« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

jeudi 29 juin 2023

L'insoumis

Cet épisode est disponible en podcast !

 


Louis Astié naît à Cransac (12) le 18 février 1857. C’est un collatéral pour moi mais il est néanmoins le petit-fils de mon ancêtre Augustin Astié, chapelier à Conques dont j’ai pisté la maison sur ce blog (voir ici).

Il hérite d’ailleurs de cette fameuse maison, parcelle 96 au cadastre. En 1870 il reçoit, en indivision avec sa sœur Julie, ladite parcelle. Pépé Augustin est mort 9 ans auparavant, mais les impôts ne semblent pas s’en être aperçu tout de suite…
Bref, ce n’est pas le sujet du jour. En 1877 Louis a 20 ans. Physiquement, il est très ordinaire : Il mesure 1,60 m, a les cheveux et sourcils châtains, un front large et un menton rond sur un visage ovale, une bouche et un nez moyens. Il demeure avec sa mère, Victoire Issalis, à Aubin (entre Decazeville et Conques) où elle est journalière. Lui-même travaille dans les mines de ce bassin minier qui voit son essor à cette époque-là. Sa sœur cadette, Julie, n’est pas avec eux ; peut-être est-elle déjà en région parisienne où on la retrouve en 1893. Son père, cantonnier, est décédé en 1864, ainsi qu’une sœur aînée qui n’a vécu que 10 mois en 1854/1855.

20 ans, pour Louis, c’est l’heure du tirage au sort de l’armée

Rappelons quelques grandes dates concernant le service militaire en France :

  • 23 août 1793 : un décret de la Convention instaure une levée en masse. C’est une première forme de service obligatoire.
  • 5 septembre 1798 : loi Jourdan-Delbrel indique que "tout Français est soldat et se doit à la défense de la Patrie" ; elle crée la Conscription et le service militaire universel : inscription et conscription sur les tableaux de recrutement pour les hommes de 20 ans révolus ; création des classes, tous les Français nés la même année formant une même classe ; service militaire obligatoire de 5 ans pour les hommes de 20 ans révolus.
  • 1802 : loi qui instaure le tirage au sort désignant ceux qui partent sous les drapeaux et le remplacement qui permettent à ceux-ci d'échapper à la conscription en achetant un homme.
  • 1818 : loi Gouvion-Saint-Cyr qui réinstaure la conscription. Le recrutement militaire se fait désormais par volontariat et par tirage au sort, avec possibilité de remplacement. Les jeunes gens qui ne sont pas tirés au sort sont immédiatement libérés de leurs obligations militaires.
  • Loi Soult du 21 mars 1832 : Inverse les principes de la loi Gouvion-Saint-Cyr. Le recrutement se fait sur la base de l’appel, complété par le volontariat ; conserve le tirage au sort et la possibilité de remplacement.
  • De 1818 à 1868 diverses lois reviennent sur la durée obligatoire du service militaire (6, 8, 7, 5 ans dans l’armée active).
  • La loi Cissey du 27 juillet 1872 institue le service militaire universel avec la suppression du remplacement. Toutefois, de nombreuses dispenses sont encore accordées. Des registres matricules départementaux sont établis (ce qui nous intéresse bien en généalogie : ce sont souvent ceux-là qui sont mis en ligne en priorité). La durée du service est fixée à 5 ans d’armée d’active, puis 4 ans en réserve et 11 ans en territoriale. Les hommes sont donc susceptibles de passer 20 ans sous les drapeaux.

Louis, appelé en 1877, est concerné par cette dernière loi.


Mais comment cela se passe concrètement à cette époque-là* ?

Chaque année, les maires dressent un tableau de recensement des jeunes gens ayant atteint l'âge de vingt ans révolus dans l'année précédente et domiciliés dans la commune. Ces tableaux sont publiés et affichés dans chaque commune au plus tard le 15 janvier. Ils sont accompagnés d’un avis qui indique le lieu et le jour où il sera procédé à l'examen desdits tableaux et à la désignation, par le sort, du numéro assigné à chaque jeune homme inscrit.

La force du contingent appelé est fixée chaque année par une loi spéciale. Il est réparti entre les départements et les cantons, proportionnellement au nombre des jeunes gens inscrits sur des tableaux de recensement.

 

Louis Astié, dont le patronyme commence par un A et demeure dans une commune qui commence aussi par un A (Aubin, près de Decazeville), avait-il plus de chance qu’un autre de se retrouver en haut de la liste ? Toujours est-il que, ce jour-là, il se retrouve avec tous les jeunes gens de sa classe au chef lieu du canton, à Aubin. Sans doute a-t-il rejoint son cousin qui est de la même classe que lui, qui est mineur comme lui et qui s’appelle… Louis Astié !

(Il va de soi que je les ai confondu plusieurs fois !)

 

L’examen des tableaux et les opérations de tirage au sort pour le canton d’Aubin a lieu le 2 février 1878. La séance commence à 10 h dans la salle de la mairie. C’est le sous-préfet de l’arrondissement de Villefranche, assisté des maires des 11 communes du canton, qui procède au tirage au sort. 10 gendarmes ont été appelés pour maintenir le bon ordre. C’est le sort (sans mauvais jeu de mot) de 312 hommes qui se joue ce jour-là. L’ordre des communes appelées au tirage est lui-même tiré au sort. Aubin est la 3ème des 11 communes.

 

Le sous-préfet compte publiquement les numéros et les dépose dans l'urne, après s'être assuré que leur nombre est égal à celui des jeunes gens appelés à y concourir. Aussitôt, chacun des jeunes gens appelés dans l'ordre du tableau prend dans l'urne un numéro qui est immédiatement proclamé et inscrit. Les parents des absents ou, à défaut, le maire de leur commune tirent à leur place. L'opération du tirage achevée est définitive. Elle ne peut, sous aucun prétexte, être recommencée, et chacun garde le numéro qu'il a tiré ou qu'on a tiré pour lui. 

 

Le premier Louis, celui qui nous occupe aujourd’hui, n’a pas eu longtemps à attendre : il est le n°1 sur la liste ! Son cousin, le second Louis, a patienté un peu plus longtemps : n°186.

 

La liste cantonale, par ordre de numéros, est dressée à mesure que les numéros sont tirés de l'urne. Il y est fait mention des cas et des motifs d'exemption et de dispenses que les jeunes gens ou leurs parents, ou les maires des communes se proposent de faire valoir devant le conseil de révision. S’il n’y a aucun motif à présenter, on inscrit la mention SR (Sans Raison). C’est le cas du second Louis qui, sans raison valable à faire valoir, est donc directement incorporé au service actif. La liste du tirage est ensuite lue, arrêtée et signée. Elle est publiée et affichée dans chaque commune du canton. La séance à Aubin est levée à 14h30.

 

Le premier Louis est donc le n°1 de la liste. Pour échapper au service militaire, il lui reste le conseil de révision et une éventuelle dispense.


 

Il existe différents motifs d’exemption et de dispense :

  • Sont exemptés du service militaire, les jeunes gens que leurs infirmités rendent impropres à tout service actif ou auxiliaire dans l'armée.
  • Sont dispensés du service d'activité, en temps de paix, l'aîné d'orphelins de père et de mère; le fils unique ou l'aîné des fils d'une femme veuve ou d'une femme dont le mari a été légalement déclaré absent, ou d'un père aveugle ou entré dans sa 70ème année ; un jeune homme dont un frère est dans l'armée active; celui dont un frère est mort en activité de service ; etc…
  • Sont, à titre conditionnel, dispensés du service militaire les membres de l'instruction publique, les professeurs des institutions nationales des sourds-muets et des institutions nationales des jeunes aveugles, les artistes qui ont remporté les grands prix de l'Institut ou les élèves ecclésiastiques…

 

Après le tirage au sort a donc lieu le conseil de révision. Les opérations du recrutement sont revues, les réclamations auxquelles ces opérations peuvent donner lieu sont entendues, les causes d'exemption et de dispenses sont jugées en séance publique. Le conseil de révision est composé du préfet, d'un membre du conseil général du département, d'un officier général ou supérieur désigné par l'autorité militaire, le commandant du recrutement, un médecin militaire, etc...

Le conseil de révision se transporte dans les divers cantons. Les maires des communes auxquelles appartiennent les jeunes gens appelés devant le conseil de révision assistent aux séances et peuvent être entendus. Tous les conseils de révision doivent se tenir avant le 1er juillet, date du début officiel du service.

Le conseil de révision qui nous occupe a lieu le 3 avril 1878 au chef lieu de canton, Aubin. Il est composé du Préfet, Louis Assiot, un conseiller de préfecture, le Conseiller général Urbain Austry, un conseiller d’arrondissement. Sont aussi présents divers militaires, dont le commandant du dépôt de recrutement et le médecin militaire ; ainsi que les maires des communes du canton. Le conseil est déclaré ouvert à 8h20.

Les jeunes gens portés sur les tableaux de recensement sont convoqués, examinés et entendus l’un après l’autre. Ils peuvent alors faire connaître l'arme dans laquelle ils désirent être placés. Dans le cas d'exemption pour infirmités, le conseil ne se prononce qu'après avoir entendu le médecin présent. Les cas de dispenses sont jugés sur la production de documents authentiques et sur les certificats signés de trois pères de famille domiciliés dans le même canton, dont les fils sont soumis à l'appel ou ont été appelés. Ces certificats doivent, en outre, être signés et approuvés par le maire de la commune du réclamant. Les décisions du conseil de révision sont définitives.

Après que le conseil de révision a statué sur les cas d'exemptions et sur ceux des dispenses, ainsi que sur toutes les réclamations auxquelles les opérations peuvent donner lieu, la liste du recrutement cantonal du contingent est définitivement arrêtée par le conseil de révision. Elle mentionne les noms des hommes reconnus aptes avec le nom de l'unité d'affectation. La liste d’Aubin est signée et la séance levée à 16h.

Cette liste, divisée en cinq parties, comprend :

  • Par ordre de numéros de tirage, tous les jeunes gens déclarés propres au service militaire et qui ne doivent pas être classés dans les catégories suivantes;
  • Tous les jeunes gens dispensés du service;
  • Tous les jeunes gens conditionnellement dispensés, ainsi que les jeunes gens liés au service en vertu d'on engagement volontaire, d'un brevet ou d'une commission, et les jeunes marins inscrits;
  • Les jeunes gens qui, pour défaut de taille ou pour toute autre cause, ont été dispensés du service-dans l'armée active, mais ont été reconnus aptes à faire partie d'un des services auxiliaires de l'armée;
  • Enfin les jeunes gens qui ont été ajournés à un nouvel examen du conseil de révision.

L’étape suivante de la procédure est la création des registres matricules, dressés au moyen des listes cantonales du contingent sur lesquelles sont portés tous les jeunes gens qui n'ont pas été déclarés impropre au service militaire ou qui n'ont pas été ajournés à un nouvel examen du conseil de révision.

Ce registre mentionne l'incorporation de chaque homme inscrit et successivement tous les changements qui peuvent survenir dans sa situation, jusqu'à ce qu'il passe dans l'armée territoriale.

Tout homme inscrit sur le registre matricule, qui change de domicile, est tenu d'en faire la déclaration à la mairie de la commune qu'il quitte et à la mairie du lieu où il vient s'établir. S’il ne le fait pas, il peut être déféré aux tribunaux ordinaires et puni d'une amende de dix à deux cents francs; il peut, en outre, être condamné à un emprisonnement de quinze jours à trois mois.

Tout Français qui n'est pas déclaré impropre à tout service militaire fait partie:

  • De l'armée active pendant cinq ans; elle est composée de tous les jeunes gens déclarés propres à un des services de l'armée;
  • De la réserve de l'armée active pendant quatre ans; elle est composée des exemptés et des volontaires avec une durée de service de cinq ans et des jeunes gens qui, après un service de cinq ans dans l'active, sont également obligés de servir quatre ans dans la réserve.
  • De l’armée territoriale pendant cinq ans; elle est composée de tous les hommes qui ont accompli le temps de service prescrit pour l'armée active et la réserve ;
  • De la réserve de l'armée territoriale pendant six ans ; elle est composée des hommes qui ont accompli le temps de service pour cette armée.

Chaque année, au 30 juin, en temps de paix, les militaires changent de statut :

  • ceux qui ont achevé le temps de service prescrit dans l'armée active, sont envoyés dans la première réserve
  • ceux qui ont accompli le temps de service prescrit dans la réserve de l'armée active, sont envoyés dans l'armée territoriale
  • ceux qui ont terminé le temps de service prescrit pour l'armée territoriale, sont envoyés dans la deuxième réserve
  • ceux qui ont terminé le temps de service pour la deuxième réserve, reçoivent leur congé définitif.

En temps de guerre, ils reçoivent leurs affectations immédiatement après l'arrivée au corps.

 

Louis a fait valoir son état familial : son père est décédé en 1864. Il laisse une veuve et deux enfants, lui-même et sa jeune sœur Julie âgée de 18 ans. Il entre donc dans le cas de l’article 17 comme fils unique d'une femme actuellement veuve. Sans doute a-t-il produit des copies d’actes d’état civil (notamment l’acte de décès de son père) qui prouve son état et tout autre document nécessaire. Sa demande est reçue : il est dispensé. 

Conseil de révision © Genealanille
Conseil de révision © Genealanille

Il est inscrit dans la 2ème partie de la liste (celle des dispensés, donc). Néanmoins dispensé ne signifie pas qu’il est libéré complètement du service militaire : il ne fait pas de service actif, mais il reste mobilisable. Il suit le cours de sa classe (active, réserve, territoriale) tout en restant dans ses foyers. Si son motif de dispense disparaît, il rejoint sa classe.

Revenons au parcours normal du soldat : après l'armée d'active, il est versé dans la réserve. Napoléon III a souhaité instituer, dès 1866, une réserve militaire comparable à celle de l’armée prussienne. Cependant elle ne fut officiellement créée qu’en 1872. En effet les troupes de cette proto-réserve, peu formées, mal organisées et médiocrement commandées furent incapables de résister à l'invasion allemande et de défendre Paris en 1870. C'est donc après la chute du Second Empire que sont instituées les réserves telles qu’elles ont existé jusqu’à la fin du XXe siècle.

Les jeunes gens qui sont versés dans la réserve restent à la disposition du ministre de la guerre. Ils peuvent néanmoins se marier sans autorisation. Ils sont assujettis, pendant le temps de service de ladite réserve, à prendre part à des revues et à des exercices afin qu’ils restent opérationnels, même dix ans après la fin de leur service dans l’armée active.

Au début, les exercices de la première année duraient trois mois, après lesquels les jeunes gens étaient renvoyés provisoirement « en congé » (on ne disait pas encore réserve). La deuxième année, ils étaient rappelés dans les dépôts pour y être exercés de nouveau pendant deux mois, et la troisième année pendant un mois. Ensuite les exercices de la troisième année furent supprimés et la durée des manœuvres restantes progressivement réduite à un mois, voire 15 jours (après 1900).

Jusqu'au début du XXe siècle les hommes concernés sont avertis par le maire et par voie d'affichage en début d'année.

La première période d’exercices se déroule théoriquement la deuxième année après le passage dans la réserve de l'armée d'active. Elle dure 28 jours jusqu'en 1905, puis 23. Dans l'infanterie, la majorité est appelée fin août afin qu'ils participent aux grandes manœuvres qui se déroulent la première quinzaine de septembre. Une dispense ou un ajournement peut être accordé dans certains cas.

Lors de ces manœuvres, les jeunes gens étaient réunis dans l'un des dépôts d'instruction établis dans leur département. Une visite médicale peut être organisée. Ceux reconnus momentanément hors d'état d'accomplir leur période d'instruction sont ajournés et renvoyés immédiatement dans leurs foyers. Les autres y apprennent l'entretien de l'armement, le service de campagne (dont l'hygiène des hommes), l’entraînement au tir et à la marche, puis les manœuvres.

A l'expiration de chaque période d'instruction, la mention de l'accomplissement de cette période est inscrite sur le livret individuel du soldat et sur sa fiche matricule.

La deuxième période d'exercices se déroule entre quatre et six ans après leur passage dans la réserve. Son contenu est assez similaire à la première. 

Toute fraude dans les déclarations des jeunes gens, ou non présentation réglementaire, est soumise à différentes peines selon les cas (amendes ou emprisonnement), qu’ils soient dans l’armée active, engagé volontaire ou dans la réserve.

 

Tant que le motif de dispense existe, Louis n'a pas à revêtir l'uniforme. Mais si le motif disparait, ses obligations militaires reprennent. Il ne repart pas de zéro, c'est-à-dire qu’il ne rentre pas dans l’active comme tout nouvel appelé, mais suit le court normal de sa classe (1877 en l’occurrence), comme on l'a vu plus haut. Ainsi, avec sa classe, il est passé ("théoriquement") dans la réserve le 1er juillet 1883. Selon son statut, il a été dispensé de la première période d'exercices en 1884. 

Or la mère de Louis meurt en mai 1886 et avec elle disparaît la veuve dans l’équation « fils aîné de veuve ». Louis est donc rappelé à ses obligations militaires. Comme le reste de sa classe, on le convoque pour accomplir sa période d'instruction de réserviste, d'une durée de 28 jours (celle qui correspond à la deuxième période d’exercice puisque nous sommes 9 ans après l’appel). Pour cela il aurait dû se présenter le 6 septembre 1886 au chef lieu du département pour y être passé en revue avec son régiment d’infanterie à Rodez. Mais il ne « s’est même pas présenté un mois après ». Le 6 octobre il fait l’objet d’un signalement d’un réserviste de la classe 1877 (n’ayant pas servi) et déclaré insoumis.


Fiche de signalement d'un insoumis © AD12
Fiche de signalement d'un insoumis © AD12


D’après le Code Militaire**, est considéré comme insoumis tout jeune soldat appelé par la loi, tout engagé volontaire ou tout remplaçant qui, hors les cas de force majeure, ne s'est pas rendu à sa destination dans le mois qui suit le jour fixé par son ordre de route.

Les jeunes soldats, les engagés volontaires et les remplaçants qui ont reçu leur ordre de route, mais qui ne sont pas encore réunis en détachement, ni arrivés au corps sont considérés comme étant justiciables des conseils de guerre. Cela inclus notamment les jeunes soldats laissés dans leurs foyers (la réserve) lorsqu'ils sont réunis pour les revues ou exercices prévus, exception faite des transports sous la conduite de la force publique, d’entrées dans un hospice ou de détentions dans une prison militaire. 

 

La désertion intervient lorsqu’un soldat s’absente sans autorisation, ou qu'il voyage isolément d'un corps à un autre, ou que son congé ou sa permission ont expirés.

En temps de paix, la peine prévue pour insoumission est un emprisonnement de six jours à un an ; en temps de guerre, elle est portée de un mois à deux ans d'emprisonnement.

 

Phénomène ancien, et récurrent, on commença par punir la désertion de la peine de mort; et cet état de chose subsista jusqu'en 1638. La peine capitale fut alors remplacée par les galères; puis elle fut ordonnée, de nouveau, pour disparaître encore. Elle était frappée, au moment de la Révolution, d'une punition corporelle et de la prolongation du service militaire. Les lois successives créèrent des juridictions et des pénalités diverses, selon les nécessités des temps.

 

L’autorité militaire a le devoir de prescrire toutes les mesures pour que les déserteurs et insoumis soient immédiatement recherchés et arrêtés. La prescription de ces faits ne commence à courir que du jour où l'insoumis ou le déserteur a atteint l'âge de 47 ans.

Les hommes qui, sans motifs légitimes, se présentent en retard dans les trois premiers jours de la période à laquelle ils sont convoqués, sont punis disciplinairement par l'autorité qui a constaté la faute. Ils sont, d'ailleurs, tenus d'accomplir immédiatement et intégralement leur période.

Ceux qui, à l'expiration des délais fixés ci dessus, n'ont pas rejoint le corps dans lequel ils devaient accomplir leur période (corps d'affectation ou autre) sont immédiatement signalés au commandant de recrutement de leur domicile. Ils sont, à cet effet, inscrits sur une liste nominative de signalement d’insoumis, établie par classe de mobilisation et adressée par le corps au commandant de recrutement intéressé dès le troisième jour de la période d'exercices. Celui-ci formule une plainte officielle qui énonce l'époque à laquelle l'insoumis aurait dû rejoindre son corps.

Sont annexés à la plainte :

  • La copie de la lettre de mise en activité ;
  • La copie des pièces énonçant que l'insoumis n'est pas arrivé à la destination qui lui avait été assignée;
  • L'exposé des circonstances qui ont accompagné l'insoumission.

Louis ne s’étant pas présenté au chef lieu de subdivision au jour fixé par son ordre de route, une plainte est portée à son encontre comme réserviste appelé pour accomplir une période d’exercices de 28 jours insoumis.

Le commandant de recrutement fait alors rechercher ces hommes par la gendarmerie. La police judiciaire militaire est en charge de rassembler les preuves, et de livrer les auteurs à l'autorité.

Louis a été déclaré insoumis le 6 octobre 1886, arrêté le 3 décembre 1886, écroué le 4. La plainte le concernant est officiellement adressée au Ministre de la guerre, au Préfet de l’Aveyron, au Chef d’escadron commandant la compagnie de gendarmerie de la Haute Garonne le 7 décembre 1886.

Une fois arrêté, le prévenu est interrogé par le rapporteur sur ses nom, prénoms, âge, lieu de naissance, profession, domicile, et sur les circonstances du délit; il lui présente toutes les pièces pouvant servir à conviction, et il l'interpelle pour qu'il ait à déclarer s'il les reconnaît. S’il y en a, les témoins de l’affaire sont auditionnés. S’ils résident hors du lieu où se fait l'information, le rapporteur peut requérir, par commission rogatoire le juge d'instruction ou le juge de paix du lieu dans lequel ces témoins demeurent, à l'effet de recevoir leur déposition. Toute personne citée pour être entendue en témoignage est tenue de comparaître et de satisfaire à la citation. A défaut une amende peut être ordonnée.

L'interrogatoire fini, il en est donné lecture au prévenu, afin qu'il déclare si ses réponses ont été fidèlement transcrites, si elles contiennent la vérité et s'il y persiste. L'interrogatoire est signé par le prévenu et clos par la signature du rapporteur et celle du greffier.

Après l'interrogatoire du prévenu, le mandat de comparution ou d'amener peut être converti en mandat de dépôt. Le commissaire rend compte au général commandant la division des mandats de comparution, d'amener ou de dépôt qui ont été décernés par le rapporteur.

L'instruction terminée, le rapporteur transmet les pièces, avec son rapport et son avis, au général commandant la division, qui se prononce sur la mise en jugement et, le cas échéant, ordonne de convoquer le conseil de guerre ; il en fixe le jour et l'heure de sa réunion. L'insoumis est jugé par le conseil de guerre de la division militaire dans laquelle il est arrêté.

Trois jours avant la réunion du conseil de guerre, le commissaire notifie cet ordre à l'accusé, en lui faisant connaître le crime ou le délit pour lequel il est mis en jugement, le texte de la loi applicable, et les noms des témoins qu'il se propose de faire citer. Si le prévenu ne fait pas le choix d'un défenseur, il lui en sera nommé un d'office par le président.

Le conseil de guerre est composé d’un colonel ou un lieutenant-colonel qui fait office de président, et plusieurs juges (officiers ou sous-officiers).

 

 

Le Conseil de guerre du XVIème corps d’armée qui a jugé Louis a eu lieu le 19 janvier 1887 à Montpellier. Il est présidé par le lieutenant colonel du 122e de ligne, M. Guasco.

 

Les séances conseil de guerre sont publiques, sauf s’il y a danger pour l'ordre ou pour les mœurs : elles se tiennent alors à huis clos. Dans tous les cas, le jugement est prononcé publiquement. Le président fait amener l'accusé, lequel comparait sous garde suffisante, libre et sans fers, assisté de son défenseur. Il est interrogé par le président sur son identité et lui fait connaître le crime ou le délit pour lequel il est poursuivi. Il l'avertit que la loi lui donne le droit de dire tout ce qui est utile à sa défense. 

Le président est investi d'un pouvoir discrétionnaire pour la direction des débats et la découverte de la vérité. Il peut, dans le cours des débats, appeler toute personne dont l'audition lui parait nécessaire; il peut aussi faire apporter toute pièce qui lui paraîtrait utile à la manifestation de la vérité. Le président procède à l'interrogatoire de l'accusé et reçoit les dépositions des témoins. Le commissaire impérial est entendu dans ses réquisitions et développe les moyens qui appuient l'accusation. L'accusé et son défenseur sont entendus dans leur défense. Une fois les débats terminés, le président fait retirer l'accusé. Les juges se rendent dans la chambre du conseil, ou, si les localités ne le permettent pas, le président fait retirer l'auditoire.

Les juges ne peuvent plus communiquer avec personne ni se séparer avant que le jugement ait été rendu. Ils délibèrent hors la présence du commissaire impérial et du greffier. Ils ont sous les yeux les pièces de la procédure. Le président recueille les voix, en commençant par le grade inférieur; il émet son opinion le dernier.

Les questions sont posées par le président dans l'ordre suivant pour chacun des accusés :

  • L'accusé est-il coupable du fait qui lui est imputé ?
  • Ce fait a-t-il été commis avec telle ou telle circonstance aggravante ?
  • Ce fait a-t-il été commis dans telle ou telle circonstance qui le rend excusable d'après la loi ?

Si l'accusé est déclaré coupable, le conseil de guerre délibère sur l'application de la peine.

Les peines sont graduées au vue des circonstances du crime ou du délit, et selon que la désertion  ou insoumission a eu lieu en temps de paix, de guerre ou de siège, à l'intérieur, à l'étranger, à l'ennemi ou en présence de l'ennemi. Des conseils de guerre spéciaux sont institués pour juger les déserteurs et insoumis.

Les peines qui peuvent être appliquées par les tribunaux militaires en matière de crime sont : la mort, les travaux forcés, la déportation, la détention, la réclusion, le bannissement, la dégradation militaire. Les peines en matière de délit sont : la destitution, les travaux publics, l'emprisonnement, l'amende.

Le jugement est prononcé en séance publique. Le président donne lecture des motifs et du dispositif.

Si l'accusé n'est pas reconnu coupable, le conseil prononce son acquittement, et le président ordonne qu'il soit mis en liberté. Si le conseil de guerre déclare que le fait commis par l'accusé ne donne lieu à l'application d'aucune peine, il prononce son absolution, et le président ordonne qu'il soit mis en liberté à l'expiration du délai fixé pour le recours en révision. S’il est condamné, le greffier en donne lecture à l'accusé et l'avertit du droit qu'il a de former un recours en révision dans les vingt-quatre heures. Le procès-verbal est dressé et signé.

S'il n'y a pas de recours en révision, le jugement est exécutoire dans les vingt-quatre heures après l'expiration du délai fixé pour le recours. Le commissaire impérial rend compte au général commandant la division du jugement du conseil de guerre pour qu’il requière l'exécution du jugement.

 

Louis a été condamné à 8 jours d’emprisonnement. Cela ne le changera pas beaucoup de son ordinaire car la raison pour laquelle il ne s’est pas présenté à sa période d’exercice c’est qu’il était… en prison !

Et oui, c’est là qu’il a été cueilli par les autorités : à sa sortie de la prison d’Albi.

C’est la presse qui nous raconte les motifs de son incarcération en détention civile.

Le XIXème siècle marque l’essor de la presse, notamment grâce à la modernisation des techniques, à l’alphabétisation et à l’augmentation de la publicité, qui permet la baisse des coûts de production (et donc de vente).

Mais à cette époque, je journalisme n’était pas ce qu’il était aujourd’hui. On est encore loin d’une écriture journalistique spécifique, avec ses codes propres (hiérarchie codifiée de l’information, rôle et place de l’anecdote, titre, chapeau). Les rédactions sont moins importantes, c'est-à-dire, qu’il y a moins de journaliste embauchés par journaux. La profession journalistique n’existe pas encore vraiment. On parle parfois d’écrivains de journal pour les désigner.

A l’époque, la frontière entre journalisme (information, chronique) et littérature (conte, fiction) est mince. Les journaux influencent la littérature (les écrits jusqu’alors principalement argumentatifs deviennent narratifs) et inversement. Des écrivains travaillent au sein des journaux. Certains d’entre eux se font connaître grâce aux feuilletons, histoire publiées par épisode dans les quotidiens. Si la partie « feuilleton » est clairement identifiée comme une partie imaginaire, des éléments fictionnels infusent aussi l’ensemble des écrits, dans le ton et le style des articles. De plus, ces écrivains signent aussi des articles où ils trouvent une tribune pour exprimer leurs idées politiques et artistiques au lecteur, de façon directe.

Les publications font souvent 4 pages à cette époque. Les pages 2 et 3 sont appelées le ventre mou du journal. On y trouve une série d’articles qui ne sont pas signés et qui sont souvent republiés dans plusieurs titres (ce que les lecteurs savaient pertinemment). Ils ont beaucoup de succès parce qu’ils sont poignants, émouvants ou a contrario parce qu’ils comblent nos besoins naturels de frissons et d’horreur, mais aussi parce qu’ils sont en prise avec les préoccupations de l’époque et font vendre.

C’est là que l’on retrouve l’histoire de Louis, publiée dans plusieurs titres comme c’est l’usage (le Journal de Toulouse, le Progrès libéral et Le Petit républicain de Toulouse et du Midi, articles identiques au mot près ; La Dépêche, article légèrement différent).

D’après le Journal de Toulouse, dans son édition du 18 juin 1886, les sergents de ville qui faisaient leur ronde de nuit en banlieue ont arrêté trois hommes. La Dépêche précise que cette ronde avait pour but de « parcourir les différents quartiers de la banlieue pour rechercher les vagabonds et les repris de justice qui infestent ces parages ». Ils ont trouvé, couchés dans une métairie à la Côte Pavée (quartier résidentiel bourgeois de Toulouse située sur les hauteurs de l'est de la ville) «  trois de ces chevaliers errant et à sinistre figure, qui dépouillent les arbres fruitiers de leur récolte et font main basse sur les volailles de nos basses cours. Ces parasites ont été désagréablement surpris par cette visite matinale qui les a mis dans la pénible situation d'abandonner la paille fraîche des étables où ils dormaient d'un si profond sommeil, pour aller s'étendre sur le lit de camp, beaucoup moins confortable, du violon du Capitole. Ces trois nomades, tous étrangers au département, n'ayant ni domicile fixe ni titre de voyage pouvant servir à établir leur identité, seront mis à la disposition de M. le procureur de la République comme prévenus de vagabondage. Ce sont les nommés François Naudy, âgé de 41 ans, sans profession, originaire d’Orlu (Ariège) ; Augustin Dallée, 42 ans peintre en bâtiments, né à Dijon (Côte d'Or) et Louis Astié, âgé de 28 ans, mineur, de Cransac (Aveyron) ».

On admirera au passage les « chevaliers à tristes figures » et autres tournures de l’article.

Mais qui sont ces trois hommes ? 

Deux François Naudy sont nés à Orlu ; un en 1844 et un autre en 1845 : difficile de dire lequel est notre protagoniste. Un homonyme, natif d’Orlu à la même période, vit à Toulouse en 1911 : est-ce que notre homme se serait finalement fixé dans la ville rose ?

Augustin Dallée est probablement celui qui naît le 7 septembre 1843 sous les prénoms d’Auguste Simon (aucun autre candidat ayant pu correspondre n’ayant été trouvé à Dijon). En 1908 une enquête est ordonnée par le tribunal de première instance de Dijon pour constater officiellement son absence : quelqu’un, au pays, doit l’attendre vainement depuis longtemps…

Sans oublier notre Louis, bien sûr. 

Les trois individus, n'ayant pu faire connaître leurs moyens d'existence, ont donc été incarcéré pour un mois. 

Mais ce n'est pas le seul séjour en prison pour Louis. En effet sa fiche matricule lève un coin de voile sur ce sujet car ce type de document comporte toujours... les condamnations du soldat. Louis a fait plusieurs séjours en prison :

  • à partir du 10 avril 1886 pour 8 jours (condamnation par le tribunal correctionnel de Perpignan); motif : vagabondage.
  • à partir du 23 juin 1886 pour un mois (tribunal de Toulouse); vagabondage. C'est la conséquence de l'épisode que l'on a vu relaté par la presse.
  • à partir du 4 novembre 1886 pour un mois (tribunal d'Albi); vagabondage.

C'est à la suite de cette troisième condamnation que Louis a été cueilli par la police à la prison civile d’Albi. L'année 1886 a été mouvementée pour Louis. Que s'est-il passé entre 1877 où il était mineur à Aubin et cette période de vagabondage multiple en 1886 ? Mystère.

Quoi qu’il en soit, la détention en prison civile n’est pas un des cas de force majeure prévue par le code de justice militaire qui exempte un jeune homme de se présenter à ses obligations militaires. Louis est donc arrêté le 3 décembre dès sa sortie de prison. Le lendemain il a été écroué. Arrêté à Toulouse, il a été jugé à Montpellier. Normalement il est envoyé à la prison militaire du lieu où siège le conseil de guerre, donc probablement en Hérault. Après la plainte portée officiellement contre lui le 7 décembre 1886, il est jugé en conseil de guerre quelques semaines plus tard.

A nouveau, la presse s’en fait l’écho : le même article est publié dans le Messager du Midi, édition du 20 janvier 1887, et Le Journal du Midi, du lendemain. Il fait état du conseil de guerre du XVIème corps d’armée qui a eu lieu le 19 janvier 1887 à Montpellier. Il est présidé par le lieutenant colonel du 122e de ligne, M. Guasco qui a condamné Louis, réserviste de la classe 1877 du recrutement de Rodez, à 8 jours de prison pour insoumission. Pour mémoire, en temps de paix, la peine prévue est de six jours à un an. Louis n’a pas eu le minimum ; il n’a pas eu le maximum non plus, loin de là.

 


Après cela les ennuis de Louis ne sont pas terminés. Il est re-affecté au Régiment d'Infanterie de Rodez. Et à nouveau condamné : cette fois c'est pour vol (le 2 février 1887 par le tribunal correctionnel de Montpellier, pour un mois). Et à nouveau déclaré insoumis le 12 novembre 1887 ! C'était peu après son passage dans l'armée territoriale (1er juillet 1887). Je n'ai pas de détail sur cette nouvelle affaire, mais le moins que l'on puise dire c'est que les relations de Louis et de l'armée sont assez délicates !

Pour le reste, je ne lui ai trouvé ni mariage ni décès. Un jour peut-être…

 

 

 

* Pour vous raconter cela, je cite la loi de 1872, accessible dans la Bulletin des lois sur Gallica
** Je me base sur la version de 1857
J’espère ne pas avoir mal interprété les textes parfois un peu obscurs…

 



vendredi 26 mai 2023

Une drôle de vente

Lors de mon séjour aux archives de Rodez, j’ai trouvé une série de document concernant Jean Chivalié, mon sosa 130, charpentier à Conques (12).

 

Tout d’abord une vente passée le 24 avril 1792 devant Me Flaugergues Pierre Paul (3E31 242). Jean Chivalié achète à Pierre Antoine Flaugergues* juge de paix du canton demeurant à la Paraquie, de St Cyprien (commune voisine de Conques), par une « vente pure et simple à titre de propriété irrévocable sans retenues ni réservation aucune […] une maison de haut et bas avec basse court, jardin et cloaque** de l’autre côté de la rue [...] comme aussi des meubles et effets qui sont actuellement dans ladite maison sauf un coffre […] qui se trouve placé à la cave de ladite maison […] avec toutes ses entrées, issues et servitudes [… ], quitte de toutes charges [et sans] hypotheque quelconque ».

Vente Flaugergues-Chivalié, 1792 (extrait) © AD12
Vente Flaugergues-Chivalié, 1792 (extrait) © AD12

 

Le lieu de la maison n'est pas mentionné mais d’après ses confronts il doit s’agir d’une maison à Conques : elle est située entre une rue publique, le fossé de la ville, une grange appartenant au sieur André Baurs et des jardins appartenant à Mr d’Humières et au sieur François Labro.

 

L’acquéreur dit « avoir une parfaite connaissance » que la maison est « en mauvais état ».

Il achète cette maison « moyennant  la somme de onze cent livres ». Pour cela il verse un acompte de 200 livres « présentement payé », sous la forme d’une charretée de vin valant 100 livres que ledit requéreur doit lui délivrer et 100 autres livres « en bonnes espèces de cours » ; les 900 livres restantes à raison de 100 livres par an « le premier terme d’aujourd’hui en un an ainsi à continuer année par année jusqu’à l’entier paiement » avec un intérêt de « trois livres pour cent », taux augmenté à 5% en cas de défaut de paiement.

 

Curieusement, il fait cet achat « pour son ami élu ou à élire » ; cette formulation étrange sera expliquée dès le jour suivant.

 

Le lendemain en effet, 25 avril 1792, il repasse devant le même notaire (3E31 242). Celui-ci le nomme alors Jean Sivalié au lieu de Chivalié (nom qu’il gardera désormais dans tous les actes rédigés par ce notaire). « Ayant acquis par acte du jour d'hier devant nous notaire soussigné une maison jardin, patus***, basse cour et cloaque pour lui ou son ami, de Me Flaugergues de La Paraquie, [il] a par le présent acte élu le sieur André Baurs bourgeois habitant dudit Conques ici présent et acceptant pour recueillir partie de la maison. […] Laquelle dite partie de maison consiste en une cour, chambre, galetas, galerie, jardin, escalier mitoyen ».

André, ou Jean André Baurs est un propriétaire de Conques, alors âgé de 33 ans. Quelques années plus tôt, en 1786, il est dit greffier de la temporalité de la ville (= juridiction du domaine temporel).

 

Donc la maison achetée la veille est revendue pour moitié le lendemain par cet « acte d’élection ». Il n’est pas étonnant de voir, à Conques, des propriétaires de demi-maison. En effet, la ville est établie sur un site en très forte pente : de nombreuses maisons ont un propriétaire pour le haut de la maison, donnant sur une rue haute, et un autre pour le bas, donnant sur une rue basse.

 

« Laquelle dite élection de ladite partie de maison faite moyennant le prix de quatre cents livres »; ledit sieur Baurs a payé « tout présentement » audit Sivalié cent livres « en bonne espèces de cours, compte vérifié reçu et retiré par ledit Sivalié » en présence de témoin, le reste à payer en « 6 termes égaux de cinquante livres chacun le premier desquels en sera d’aujourd’hui et en an ainsi a continuer année par année jusqu’à l’entier et effectif payement » avec un taux d’intérêt de 3%, passant à 5% en cas de défaut de paiement.

 

Différents travaux sont prévus dans cet acte. La questions des écoulements des eaux étant toujours primordiales entre voisins, il est « convenu entre les parties que les eaux pluviales ou autres qui se rassembleront dans la basse cour restante audit Sivalié seront sorties d'icelles au moyen d'un aqueduc construit et entretenu à frais commun desdites parties.

Comme aussi a été convenu que ledit sieur Baurs réparera la porte de la cour qui leur manque [dans] ladite basse cour et fera construire une fenêtre grillée [grillagée] uniquement pour donner le jour et de l'air a ladite cave.

[Il] sera tenu aussi de faire une grille sur la fenêtre de la chambre donnant sur ladite basse cour et [au-dessus de] ladite cave.

De même [il est] convenu que les degrés mitoyen sus énoncés servant d'entrée aux deux parties de maison sera entretenu à frais commun, ainsi que la porte d'entrée. »

 

Comme est clair pour tous que la « porte de maison vendue audit sieur Baurs est en très mauvais état et menace […] ruine […] ledit Sivalié consent que ledit sieur Baurs jouisse de ladite porte de maison ».

 

Trois mois plus tard, le 20 juillet 1792, il revient chez le même notaire pour une obligation (3E31 242). Jean Sivalié se fait prêter 300 livres par le sieur Biart, « prêtre chanoine du chapitre de Conques ». En réalité c’était plutôt un ancien chanoine, les ordres religieux ayant été dissous en 1790 (même si les chanoines ont continué d’assurer leurs fonctions jusqu’en février 1791). Bref, les deux hommes concluent un « vrai et admirable prêt, tout présentement fait audit Sivalié par ledit sieur Biart en bonne espèces de cours » reçu au vu de tous,  notaire et témoins. Somme qu'il promet de rembourser « de jour en jour et à sa volonté toutefois sans intérêt ».

Fait-il ce prêt afin de rembourser la somme due pour l’achat de la maison ? Peut-être. Mon ancêtre devra en tout cas se dépêcher de rembourser ses dettes car l’ex-chanoine, alors âgé d’environ 75 ans, décédera deux ans plus tard.

 

Le 9 septembre 1792, il vient cette fois devant Me Flaugergues (3E31 242) affirmant avoir « reçu du sieur André Baurs bourgeois habitant dudit Conques ici présent et acceptant la somme de trois cents livres pour l'entente [passée] en l'acte du 25e avril dernier retenu par le notaire soussigné ». C’est donc le reste de la dette due par André pour l’achat de la maison.

 

Tous ces protagonistes sont décédés lors de la création du cadastre napoléonien. Mais en analysant les propriétés de leurs descendants j'ai peut-être retrouvé l’emplacement de la maison achetée en 1792 : le fossé de la ville à gauche, la rue, les jardins de Labro et d'Humières au Nord, les bâtiments Baurs, la ruelle. Peut-être que cette maison correspond à la parcelle 102, appartenant à Jean Antoine, le fils de Jean Chivalié ?

Extrait cadastre napoléonien Conques © AD23
Extrait cadastre napoléonien Conques © AD23

 

* Les deux Flaugergues ne semblent pas être de la même famille.
** Réceptacle des eaux sales, des eaux ménagères.
*** Terrain dépendant d'un bâtiment, destiné à ses commodités (cour intérieure…).

 

 

samedi 29 avril 2023

L'héritage d'Antoine Astié

En 2020 sur ce blog j’avais raconté comment j’avais retrouvé les maisons de mes ancêtres Astié à Conques (12) – voir ici.

Grâce aux recherches effectuées aux archives de Rodez j’ai trouvé des informations complémentaires.

 

Rappel des protagonistes :

- Antoine Astié (1732/1809), marié en 1769 avec Marguerite Paul (1741/1816), dont :

  • Pierre Astié (1772/1836), marié en 1797 avec Marianne Frances (1772/1840), dont :

- Marianne Astié (1800/1847) mariée en 1827 avec Jean Antoine Dujou (1800/1872)

- Marie Jeanne Astié (1802/1840) mariée en 1827 avec Jean Antoine Marty (1800/1882)

- Christine (1804/1853) mariée en 1833 avec Geraud Roux (1809/1881)

  • Augustin Astié, mon sosa 64 (1774/1861), marié en 1805 avec Catherine Chivalié (1784/1866)

  • Marie Anne Astié (1776/1843), mariée en 1799 avec Jean Pierre Barbes (1772/1836)

 

Arbre Antoine Astié et ses enfants

Arbre Antoine Astié et ses enfants

 

Lors de la création du cadastre napoléonien dans les années 1840 Antoine Astié et son épouse sont décédés, de même que Pierre (le fils aîné) et son épouse Marianne. Comme expliqué dans l’article précédent, la fille cadette d’Antoine, Marie Anne, quitte Conques avec son mari et n’est donc plus concernée par le patrimoine conquois. Christine, la fille cadette de Pierre, fait de même dans les années 1830. Sur le cadastre apparaissent donc les deux premiers gendres de Pierre, Jean Antoine Dujou et Jean Antoine Marty, ainsi que mon ancêtre Augustin Astié.

Le premier possède les parcelles 138 et 141, le second la 135 et mon ancêtre la 96.

 

Cadastre Conques © AD12
Cadastre Conques © AD12

 

J’avais émis l’hypothèse que Jean Antoine Dujou avait hérité sa maison (et des terres) de son beau-père puisqu’il était originaire d’une autre paroisse.

 

Ce patrimoine se trouvait-il déjà en possession des Astié lors de la génération d’Antoine ?

 

J’ai d’abord trouvé aux archives une donation passée le 1er fructidor an XIII (19/8/1805) devant Me Pierre Paul Flaugergues, notaire à Conques (3E31246) entre les époux Astié et leur fils aîné Pierre : les premiers "voulant donner à pierre Astié leur fils ayné des marques de leur affection" donnent "purement et simplement par donation entre vifs a jamais valable et irrevocable audit Pierre Astié ici présent et acceptant, le quart de la totalité de leurs biens meubles, immeubles présents [...] par preciput* avantage avec dispense de toute imputation sous la réserve de l'usufruit leur vie durant".

Lesdits biens sont situés en totalité dans la commune de Conques. Le document les détaille : "scavoir ceux dudit Astié en maison, jardin, vignes, prés, nogaretes**, terres, bois dans toute leur contenance, évalué le tout quatre mille francs, et revenant pour le quart à mille francs". 4 000 francs, c’est tout de même une certaine somme : les Astié étaient aisés.

La donation comprend en outre "le quart du mobilier dont le détail suit : deux tonneaux, deux cuves vinaires, deux barriques, une grande chaudiere et deux autres moyennes, une conche***, un seau, une marmite le tout cuivre, douze assiettes, trois plats, dix ecuelles, dix cuillères à bouche, deux pots le tout étain, douze serviettes, quatre nappes, quatre linceuls****, trois armoires et autres meubles ordinaires". La présence des cuves et tonneaux s’expliquent par le fait qu’Antoine et Pierre étaient vignerons. On remarque que le mobilier ordinaire (table, lit…) n’est pas détaillé précisément.

Enfin, la donation concerne aussi les biens de Marguerite Paul, qui est "expressement autorisée » par son mari à donner à son fils « le quart [de ses] biens consistant aux reprises**** qu'elle a sur les biens dudit Astié son mari à deux cents francs".

 

Pourquoi cette donation très privilégiée au fils aîné au détriment du cadet (et de la fille) ? Est-ce juste au nom du droit d’aînesse ou y avait-il un attachement particulier des parents à ce fils ? Impossible de répondre à cette question, bien sûr. Quoi qu’il en soit, cet acte donne un premier aperçu du patrimoine familial, qui est plutôt confortable.

 

La succession d’Antoine en 1809 (tables de succession du bureau de Conques 50Q252 et registres de mutation 50Q139), trouvée elle aussi aux archives, est très précise puisque ses biens sont inventoriés.

 

Pierre Astié, propriétaire, comparait tant pour lui que pour Augustin et Marie Anne Astié ses frère et sœur. Il déclare que son père est décédé dans sa maison de Conques (sans préciser le lieu de cette maison, hélas pour moi, mais son acte de décès dit qu’elle est située « Au Palais »). Une autre donation au comparant est citée dans ce document, faite à l’occasion de son contrat de mariage en date du 6 germinal an VII - 26/3/1799 (ce qui est curieux car le mariage de Pierre est daté, lui, du 28 prairial an V, soit deux ans auparavant) ; je n’ai pas encore pu vérifier s’il y a bien un document à cette date. Cette donation était composée d'un tiers des biens du défunt. Ce qui signifierait que Pierre a reçu un tiers des biens parentaux lors de son mariage puis un quart 6 ans plus tard.

 

Selon la succession il est échu aux trois enfants les terres suivantes :

"- une châtaigneraie et bois taillis dit de feifreley de 10 sétérées; revenu 10 [?] fcs, capital 400 fcs
- un pré à la Salesse, 1 sétérée 29 quarte; revenu 30 fcs, capital 600 fcs.
- un lopin de terre dite canteserp, contenance 2 premires [ ?]; revenu 50 fcs; capital 10 fcs.
- terre et vigne au terroir de las combes, 1 sétérée; revenu 10 fcs, valeur 200 fcs.
- autre vigne las combes, 15 journées; revenu 40 fcs, valeur 800 fcs.
- une nogarete* à las combes, 1 quarte; revenu 7,50 fcs, valeur 150 fcs.
- un petit jardin audit lieu, 2 premières; revenu 6 fcs, valeur 120 fcs.
- terre rocher et brassier à rocassou, 6 sétérées; revenu 15 fcs, valeur 300 fcs.
- châtaigneraie et bois à catet, 14 sétérées; revenu 40 fcs, valeur en capital 800 fcs.
- autre châtaigneraie au méja, 8 sétérées; revenu 10 fcs et valeur au capital 200 fcs"
.

Le capital c'est ce que l’on touche si on vend (ou paye si on achète), le revenu c'est ce que cela rapporte (par an le plus souvent) – merci à @cecile_kza pour cette précision.

 

J’ai pu situer la majorité de ces terres sur une carte. Et je les ai retrouvées (toutes sauf deux) dans les possessions des héritiers probables d’Antoine sur le cadastre napoléonien : son fils Augustin et ses gendres Dujou et Marty.

 

Tableau des possessions d’Antoine transmises aux héritiers
Tableau des possessions d’Antoine transmises aux héritiers

 

Reste la question de la maison. La succession mentionne "une petite maison-séchoir à Conques non affermée, d'un revenu de 25 fcs et valeur en capital de 500 fcs". Le quartier n’est pas mentionné. Parmi les maisons des héritiers, j’écarte celle d’Augustin, située dans le bas de Conques et non « Au Palais » comme le précise l'acte de décès d'Antoine.

Dans le cadastre napoléonien, Augustin possède bien une petite maison et un séchoir, mais ces bâtiments sont situés près du pont romain, sur le Dourdou (en fond de vallée) et il ne les obtient qu’en 1911 : ce ne peut absolument pas être la maison d’Antoine. 

Dans mon article précédent j’avais émis l’hypothèse que cette maison était la parcelle 138, appartenant à Jean Antoine Dujou. Mais elle fait 1,40 are et compte 4 portes et fenêtres : c’est la plus grande de toutes les maisons familiales. Dujou dispose aussi de la parcelle 141 qui mesure 27 centiares (soit 27m²) et n’a que 2 portes et fenêtres. Elle est donc beaucoup plus petite. Elle est qualifiée de maison en 1840, mais il n’y a pas de séchoir. Le seul séchoir du quartier est situé en bas de la rue du Palais, parcelle 143. Il appartient à Jean Pierre Servieres (folio 501).

Le qualificatif de "petite" maison dans la succession me ferait pencher vers la 141 plutôt que la 138 comme maison d’Antoine. Mais après tout cet adjectif n’est-il pas subjectif ? Ou était-elle réellement petite ? Comment savoir ? Antoine habitait-il une maison de 27m² ? Ou est-ce en fait le séchoir, plus tard qualifié de maison ?

 

"Les meubles existants dans sa maison, effets et cabaux*****" sont évalués à 300 francs.

Le document précise : "le tout étant détaillé article par article dans un état estimatif certifié par le comparant joint à ladite présente déclaration". Hélas cet état ne nous est pas parvenu.

 

Le total de la succession s’élève à 4 080 francs (soit un montant équivalent à celui évalué lors du partage en 1805). Lors du décès de Marguerite Paul, l’épouse d’Antoine, en 1816 il est échu aux trois enfants 750 francs, montant des reprises que la défunte avait sur les biens de feu Antoine Astié son mari, plus son linge et habits déclaré d'une valeur de 30 francs.

Je n’ai pas trouvé la succession d’Augustin (la page du registre étant déchirée), mais celle de son épouse Catherine Chivalié a été déclarée en 1866 par leur fils Louis Etienne. Celui est le troisième fils dans l’ordre de la fratrie, mais le premier survivant (ses deux frères aînés étant décédés en 1850 et 1864). Il a bénéficié lui aussi d’une donation d’un quart des biens parentaux, en 1859.

On notera que l’un des fils d’Augustin, qui se fit ouvrier d’usine a Cransac (à 22 km de Conques), n’avait pas d’actif lors de sa succession : trois générations après Antoine, le patrimoine familial a nettement fondu !

 

Bon, je n’ai pas résolu de façon absolue la question de la maison d’Antoine, mais grâce à mes recherches aux archives j’en sais un peu plus sur son patrimoine et la façon dont il a été distribué.

 

 

 

 

* Preciput = Désigne une disposition successorale avantageant l'un des héritiers en excluant sa part de la succession du défunt.
** Nogarette = Noyeraie.
*** Conche = Sans doute une bassine.
**** Linceul = Drap de lit, généralement en lin.
***** Reprise = Opération par laquelle, à la dissolution de la communauté, chaque époux reprend ses biens propres en nature ou en argent.
****** Cabau = Avoir, ce que l'on possède, bien, fortune, cheptel.
Un mot de vocabulaire vous manque ? N’hésitez pas à consulter la page lexique de ce blog !


 

samedi 25 mars 2023

La grange de Conques

Au début de ce mois j’ai été porter mes pas dans les pas de mes ancêtres : sur leurs traces, j’ai arpenté le village de Conques en Rouergue (suivi de trois jours au archives départementales), ce village aveyronnais que mes ancêtres ont habité pendant un peu plus de deux cents ans. Préparant ma visite, j’ai repéré les propriétés de mes ancêtres sur le cadastre napoléonien. Une fois sur place, j’ai vu la chapellerie de pépé Augustin, la maison du Palais (voir ici comment j’ai reconstitué l’emplacement de ces maisons) et les maisons de Jean Pierre Rols situées non loin de l’abbatiale.

 

Celui-ci, né en 1784, cultivateur propriétaire, apparaît sur les états des sections du cadastre napoléonien de Conques : il possède une vingtaine de parcelles dans la commune (1 bois, 3 châtaigneraies, 2 jardins, 2 sols et cours, 5 pâtures, 1 pré, 1 séchoir, 1 terre, 3 vignes, 3 bâtiments; pour un total imposable de 42,01 francs). Trois bâtiments sont construits :

- une grange et écurie, sur la parcelle 239 ;

- sa maison, parcelle 251, qui a 4 portes et fenêtres, classée dans la 8ème catégorie, elle vaut 4 francs.

- celle de la parcelle 252 en a 2 (10ème catégorie) et vaut 1 franc. 

 

Propriétés bâties de JP Rols sur le cadastre napoléonien de Conques, 1840 © AD12
Propriétés bâties de JP Rols sur le cadastre napoléonien de Conques, 1840 © AD12

 

Une fois dans l’ancienne rue Droite, j’ai facilement reconnu les maisons 251/252 et, de l’autre côté de la rue, la parcelle 239 qualifiée de grange en 1840.

 

Maison de la parcelle 251 ; sur la gauche on aperçoit la 252.
Maison de la parcelle 251 ; sur la gauche on aperçoit la 252.

 

En face, maison de la parcelle 239
En face, la parcelle 239

 

Le village de Conques est installé sur un site très accidenté. De nombreuses maisons appartiennent ainsi à deux propriétaires : l’un possède le premier étage ouvrant sur une rue haute, l’autre possède le rez-de-chaussée donnant sur une rue basse. C’est le cas de parcelle 252 : Jean Pierre Rols ne possède que le rez-de-chaussée ; l’étage, que l’on devine à gauche sur la photo, appartient à un autre propriétaire, François Bousquet.

Les rues étant étroites, il y a peu de recul pour prendre des photos ! De solides murs étayent parfois les constructions, comme on le voit côté 239. Cette grange a manifestement été transformée en habitation.

 

Déjà heureuse de cette visite, je ne me doutais pas de ce que j’allais trouver le lendemain aux archives…

 

Mon temps était compté, j’avais donc fait plusieurs listes de recherches à faire en priorité sur les cotes qui ne sont pas sur le site internet des archives départementales : listes de tirage au sort militaire, successions et quelques contrats de mariage dont j’avais mention par exemple… Le nombre de cotes est limité à 10 par demi-journée. Afin, de rentabiliser au maximum cette précieuse visite, je ne me suis pas contentée de récupérer les contrats de mariage visés mais j’ai consulté les liasses notariales en entier à chaque fois que j’en demandais une. J’ai ainsi fait des découvertes au hasard dans ces liasses.

 

C’est le cas pour l’acte concernant François Rols. Celui-ci est le père de Jean Pierre. Il est tantôt qualifié de marchand, vigneron ou propriétaire.



Accord de François Rols © AD12
Accord de François Rols © AD12

Le 9 messidor an XIII (28 juin 1805) il se présente devant Me Pierre Paul Flaugergues, notaire à Conques, avec Pierre Dalmon (est-ce le cultivateur né vers 1752, marié en 1800 avec Marie Servie ? Je pers sa trace après ce mariage – je n’ai pas trouvé d’autre Pierre Dalmon). Celui-ci possède la parcelle 237, qualifiée de "patus". Le patus désigne un terrain dépendant d'un bâtiment, destiné à ses commodités (cour intérieure, basse-cour, fumier, place) ; il peut être divis (appartenant à un seul propriétaire) ou indivis (plusieurs propriétaires en indivision, parfois la communauté des habitants). La parcelle 237 est donc une petite cour.

Souhaitant construire une bâtisse ou une grange sur une parcelle contigüe à celle dudit Dalmon, François Rols s'accorde avec son voisin pour avoir l’autorisation de "bâtir une muraille avec mortier, d'aplomb au roc, [au] nord, sur lequel ledit Rols élèvera la muraille à la hauteur qu'il jugera à propos, qui demeure et sera pour toujours à sa charge".

La question de l’eau étant de tout lieu et de tout temps une question cruciale, les deux parties s’accordent sur ce point :

Ledit Rols aura "toute faculté même de faire tomber les eaux du couvert du côté du patus dudit Dalmon qu'il recevra au moyen d'un canal pour les conduire dans la ruelle [...] qui sépare le patus sur lequel est bâti ladite grange d'avec d'autre patus restant audit rols. […] Ledit rols [pourra] recevoir [...] dudit dalmon les eaux qui découleront d'icelui sans aucune indemnité quelconque."

 

L’accord est très précis quant aux différentes possibilités des deux parties concernant cette muraille : ledit Rols "pourra faire placer des pierres saillantes dans le mur à construire du côté du patus de dalmon pour le soutien [dudit] canal ; et rols consent de son côté que dalmon ait la liberté de batir et faire construire un pilié sur la muraille du côté du patus de dalmon sur l'angle oriental de la grange dudit rols sur lequel il pourra placer des poutres et autres matériaux au cas il voulut augmenter sa maison sur ledit patus . Ledit dalmon sera tenu de laisser un jour pour l'emplacement [du] canal".

 

Or, cet accord entre voisins a lieu parce que François Rols fait bâtir une grange. Cette grange que l’on retrouve dans l’état des sections napoléonien au nom de son fils. Et que j’ai photographiée au début de ce mois (du moins son emplacement).

 

Et voici comment l’émotion ressentie sur place, dans le village, s’est trouvée doublée d’une autre devant un papier vieux d’un peu plus de 200 ans qu’a tenu et signé mon aïeul.

 

 

 

 

 

vendredi 10 février 2023

Le mystère enfin résolu

Cet article fait suite au polar généalogique que j’ai commis lors du #ChallengeAZ 2020 (si vous ne l'avez pas encore lu, je vous conseille de suivre le lien parce que - spoiler - je vais résoudre le crime dans les lignes ci-dessous).

Cherchant vainement le décès d’Ursule Macréau, mon imagination s’est enflammée… au point de croire que – peut-être – son époux Henri l’avait assassinée.

 

Aujourd’hui j’ai enfin résolu ce mystère.

 

Pour vous resituer les protagonistes, Ursule est née en Bretagne en 1874. A la toute fin du XIXème siècle elle émigre en Seine et Marne où elle rencontre Henri Macréau. Ils se marient en 1900 à Tigeaux et auront 8 enfants. Ursule est l’arrière-grand-mère de ma mère. En 1948 Henri décède à Coulommiers : il est alors dit « veuf ». Mais d’Ursule, point de trace.

 

J’ai cherché en vain Ursule. Pendant des années j’ai tenté de la pister. Grâce aux actes de naissance de ses enfants, j’ai su qu’elle avait déménagé plusieurs fois dans des villages aux alentours de Tigeaux.

Mais après plus rien car il n’y avait plus de registre numérisé en ligne. Comme une éclipse, elle avait disparue. Je garde en tête cette image : où a bien pu disparaître Ursule ?

Papiers et loupe

Longtemps je suis restée bloquée en 1902, « limite du temps » des documents en ligne. Puis, petit à petit, de nouveaux versements m’ont permis d’en savoir un peu plus sur l’entourage d’Ursule, comme sur sa fille, la tante Paulette, restée une épine généalogique obscure pendant plusieurs années (voir l'article Comment trouver la tante Paulette).

En récoltant les actes de mariage de ses enfants, je devine qu’Ursule est encore vivante en 1926, 1934 et peut-être même en 1937.

 

L’étau se resserre : 1937/1948. Les recensements arrivent en ligne : ils me confirment la présence d’Ursule à Mortcerf, où elle s’est fixée avec son mari depuis 1911 jusqu’en 1936.

 

A nouveau une période creuse pour mes recherches… C’est alors que je commence à délirer doucement : j’imagine tout et n’importe quoi pour expliquer cette « disparition ». Ce sera le polar généalogique du ChallengeAZ 2020 cité plus haut. Henri aurait-il quelque chose à voir avec la disparition de sa femme ?

 

Régulièrement je consulte le site des archives départementales de Seine et Marne. Les communes ne sont pas toutes logées à la même enseigne : l’état civil de certaines ne s’affiche que jusqu’en 1912 tandis que pour d’autres on peut consulter les décès jusqu’en 1962. Les recensements en ligne progressent; ainsi je découvre en écrivant ces lignes que celui de 1946 à Mortcerf est désormais affiché. Mais le couple Macréau n'y figure pas.

 

C’est finalement l’enregistrement qui va apporter la réponse tant souhaitée. Comme l’explique le site des archives « La Régie de l’Enregistrement a été créée en 1791 : les actes notariés doivent être enregistrés par un receveur des impôts, c’est-à-dire transcrits sur un registre public, contre la perception d’un droit d’enregistrement.
Des tables spécifiques des décès permettent de contrôler les successions. À partir de 1825, elles sont remplacées par les tables de successions et absences.
Tenues alphabétiquement, elles fournissent, avec des variations selon la date, des informations sur la personne décédée (nom, prénom, âge, profession, domicile, date du décès), ses héritiers (nom, prénom, profession, domicile), ses biens (détail et localisation, valeur), la date de déclaration et du paiement des droits, et des observations éventuelles. 
»

L’intérêt de ce document, dans le cas qui m’occupe, est évidemment de signaler le lieu et la date du décès.

 

Une première salve 1814/1907 avait d’abord été mise en ligne ; j’attendais la seconde qui était prévue couvrir la période jusqu’en 1968.

 

Enfin je m’aperçois que ces documents sont en ligne. Je cherche dans plusieurs bureaux autour de Mortcerf, dernier domicile connu d’Ursule. Et c’est finalement la table de succession du bureau de Coulommiers qui m’apporte la clé du mystère : Ursule Macréau, née Le Floch, est décédée à Coulommiers le 29 octobre 1943.

 

Sans trop y croire je vais voir l’état civil et là : joie ! Les registres de décès y figurent. Je peux donc dans la foulée consulter l’acte tant convoité.

 

Ça y est ! J’ai trouvé le Graal ! Ursule est clairement identifiée : ses parents, sa date et lieu de naissance, son époux Henri Macréau. C'est bien elle.

 

Il reste quelques incohérences et questions non résolues dans ce document (mais heureusement, sinon ce ne serait pas drôle !).

 

Henri n’est pas présent au décès de son épouse. Sa résidence « est inconnue ». En effet, je perds sa trace après 1936. Où est Henri entre 1936 et 1948 ? Les recherches ne sont pas toutes épuisées...

 

Les deux témoins/déclarants du décès d’Ursule sont Maurice Edouard Druelle, économe, et Gaston Bertier. Ce dernier est le maire de Coulommiers (de 1941 à 1944 puis de 1947 à 1955). Il est ici présent en tant qu’officier d’état civil. Né à Meaux en 1881, il a reçu la Croix de Guerre comme « officier de haute morale […] opposant une résistance opiniâtre aux efforts des Allemands qui disposaient de forces bien supérieures » et a été nommé Chevalier (1921) puis Officier de la Légion d’Honneur (1932). Le premier, Maurice Druelle, est plus intéressant pour découvrir l’histoire d’Ursule. Il est donc dit « économe ». Croix de Guerre lui aussi, il est rappelé à l’activité en 1939 où il est « classé en affectation spéciale pour une durée indéterminée au titre de l’hôpital de Coulommiers ». Il est considéré comme démobilisé en juin 1940 (soit après l’armistice signé par Petain).

Avec ces informations j’ai déjà une bonne piste pour savoir où est décédée Ursule.

 

Dans l’acte, elle est dite décédée « en son domicile 7 rue de la Ferté sous Jouarre ». Or, pendant que je laissais mon imagination divaguer pour rédiger le ChallengeAZ, je ne cessais de me baser sur la réalité. Ainsi, au chapitre I je raconte comment j’ai découvert à quoi correspondait cette adresse du 7, rue de la Ferté s/Jouarre car Henri lui-même y est décédé en 1948. Il s’agit de l’hôpital de Coulommiers. Donc, comme son époux 5 ans plus tard, Ursule s’est éteinte en milieu hospitalier. D’où la présence de Maurice Druelle, sans doute économe de l’hôpital ; les employés d’hôpitaux servant souvent de déclarants des actes de décès.

 

Reste une petite incohérence :

  • Le domicile : lieu où l'individu a son principal établissement, c'est-à-dire son habitation principale ; 
  • La résidence : en droit civil, c'est le lieu où l'individu se trouve en fait. Contrairement au domicile, la résidence se veut temporaire.


L’acte de décès dit qu’elle a son domicile (donc sa résidence permanente) à l’hôpital. Donc, soit c’est une erreur, soit elle vivait depuis suffisamment de temps pour n’avoir d’autre adresse.

 

Bref, Ursule s’est éteinte à l’hôpital de Coulommiers, âgée de 69 ans. Où était son mari ? Je l’ignore. Peut-être était-il déjà lui-même hospitalisé ? Ou pas.

Mais pas de meurtre, ça c’est sûr. Ou presque.

 

 

 

samedi 14 janvier 2023

Le cadastre de l'homme mort

Ce premier article de l’année sur le blog ne sera pas consacré (pour une fois) à ma généalogie, mais à celle du village de mes parents. Et, grâce à vous, j’espère résoudre un mystère : un propriétaire au cadastre mort depuis plusieurs années… (sic).

 

En effet, mon père s’est intéressé à l’histoire de sa maison, et par extension à celle du village. Pour vous situer, nous sommes en Limousin. Le village s’appelle Mercier Ferrier, dans la commune de Faux la Montagne (département de la Creuse). Entendons-nous bien, en Limousin un village désigne ce que l’administration appelle un hameau. Le chef lieu de la commune, où se situent notamment église et mairie (ici Faux la Montagne, donc), est désigné sous le terme vernaculaire de « bourg ». Le village de Mercier ne compte qu’une poignée de maisons.

Extrait du plan du cadastre "napoléonien", section C dite de Mercier Ferier 3ème feuille © AD23
Extrait du plan du cadastre "napoléonien", section C dite de Mercier Ferier 3ème feuille © AD23
 

Mon père s’est intéressé au cadastre. Ou plutôt « aux cadastres » :

  • Le premier, dit « napoléonien », érigé en 1834, contenant plan et états des sections. Il est consultable en ligne sur le site des archives départementales de la Creuse ;
  • Le deuxième date de 1882. Il n’y a pas de (nouveau) plan pour cette période. Les états des sections se divisent en un registre des propriétés bâties et un autre des propriétés non bâties. Le premier a été consulté en mairie, leur exemplaire du second a disparu.
  • Le troisième est de 1911. Toujours pas de plan (on continue d'utiliser ceux de 1834), mais la mairie a conservé les deux registres, bâti et non bâti.

 

Sur la totalité de la période (1834/1911), le village compte 23 bâtiments : maisons, masures, granges, moulins, écuries.

 

La maison de mes parents est issue de trois propriétés, chacune dites « maison écurie à cour ».

  • La parcelle C467 a appartenu en premier à « Brugère Pierre à Mercier ». Le bâtiment qui est construit dessus ne contient qu’une seule fenêtre (les portes ne semblent pas être comptabilisées). Il est classé dans la septième catégorie (la dernière), entraînant un revenu de 1,07 franc. La parcelle totale mesurait 84 m² ; si l’on se base sur la construction actuelle, on estime la maison à environ 42 m². Elle correspond au salon actuel de mes parents.
  • La parcelle C468 appartenait à « Nauche Antoine à Mercier ». Elle est similaire à la première : légèrement plus grande (91 m²), le bâtiment dispose de deux fenêtres, il est classée dans la même catégorie et dégage le même revenu. Il est estimé à 44 m². Elle correspond à la chambre actuelle et la cuisine de mes parents.
La salle de bain correspond à un ancien appentis (agrandi) appartenant à la C469. En face d’une petite cour se trouve le (futur) atelier de mon père : il déblaie actuellement une ruine qui correspond au grand bâtiment de la parcelle C469.
  • Cette parcelle C469 appartenait à « Chapelle Jean à Mercier ». C’est la plus vaste : 1,67 are. Classée elle aussi dans la septième catégorie, elle valait 1,14 franc et avait deux fenêtres. Sa petite bosse caractéristique sur le plan indique la présence d’un four à pain (ce qu’a confirmé l’exploration des ruines par mon père).

 

Extrait du plan du cadastre "napoléonien", section C dite de Mercier Ferier 3ème feuille © AM Faux
Extrait du plan du cadastre "napoléonien", section C dite de Mercier Ferier 3ème feuille © AM Faux


Afin de savoir qui étaient ces gens, je me suis intéressée aux familles : en croisant état civil, recensements, et éventuellement tables de successions ou registres matricules, j’ai établi leurs généalogies. C’est là que j’ai soulevé un loup. En effet, si Jean Chapelle est clairement identifié comme propriétaire de la C469 en 1834, il le reste jusqu’en 1928. Première bizarrerie : propriétaire en 1834, il serait né vers 1815 au minimum (je ne pense pas qu’il puisse être propriétaire avant ses 20 ans). Désigné ainsi jusqu’en 1928, cela le ferait âgé de plus d’une centaine d’années. Des recherches complémentaires étaient nécessaires pour éclaircir cela.

 

Pour ceux qui ne sont pas familiers des généalogies limousines, il faut savoir quelques éléments : d'abord tous les enfants se prénomment Léonard. S’ils ne s’appellent pas Léonard, ils s’appellent Léonarde, parce que c’est une fille. Bon, j’exagère, mais à peine.
Les homonymes sont très nombreux. Ainsi l’épouse de Jean Chapelle se nomme Marie Chapelle (les deux familles ne semblent pas avoir de liens, bien qu’elles portent le même patronyme). Ils ont nommé leurs trois filles Marie. L’une d’elle a épousé un Antoine Laluque et a nommé ses six filles Marie ! A la génération suivante je compte encore trois Marie supplémentaires.

Autre éléments récurrent de la généalogie limousine : le prénom de naissance on s’en fiche ! Ainsi dans les recensements j’ai trouvé un Antoine qui devient au fil des comptages Jean, ou bien un Léonard > Eugène et même une « Eugénie, fille » mutée en « Eugène, fils » au dénombrement suivant ! L’état civil est tout aussi fantaisiste : née Léonie en 1884, elle meurt Élise en 1888 ; née Jeanne en 1863, elle meurt Marguerite en 1864 ; né François en 1833, il meurt Léonard en 1835, etc…

Ah ! et, régulièrement les parents « oublient » de déclarer la naissance de leurs enfants : il faut alors passer par le tribunal pour établir un acte de notoriété. C’est le cas par exemple du second fils de Jean et Marie Chapelle né en 1823 mais jamais déclaré officiellement.

Bref, de jolis sacs de nœud et beaucoup de patience pour démêler tout ça.

 

Mais revenons à notre Jean Chapelle. J’ai retrouvé sa naissance, en 1767. Et son décès en 1840 ! Ce décès est confirmé par les tables de successions : ses héritiers sont ses enfants.

 

Donc comment Jean peut-il être déclaré propriétaire au cadastre jusqu’en 1928 alors qu’il est décédé dès 1840 ?

Avez-vous déjà rencontré ce cas ?

Je veux bien croire qu’un agent recenseur ne soit pas tout à fait rigoureux dans ses enregistrements, mais l’administration fiscale ?

Alors comment est-ce possible ?

 

Il va de soit qu’il n’y a pas d’autre Jean Chapelle (du moins officiellement), ni dans l’état civil, ni dans les recensements.

 

Pourtant le numéro de case est relativement petit (61), ce qui confirme son ancienneté. En effet, à partir du cadastre de 1882, chaque propriétaire dispose d'une fiche portant un numéro où sont regroupées toutes leurs possessions, appelée la « case » pour les propriétés bâties et le « folio » pour les non bâties. Les propriétaires déjà présents au cadastre précédent ont les premiers numéros de ces cases, tandis que les nouveaux propriétaires de cette fin du XIXème ont les numéros suivants, donc plus élevés (par exemple les derniers propriétaires dont le nom commence par un C indexés en 1882 ont des numéros autour de 350). D'après son numéro de case, ce propriétaire ne peut pas être un homonyme plus récent (il aurait alors un numéro dépassant la centaine).

 

Par ailleurs, le nouveau propriétaire de la parcelle C469 en 1928 est Léonard Fleitout (ou Eugène, ça dépend des jours)… qui se trouve être l’arrière petit fils de Jean Chapelle.
Filiation : Jean Chapelle > Marie Chapelle épouse Laluque > Marie Laluque épouse Fleitout > Léonard Fleitout fils.

 

Sur le cadastre de 1911, la case 125 a d’abord été attribuée à « Fleitout Léonard veuve à Mercier Ferrier » (c'est-à-dire Marie Laluque) avant d’échouer en 1921 à « Fleitout Léonard fils à Mercier Ferrier ». La C469 sort de la case appartenant à « Chapelle Jean à Mercier Ferrier » en 1928 pour entrer dans celle de Léonard Fleitout. Celui-ci l’a donc probablement hérité de son arrière grand père.

 

Sur les répertoires des formalités hypothécaires, Léonard Fleitout a bien une transaction en 1928, pour 23 315 francs, désignée sous le terme de « donation » (?). Je n’ai malheureusement pas plus d’information sur cette transaction, et notamment le propriétaire d’origine du bien.

 

J’ai pensé un temps qu’il y avait eu un changement de prénom d’usage, bien que je n’étais pas sûre que les prénoms d’usage puissent être employés dans le cadastre (mais bon, ils le sont bien dans l’état civil, alors…). Mais la transmission se fait par les filles : pas moyen de changer Marie en Jean (du moins j’espère).

 

Et vous savez quoi ? Le propriétaire de la C468 est, à partir de 1882, Antoine Ruby, petit fils par alliance du précédent propriétaire, Antoine Nauche. Il l’est toujours dans le cadastre de 1911… mais il est décédé en 1901 !

 

Bref, je cale. Si vous avez une explication pour ces mystérieux propriétaires fantômes, je suis preneuse.

 

 

vendredi 30 décembre 2022

#52Ancestors - 52 - XXX

  - Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -

Semaine 52 : Qu’attendez-vous avec impatience ?

 

J’ai hâte de découvrir XXX, le prochain ancêtre que je ne connais pas encore, de connaître son nom, son histoire, son métier. Combien a-t-il eu d’enfants (et son corollaire, bien souvent hélas : combien en a-t-il perdu ?). Éventuellement être transportée dans une nouvelle région, une nouvelle religion, bref un nouveau monde.

 

Mais je suis aussi très impatiente de découvrir de nouveau fonds, au gré des mises en ligne des sites des archives départementales.

J’espère me laisser emporter par un autre défi généalogique, à l’heure où celui-ci se termine. Je tiens d’ailleurs à remercier mes fidèles lecteurs après ces 52 articles. Ils n’ont peut-être pas toujours été d’une grande qualité et j’ai dû parfois en recycler quelques uns car le sujet de la semaine avait déjà été traité sur ce blog, mais je me suis bien amusée !

Mais ce n’est pas tout ! J’ai envie d’en savoir plus sur Justine Borrat-Michaud, la seule fille-mère de mon arbre (tout au moins la seule qui n’ait pas « régularisé » sa situation).

Et tan qu’à faire j’espère vraiment qu’un jour la visionneuse de l’Orne soit praticable, parce que là...


J’ai aussi tout un tas d’autres souhaits (profitons-en, c’est – presque encore – Noël) :

  • Je voudrai progresser en paléographie pour pouvoir lire plus aisément les documents que je découvre.
  • Je suis avide d’explorer enfin ma branche originaire du Valais suisse.
  • J’ai l’ardent désir (sic) que les archives départementales du Maine et Loire mettent en ligne les actes notariaux.
  • J’adorerai voir de visu une charte concernant mes ancêtres nobles de Haute-Savoie, du XIIIème sur parchemin, avec lettrines, seau, etc…
  • Je souhaiterai même consulter des fonds de notaires qui n’existent plus (sic !) mais dont j’ai connaissance par quelques autres biais.
  • Je voudrai résoudre enfin cette épine généalogique de la disparition des petits Antoine et Benoît Astié (racontée ici)
  • Je souhaiterai en savoir plus sur Benoît Mollie, originaire de l’Ain, qui était grenadier au 159e demi brigade, décoré par l’Empereur (mais je ne sais même pas où chercher…).
  • Je voudrai savoir s’il existe un dossier de naturalisation pour mon ancêtre Suisse ayant migré en France dans les années 1880.
  • Je suis aussi pressée de vous raconter comment j’ai résolu « l’affaire Macréau », au centre du polar généalogique déroulée lors du ChallengeAZ 2020 (voir ici). Et toutes les histoires que me murmurent mes ancêtres chaque jour.


Bref, je suis très impatiente de… continuer ma généalogie !

 

 

vendredi 23 décembre 2022

#52Ancestors - 51 - Michel Barré

   - Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -

Semaine 51 : Sur quoi voulez-vous progresser ?

 

Sur la paléographie bien sûr !

 

S’il y a un fond que j’aime explorer, c’est le fond des notaires. Il révèle la vie de nos ancêtres : des événements importants, comme les contrats de mariage ou testaments, mais aussi des fragments d’existence aussi divers que variés. Ainsi au fil de mes recherches j’ai trouvé des achats, donations, baux, fondations de chapelle, réfections des murs du cimetière, comptes de fabriques. Mais aussi des actes plus mystérieux comme des remises en main, actes d’office ou lausimes*.

Pour les comprendre, il a fallu appréhender le vocabulaire notarial.

 

Mais bien sûr, avant cela, il faut pouvoir lire les documents !

 

C’est là que la paléographie intervient. Je n’ai jamais eu de formation en paléographie : tout ce que je sais je l’ai appris sur le tas. A force, je reconnais les formules notariales caractéristiques (comme « procedant de l’authorité avis et consentement », « a peine de tout damps » ou « une bonne parfaitte sante, mémoire de ses bons sens et entendement »).

Les documents de type testament obéissent à des structures identiques : date, protagonistes, état de santé, recommandation de son âme, dispositions, témoins, signatures. Bien des fois j’ai réussi à débloquer une transcription en retrouvant l’expression dans un autre document similaire dont le déchiffrement avait été plus facile.

Plus je lis un notaire, plus je me familiarise avec son écriture et plus il devient facile de comprendre son écriture.

Cette expérience me permet assez souvent de bien comprendre de quoi il s’agit. Mais parfois j’ai plus de mal à déterminer le sujet même du document.

 

Par exemple avec le document de Michel Barré.

Michel est mon ancêtre à la XIVème génération (sosa n°9158). Il a vécu au XVIIème siècle sans doute d’abord à La Ferté Macé puis à la Sauvagère (Orne). Il était clerc (de notaire ?). Je n’ai aucun acte paroissial le concernant. Tout ce que je sais de lui (et de son père, son épouse et ses filles) je l’ai appris dans les fonds notariaux.

Acte notarié Michel Barré, 1624 © AD61 via Geneanet


J’ai trouvé ce document grâce à l’indexation collaborative sur Geneanet (l’Orne n’a pas mis en ligne ses fonds notariés). La signature de Michel, aisément reconnaissable avec sa jolie ruche au bas de l’acte, confirme que cet acte concerne bien « mon » Michel.

D’ailleurs « Michel Barré fils de Léonard » sont les rares mots que je parviens à lire dans ce document.

 

La première ligne doit concerner la date (même jour et an que le document précédent ?).

Ligne 2 : Michel Barré fils de Léonard.

Ligne 3 Guillaume Nyault fils de ???

Ligne 4 : paroisse de la Ferté Macé

Un peu plus loin : la somme de soixante quatorze ???

 

C’est en gros à peu tout ce que je comprends.

 

On notera que ce n’est absolument pas une question de date : il est parfois plus facile de déchiffrer un document du XVIème qu’un autre du XVIIIème.

 

Les difficultés auxquelles on doit faire face ?

  • L’orthographe, bien sûr, qui n’est pas fixée – voir ici mes réflexions humoristiques à ce sujet. Mon truc à moi : lire à voix haute. Bien souvent le sens se révèle malgré mon cerveau strictement dressé à l’orthographe.
  • Les espacements entre les mots, qui ne sont pas toujours ceux auxquels nous sommes habitués aujourd’hui.
  • La forme des lettres qui, non seulement peuvent varier de celles que nous connaissons, mais qui en plus – les traîtresses – peuvent varier au sein d’un même mot ! La comparaison avec une lettre similaire dans le texte peut aider à déterminer de quelle lettre il s’agit. Conseil qui peut s’avérer aussi utile pour le point suivant.
  • Les caméléons : ces lettres qui se prennent pour une autre, comme le e/o, r/v ou p/x.

 

Mais bon, il faut bien l’avouer, ces trucs et astuces ne suffisent pas toujours. Et parfois, comme ici avec Michel, je reste dans l’ignorance la plus totale…

 

 

 

* Voir la page lexique de ce blog !