Je ne sais pas si vous le savez, et si vous ne le savez pas ce n’est pas très tragique, mais Jules avait certaines idées politiques.
- Le 30 mai 1912 le maire de Martignat envoie une lettre au préfet, en son nom propre et celui de dix conseillers municipaux de la commune, où il demande le déplacement de Jules Assumel, garde forestier de sa commune :
Lettre du maire de Martignat au Préfet, 30/05/1912 © AD01
" [Le] garde forestier Assumel [...] est un agent clérical accompli, pratiquant dans le but de se montrer, parlant toujours contre le gouvernement, manquant de respect au Maire, à l’Adjoint et à tous les conseillers. Pendant la dernière période électorale, cet agent a eu une conduite déplorable envers le parti républicain. Il s’est permis de colporter, dans les établissements publics, de fausses accusations. Il a fait ouvertement, dans les rues, de la politique avec le parti clérical. Pendant la dernière mission [ ?] qui a eu lieu à Martignat le mois de Mai dernier, cet agent a professé ouvertement ses idées cléricales.
Dans ces conditions les soussignés déclarent que la conduite du garde Assumel est déplorable et cela depuis un an. Ils demandent à Monsieur le Préfet de vouloir bien, pour le bien de la Commune, déplacer d’urgence et dans le plus bref délai, le garde Assumel, car ils pensent que la circulaire Ministérielle de Monsieur le Ministre de l’Agriculture, en date du 23 juin 1902, doit être applicable à cet agent, qui n’a jamais cessé de la combattre par les moyens déloyaux et jésuitiques."
Le cléricalisme prône la prédominance des idées religieuses (catholiques) et du clergé dans la vie publique et politique. Un de ses représentants les plus célèbres est Mac Mahon, qui a réprimé dans le sang la Commune de Paris, avant de devenir Président de la république de 1873 à 1879. Le cléricalisme s’oppose à toutes les mesures et pratiques s'inspirant de la pensée laïque. Un autre trait caractéristique des cléricaux, c'est la persévérance, l'obstination avec laquelle, quelles que soient les difficultés, ils cherchent à atteindre leurs objectifs.
Suite à cette lettre, une enquête sera diligentée, confirmant les faits.
- Une seconde lettre, du maire d'Apremont (16/8/1912), vient alourdir le dossier, pour des motifs similaires :
" Le garde Humbert est un bon républicain et nous avons été jusqu’ici satisfaits de son service [malgré "Des négligences multiples constatées" citées dans le même document]. Je ne m’oppose pourtant pas à son changement car il est possible qu’il ait négligé un peu son service dans les derniers temps. Mais je vous prie instamment, Monsieur le Préfet, de vouloir bien ne pas le remplacer par le garde Assumel. Ce dernier fait partie de l’Action Libérale. Il a combattu énergiquement la municipalité républicaine de Martignat qui a dû lui supprimer tous les avantages qu’elle lui accordait : gratifications, mises en charge, etc.
Nous accordons aussi de grands avantages au garde forestier : 150 f de gratification et nombreuses mises en charge sur toutes les coupes de vente. Si le garde Assumel est nommé malgré nous dans notre commune, le Conseil se verra obligé à regret de lui supprimer tous ces avantages.
Vous savez, Monsieur le Préfet, quelle lutte nous avons eu à soutenir contre une poignée de réactionnaires acharnés. Leur école libre compte une huitaine d’enfants et au bout de quelques années elle sera obligée de fermer faute d’élèves.
Il ne faut pas qu’un fonctionnaire de la République vienne dans notre commune pour y envoyer ses enfants et la faire vivre un peu plus longtemps. Ce serait le cas si le garde Assumel était nommé chez nous.
C’est pourquoi Monsieur le Préfet, nous vous prions de bien vouloir nommer à Apremont en remplacement du garde Humbert un fonctionnaire dont on ne puisse suspecter les opinions républicaines."
L'Action libérale, citée dans cette deuxième lettre, est aussi appelée Action Libérale Populaire (1901-1919). C’était un parti politique français de la Troisième République représentant les catholiques ralliés à la République. Sa devise résumait son programme : "Liberté pour tous; égalité devant la loi; amélioration du sort des travailleurs". Défenseur de l'Église au nom de la liberté et du droit commun, ce parti est considéré comme de centre-droit. Il comptera 70 députés, au plus fort de sa gloire. Mais le parti déclinera à partir de 1908, notamment à cause de la perte du soutien de Rome. L'ALP n'en constitua pas moins jusqu'en 1914 le plus important parti politique de droite.
Ces plaintes ont sans doute freiné l’avancement de Jules dans la carrière. Début 1913 il sera finalement muté à Condamine, avant de l’être en Maine et Loire (notamment pour des raisons de santé, comme on l’a vu dans l’article S comme santé défaillante). Mais jamais il n'obtint le grade de brigadier.
Merci aux Archives Départementales de l’Ain pour cette trouvaille.
Source : état du personnel des eaux et forêts.