JAY pendant le courant de l’été et du printemps passé. Elle avait souvent vu Vincent REY dans cette maison.

Quelques jours avant la St André [30 novembre] elle était à Cluses et elle y avait rencontré le soldat Vincent REY. Il lui avait chargé de dire à la Françoise GUILLOT de venir le trouver à Cluses. Si elle ne venait pas, il viendrait mettre le feu à la maison, et la tuerait. Il lui fit voit un mouchoir d’indienne bleu qu’il lui avait pris quelques temps auparavant et il voulait le lui rendre. Et aux environs de la St André passée, la Claudine VUAGNAT servante dudit JAY lui avait dit que le soldat était venu de Cluses, où il était de quartier, chez ledit JAY. Sur quelques difficultés qu’ils avaient eues, ils avaient fait fermer la porte mais le soldat était entré par la fenêtre de la cuisine. Il avait alors dégainé son sabre et blessé la servante à une main lorsqu’elle avait fermé la porte du poile où elle avait voulu se retirer. Il avait d’abord menacé de tous les tuer, et de tout saccager, et mais à la fin il s’était adouci et était redevenu tranquille. Il était resté jusqu’à deux heures après minuit, puis s’en était retourné à Cluses.

Quelques jours avant sa déposition, peut-être le vendredi passé, Françoise GUILLOT lui fit voir une plaie qu’elle avait à la main gauche, large d’un pouce et demi, près du petit doigt. Elle lui dit que cette plaie l’empêchait de laver la lessive et lui demanda qu’elle lui fasse le plaisir d’y aller, mais la journalière ne le pouvait pas. 

 

Devant ces témoignages, le juge demanda à Me Noël DELACOSTE le chirurgien s’il n’avait pas pansé et médicamenté ledit François JAY et Françoise GUILLOT sa femme. « Il y a plus de deux ans que je n’ay pas mis les pieds chez François JAY du village de Levy, si ce n’est que pour médicamenter un cavalier du régiment de Séville qui y était logé et qui y était malade. Je n’ay donné aucun remedes aux mariés JAY ny pansé aucune playes. Et il y a comme je vous dit plus de deux ans que je n’ay pas été appelé de leur part et ne leur ay donné aucun souin. »

 

Me Jean François DUSAUGEY, aussi chirurgien de la paroisse, n’a pas été appelé dans cette maison-là depuis plus de six mois, ne leur a fourni aucun remède et ne les a pas pansé. « Et, Seigneur, je n’y ay pas été depuis environ le mois de juin ou juillet dernier pour y soigner sa femme dudit François JAY. Et il y a plus dune année et demy que je n’ay pas vendu arssenis [arsenic] qui est la seule drogue que jaye là en fait de poison, n’en ayant plus tenu depuis lors. Et je ne sache pas que les mariés JAY aye été malade. »

 

Me Jean Baptiste BOEGEAT, maître chirurgien du bourg de Taninges, avait vu le Révérend CHOMETTY aux environs du vingt cinq ou vingt six janvier dernier, un des deux jours qui était un jeudi [jeudi 25 janvier**] et qui était jour de marché à Taninges, vers les dix à onze heures du matin. Le Révérend Sieur Nicolas CHOMETTY chanoine de la collégiale de Samoëns, qu’il connaissait parfaitement pour être natif de sa paroisse, vint le trouver un peu enfarouché dans sa boutique située au bourg de Taninges. Il lui demanda s’il n’avait point d’onguent. « Quel ongan et pour le mettre sur quoi ? » répondit le chirurgien. Le Révérend lui répliqua que c’était un ami qu’il lui avait écrit et qu’il ne lui avait pas demandé quel onguent précisément il voulait. « Il sortit une lettre de sa poche sans me la montrer ny m’en faire la lecture. Et je luy dit ensuite que je ne pourrais point donner d’ongan sans que je ne vis les playes. Et il me dit que vous ne voulez pas m’en donner, je m’en vay ailleurs. » Un petit moment après le chirurgien le vit passer à cheval.

Depuis, au vu des bruits publics, il pensait que le Révérend était venu chercher chez lui cet onguent pour guérir les plaies qu’avait faites le cavalier de Séville, tant à François JAY qu’à Françoise GUILLOT sa femme dans le débat qu’ils devaient avoir eu lorsque celui-ci a été tué. D’autant que ce François JAY avait été obligé de tenir le lit à l’occasion de ces plaies, ainsi qu’il avait été rapporté au chirurgien, sans qu’il puisse dire précisément qui le lui avait rapporté. Il parait d’autant plus probable que ce Révérend Sieur CHOMETTY, suivant le même bruit public, était très bien avec ledit JAY et même accusé de complicité de cet homicide. Mais le témoin reconnu cependant que ce même bruit public n’avait pour fondement précisément que la fuite des mariés JAY et du Révérend Sieur CHOMETTY, aussitôt qu’ils s’étaient aperçu que l’on avait découvert le cadavre dans les bois de Bérouze.

 

 

 

* Ce n’est pas logique : François JAY ne peut être blessé qu’après le 26 janvier (pas le 24). De même les soldats espagnols à la recherche de leur déserteur sont venus à Samoëns le 26 et non pas quelques jours avant la St François.

** Ce devait plutôt être le vendredi car le jeudi personne n’était encore blessé.