« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

jeudi 30 avril 2015

#Centenaire1418 pas à pas : avril 1915

Suite du parcours de Jean François Borrat-Michaud : tous les tweets du mois d'avril 1915 sont réunis ici. 

Ne disposant, comme unique source directe, que de sa fiche matricule militaire, j'ai dû trouver d'autres sources pour raconter sa vie. Ne pouvant citer ces sources sur Twitter, elles sont ici précisées. Les photos sont là pour illustrer le propos; elles ne concernent pas forcément directement Jean François.

Les éléments détaillant son activité au front sont tirés des Journaux des Marches et Opérations qui détaillent le quotidien des troupes, trouvés sur le site Mémoire des hommes.

Toutes les personnes nommées dans les tweets ont réellement existé.
___ 

1er avril
Séjour à la Bresse.
Matin : revues, travaux de propreté. Soir : exercice à rang serré.
Ordre de Bataillon n°19 : nouvelles promotions.
Avec l’inaction, reviennent les visions de corps déchiquetés, les bruits de canonnades, la peine des amis disparus…
Je ne sais pas ce qui est le pire : le feu ? Les camarades qui ne sont plus là ? L’attente avant d’y retourner ?
Serai-je capable de remonter au front ? 

2 avril
Séjour à la Bresse.
Matin : exercice à rang serré. Soir : préparatifs de départ.
Le bataillon va quitter la Bresse pour gagner par étape Granges. Étape : 26 km.
Ordre de Bataillon n°20 et 21 : nouvelles nominations et citations.

3 avril
Départ 6h. Grand’halte à 4 km de Granges.
Arrivée à Granges à 14h15.
 
Trajet La Bresse/Granges

Le Bataillon se partage le cantonnement avec le 24ème Bataillon de Chasseurs.

4 avril
Jour de Pâques. Repos pour tout le monde. Les cantonnements sont déconsignés toute la journée.
Ordres de Bataillon n°22 et 23 : nouvelles nominations.
Notre cher et regretté Fabry a été nommé Chevalier de la Légion d’Honneur.

5 avril
Séjour à Granges.
Matin : école de section, rang serré. Soir : exercices de tir.
Ordre de Bataillon n°24 : promotions et mutations.

6 avril
Séjour à Granges.
Matin : travaux de propreté, revue. Soir : exercice sur le tir, rang serré.

7 avril
Séjour à Granges.
Matin : travaux de propreté, douches. Soir : le Bataillon est passé en revue
par le Général de Pouydraguin Commandant la 47ème Division et par le Colonel Lacapelle Commandant la 4ème Brigade.
Le Général remet la croix de chevalier de la Légion d’Honneur au Capitaine Vergez.
Télégramme du Commandant Fabry en réponse à celui adressé par la Capitaine Vergez au nom de tous les officiers et chasseurs du 23ème BCA :
"Très touché par l’affection que vous me témoignez, tous, je vous remercie et vous dit bon courage. Ma pensée vous accompagne partout."
Le Commandant est heureux de faire connaître au Bataillon, qu’après la terrible opération qu’il vient de subir,
le Commandant Fabry est en bonne voie de guérison.
Il est sûr d’être l’interprète de tous en formant les vœux les plus cordiaux pour son prompt rétablissement.

8 avril
Séjour à Granges.
Matin : revues, douches. Soir : marche sur route, déploiement.
Ordre de Bataillon n°25 : nouvelles citations.

9 avril
Séjour à Granges.
Matin : confection de piquets pour réseaux de fil de fer, travaux divers, douches. Soir : exercice sur le tir, rang serré.
Ordre général n°27 : par décision du Général Commandant en Chef du 2 avril, le Détachement d’Armée des Vosges
est transformé en une armée qui prend le nom de VIIème Armée.
Le Général de Maud’huy prendra le commandement de cette VIIème Armée (5 avril).
Général de Maud'huy © scoutwiki.org

Au moment de quitter les troupes des Vosges pour aller commander un autre détachement, le Général Putz tient à leur exprimer
sa satisfaction pour l’endurance et la vaillance dont elles n’ont cessé de faire preuve depuis le début de cette rude campagne.
"Soldats de la VIIème Armée, je prends le commandement  aujourd’hui. Je connais votre dévouement, votre ténacité, votre bravoure.
Je compte que vous en donnerez de nouvelles preuves. Votre récompense sera la Victoire définitive de Notre France. Signé de Maud’huy"
Ordre général n°2 : le Colonel Lacapelle a pris à la date du 7 avril le Commandement de la 4ème Brigade de Chasseurs.
"Chasseurs, malgré les épreuves d’une dure campagne d’hiver et de combats incessants, j’ai pu constituer avec joie que vous étiez toujours l’élite de notre armée.
Sur tous les visages on voit la fierté d’être chasseur, l’énergie et la volonté de vaincre.
Vos bataillons donnent une impression de rigueur morale et physique, de force offensive qui ne demandent qu’à s’employer pour assurer la victoire.
Les rudes combats du Reichackerkopf n’ont en rien affaibli le moral de la 4ème Brigade. Il est intact et elle saura le prouver. 
Employons le repos momentané qui nous est accordé pour renforcer la cohésion indispensable de nos unités, développer nos aptitudes au combat et au tir. Que tous, Chefs et chasseurs unis dans un même sentiment du devoir s’efforcent de développer la camaraderie de combat, basé sur une confiance et une amitié réciproque. Que tous élèvent leur cœur par la volonté de vaincre coûte que coûte, d’avancer et de joindre à la baïonnette cet ennemi qui vous a surnommé "les diables bleus" qui vous redoute et auquel vous ferez bientôt repasser le Rhin.
Chasseurs de la 4ème brigade, la France peut compter sur vous. 
Je suis fier de vous commander.
Signé Lacapelle"
Colonel Lacapelle © appl

10 avril
Séjour à Granges.
Matin : travaux de propreté, douches.
Je crains de m'habituer à ce luxe...
Soir : le Général de Maud’huy, Commandant la 7ème Armée, passe en revue les 23ème et 24ème Bataillons de Chasseurs.
Le 23ème Bataillon est formé en ligne  de colonnes sur la place de l’église face à l’Ouest.
Après avoir défilé au son d’Alsace-Lorraine les Compagnies regagnent leurs cantonnements.

Chanson "Vous n'aurez pas l'Alsace et la Lorraine" © Youtube Memoria

11 avril
Séjour à Granges.
Dimanche : repos.

12 avril
Séjour à Granges.
Matin : Confection des piquets pour réseaux de fil de fer, revues d’astiquage, douches.
Soir : Marche d’approche sous le feu de l’Artillerie, puis sous les feux combinés de l’Artillerie et de l’Infanterie. Déploiement.
Ordre de Bataillon n°26 : Le Peloton de Mitrailleuses forme une unité à part, sous le Commandement du Sous-Lieutenant Durand
et mutations diverses.
Ordre de Bataillon n°27 : nominations diverses.

13 avril
Séjour à Granges.
Matin : travaux de couture et de propreté. Soir : rang serré, exercices sur le tir.
Ordre de Bataillon n°28 : citations diverses.

14 avril
Séjour à Granges.
Matin : revues, travaux de couture. Soir : marche par Compagnie (16 km environ).

15 avril
Séjour à Granges.
Matin : répartition d’outils, distribution d’effets.
On a enfin reçu des uniformes neufs !
 
Chasseurs, habillement, 1915 © Gallica 
Soir : exercices de tir, rang serré, école de section et de compagnie.
Ordres de Bataillon n°29 et 30 : nouvelles promotions et citations.

16 avril
Séjour à Granges.
Matin : revues, travaux de propreté. Soir : manœuvre de Bataillon sur la route de Le Tholy jusqu’à Champ de Luxel.
Ordre de Bataillon n°31 : nominations de 81 chasseurs qui se sont illustrés pendant les combats de mars.

17 avril
Séjour à Granges.
Matin : travaux de couture et de propreté. Soir : école de section, tir au stand.

18 avril
Séjour à Granges.
Dimanche, matin et soir - repos.

19 avril
Séjour à Granges.
Matin : rang serré. Soir : manœuvre de Bataillon, route de Le Tholy, Berchigranges, le Haut du Pré, Renaudfaing.

20 avril
Séjour à Granges.
Matin : marche d’approche, déploiement de la compagnie.
Soir : rang serré, exercices de tir.
Soldats en position de tir © Gallica
  
21 avril
Séjour à Granges.
Matin : tir au stand, école de section. Soir : marche d’approche sous le feu de l’artillerie, puis sous les feux combinés de l’artillerie et de l’infanterie.

22 avril 
Séjour à Granges.
Matin : marche sur route d’une vingtaine de kilomètres (Bruyères aller-retour). Soir : tir au stand, école de compagnie.
Ordre de Bataillon n°32 : Cassation du caporal Prat pour négligences répétées dans le service et indiscipline.

23 avril 
Séjour à Granges.
Une manœuvre à double action avec le 24ème Bataillon de Chasseurs devait avoir lieu aujourd’hui, renvoyée par suite du mauvais temps.
Matin : exercices de détail. Soir : travaux de propreté et de couture, revues, douches.
Ordre de Bataillon n°33 : nouvelles citations.

24 avril
Séjour à Granges.
Matin : marche par Compagnie, 22 km, Corcieux (aller-retour). Soir : travaux de couture et de propreté.

25 avril
Séjour à Granges.
Matin : exercice de détail. Soir : école de Compagnie, école de section.
Ordres de Bataillon n°34 et 35 : mutation et affectation.

26 avril
Séjour à Granges.
Matin : exercice de détail. Soir : déploiement, manœuvre sous les feux de l’artillerie et de l’infanterie combinés.

27 avril
Séjour à Granges.
Matin : exercice de détail. Soir : école de Compagnie.
Ordre de Bataillon n°36 : affectations et mutations.

28 avril
Séjour à Granges.
Matin : manœuvre de Bataillon. Départ 5h30, rentré 11h15. Soir : travaux de propreté et de couture.

29 avril
Séjour à Granges.
Matin : école de Compagnie, rang serré. Soir : exercice de tir, école de section.

30 avril
Séjour à Granges.
Matin : marche d’une vingtaine de km dans les environs de Granges, route de Le Tholy, Berchigranges, le Haut du Pré, Renaudfaing. Soir : exercices de détail.
Ordre de Bataillon n°37 : mutations.
Un mois de repos : ça va pas durer. Les gars disent qu'on va bientôt repartir au front...


vendredi 24 avril 2015

#Généathème : A comme ancêtre le plus ancien

L'acte le plus ancien en ma possession est l'acte de naissance de Ryondel Jean, datant de 1570 à Samoëns (Haute-Savoie). 
J'ai déjà parlé de lui lors du ChallengeAZ dans l'article M comme mil cinq cent soixante dix. Dans cet article j'abordais notamment :
  • l'époque moderne, 
  • le roi régnant à ce moment, Charles IX,
  • les grands noms de l'architecture, poésie, peinture...
  • un rappel historico-géographique : la Haute-Savoie n'était pas française à cette époque.
Par cet acte de naissance, je connais ses parents : Louis et ... (aïe ! L'acte est en latin : je sèche sur le prénom de la mère que je ne parviens pas à situer ! [ 1 ]). Tous les deux portent le même patronyme, Ryondel.

 Acte de naissance de Ryondel Jean, 1570, coll. personnelle

Je n'ai aucune date ou événement pour ces parents. Je n'ai que l'acte de naissance de leur fils Jean : pas d'autre événement. J'ignore l'origine et ce que veut dire leur nom. Peu d'informations en somme. Que dire, alors ? Que dire de ces ancêtres qui sont quasi invisibles.

Je me reporte à l’article d'Elise 3 étapes pour raconter l'article d'un ancêtre invisible.

  • Etape 1 : mettre en place une trame de vie.
N'ayant quasiment aucun événement les concernant, c'est un peu mince pour faire une ligne de vie.
Les archives de cette période n'étant pas en ligne, impossible d'explorer leurs proches.
Pas de recensement non plus, pour aider à les localiser.
Donc, pas de cartographie, pas de trame de vie. 

  • Etape 2 : comprendre et intégrer l'environnement de sa vie
J'ignore quel métier ils pratiquaient. 

  • Etape 3 : donner de la couleur au récit
Histoire locale, habitat, événements climatiques... restent assez mystérieux pour moi, à cette époque tout au moins. Une des rares informations en ma possession est que la famille réside à Vallon (aujourd'hui village de la commune de Samoëns).

On y devine, de nos jours encore, un espace voué dès l'origine à l'agriculture : l'habitat a gardé la marque de l'exploitation intensive d'un milieu rude, structurée autour d'une fruitière où se travaillait le lait récolté chaque jour, l'hiver dans les fermes, l'été dans la montagne du Criou. Des bassins rassemblaient les habitants, pour se rafraîchir, ou faire boire le troupeau (mais de quand datent-ils ?). 

Vallon © Hier à Samoëns

On y craignait deux dangers : les risques liés au feu et à l'eau. L'imbrication des fermes et de leurs dépendances, les vastes volumes habillés d'épicéa, expliquent comment un incendie s'étend rapidement et devient désastre. Le beau mantelage [ 2 ] aux teintes grises ou mordorées s'enflamme facilement car les fermes abritent d'importantes réserves de foin. L'inondation, autre danger, revenait régulièrement et nécessitait des corvées de surveillance jusqu'à ce que l'endiguement du Giffre et du Clévieu atténue les risques.

L'architecture traditionnelle est marquée par une variété dans les galeries, aux barreaux rectangulaires ou aux balustrades découpées, l'alternance de la pierre et du bois, et celle des ouvertures d'aérations dans les fenils qui surmontent les habitations. Deux virgules accolées dessinent des cornes de taureau, des cœurs, des flammes, quatre forment un svastika curviligne. Ailleurs se déclinent les symboles des jeux de carte. En s'approchant davantage des portes d'entrée, les colonnes, les linteaux sculptés révèlent le goût des habitants, qui, derrière une apparente austérité, recherchent une esthétique simple et discrète marquée par la tradition.

La vie de Vallon a un autre centre : la chapelle, édifiée en 1636, au clocheton à section octogonale, coiffé d'une coupole aux courbes outrepassées. L'influence baroque y est présente. Sous la protection des Saints Jacques, Philippe et Joseph. Elle fut bâtie à l'initiative de Joseph de Gex, baron de Saint-Christophe, seigneur de Vallon et des communiers du village, en remerciement d'une protection accordée lors d'une épidémie de peste qui resurgit en ce début du XVIIème siècle "désirant accomplir et effectuer la dévotion par eulx prinse au mois de décembre de l'année 1630 auquel temps, il pleut à la miséricorde divine visiter une partie du peuple du présent lieu et mandement de Samoên du fléau de peste et contagion". [ 3 ]

 Chapelle de Vallon © dimoiou

Jean Ryondel ne l'a sans doute pas connue (il semble être décédé lors du mariage de sa fille en 1635); ses parents probablement pas non plus.

Bref, si la date ancienne est satisfaisante du point de vue néalogique, la vie quotidienne et historique de ces lointains ancêtres semble bien difficile à saisir véritablement.
 

[ 1 ] S'il y a parmi vous des latinistes qui s'ennuient, je suis preneuse d'une traduction...
[ 2 ] Mantelage : habillage en bois d'un chalet.
[ 3 ] Source : Samoëns.com

vendredi 17 avril 2015

Des enfants exposés

Le berceau de mes ancêtres éponymes se situe à Conques en Rouergue (aujourd'hui département de l'Aveyron). En feuilletant les registres, j'ai rencontré un phénomène inédit (pour moi en tout cas) : la présence d'enfants exposés.

Ces enfants sont abandonnés à proximité de l’hôpital. De pères et de mères inconnus, on leur trouve des parrains/marraines et ils sont alors baptisés. Ces actes se ressemblent beaucoup en général, mais on peut distinguer quelques variantes : en voici quelques exemples, sur une décennie prise au hasard (1771/1782).

 Abandon d'enfant © Geneancetre

Lieu de dépôt de l'enfant : le plus souvent c'est l'hôpital de Conques
  • "a été trouvé exposé devant la porte de l'hôpital un enfant de père et mère inconnus" 
  • "a été trouvée exposée dans la rue de l'hôpital une fille à père et mère inconnus"
  • "a été trouvé exposé devant la porte de l'église un enfant à père et mère inconnus"
  • "a été trouvée devant la porte de l'hôpital une fille à laquelle nous avons donné le baptême"
  • "a été baptisé sous condition un enfant trouvé à nous présenté par l'hôpital" (cf. plus bas)
  • "a été baptisé un enfant trouvé de père et mère inconnus à nous présenté par l'hôpital de Conques" 
  • "trouvée devant la porte de l'hôpital de Conques"

Parfois les enfants sont trouvés plus loin :
  • "un enfant à père et mère inconnus qui a été trouvé exposé devant la porte de l'église"
  • "a été trouvé exposé dans la rue"
  • "fille trouvée au delà du pont de Conques"
  • "a été trouvée exposée au fond du faubourg une fille à père et mère inconnus"
  • "a été trouvée exposée au delà du pont de Dourdou une fille à père et mère inconnus"
  • "fille a père et mère inconnus exposée à la porte de monsieur le curé de Saint Marcel [paroisse voisine] dans la nuit du vingt et un au vingt deux [...] et a été remise et portée à l'hôpital de cette ville ledit vingt deux"
  • "fille a père et mère inconnus exposée à Calviguière [ ? ] paroisse de Saint Marcel [...] remise à l'hôpital de Conques"

Les parrains et marraines ont souvent des liens avec l'hôpital :
  • ce sont des pauvres dudit hôpital : Jeanne Chauri, Anne Gaillac, Joseph Calmel, etc...
  • des filles de l'hôpital ou "fille associée audit hôpital" : Marie Vidal, Marie Albespy
  • une femme veuve demeurant à l'hôpital [marraine non nommée]
  • des servantes audit hôpital : Marie Anne Garric, Anne Morisset
  • des marraines dites "restantes à l'hôpital de Conques" : Marie Jeanne Vidal, Jeanne Delagnes

Plus rarement, parrains et marraines n'ont aucun lien avec ledit hôpital :
  • Louis Carles, "de la présente paroisse"
  • Delphine Doumergue, "du faubourg"
  • Catherine Fraysse, "de la paroisse de Grandvabre"
  • et d'autres dont les liens ne sont pas précisés : Jean Teissonier, Marie Anne Planhol, Pierre Fabre...

Certains sont parrains ou marraines plusieurs fois :
  • Joseph Salesse et Jean Costes "pauvres de l'hôpital" - quatre fois
  • Pierre Chatelie "garçon à l'hôpital" (1774), "pauvre de l'hôpital" (en 1776 et 1777 : il n'est plus signalé comme tel les années suivantes) - cinq fois
  • Elisabeth Marc et Marguerite Garric, "servantes", puis "filles restantes audit l'hôpital" - trois fois
  • Catherine Selves "servante audit hôpital" - deux fois
  • Joseph Delagnes "demeurant audit l'hôpital" - trois fois
  • Catherine Landes "de la paroisse de Grandvabre" - deux fois

Lorsque l'enfant est une fille elle n'a pas de parrain, et inversement lorsque c'est un garçon il n'a pas de marraine.

Dans deux cas, les marraines sont elles-mêmes d'anciennes filles exposées, habitantes dudit hôpital.

Une seule fois, il est fait mention d'une lettre accompagnant l'enfant... mais comportant bien peu d'informations (sinon l'essentielle) : "avec un billet portant quelle n'était point baptisée".

En général deux témoins complètent l'assemblée; ce sont souvent Pierre Chatelie (lorsqu'il n'est pas lui-même parrain) et Antoine Lagarrigue. Ce dernier est cordonnier. Tous les deux signent les actes.

Trois enfants sont "baptisés sous condition". Le baptême efface le pêché originel. Un enfant mort sans baptême est condamné à errer éternellement dans les limbes. C’est pourquoi il faut le baptiser au plus vite (en général le jour même) : quelque soit le temps, il faut se rendre à l'église la plus proche. Un enfant mort-né ou en danger de mort à la naissance est "ondoyé" par la sage femme ; acte qui lui ouvre le ciel en cas de décès (c’est l’une des raisons pour lesquelles la sage-femme était nommée par le curé et prêtait serment). Ensuite, le prêtre baptise le nouveau né "sous condition" : il suffit que les témoins attestent qu’ils ont aperçu un mouvement du cœur, un semblant de respiration, le tressaillement d’un doigt, un souffle L’enfant mort, retrouve la vie quelques instants, le temps de recevoir le baptême. [ 1 ]

On ignore l'âge de la plupart de ces enfants exposés. Seuls deux actes précisent que l'enfant est "âgé d'environ trois ou quatre mois" et "d'environ un an". Ils n'ont sans doute en général guère plus de quelques jours car, lorsqu'ils décèdent, on compte à partir dudit baptême considérant qu'ils viennent de naître.

Exceptionnellement, ce sont des jumeaux qui ont été trouvés : ainsi "le 14 octobre 1777 ont été trouvés deux garçons de père et mère inconnus". Deux "pauvres dudit hôpital" leur ont été attribués comme parrains.

Entre 1771 et 1782 ces enfants exposés représentent 46 des 243 baptêmes enregistrés sur les registres, soit près de 19 % [ 2 ]; ce qui est tout de même assez conséquent.

Quel aura été l'avenir de ces enfants ? Difficile de le dire. On sait néanmoins que les enfants jumeaux exposés en 1777 "ont été donnés à l'hôpital".
L'un d'entre ne survivra pas, puisqu'à la date du 18 octobre de la même année il est signalé le décès "à l'hôpital d'un enfant [...] âgé de deux ou trois jours".
Sans doute les autres ont-ils suivis le même chemin, car, sur ces 46 enfants, sur la même période, 18 ont été retrouvés et signalés "décédés à l'hôpital"; ce qui nous laisse supposer que ces enfants y sont élevés. Une seule enfant est signalée "décédée au village de Camaly sur la présente paroisse"; âgée de deux mois et demi, était-elle placée en nourrice ?

Qu'est-ce qui fait qu'il y a tant d'enfants exposés à Conques ? Est-ce le fait que c'est un lieu réputé de pèlerinage ? Est-ce une histoire de climat rigoureux ou de disette particulièrement sévère à cet endroit, à cette époque ?
L'histoire ne le dit pas. Puissent certains d'entre eux avoir survécu et avoir eu une vie plus belle qu'elle n'avait commencé.


[ 1 ] Source : le blog de Geneanet.
[ 2 ] Ce chiffre ne prend en compte que les enfants exposés; les enfants illégitimes nés de pères inconnus ont été comptabilisés avec les naissances "normales".

vendredi 10 avril 2015

Maison, broussailles et bois sapin

Les Archives de Haute-Savoie ont récemment mis en ligne les mappes sardes.

Ce sont des plans parcellaires réalisés entre 1728 et 1738, sur ordre du roi Victor-Amédée II de Piémont-Sardaigne (rappelons que la Haute-Savoie n'est rattachée à la France qu'en 1860 suite au traité de Turin), désireux de réformer et moderniser le système fiscal de son royaume. Il s'agissait d'établir une mesure fiable, sinon équitable, des biens fonciers, par catégorie et par parcelle, afin de mieux lever l'impôt foncier, la taille.

Après de longs travaux de repérage, bornage et cartographie sur le terrain par des équipes de géomètres, calculateurs et estimateurs, les plans définitifs furent tracés sur papier aquarellé, et plus tard monté sur tissu. Leur taille est très variable : de quelques m² à 66 m² pour le plus grand.

Les mappes constituent donc un des plus anciens cadastres d'Europe puisqu'il remonte au premier tiers du XVIIIe siècle. Les plans sont accompagnés de différents registres cadastraux :
  • Les livres de géométrie : ils énumèrent les parcelles dans l'ordre des numéros portés sur la mappe; c'est pourquoi on les nomme également livres des numéros suivis.
  • Les livres d'estime : rédigés avec l'aide des estimateurs, ils reprennent la description des parcelles par numéros suivis en les classant par "mas" (lieux-dits), en les affectant d'un "degré de bonté" (productivité) et en précisant la nature des cultures et le rendement annuel.
  • Les tabelles préparatoires : appelés également cadastres minute, ces livres représentent un état plus élaboré car refondant les données des livres d'estime, ils leur adjoignent les contenances des parcelles en mesures de Piémont et de Savoie Propre, mais ils les classent cette fois par ordre alphabétique des propriétaires.
  • Les tabelles alphabétiques : ces livres sont constitués par un ou plusieurs forts registres oblongs, solidement reliés en parchemin et formés de feuilles du cadastre imprimées, très soigneusement et clairement calligraphiées.
  • Les cottets à griefs : cahiers contenant les réclamations formulées par les intéressés lors de l'affichage dans la communauté, du cadastre préparatoire. Ils sont généralement annexés aux livres d'estime ou aux tabelles préparatoires.

Ces documents fournissent des informations sur le nom et statut des propriétaires, la superficie des parcelles et leur degré de bonté, la nature des cultures, etc... Certains volumes ont disparu, mais un grand nombre subsistent.
L’administration sarde se heurta très vite à la difficulté de tenir à jour les mutations foncières. Les mappes restent néanmoins l'instrument de référence jusqu'à la mise en œuvre des cadastres français dans les années 1860.

Le statut du propriétaire est classé en cinq catégories : Noble, Ecclésiastique, Bourgeois, Communier, Forain.
Le degré de bonté de la parcelle en comporte trois : 0 pour une terre de nul produit, 1 pour une excellente parcelle, 2 pour une moins bonne, 3 pour une parcelle médiocre.
L'estime précise la nature des cultures : vin, froment, blache [ 1 ], fève, cavalin [ 2 ], foin de bœuf [ 3 ], foins de cheval [ 3 ], etc...

C'est ainsi que j'ai découvert que mon ancêtre Taberlet Pierre, demeurant en la paroisse de Morzine, possédait :
  • 3 maisons, pour un total de 470 m², à Culet, Le Grand Mas et La Combe au Jean
  • 14 champs (fèves, cavalin, foin de bœuf), pour un total de 18 314 m², à Culet, Le Grand Mas, Le Nant de l'Isle, Chantarel, Les Grangettes
  • 1 pré marais, 218 m², à Culet
  • 6 pâturages (foin de bœuf essentiellement), pour un total de 8 034 m², à Culet, Le Grand Mas, Chantarel, Les Grangettes
  • 1 murgier [ 4 ], 101 m², à Culet
  • 4 prés (fèves, cavalin), pour un total de 11 017 m², à Culet, La Combe au Jean, Le Ravaret
  • 2 jardins, 195 m², à Culet, La Combe au Jean
  • 1 pré verger, 202 m², au Grand Mas
  • 2 bois sapin, 7 857 m², à Picarron, Le Ravaret
  • 1 place et grenier, 101 m², La Combe au Jean
  • 2 granges, 138 m², aux Grangettes, Le Ravaret
  • 1 place, 72 m², aux Grangettes
  • 1 broussaille, 243 m², aux Grangettes
  • 2 marais, 6 261 m², aux Grangettes
Total : 41 parcelles, 53 223 m².

Informations précises et précieuses car le testament de Pierre ne m'a signalé aucune de ces possessions.

Aujourd'hui les deux premières maisons de Pierre ont été remplacées par un vaste club de tennis (une dizaine de courts). A l'emplacement de la troisième il y a bien une maison, mais la parcelle semble avoir évolué et le bâti doit être plus récent. Le grenier attenant a, quant à lui, disparu.

Exemple de localisation d'une de ses maisons sur la carte moderne et la mappe :



 
Mappe et carte moderne des possessions de Taberlet Pierre © AD74


Pachon Claude François est un peu moins possessionné : 28 parcelles, pour un total de 20 116 m².

Avec Baud Claude, j'ai eu moins de chance. Le moteur de recherche m'indique en effet plusieurs Claude : 

  • Claude fils de feu Claude dit Parvay, 
  • Claude et Jean fils de feu Claude, 
  • Claude fils de feu Claude et ses frères. 
Moi-même, dans ma généalogie, je compte déjà deux Baud Claude, fils de Claude (le premier ayant aussi un frère prénommé Claude !). Il m'est donc impossible de déterminer si les résultats de la requête correspondent à un ou plusieurs de mes ancêtres.


  • Les plus de cette mise en ligne :
- Les registres recensant les propriétaires et renseignements divers (numéros de parcelles, surfaces, occupations) accompagnent les plans. Les autres services d'archives se contentant de mettre en ligne les plans, sans les matrices, ce qui ne sert à rien : si on ne peut pas identifier les propriétaires des parcelles, inutile de les voir.
- Un état précis des possessions de nos ancêtres.
- La comparaison entre l'état ancien et l'occupation du sol actuelle.


  • Les moins de cette mise en ligne :
- Comme pour l'état civil [ 5 ] les mappes numérisées ne couvrent pas la totalité du département : sur les quatre communes qui m’intéressent, trois ne sont pas numérisées.
- Un seul clic pour identifier les parcelles de votre ancêtre c'est bien, mais après il faut 5 heures pour les trouver sur la mappe ! En effet, l'option "localiser" renvoie à une Google map moderne, mais pas sur les plans originaux; qui sont souvent des documents vastes et donc assez long à ouvrir avec un niveau de zoom suffisant pour voir les numéros de parcelles.
- Le mode d'emploi qui les accompagne n'est pas complet. Un certain nombre de termes ne sont pas définis et restent obscurs.
- Le cartel qui s'ouvre sur la carte (moderne donc) associé à la parcelle comporte des informations qui restent elles aussi totalement mystérieuses : degré de bonté : 2, estime 1 : foin de bœuf, quantité 1 : 6. Il faut aller chercher ailleurs la traduction de ces précieuses informations.
- Une recherche facile et multicritères, mais en tapant un patronyme le moteur de recherche indique parfois "aucun résultat" : ne pas s'y arrêter car en cliquant sur "rechercher" on obtient tout de même des résultats.
- A chaque recherche, une fenêtre s'ouvre signalant que le script ne répond pas. Si on ne le débogue pas correctement, la localisation de la parcelle s'ouvre sur un emplacement situé en plein milieu de l'océan près d'Hawaï !

A mon sens, cette mise en ligne des mappes sardes est une très bonne initiative, mais la mise en œuvre reste un peu limitée, notamment au niveau des explications pour les profanes et quelques problèmes techniques.



[ 1 ] Variété de roseaux qu'on utilise comme litière ou dans l'alimentation du bétail; Synonyme de blachère.
[ 2 ] Mélange de céréales.
[ 3 ] Fourrage.
[ 4 ] Tas de pierres provenant de l'épierrement du sol.
[ 5 ] Une annonce de la mise en ligne de tout l'état civil de l'arrondissement de Bonneville m'a mise en joie... avant la douche froide : par exemple deux tables de la fin du XIXème seulement sont en ligne pour la commune de Samoëns. Bien décevant.

vendredi 3 avril 2015

Mes arrière-grands-parents étaient lapidaires

Mon arrière-grand-père Jules Assumel-Lurdin et son épouse Marie Gros ont été (entre autres) lapidaires. Ouvriers lapidaires.
C'est l'occasion de faire un zoom sur ce métier.

L'ouvrier lapidaire est un tailleur de pierres précieuses (sauf le diamant : travail qui était réservé au diamantaire). Le mot lapidaire vient du latin "lapis" qui signifie pierre. On distingue les pierres précieuses (agate, diamant, émeraude, grenat, topaze, etc...) des pierres semi-précieuses (jade, onyx, etc...). De nombreuses croyances ou superstitions sont liées aux pierres et à leur (supposé) pouvoir. Elles peuvent protéger (de la maladie, de la mauvaise ivresse...) ou porter bonheur. Chaque pierre est associée à une période de l'année; ainsi un mari volage, lorsqu'il offrait un diamant à son épouse en avril, s'épargnait des scènes de ménage ! [ 1 ]

Les lapidaires étaient aussi parfois appelés cristalliers ou "perriers de pierres natureus". Ils aimaient à se distinguer des "perriers de verre" qui fabriquaient et travaillaient des pierres artificielles.

Cette tradition de taille de pierre se retrouve dans le Nord de l’Ain et le Haut Jura. Elle remonte à une époque où les horlogers catholiques genevois, fuyant la Suisse et le calvinisme à partir du XVIème siècle, s'installent par-delà la frontière. Ils s'étaient installés comme agriculteurs ou éleveurs et, comme pendant les mois d’hiver ils ne pouvaient travailler la terre, ils ont repris leur métier, la taille de pierres. A l'origine, ce métier était utile à la confection des mécanismes des montres. 

Ce "métier" étant un travail temporaire, saisonnier, c'est pourquoi on le trouve associé à d'autres métiers. Dans le cas de Jules Assumel-Lurdin, il est dit "lapidaire" en 1896 (lors d'un recensement) et la même année cultivateur (sur sa fiche militaire).

C’est donc une activité annexe au travail de la terre, un précieux complément de ressource, qui s’inscrit parfaitement dans la petite industrie de montagne que l’on pratiquait à domicile à l'époque. Ce métier ne nécessite pas d’outillage très important (on peut s’installer dans la cuisine par exemple), ni une grande force; c’est pourquoi les femmes exercent ce métier couramment. C'est le cas de Marie Gros, donc, en 1916. On utilise alors un simple établi avec une grande roue (mesurant de 40 à 50 cm) entraînée par une courroie une meule de bronze (pour la taille) ou de carborundum (pour le polissage). Avec sa main gauche, l’ouvrier fait tourner la grande roue qui entraîne la meule. 


Lapidaire, D. Chatry

Si la taille des pierres précieuses (émeraude, rubis, saphir, topaze) est assez bien rémunérée (environ 15 francs/jour), celle des pierres synthétiques (strass) l’est environ dix fois moins. L’une et l’autre de ces activités sont néanmoins vues comme pénibles, voire dangereuses pour la santé à cause des poussières dégagées par les meules.


En 1901 Jules est dit "patron" (dans les listes de recensement) et il semble employer - uniquement - son jeune frère, de six ans son cadet (bien que le prénom du patron ne soit pas cité, mais on ne retrouve pas d’autre employé l’ayant comme patron dans la commune). Cet accès au "patronat" ne signifie pas forcément qu’on soit passé à une échelle plus "industrielle" (utilisant une force hydraulique comme force motrice) : les "lapidaires en chambre" employaient parfois plusieurs personnes. 

Plus tard, Jules sera dit cultivateur (1896, 1902) et scieur (1905, 1906) avant de devenir, d'une façon plus durable, garde forestier (à partir de 1905). Mais ça, c'est une autre histoire...


[ 1 ] G. Boutet : La France en héritage, éd. Omnibus