« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

jeudi 28 août 2025

Port d'arme prohibée

Dans la série « mes ancêtres sont de petits délinquants » je vous présente aujourd’hui François Jean Antoine Astié. Dans sa fratrie plusieurs ont un casier, comme son frère Benoît, le gentil vaurien dont j’ai déjà eu l’occasion de parler sur ce blog. Certains ayant été condamnés pour des délits mineurs, leurs sentences ont été ensuite effacées. C’est le cas de François.

 

François est né en 1884. D’Angers (49), il arrive à Ivry (94) vers 1905/1906 où il rejoint ses parents et plusieurs de ses frères (tandis que d’autres membres de la fratrie sont restés à Angers comme mon arrière-grand-père). Il est alors un jeune marié et père d’une fillette. Il sera successivement ouvrier de fabrique, garçon maçon, journalier. Son niveau de vie reste très modeste toute sa vie. Jusqu’en 1921 ce sont au total 10 enfants qui se succèdent dans le foyer familial, mais seul deux d’entre eux passeront leur 8 ans (la majorité n’atteignant même pas leur deuxième année). 

Ajourné plusieurs fois lors de l’appel militaire, il est finalement classé dans les services auxiliaires en 1907. Motif : faiblesse générale. Mais en 1914 la situation change. Devant la pression et le besoin de soldats, une commission de réforme le déclare apte au service et il rejoint l’infanterie en janvier 1915. Il fait toute la guerre, notamment sur le front d’Orient. Il est blessé deux fois et reçoit une citation à l’ordre du Régiment : « Bon soldat ayant toujours eu une belle conduite au feu, a été blessé deux fois dans l’accomplissement de son devoir ». En 1927 il recevra la Médaille d’Orient. Après-guerre il s’installe probablement un temps avec sa mère veuve (ainsi que son épouse et ses enfants) au 68 rue Clisson à Paris 13ème (1918/1921). Avant de revenir à Ivry (1923/1926).

 

C’est sans doute rue Clisson qu’il fait la connaissance d’Alexandre André Battin. Celui-ci, un peu plus jeune que lui (il est né en 1888), est journalier, père de deux enfants dont la mère est décédée en 1915. C’est un mauvais garçon. En 1905 et 1908 il a été condamné pour vol (respectivement à 15 jours de prison puis 6 mois). Ce genre de vaurien, l’armée les envoie direct dans un Bataillon d’Afrique. Mais cela ne l’a pas calmé : blessé en 1917, pour la troisième fois, il s’évade de l’hôpital où il était soigné en mai. Aussitôt déclaré déserteur, il est arrêté en septembre… et s’évade le jour même de son arrestation de la gendarmerie où il avait été conduit ! Au bout de trois mois et demi, il rentre volontairement, mais ne peut éviter le conseil de guerre (mai 1918), où il est condamné pour 5 ans de travaux public pour outrage à supérieur pendant le service, rébellion avec arme, double désertion en temps de guerre et vol. Il est écroué en juillet 1918 au pénitencier militaire de Bonnet (division d’Oran), mais finalement libéré grâce à une loi d’amnistie en novembre 1919. 

C’était néanmoins un soldat farouche, qui a reçu une citation à l’ordre du bataillon en 1916 : « toujours volontaire pour les missions les plus dangereuses, est resté dans une tranchée avancée pour observer le tir de notre artillerie au cours des combats du 26 septembre au 3 octobre 1916 sous un violent bombardement ». Rendu à la vie civile, la mauvaise graine n’a pas fini de faire parler de lui : en 1920 il reprend 6 mois prison pour coups et blessures volontaire, violences, voies de fait et rébellion aux agents.

 

C’est pendant cette période qu’il fait la connaissance de François. Ils sont suffisamment liés d’amitié pour qu’Alexandre soit le témoin de la naissance du dernier enfant de François, né en 1921 au 68 rue Clisson. Et en 1923 ils sont conduits tous les deux devant le tribunal pour port d’armes prohibées

 

Extrait du jugement © AD75 via FDA75

 

L’audience publique a lieu de 7 mai 1923, devant la onzième chambre du tribunal de première instance du département de la Seine. Elle est présidée par M. Mayet, accompagné des juges Claude et Camus. Sont également présents, le substitut Fremicourt et le greffier Cartier. Plusieurs affaires sont jugées ce jour-là, essentiellement des ports d’armes prohibées, comme pour nos deux compères. Le premier qui est jugé a de la chance : après examen, l’arme trouvée en sa possession (un couteau), ne rentre finalement pas dans la catégorie de celles qui sont prohibées ; il est acquitté. Le second était porteur d’un « couteau Laguiolle » : 25 francs d’amende. Le troisième et le quatrième, 50 francs. Puis vient le tour de nos deux larrons.

 

Revoyons les faits : le 28 janvier 1923 à Paris, Battin et Astié ont été trouvés porteurs hors de leur domicile et sans motif légitime, savoir : Battin d’un poignard et Astié d’un revolver, armes prohibées.

Des poursuites sont engagées à leur encontre, sans doute par le Procureur de la République, pour infraction à la loi du 24 mai 1834 relative aux détenteurs d'armes (art. 1er et suivants), telle que modifiée par les mesures d'ordre public prises durant la guerre.

Les prévenus ne sont pas présents le jour de l’audience, et n’ont sans doute pas engagé un avocat pour les représenter. Ils seront donc condamnés par défaut.

Dans ce cas, si les prévenus le souhaitaient, ils pouvaient conserver la possibilité de faire opposition au jugement dans un délai déterminé (généralement 5 jours à l’époque pour un tribunal correctionnel) afin d’obtenir un nouveau jugement en leur présence. Cela n’a manifestement pas été le cas pour Battin et Astié.

De fait, comme ils n’étaient pas présents et qu’il n’y a pas eu de débat contradictoire, on ignore les raisons qui les ont poussés à porter ces armes, ni où et quand ils se les ont procurées. Ils n’ont évidemment pas pu plaider leur défense, avec des motif type « légitime défense » ou « usage personnel en dehors de toute intention de trouble à l'ordre public » que l’on trouve parfois dans ce type d’affaires. Quoi qu’il en soit, l'intention alléguée de se protéger ne suffit pas à légaliser la détention d'un revolver non autorisé en dehors des cas prévus par la loi. Le port d’arme prohibées est un délit prévu et puni par l’article 1 de la loi du 24 mai 1834, modifiée par la loi du 27 décembre 1916.

La loi de 24 mai 1834 instaure un régime pénal visant à interdire et sanctionner la fabrication, le commerce, la détention ou le port non autorisé d’armes et de munitions (notamment celles dites « de guerre » ou « prohibées »). L’esprit de l’article 1 (et des articles qui suivent) est de permettre à l’État d’empêcher la circulation d’armes susceptibles de menacer l’ordre public. La loi prévoyait des peines d’emprisonnement et des amendes pour fabrication, détention ou commerce illégaux ; elle permettait aussi la confiscation des armes et, dans certains cas, des mesures administratives supplémentaires (surveillance, etc...). Les peines varient suivant l’article concerné (fabrication, commerce ou port).

 

La loi du 27 décembre 1916 contient une modification qui complète la loi de 1834 :

« Dans tous les cas, les armes et les engins prohibés seront confisqués et détruits à la diligence du procureur de la République. ».

 

Cette modification signifie que l’exécution de la mesure (la destruction des armes) incombe au parquet : après saisie et condamnation, c’est le ministère public qui organise la destruction. En pratique, la confiscation et la destruction deviennent des conséquences habituelles de la condamnation pour port ou détention d’armes prohibées.

 

Mais revenons à ce mois de mai 1923. Les juges se retirent pour discuter de l’affaire et prendre leur décision, comme l’exige la procédure et après en avoir délibéré, conformément à la loi, attendu qu’il résulte des documents de la cause (c'est-à-dire toutes les pièces écrites du dossier : procès-verbal de police, rapports, expertises, témoignages écrits, etc…) et des débats (ce qui a été dit ou produit oralement à l’audience : déclarations, interrogatoire, plaidoiries, réquisitions), le Président a lu l’article 1 de la loi de 1834 :

Article 1er :

« Tout individu qui aura fabriqué, débité ou distribué des armes prohibées par la loi ou les règlements d’administration publique, sera puni d’un emprisonnement d’un mois à un an, et d’une amende de seize francs à cinq cents francs.
Celui qui sera porteur desdites armes sera puni d’un emprisonnement de six jours à six mois, et d’une amende de seize francs à deux cents francs. »

 

Le Tribunal déclare que, dans tous les cas, les armes prohibées seront confisquées et détruites, à la diligence du Procureur de la République, selon la loi de 1916.

 

Cependant, grâce à l’article 463 du code civil, les deux prévenus voient leur peine modérées en raison des circonstances atténuantes. Sauf disposition contraire expresse, dans tous les cas où la peine prévue par la loi est celle de l'emprisonnement ou de l'amende, si les circonstances paraissent atténuantes, les tribunaux correctionnels sont autorisés, même en cas de récidive, à réduire l'emprisonnement et l'amende. Nos deux compères ont donc bénéficié de circonstances atténuantes. Malheureusement on ignore quelles sont ces circonstances. Est-ce que leurs brillants états de services pendant la Première Guerre Mondiale a joué ? Où étaient-ce juste parce que la peine prononcée était légère ?

 

Enfin, le tribunal :

  • condamne Bottin et Astié, chacun à 25 francs d’amende.
  • les condamne en outre solidairement (ils sont tenus ensemble et chacun pour le tout du paiement : si l’un ne paie pas, l’autre doit payer à sa place la totalité de la somme.) aux dépens (c'est-à-dire aux frais de justice : procédure, huissier, expertise, etc…) liquidé à quatorze francs soixante centimes plus deux francs pour droit de justice.
  • fixe au minimum (pour une somme modeste, le minimum pouvait être de 5 jours. Ce minimum était souvent appliqué dans les affaires mineures, surtout quand le tribunal estimait que le condamné n’avait pas de grands moyens financiers) la durée de la contrainte par corps (mesure qui permettait à l’État, quand un condamné ne payait pas son amende ou ses frais de justice (« dépens »), de le détenir en prison pendant un certain temps à la place du paiement — une sorte de conversion de dette pénale en emprisonnement) pour le recouvrement des amendes et des dépens. Si les condamnés ne payaient pas, ils pouvaient donc être emprisonnés pour la durée fixée (ici, le minimum), puis libérés même si la dette restait impayée — l’État abandonnant alors la créance après la détention.
  • prononce la confiscation des armes prohibées saisies et en ordonne la destruction, selon la loi de 1916 comme on l’a vu plus haut.

 

Donc les prévenus sont condamnés à une amende de 25 francs. Rappelons que ce montant, même minime, n’est pas négligeable dans le budget d’un garçon maçon, comme l’était François en 1923. Il est très difficile de donner le chiffre précis d'un salaire journalier moyen pour un maçon à Paris à cette époque car les données sont fragmentaires et les salaires pouvaient varier considérablement selon son expérience, sa qualification et l'entreprise qui l'employait. Cependant, on peut estimer qu’il se situait probablement entre 20 et 40 francs par jour. Par comparaison un journalier non qualifié tournait souvent autour de 10 à 15 francs.

La nourriture absorbait une grande partie du budget. Au début des années 1920* :

  • le pain coûtait environ 1 franc le kilo
  • le litre de vin environ 1,60 franc
  • les haricots secs un peu plus de 0,20 franc le kilo
  • le litre de lait coûtait environ 1 franc
  • la viande de bœuf près de 15 francs le kilo
  • le kilo de beurre un peu plus de 16 francs
  • la douzaine d’œufs près de 8 francs
  • le kilo de sucre 3,60 francs

Restaient les vêtements et les chaussures, l’éclairage et le chauffage, les à-côtés (transport, tabac, journal, etc…). Et bien sûr, le loyer (François n’était pas propriétaire). Les loyers à Paris pour les ouvriers étaient très élevés par rapport à leurs revenus. Un loyer pour un logement modeste, comme devait l’occuper François, pouvait représenter 30 francs par mois.

 

Donc une amende de 25 francs pouvait correspondre à près d’un loyer mensuel, ce qui a dû considérablement grever le budget familial.

 

Battin et Astié ont-ils payé leur amende ? C’est probable car il n’est fait mention nulle part du contraire (notamment d’une prise de corps, comme le prévoyait le jugement du tribunal en cas de défaut de paiement).

La condamnation des deux hommes s’est retrouvée transcrite sur leur casier judiciaire et, de façon automatique, sur leur fiche matricule militaire. C’est elle qui m’a alertée la première de cette affaire. Or la mention de cette condamnation est biffée. Cette inscription rayée correspond à un effacement juridique de la condamnation. La fiche de François reste muette sur cette modification. 

Mais si l’on se reporte à celle de Battin, on voit qu’il a bénéficié de la loi du 3 janvier 1925 ; ce qui est très probablement le cas aussi de François. Cette loi est une loi d’amnistie qui efface les condamnations de certaines infractions, notamment lorsqu’il s’agit d’un délinquant primaire (comme c’est le cas de François) pour des faits commis antérieurement au 1ᵉʳ novembre 1924 ou sous certaines conditions spécifiques (peine pécuniaire légère non alourdie par un délit de fuite par exemple) ; les infractions sévères en étaient cependant automatiquement exclues.


Cette amnistie éteint l’action publique et efface la peine rétroactivement, comme si l’infraction n’avait jamais existé. Administrativement, on raye la mention sur la fiche militaire pour ne plus la prendre en compte dans l’avancement, les décorations ou la notation. Néanmoins, la fiche matricule n’est pas le casier judiciaire : elle ne contient qu’une partie des informations, et son effacement ne préjuge pas de l’état exact du casier. Si la condamnation amnistiée est radiée du bulletin n°2 (celui que voient l’administration et les employeurs publics) et du bulletin n°3 (celui que la personne peut demander), elle peut rester mentionnée au bulletin n°1 (réservé aux autorités judiciaires) avec indication de l’amnistie, surtout pour établir l’historique judiciaire. Donc, pour la vie courante et les démarches, c’est comme si le casier était vierge (on dit qu’il est « blanc »), mais la trace n’est pas forcément effacée pour les juges.

Quant à l’amende, même en cas d’amnistie ou de réhabilitation, les sommes déjà payées (amendes, frais de justice, dommages-intérêts à la partie civile) ne sont pas remboursées. L’amnistie efface les effets pénaux de la condamnation, mais ne crée pas un droit à restitution des sommes versées.

 

Si on n’a pas tous les détails sur cette histoire (notamment la façon dont elle a commencé), il semble que le jugement y ai mis un point final et François ne fut plus arrêté ni condamné.

 

 

 

* Selon le site France-inflation.com d’après les Statistiques Générale de France, puis Insee après 1950.

 

 

lundi 14 juillet 2025

Enquêtes généalogiques à télécharger

L'été est enfin là, invitant à la déconnexion, à la douceur de vivre et à de nouvelles aventures. Peu importe votre destination – que ce soit l'appel du large, les sommets montagneux ou le canapé de votre salon – un bon livre reste le compagnon idéal pour savourer pleinement ces moments d'évasion.

Vous aimez les polars ? Vous êtes passionnés de généalogie ? Voici deux livres, format ebook, pour éviter d'alourdir vos valises. A lire sans modération pour occuper vos temps libre ! L'été s'annonce chaud : voici donc de quoi vous rafraîchir en vous glaçant le sang ! Larguez les amarres avec ces deux histoires qui nous entraînent sur la piste d’énigmes réelles ou imaginaires, mais toujours captivantes. Découvrez, ou redécouvrez, vos meilleurs compagnons de route pour cet été en les téléchargeant gratuitement ci-dessous.


 

Des histoires basées sur des faits authentiques, assaisonnées d’un soupçon de frayeur et d’humour, voilà de quoi vous permettre de passer d’agréables moments. Des histoires pour rêver, frissonner, rire ou vous inspirer (pour la recherche généalogique, hein ? pas pour le crime !)…

Si vous êtes fidèles de ce blog, vous avez peut-être déjà lues ces deux enquêtes généalogiques, publiées dans le cadre du ChallengeAZ, mais n'hésitez pas à y revenir !


La première est le polar écrit en 2020, dans une version quelque peu augmentée.

Titre : "Les racines du crime"

Résumé : En 1942 une série de lettres anonymes dénonce, auprès des autorités, Henri Macréau comme l’assassin de sa femme disparue Ursule Le Floch. Une instruction est ouverte. 75 ans plus tard, à la suite du décès de son grand-père, Alexandre vide la maison familiale et découvre des pièces fragmentaires de ce dossier. La curiosité piquée par cette affaire mystérieuse, il décide de contacter la descendante du couple au cœur de l’affaire. Ensemble ils enquêtent pour retrouver la trace d’Ursule et faire toute la lumière sur cet épisode du passé.

Pourquoi le télécharger ? : un polar parfait pour les vacances, pour faire frissonner ses soirées, qui mêle émotion, généalogie et idées de recherches pour développer son histoire familiale. Parfait pour les amoureux des livres et des secrets bien gardés. Suspense garanti ! 

Cliquez ici pour télécharger

 --o--

La seconde est l'enquête des juges pour découvrir qui a tué le soldat Espagnol du Régiment de Séville à Samoëns en 1748 (ChallengeAZ 2024). 

Titre : "Et au dedans, un cadavre..."

Résumé : En ce jour de février 1748, un cadavre est retrouvé dans les bois de Bérouze, à Samoëns. Il s'agit d'un soldat Espagnol du Régiment de Séville, en garnison non loin de là. Aussitôt le juge Delagrange est prévenu et commence l'enquête. Qui en voulait au soldat ? Et pourquoi François Jay, son épouse, leur servante et le révérend Chometty se sont-ils sauvés dès que le cadavre a été découvert ? Quels relations entretenaient-ils ? Que s'est-il passé ?

Pourquoi le télécharger ? : une enquête idéale pour les lecteurs avides de résoudre un crime, entre adultère et légitime défense. Pour les amateurs de crimes historiques et les détectives en herbe.

Cliquez ici pour télécharger

 

 

Préparez la crème solaire, plongez et laissez-vous emporter par l'histoire ! 

dimanche 15 juin 2025

Soldat du Roi

Je viens de trouver mon plus ancien soldat. Il se nommait Louis Billard, fils de Claude Billard ou Billiard et Denise Piedeloup (c'est un collatéral pour moi : je descends de sa sœur Denise). Il est né en 1687 à Villemareuil (Seine et Marne). Il était « soldat du Roi » (en l’occurrence Louis XIV d’abord puis Louis XV ensuite).

Il m’a été indiqué grâce à un message d’un inconnu (leplumey, de son identifiant sur Geneanet, que je remercie ici chaleureusement). Il m’a contacté via la messagerie de ce site pour me signaler ce soldat. Il a ajouté le lien direct vers le site Mémoire des Hommes où je trouve sa fiche dans le contrôle des troupes (GR 1 Yc 821) : 

Fiche Louis Billard, contrôle des troupes du Régiment du Roi © Mémoire des Hommes
 

Louis Billard a intégré le « Régiment du Roi », 4ème bataillon. Sa fiche précise sa parenté et son surnom : La Brye. Si je lis correctement ce document, il est dit natif de Villermorville, en Brie (d’où son surnom), juridiction de Meaux (et non Villemareuil, autant dire que je ne pouvais pas le trouver d’après son lieu de naissance !). Lors de la rédaction du registre il fait partie de la compagnie du Chevalier de Vallence (ou Valence), est âgé de 55 ans, mesure 5 pieds 4,5 pouces (soit 1,63 m) et ses cheveux sont châtains. Il n’a pas de signe distinctif (cicatrice, marque de petite vérole, tâches de rousseurs, etc…).

Il a été blessé au siège du Quesnoy.

Il s’agit de la ville du Nord en 1712, qui s’inscrit dans la guerre de succession d’Espagne (1701/1714). La ville, longtemps sous domination espagnole, est reprise par la France au milieu du XVIIème siècle, mais reste très affaiblie. En 1712 elle subit deux sièges, à quelques mois d’intervalle. Si les Français perdent le premier, ils sortent victorieux du second. On compte environ 300 morts ou blessés parmi les Français et sans doute autant du côté des Impériaux. L’échec du siège, couplé à la déroute de Denain qui a lieu en même temps, marque le déclin définitif de la coalition impériale et le retour en force de la France.

Néanmoins cette blessure reçue au Quesnoy n’a pas empêché Louis de poursuivre sa carrière militaire, puisqu’il sert encore pendant près de 30 ans.

Une mention complémentaire indique que Louis a servi 7 ans dans les lanciers.

Enrôlé le 7 juillet 1711 (à 24 ans), il est sorti du régiment « invalide » le 2 juillet 1741 (sans précision de ce qui l’a rendu invalide ni où il a été blessé).

 

En tant qu’infirme, il intègre l’Hôtel des Invalides à Paris, dont la construction est ordonnée par Louis XIV en 1670. Cette institution avait pour objectif d’assurer aide et assistance aux soldats des armées royales blessés, ou trop âgés pour servir, afin d'éviter de les voir mendier ou mourir dans l'indigence. Il comprend une église royale (l'Église du Dôme), un hôpital, des réfectoires, des logements, des cours, des jardins. Il pouvait accueillir environ 6 000 pensionnaires, soldats ou sous-officiers (pas d’officiers nobles qui étaient censés être soutenus par leurs familles ou des pensions de cour). Ils bénéficiaient de soins médicaux, de repas, et d'une pension. En échange ils devaient participer aux activités communautaires, y compris les prières, les repas en commun, et les cérémonies militaires. Les soldats mutilés n'accédaient aux Invalides qu'après de longues années de service dans l'Armée. Parmi les « pensionnaires résidents » on distingue les plus malades, qui logeaient et étaient soignés dans la partie hôpital, et ceux qui étaient mieux portant, qui travaillaient dans la manufacture pour confectionner des uniformes, des bas ou des souliers. Les plus valides étaient classés en « pensionnaires externes » assignés à la surveillance du territoire (dans des places fortes, garnisons ou dépôts militaires à l’arrière) ; ils recevaient une pension mais devaient assurer des postes de garde ou d’enseignement aux jeunes recrues. Tous devaient observer une discipline stricte et avoir une conduite irréprochable (pendant le service actif et ensuite pendant leur séjour aux Invalides).

Louis Billard y décède le 29 août 1751, âgé de 64 ans, comme me l'apprends la base de donnée de l'Hôtel des Invalides.

 

J’ai aussi trouvé Louis dans le registre de contrôle des troupes de l’époque précédente (GR 1 Yc 812) : sa fiche est moins complète, mais on retrouve bien Louis Billard, dit « Labry », de la juridiction de Meaux, cheveux châtains, 5 pieds 5 pouces (la taille est souvent arrondie). Il est déjà dans la 4ème bataillon, mais dans la compagnie de Compiègne (dit aussi Chevalier de Compiègne, capitaine au Régiment du Roi au moins entre 1722 et 1733, dont l’identité exacte reste incertaine – que l'on retrouvera au 3ème bataillon dans le registre suivant GR 1 Y 821). Louis est cependant dit enrôlé en juin 1728 et non 1711. La date de sortie n’est pas indiquée puisqu’il est encore en service dans le registre de contrôle suivant (cliquez ici pour accéder à l'inventaire des registres matricules d'Ancien Régime sur Mémoires des Hommes).

 

Mais pourquoi « leplumey » (Ivan Leplumey) m’a envoyé ce message ? Comme il me le précise, c’est en lien avec le projet pédagogique Mémoire des Hommes-INSA Rennes-IRISA (équipe Intuidoc de l’Institut de recherche en informatique et systèmes aléatoires à l’Institut National des Sciences appliquées). Enseignant-chercheur, il est le responsable du projet. Ignorant tout de cette opération, je transcris ici sa présentation trouvée sur le site Mémoire des Hommes : depuis 2021 il existe une étroite collaboration entre l’école d’ingénieurs de Rennes et le site du ministère des armées. Les étudiants, dans le cadre de leur projet pédagogique, ont conçu des programmes informatiques pour indexer les registres militaires d’Ancien Régime, importer les donner et créer des revues. Ces revues numériques sont réalisées avec des partenaires spécifiques, comme des archives départementales ou des cercles généalogiques. Les soldats indexés sont regroupés dans des revues adaptées au partenaire. Ainsi la revue costarmoricaine ne contiendra que des soldats des Côtes d’Armor. Un tri est aussi opéré par régiment, département, commune ou patronyme : il devient ainsi très facile de retrouver ses ancêtres soldats (voir les revues dans l'inventaire). Pour chaque soldat indexé, un lien redirige le lecteur vers le registre d’origine. Geneanet ou Ancestramil sont également partenaires de l’opération. Voir ici la présentation complète de ce projet.

Dans la revue dédiée à « Monsieur » (Louis-Stanislas-Xavier de France, comte de Provence, frère de Louis XVI, né en 1755, futur Louis XVIII), j'ai découvert un autre de mes collatéraux, René Bouguay (Bouguié dans mon arbre), pas de surnom, laboureur né à Saint Sylvain d'Anjou (Maine et Loire) en 1750. Sa fiche est visible dans le registre de contrôle des troupes du régiment de Monsieur (GR 1 Y 574). Il est alors dans le second bataillon, compagnie de Charpin. Enrôlé en 1778 et réengagé deux fois (1784 et 1786). Il mesurait 5 pieds 4,5 pouces, avait les cheveux et sourcils châtains très clair, les yeux bleus, le visage « quarré », nez pointu, bouche moyenne, menton rond, un signe à la joue droite et une petite cicatrice à la joue gauche.

 

Fiche René Bougay, contrôle des troupes du Régiment de Monsieur © Mémoire des Hommes
 

En 1711, époque où Louis Billard s’engage (sous le règne de Louis XIV donc), le recrutement militaire en France obéissait à un système complexe, mêlant engagement volontaire, contraintes sociales et pressions politiques. Le royaume étant alors engagé dans la guerre de Succession d’Espagne (1701/1714), les besoins en soldats étaient élevés.

Les Armées du Roi étaient organisées en régiments, qui portaient les noms de leur propriétaire puis par la suite celui de leur province ou ville de recrutement. Chaque régiment avait sa spécialité (infanterie, cavalerie, etc...) et était appelé à servir sur les champs de bataille selon les exigences militaires. Ils avaient également le rôle d'assurer la sécurité de leur province.

Un grand nombre de régiments sont créés sous Louis XIV (on passe de 33 en 1643 à 260 en 1712).

 

Il existait différents types de recrutements :

1. L’engagement volontaire (avec contrat d’engagement)

  • Principe : Les soldats s’engageaient pour une durée (souvent 4, 6 ou 8 ans).
  • Cible : Jeunes hommes pauvres, souvent ruraux, parfois des vagabonds ou sans métier stable.
  • Avantages offerts :
    • Prime à l’engagement (souvent payée par la ville ou le seigneur local).
    • Promesse de solde régulière, logement, nourriture.
  • Les engagés étaient souvent recrutés dans les provinces, puis envoyés à une place forte ou au dépôt du régiment.

 

Enrôlé volontaire, Louis a sans doute passé un contrat d’engagement devant notaire. Ce type de contrat était formaté et, si je n’ai pas trouvé celui de Louis, il devait ressembler à cela :

« Le 7 juillet 1711, Louis Billard, fils de feus Claude Billard et Denise Piedeloup, natif de Villemareuil en Brie, âgé de 24 ans, de son gré et libre volonté, s’est présenté en la maison commune et a déclaré vouloir s’engager pour le service du roi dans le régiment du Roi-infanterie, compagnie du sieur capitaine de Compiègne [en réalité j’ignore si c’était déjà lui le capitaine lors de son engagement, NDLR]. Lequel engagement est fait pour la durée de six ans, à commencer du jour de son arrivée au dépôt du régiment.
En contrepartie, il reçoit la somme de quarante livres tournois à titre de gratification, payée comptant par le dit capitaine, ainsi qu’un habit d’uniforme, un mousquet, et une paire de souliers.
Fait et signé en présence du sieur notaire et de deux témoins. »

 

2. Le tirage au sort (la milice)

  • Créée sous Louvois (en 1688), la milice provinciale fournissait des hommes tirés au sort pour le service. Elle ne faisait pas partie de l’armée régulière, mais formait une force de conscription provinciale, utilisée pour renforcer les troupes permanentes en temps de guerre.
  • Objectif : éviter de dépendre uniquement des engagés volontaires et constituer une réserve nationale bon marché (entretenir une armée permanente coûtait très cher).
  • Tirage au sort dans les paroisses : chaque paroisse devait fournir un nombre d’hommes, selon sa population. Les hommes valides entre 18 et 40 ans étaient inscrits sur une liste, puis tirés au sort publiquement.
  • Durée de service : 6 ans (variable selon les campagnes). Après ce service, le milicien pouvait être incorporé dans les troupes régulières (surtout les meilleurs éléments).
  • Exemptions : noblesse, clergé, bourgeois, étudiants, aînés de famille nombreuse…
  • Souvent mal perçue : les miliciens tirés au sort pouvaient payer un remplaçant, s’ils en avaient les moyens. Les classes populaires, en particulier, la voyait comme profondément injuste.
  • Déploiement : les miliciens servaient dans des régiments de milice spécifiques, mobilisés pour la défense du territoire et les campagnes extérieures en cas de besoin. Ce n’était pas une force permanente en temps de paix, mais réactivée en temps de guerre.
  • Régiment : ils sont organisés par Province (régiment de Bretagne, du Languedoc, etc…, composé d’un millier d’hommes environ).
  • Fin du système : critiquée pour son inefficacité militaire et sa dimension coercitive, elle est progressivement marginalisée sous Louis XVI. Elle est supprimée en 1789, puis remplacée par la levée en masse (1793).

 

3. Le recrutement forcé (enrôlement de force)

  • Origines : il existait déjà au XVIIème siècle, mais se développe massivement sous Louis XIV, en particulier à partir des années 1680, avec la montée des besoins militaires. On y recourait pour pallier le faible attrait de la carrière militaire (dure, mal payée et aux risques élevés), l’échec des levées de volontaires ou les désertions massives et à cause des besoins accrus en temps de guerre.
  • Méthodes de recrutement : beaucoup de recrutements étaient arbitraires ou abusifs, obtenus par le moyen de :
    • Rafles dans les villes : des arrestations massives étaient pratiquées dans les tavernes, foires, ports ou marchés.
    • Pressions exercées par les intendants, curés, seigneurs.
    • Envoi de « mauvais sujets » vers les régiments, ceux jugés « oisifs », « sans métier », délinquants ou mendiants.
    • Peine alternative à la prison : les cours de justice proposaient parfois le service militaire comme alternative à la prison ou en échange d’une remise de peine.
    • Dénonciation : familles ou communautés faisaient arrêter les « indésirables » qui étaient enrôlés.
    • Chasse aux déserteurs : ils étaient repris et réintégrés sous escorte, parfois dans un autre régiment.
  • Durée de service : elle pouvait être identique à celle des engagés volontaires (4 à 8 ans), mais pouvait aussi parfois être à vie (surtout en cas de « peine » ou en régiment étranger).
  • Affectation : les enrôlés de force étaient répartis dans les régiments existants, souvent dans les compagnies les moins valorisées ou les régiments étrangers, parfois dans des régiments « disciplinaires ». Ils pouvaient aussi être envoyés aux colonies (Antilles ou Louisiane), parfois dans les troupes de marine.
  • Effectifs : il est difficile de chiffrer exactement les enrôlements forcés, car ils n’étaient pas toujours recensés officiellement. Mais on estime que 15 000 à 20 000 hommes par an furent enrôlés de force dans les périodes de guerre intense.
  • Perception : l’enrôlement de force entretenait un fort mécontentement populaire, étant vu comme le symbole de l’arbitraire royal. Les faux certificats, évasions ou mutineries se multipliaient pour y échapper. Par ailleurs les enrôlés de force avaient mauvaise réputation dans l’armée : souvent indisciplinés, peu motivés, prompts à déserter.

 

4. Les officiers

  • Les officiers (lieutenants, capitaines, etc.) venaient quasi exclusivement de la noblesse, souvent par achat de charge ou faveur royale.
  • Les nobles n’étaient pas soumis au tirage au sort de la milice.
  • Ils entraient dans l’armée soit :
    • Par achat de commission, souvent très coûteuse.
    • Par lettre de recommandation, s’ils étaient d’une famille influente.

 

Les officiers (souvent les capitaines) étaient responsables du recrutement de leur compagnie. Ils finançaient en partie le recrutement, notamment en avançant la prime d’engagement. Certains avaient des réseaux locaux (notaires, curés, sergents, etc…) pour recruter dans leur province d’origine.

En temps de guerre, les pertes étant élevées, le recrutement était constant.

 

Le processus d'affectation des soldats dans l'armée royale d’Ancien Régime est lui aussi assez complexe. L’affectation à un régiment ou une garnison du soldat ne se fait pas forcément selon sa région d’origine. Elle pouvait être déterminée par plusieurs facteurs :

  • Le recrutement local : le capitaine est responsable du recrutement, soit en personne, soit par l’intermédiaire de recruteurs ou notables locaux. Il le faisait dans sa région d’origine ou dans une province favorable au recrutement. Les officiers choisissaient leurs recrues pour servir dans leurs compagnies.
  • Le choix du soldat : lorsqu’un homme s’enrôlait de son plein gré, ou comme remplaçant d’un milicien, il pouvait choisir, dans une certaine mesure, le régiment, selon les offres disponibles ou les relations locales. Les régiments « de prestige » comme le Régiment du Roi attiraient ainsi davantage de volontaires.
  • La disponibilité : les intendants affectaient les recrues à un régiment « en déficit ».

 

Ainsi, dans le régiment du Limousin, par exemple, on ne trouvera pas que des soldats originaires de cette région. Cette affectation non géographique rend complexe la recherche d’un soldat d’Ancien Régime. Dans la compagnie de Louis, sur une soixantaine d’hommes, on compte une vingtaine de régions d’origine différentes.

 

Louis Billard appartenait au Régiment du Roi, créé en 1663. Ce régiment d’infanterie est issu d'une réorganisation des forces militaires françaises sous Louis XIV, qui cherchait à renforcer et à moderniser l'armée royale. Son nom reflète son importance et son lien direct avec la monarchie : c’était l’un des régiments les plus prestigieux de l’armée, associée directement à la personne royale, un corps d’élite de l’infanterie de ligne d’Ancien Régime. Le régiment était souvent déployé en tête d’armée dans les batailles majeures et jouait un rôle crucial dans les stratégies militaires de l'époque. Il formait aussi souvent la garde d’honneur dans les cérémonies militaires. Il bénéficiait de privilèges spécifiques en raison de son association directe avec le roi, ce qui lui conférait un statut particulier au sein de l'armée. Sa discipline et sa tenue étaient parmi les plus strictes de l’infanterie.

 

Un régiment d’infanterie comptait en moyenne 1 500 à 2 000 hommes (les chiffres sont à prendre avec précaution car les effectifs variaient selon les périodes (guerre/paix), les pertes et les ordonnances royales).

Le Régiment du Roi était dirigé par un lieutenant-colonel (le roi lui-même étant le colonel en titre). Lorsque Louis s’engage, en 1711, c’est Louis Armand de Brichanteau, marquis de Nangis, qui est le lieutenant-colonel du Régiment. Il occupe cette fonction de 1702 à 1713.  Il est issu de la maison de Brichanteau, ancienne noblesse de robe et d’épée, très influente sous Henri IV et Louis XIII, héritier des terres de Nangis (en Brie), érigées en marquisat. Il deviendra ensuite lieutenant général des armées du roi et nommé Chevalier de l'Ordre du Saint-Esprit vers la fin de sa vie (distinction rare réservée aux plus hauts nobles du royaume). Il meurt en 1742.

Pendant le service de Louis, lui succèderont au poste de lieutenant-colonel le marquis de Pezé en 1719 et le duc de Biron en 1735.

 

Chaque régiment était divisé en bataillons. Contrairement à la plupart des autres régiments d'infanterie qui disposaient de deux ou trois bataillons, le Régiment du Roi conserva quatre bataillons (même après les réformes successives des armées), ce qui témoigne de son importance et de son prestige.

 

Les bataillons eux-mêmes étaient composés de compagnies, de 50 à 60 soldats chacune.

Le bataillon de Louis (le quatrième) avait 17 compagnies (une de grenadiers et 16 de fusiliers). Les compagnies étaient commandées par un capitaine. Le nom du régiment et de la compagnie, correspond au patronyme de l’officier en charge de cette unité. Le document GR 1 Yc 821 mis en ligne sur le site Mémoire des Hommes date des années 1730/1740. Louis sert alors dans la compagnie du capitaine nommé « Chevalier de Vallence ». Le rang de capitaine dans ce régiment était un poste de prestige, réservé aux nobles ou aux officiers très recommandés, mais dont les familles ne sont pas toujours clairement identifiées aujourd’hui. Le Chevalier de Valence, dont le prénom n’est pas précisé, est peut-être Jean Baptiste de Valence, issu d’une famille noble du Dauphiné, promu capitaine au Régiment du Roi-infanterie vers 1733, il est mentionné dans les « États militaires de France » comme capitaine en place au Régiment du Roi en 1736. Il est probablement encore en service en 1737/1740, mais sa trace disparaît ensuite (il peut avoir quitté le service ou avoir été promu ailleurs).

Dans la compagnie du Chevalier de Valence, selon ce document, 61 hommes ont été inscrits.

Les autres officiers (lieutenants, sous-lieutenants) et sous-officiers (sergents, caporaux) complètent l’encadrement du régiment.

 

Les soldats étaient divisés en :

  • Grenadiers : Soldats d'élite souvent choisis pour leur force et leur courage, utilisés pour les assauts et sièges. Chaque bataillon compte une compagnie de grenadiers.
  • Fusiliers : Soldats d’infanterie « ordinaires », équipés de fusils, formant la majorité des troupes. On compte 16 compagnies de fusiliers dans chacun des bataillons de ce régiment.
  • Tambours et fifres : responsables de la transmission des ordres sur le champ de bataille par le biais de signaux sonores.

 

Louis faisait partie des fusiliers, bien que sa fiche mentionne qu’il ait servi 7 ans comme lancier (soldat de cavalerie de ligne). La période de ce service n’est pas précisée.

 

Le Régiment du Roi en 1711 n’est pas représenté précisément dans des portraits contemporains, il est donc difficile de savoir comment était l’uniforme que portait Louis. Mais il avait probablement un habit en drap de laine bleu roi avec doublure et parements rouges (revers, collet et manchettes) et boutons dorés (sans marque ni numéro, qui n’apparaissent qu’à la Révolution), long jusqu’au genou. Sous l’habit il devait porter une culotte en toile ou drap et un gilet, le tout blancs ou écrus. Il devait être coiffé d’un tricorne en feutre noir garni d’un galon de fil d’or. Il devait être équipé d’un fusil à silex avec baïonnette à douille et d’une cartouchière. Sa gibecière en cuir devait transporter des provisions et d'autres effets personnels (indications données par les ordonnances générales d’habillement, notamment celle de 1690, confirmée par des circulaires de 1704, 1709 et 1711).
Dans les années 1770 l’uniforme semble avoir été modifié (habit blanc, parements bleus).


Tentative de représentation, aidée par l’IA et Photoshop

(parce que l’IA toute seule c’est pas encore ça)

 

Les plus anciens de la compagnie de Louis ont été enrôlés en 1708, les plus récents en 1741. Parmi eux, sont notés :

  • décédés : 25
  • invalides : 3
  • désertés : 3
  • encore en service dans le régiment : 17
  • transférés : 5
  • congédié : 8

 

Le soldat nouvellement enrôlé devait se rendre au dépôt du régiment, souvent une place forte importante (Lille, Metz, Strasbourg…). Ce dépôt était aussi le lieu de formation, d’équipement, de logement temporaire.

Là, il était enrôlé officiellement, inscrit dans les contrôles (registres), et intégré à une compagnie.

Une fois organisé, le régiment était déployé en garnison ou en campagne selon les ordres royaux et du ministère de la Guerre.

Le Régiment du Roi recrute dans tout le royaume, via des officiers très dispersés géographiquement. Ses garnisons habituelles étaient dans des places fortes du Nord et de l’Est (Lille, Valenciennes, Metz, Strasbourg, parfois Paris).

 

Le Régiment du Roi a été très engagé dans la guerre de succession d’Espagne. Ce conflit a opposé plusieurs puissances européennes de 1701 à 1714, et dont l'enjeu était, à la suite de la mort sans descendance du dernier Habsbourg espagnol la succession au trône d'Espagne et, à travers elle, la domination en Europe. Dernière grande guerre de Louis XIV, elle permit à la France d'installer un monarque français à Madrid : Philippe V (petit-fils de Louis XIV), mais avec un pouvoir réduit et un renoncement théoriquement définitif, pour lui et pour sa descendance, les Bourbons d’Espagne, au trône de France.
Sous la Révolution le Régiment du Roi deviendra le 105e régiment d’infanterie de ligne.

Guerre de succession d'Espagne, bataille de Malplaquet 1709 © Leloir Maurice 

Au total, entre 400 000 et 700 000 hommes ont perdu la vie dans cette guerre. On peut même monter jusqu’à 1,2 million si l’on inclut les civils liés aux destructions et pillages dans le sillage de l’armée. Néanmoins les chiffres sont difficiles à déterminer à cause des registres militaires parfois incomplets, les registres civils détruits, les morts civiles dues aux famines et aux épidémies liées au conflit, et les différentes méthodes de calcul utilisées par les historiens. Certains estiment que pour un soldat tué au combat, un autre mourait des suites de ses blessures et encore 3 autres de maladie.

 

Le Régiment du Roi est ensuite engagé dans la guerre de succession de Pologne (1733/1738) avec, notamment, des combats en Lorraine, sur le Rhin, contre les Impériaux. Après le décès du roi de Pologne en 1733, deux candidats s'opposent pour lui succéder, le trône de Pologne étant électif : son fils, Frédéric II Auguste, devenu électeur de Saxe par hérédité, et Stanislas Leszczynski, qui est devenu le beau-père de Louis XV en 1725. Le premier est soutenu par la Russie et l'Autriche et le second par la France. Le conflit électoral polonais deviendra une guerre civile et internationale.

Puis la guerre de Succession d’Autriche (1740/1748), conflit qui opposa la Prusse, la France, la Bavière, la Saxe et l'Espagne à l'Autriche et à l'Angleterre, et qui eut pour principal enjeu les terres héréditaires des Habsbourg d'Autriche et la succession au trône impérial.

 

Louis Billard, un soldat ordinaire du Roi dans une époque troublée et violente.