« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

samedi 23 novembre 2024

T comme tourment

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT

 

L’Honorable Claude DUNOYER DUPRAZ était parti de Samoëns au début du mois de mars, avec Monsieur GUILLOT Procureur en Tarentaise, frère de Françoise GUILLOT femme de François JAY. Ils étaient arrivés le mercredi suivant dans un cabaret du bourg de St Maurice [Suisse] qui est sous l’enseigne « au lieu de Valais ». Et là étant, il apprit que François JAY et Françoise GUILLOT étaient à Bex [Suisse], ville éloignée du bourg de St Maurice d’environ une heure de chemin.

Il se rendit à Bex, et lorsqu’il les trouva il leur dit que Monsieur GUILLOT les attendait au bourg de St Maurice. Il venait pour leur donner des nouvelles de leurs effets et prendre une procuration pour l’administration de leurs biens.

Alors qu’il les abordait, ils lui dirent que lorsqu’on avait découvert le cadavre de Vincent REY, cavalier dans le régiment de Séville, ils s’étaient sauvés dans la crainte qu’ils fussent que la troupe ne se saisir de leurs personnes. François JAY ajouta qu’il revenait dessus ses pas, et qu’il était même parvenu jusqu’à Taninges, animé par l’empressement de voir comme les choses allaient. Mais ayant trouvés Messieurs CHOMETTY, le Révérend et son frère, ils lui conseillèrent de rebrousser chemin, et il s’en retourna en Valais.

Lorsqu’ils furent tous ensemble dans le cabaret « au lieu de Valais », François JAY conta naturellement à son beau frère GUILLOT comment les affaires s’étaient passées, les tourments qu'il avait subi.

 

Tourment, création personnelle inspirée de Van Ostade
Tourment, création personnelle inspirée de Van Ostade


Monsieur GUILLOT, frère de ladite Françoise GUILLOT, leur conseilla de rester au pays de Valais jusqu’à ce que la procédure fût finie. Il ajouta même que François JAY serait consigné en prison dès que la formalité serait finie. 

François JAY dit encore qu’il avait reçu treize coups, desquels il en fit apercevoir plusieurs au bras et un à la cuisse qui le faisait boiter encore, et qui peut-être le laissera indisposé pendant sa vie entière. Le Révérend Sieur CHOMETTY lui avait donné une boîte d’onguent avec lequel il avait pansé ses plaies, sans que ce Révérend ne lui eut dit qui lui avait donné cet onguent. Françoise GUILLOT ajouta que la Claudine VUAGNAT leur servante avait reçu deux coups, sans avoir dit si c’étaient des coups de sabre ou de stylet, ni à quel endroit elle les avait reçu. Sitôt qu’elle les eut reçus, elle s’était allée cachée au poile.

 

Ce n’était pas la première fois que le cavalier venait ainsi chez les JAY. Une nuit de l’automne précédant, il était venu de Cluses ou de Scionzier son quartier, sur les onze heures. Il était entré par la fenêtre après l’avoir cassée. S’en étant aperçu Françoise GUILLOT s’était sauvée et cachée. Le cavalier, ne la voyant pas, excéda la servante d’un coup de sabre sur la main et lui donna divers coups contre la poitrine. Ensuite il prit du feu avec de la paille et feignit de vouloir l’allumer entre la maison et le grenier, sans doute pour qu’elle dise où était sa maîtresse. Mais ne cédant pas, le cavalier se retira.

Le cavalier avait aussi ordonné à Françoise GUILLOT, quelques temps avant la St André, d’aller à la foire de Cluses, qui avait lieu le lendemain de cette fête. N’ayant pas voulu y aller, elle avait envoyé sa servante. Ayant rencontré ce cavalier, apprenant que Françoise GUILLOT n’était pas venue, il lui avait dit, très en colère : « Vous faitte bien les fiers par la haut, il fautque jy monte pour vous tuer et vous bruler ».

 

 

 

 

vendredi 22 novembre 2024

S comme servantes

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT

 

Le matin du vingt six janvier, l’Honorable Claude JAY, cousin au troisième degré et voisin immédiat de François JAY au village de Levy, vit que Claudine VUAGNAT la servante, qui mettait dans la grange de François JAY un traîneau. Celui-ci avait une branche rompue. Lorsqu’il le lui fit remarquer, elle lui dit : « c’est mon maître qui at gaté ce trainaux hier en apportant, de Taninge, des raves pour le Révérend CHOMETTY. »

Claude JAY était bien chez lui la nuit précédente, mais il ne s’aperçu pas que l’on fit le moindre bruit dans la maison de son cousin, ni même que l’on en sortit aucun cadavre ni autre chose pendant la nuit, ni qu’aucun traîneau ne fut conduit de la maison par le chemin d’en haut allant aux Bérouze. 

 

Servantes, création personnelle inspirée d’A. Juillard
Servantes, création personnelle inspirée d’A. Juillard


Si les JAY entretenaient une servante à demeure, la Claudine VUAGNAT aussi accusée, ils faisaient aussi appel à du personnel occasionnel. C’était le cas de Marie Michel PELLISIER, journalière chez Nicolas GUILLOT qui battait le blé depuis la St André [30 novembre], par exemple. Le samedi matin 10 février Jeanne Antoine VUAGNAT femme dudit GUILLOT lui ordonna d’aller laver la lessive à François JAY son beau fils.

Ce qu’elle fit, bien sûr. Vers les dix heures du matin, Françoise GUILLOT femme JAY lui dit : « Allé toujours, la servante et vous, laver la lessive. Je men vay faire un tour, je reviendray pour apporter a goutter. » Marie PELISSIER s’y rendit donc avec la Claudine VUAGNAT la servante de la maison. Et un moment après la Jotte [Josette] PIN femme de Claude SAUGE vint laver avec elles.

En effet, Françoise GUILLOT le lui avait demandé. Comme elle n’avait pas de liaison avec elle, elle ne voulait pas y aller, mais sur son insistance, la jeune femme s’y résolut. Françoise GUILLOT prit le chemin du bourg en lui disant qu’elle allait vers le pont de Clevieux. On ne la revit plus, bien que les servantes restèrent jusqu’à trois heures environ à laver la lessive.

 

Vers les deux heures, quand elles eurent fini de laver, elles retournèrent à la maison JAY, mais elles n’y trouvèrent ni Françoise GUILLOT ni les enfants.

Elles allèrent étendre la lessive dans la loge [galerie en bois placée, comme un balcon, sur la face la mieux exposée d'une maison] qui est devant de la maison. C’est là que Josette PIN fit observer à Marie PELISSIER une chemise de femme et une d’homme qui étaient toutes ensanglantées. Marie PELLISIER remarqua que celle d’homme était fendue sur le devant et entre les deux épaules. Un moment après la PIN lui fit observer une paire de culottes qui étaient sur une planche au soleil et toute ensanglantée.

Elles demandèrent à la servante des JAY « de quel mal guerissait ces chemises ». Celle-ci répondit : « Laisse les, quelles craivent ».

Elle ajouta quand même que François JAY et Françoise GUILLOT avaient été malades quelques temps auparavant, sans leur dire de quelle maladie il s’agissait. Effectivement Josette PIN avait vu que Françoise GUILLOT avait une plaie à la main au dessus du petit doigt, bien qu’elle ne se souvenait pas dans quelle main. Elle ne lui avait pas demandé comment elle s’était fait mal.

 

Après avoir étendu la lessive Marie PELISSIER retourna chez Nicolas GUILLOT son maître où elle trouva les deux enfants JAY. Mais elle ne s’informa pas de qui les y avaient portés ni de ce que la Françoise GUILLOT était devenue. 

 

Le 15 février elle fut auditionnée par le juge DELAGRANGE qui lui présenta une paire de culottes de toile en drap de pays couleur minime, ainsi que deux chemises, l’une d’homme et l’autre de femme. Il lui demanda si c’était les mêmes linges ensanglantés qu’elle avait vu dans le logis JAY et s’ils appartenaient aux mariés JAY. La servante répondit c’étaient bien les mêmes que ceux qu’elle avait vu le jour de la lessive. Elle les reconnaissait aux taches de sang, aux endroits où elles étaient situées, aux boutons, à l’étoffe de drap de pays et la façon. Par contre elle ne savait pas si ces linges appartenaient aux mariés JAY car elle ne leur avait jamais vu porter. 

 

Josette PIN confirma ce qu’avait dit Marie Michel PELLISIER au juge et identifia aussi les linges qui lui furent présentés.

 

Plusieurs personnes croisèrent Claudine VUAGNAT qui se lamentait, comme l’Honorable Jeanne GAUDY veuve de Charles JAY qui l’avait rencontré le samedi 10 février, toute désolée, qui disait : « Hé mon Dieu nous sommes tous perdus ». Entendant cela, elle lui demanda ce qu’il y avait. Elle répondit qu’il n’y avait que trop. Elle se chargea ensuite avec sa mère de deux trousses de linges et se retirèrent toutes les deux. 

 

L’Honorable François Joseph JAY, maçon âgé dix neuf ans, ne la vit pas partir mais quand il la croisa ainsi troublée et la questionna, elle répondit qu’elle ne pouvait le dire mais cependant qu’il y avait bien du mal.

 

Les jours passaient et Claudaz Françoise PARCHET s’inquiétait du sort de sa fille. Le bruit public la disait en Valais. Or, vers la fin du mois de février, elle apprit que François SIMOND allait s’y rendre accompagné de Jean François BURNIER qui se rendait sur un chantier qu’il avait à Bex. Elle vint le rejoindre et le chargea de s’informer de ce que faisait Claudine VUAGNAT sa fille en Valais. Celui-ci accepta la commission. Arrivé au bourg de St Maurice, il s’informa où il pourrait rencontrer la servante. Et ayant appris qu’elle était dans un moulin qui était à côté du bourg, il s’y rendit. L’ayant trouvé il lui dit : « votre mere m’at chargé de vous voir et de minformer de ce que vous fesiez dans ce pays ». L’ayant remercié, elle lui demanda ce que l’on disait à Samoëns. Il lui répondit : « Hé là ! on dit que le cavalier a été tué chez François JAY ». Ce qu’elle nia. Mais il lui répliqua que c’était inutile de nier parce que l’on n’en accusait pas d’autre et que d’ailleurs ils ne se seraient pas sauvés comme cela les uns et les autres.

C’est alors qu’elle lui en fit l’aveu. Elle fit le récit des événements tel que Jean François BURNIER le rapporta au juge mage RAMBERT qui l’auditionna le vingt neuf mars mil sept cent quarante huit, à Bonneville dans sa chambre d’étude et maison d’habitation…

 

 

 

jeudi 21 novembre 2024

R comme relevé

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT

 

Joseph BIORD notaire collégié de Samoëns, suite à la demande de Monsieur PRESSET substitut de l’avocat fiscal de le commettre pour procéder à l’annotation des meubles, immeubles, effets et bestiaux de François JAY et de la Françoise GUILLOT mariés, s’attela à la tache. Il devait en outre procéder à la vente de leurs meubles et bestiaux. L’avant-veille, les biens lui avaient été officiellement remis par Me Jean François GUILLOT frère et beau frère des mariés JAY. 

 

Relevé, création personnelle inspirée de Van Ostade
Relevé, création personnelle inspirée de Van Ostade

Il se transporta donc avec Me Pierre GERDIL, représentant le fisc, et accompagné de Jean Pierre SIMOND et de Jean François RUIN, pris pour témoins, depuis le bourg de Samoëns où il demeurait jusqu’au lieu de Levy où étaient situées les maisons et biens des JAY. Là, il procéda à l’annotation des biens, qui consistaient ainsi :

  • Premièrement une maison, composée de deux chambres, une grange, une écurie, le tout situé à Levy, avec un jardin au dessous un grenier et un verger contigu, contenant un demi journal [surface labourable par un homme en un jour] ;
  • Cinq pièces de terre situées à Lachat, aux Esserts, aux Fates, etc…
  • Plus une grange et une écurie au lieu de Lachat et un pré verger contenant un journal et demi.
  • S’ensuivirent les biens qui étaient situés rière les territoires des Rosses et de Lattey [le Latay] qui étaient dans des endroits très éloignés et dans des lieux de montagne et presque inaccessibles à cause de la grande quantité de neige « ce qui nous ayant empeché de nous y transporter, je me les suis fait indicquer par des voisins desdits biens ». Il vérifia ensuite sur la mappe [cadastre] de la paroisse comment ils étaient situés. Il s’agissait de prés et pacquages ou de bois et broussailles. Soit 7 parcelles.
  • Plus encore audit lieu de Lattey une grange, une écurie et une chambre faisant feu [pièce avec une cheminée].

Carte de Samoëns et ses environs

« Ce sont tous les biens appartenant audit François JAY ». Il ne fit pas l’annotation des bestiaux, meubles et effets des mariés JAY et GUILLOT parce qu’une requête avait été présentée à Monsieur le juge mage par Nicolas GUILLOT père et beau père des mariés JAY.

 

En effet Nicolas GUILLOT avait rédigé une requête pour que les biens de sa fille et de son beau-fils ne soient pas vendus aux enchères au profit du fisc « pour sureté des frais de justice auxquels les susnommés pourraient être condamnés ». Il fit valoir que leur fuite n’avait eu lieu qu’à cause de la crainte de tomber entre les mains de la troupe qui avait formé le soupçon contre eux.

Et qu’en général, suite à une telle annotation, la vente des meubles bestiaux et autres effets s’expédiaient ordinairement à vil prix. C’est pourquoi le suppliant, autant animé par des sentiments de charité que par le lien du sang, s’était déterminé à se rendre caution du prix que pourraient se monter les susdits meubles et effets suivant l’estimation qu’en serait faite par l’expert juré de la paroisse de Samoëns.

 

Vu qu’il était notoire dans Samoëns et alentours que le suppliant était solvable au-delà du prix auquel pourraient revenir les meubles bestiaux et effets appartenant aux mariés JAY, le substitut avocat fiscal émit un avis favorable pour qu’il se porte caution. Néanmoins à cause des charges qui incombaient au notaire commis pour l’annotation il accorda la somme de cent livres pour être employée à donner un cours aisé à la procédure. La somme devant ensuite être déposée par ledit Sieur commissaire entre les mains du greffier de la judicature mage, moyennant reçu de la part de ce dernier.

« Bonneville ce second mars mil sept cent quarante huit
Signé par Monsieur PRESSET substitut avocat fiscal
 »

 

Le même jour le juge mage, vu les conclusions du substitut avocat fiscal, accepta que le suppliant soit regardé comme caution. Me BIORD fut autorisé à poursuivre l’estimation des meubles, effets, bestiaux.

 

« État des meubles, bestiaux et effets portés par l’inventaire pris par Me DESSAUGEY avec l’estime de chaque espèce faitte par Honorable Guillaume SIMOND expert juré de la paroisse de Samoëns. »

Le bétail (des vaches, dont « une vache d’environ sept veaux », une génisse de deux ans, un veau, un cochon et trois brebis) fut estimés à 153 livres. Le linge (drap, couverte, tours de lits…) et vêtements (chemise, veste, bas, jupe…) souvent usés et de peu de valeur, furent évalués à 13,8 livres. La vaisselle, ustensiles et ornements (chaudron, pot, tour à filer, « tableau à cadre de noyer représentant la figure du St Esprit »…) valaient 8,9 livres. Les outils (haches, pioche, cardes à carder la laine…) 3,2 livres. Le mobilier (coffres de sapin ou de bois dur) 5,1 livres*. Les récoltes (chanvre, avoine, pois, « prune et cerises séchées ») 21,4 livres.

Soit un total de deux cents huit livres deux sols, « sauf erreur de calcul »**.

 

 

 

 

* Ni table ou chaises ne sont mentionnées, de même qu'aucun lit (alors que draps et couvertures sont décrits). Il devait pourtant bien y en avoir...

** Bon, l’addition que j’en fais donne un résultat de 205,40 livres. Il doit donc bien y avoir une erreur de calcul !

 

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Pour en savoir plus
Les confiscations

Elles sont codifiées dans les Royales Constitutions de la façon suivante :


« La confiscation des biens aura non seulement lieu dans les cas où elle est imposée par nos Constitutions ou par le Droit commun ; mais encore pour raison de la contumace dans tous les délits pour lesquels on prononcera une Sentence de mort ou des galères perpétuelles.

Lorsqu'il y aura lieu à la confiscation pour raison de la contumace, Nous voulons que si les accusés sont arrêtés dans le terme de six mois après la publication & intimation des Arrêts, ou s'ils comparaissent volontairement dans celui de deux ans, ils puissent recouvrer la propriété de leurs biens avec les fruits ; mais s'ils font arrêtés après les six mois, ils recouvreront seulement la propriété, & si on les arrête, on qu'ils comparaissent après les deux ans, ils ne pourront recouvrer ni la propriété ni les fruits.

Dès qu'on aura fait la réduction des biens confisqués, on le notifiera par cri public à son de trompe, ou de tambour, ou d'autre instrument équivalent, devant la porte du Tribunal où la Sentence a été rendue. »