Les guerres de Vendée ont fait de nombreuses victimes (entre 100 000 et 200 000, soit environ 20% de la population vendéenne – chiffres à prendre avec précaution car les historiens ne sont pas tous d’accord). Immanquablement ma famille a été touchée.
Les Gabard sont originaires de Saint-Amand-sur-Sèvres (Deux-Sèvres), en plein territoire de la « Vendée militaire ». Jacques Gabard a 5 fils, 16 petits-enfants (je descends de Jacques, son fils d’un premier lit et de son petit-fils Jean*). Certains de ses descendants sont restés à Saint Amand tandis que d’autres ont quitté le giron familial pour la Vendée voisine.
Famille Gabard et collatéraux :
en vert clair le prêtre réfractaire, en vert foncé les soldats vendéens identifiés à ce jour
La famille est touchée dès 1791. Pierre, le fils ainé du second lit (probablement : les registres de cette période ont disparus et les sources se contredisent quant à l’ordre des naissances des 4 fils), a choisi la religion. Il est nommé curé de Chambretaud (Vendée) en mai 1780. Au début il ne se montre pas hostile au mouvement émancipateur né de la Révolution (comme de nombreux Vendéens qui espèrent beaucoup en la redistribution des richesses promise par les révolutionnaires) : il est nommé électeur du canton des Herbiers et envoyé à Fontenay en 1790 pour élire les députés à l'Assemblée législative. Mais en 1791 c’est la rupture : il refuse de prêter le serment constitutionnel imposé au clergé.
La Constitution civile du clergé est un décret adopté en juillet 1790 par l'Assemblée nationale, concernant l'organisation de l'Église de France, conséquence notamment de la nationalisation des biens de l'Église en novembre 1789. Adoptée contre son gré par Louis XVI, elle réorganise unilatéralement le clergé séculier français, instituant une nouvelle Église, l'Église constitutionnelle. Cette réorganisation est condamnée par le pape Pie VI en mars 1791, ce qui provoque la division du clergé français en clergé constitutionnel (les « jureurs ») et clergé réfractaire.
Pierre Gabard, curé de Chambretaud, se voit donc sommé de prêter le serment exigé des prêtres par ce décret. Il le refuse et devient, dès lors, un suspect. En 1792, les prêtres, comme tous les Français percevant une pension ou traitement de l'État, doivent prêter un nouveau serment dit serment de "liberté-égalité". A nouveau il le refuse. Aucun prêtre jureur n'ayant été désigné à la cure de Chambretaud pour le remplacer, il peut encore y demeurer, au milieu de ses fidèles et leur procurer les secours religieux dus à son office. On le voit ainsi signer régulièrement les registres paroissiaux.
La majorité de la population du pays, est très attachée à ses prêtres. Elle reste calme mais proteste seulement par son absence aux cérémonies des prêtres jureurs (dans les paroisses où il y a eu une nomination), qui sont vus comme des intrus. Elle assiste en revanche à la messe que leur véritable pasteur célèbre là où il peut (dans une grange s’il pleut, dans un bois ou un champ s’il fait beau).
Mais au fur et à mesure, en raison des difficultés qui se multiplient, Pierre Gabard doit cesser l'exercice public de ses fonctions et veiller à sa propre sécurité. La situation, devenue très précaire, se trouve soudain aggravée par le décret du 26 août 1792, ordonnant la déportation de tous les prêtres insermentés, âgés de moins de 60 ans. En vertu de ce décret, exécutable sous quinzaine, Pierre Gabard, qui n'a que 57 ans (rappel : les sources se contredisent à ce sujet), est déportable. Néanmoins, il ne se soumet pas à la loi. Mais, à partir de ce moment, il s’impose une vie clandestine et doit multiplier les précautions ; car, en cas d'arrestation, il sera déporté de force en Guyane. Le contexte s’exacerbant, c’est sa vie même qui est désormais en jeu. Toutefois, malgré le danger, il ne s'éloigne pas de sa paroisse (comme le montrent les registres paroissiaux qu’il continue de tenir clandestinement). Poursuivi et menacé par les révolutionnaires, il persiste à demeurer quand même au milieu de ses ouailles et doit se cacher pour n'être pas arrêté et emprisonné.
En mars 1793, la levée en masse de 300 000 hommes est votée par la Convention. Chaque département de France doit fournir des volontaires, complétés par des hommes requis par désignation ou par tirage au sort. La rébellion se repend dans toute la population, en réaction à cette décision. Si dans la plupart des départements les révoltes sont rapidement réprimées, dans un territoire appelé la « Vendée militaire » (Loire-Inférieure, Maine-et-Loire, Vendée et Deux-Sèvres) la situation s’envenime. Les insurgés (surnommés les « Blancs ») établissent une « Armée Catholique et Royale » qui remporte une succession de victoires au printemps et à l'été 1793.
Parmi les 5 frères Gabard, outre le curé de Chambretaud, un seul semble avoir pris les armes. Son frère Jacques pourrait avoir servi dans l'Armée Royale entre 1793 et 1800, identifié dans l’ouvrage de Françoise de Chabot « Un canton du bocage Vendéen » : « Gabard Jacques, né à Saint-Amand, 1740, commissaire en 1794, 1795 et 1799 ». Cependant il existe de nombreux homonymes, donc ce n’est peut-être pas lui. Par contre, la génération suivante, elle, a largement pris les armes. On raconte d'ailleurs que, dès le début de l'insurrection, presque tous les hommes valides de Saint-Amand s'empressèrent d'aller combattre dans les rangs de l'armée vendéenne.
Le 9 avril 1793 le commandant des forces Républicaines (les « Bleus ») à Angers a reçu l’ordre de lancer une offensive contre les territoires insurgés. En route, les soldats Républicains brûlent un village et massacrent plusieurs habitants. Le 11 avril ils sont devant Chemillé. La petite ville a été fortifiée par les Blancs. Après un combat de 10 heures les Bleus ont réussi une percée, mais ils doivent finalement battre en retraite et Chemillé reste aux mains des Royalistes. S’il est difficile de déterminer les pertes de chaque camp, la mémoire familiale a été marquée par cette bataille : Jean Mathurin, l’un des neveux de Pierre Gabard, le curé de Chambretaud, âgé de 16 ans seulement, « est resté devant Chemillé » où un témoin « l’a vu sabré ». Joseph Amant Barret, un collatéral de notre famille, alors âgé de 20 ans, est lui aussi tombé à Chemillé, plusieurs témoins affirmant l’avoir vu « tomber en expirant ».
En mai les insurgés s'emparent de Parthenay, sans combat. La Chataigneraie, petite ville à 40 km à l’Ouest de Parthenay, est alors défendue par les Républicains. Le 13 les Vendéens réussissent à reprendre la ville. Pierre Mathurin Gabard (cousin de mon ancêtre Jean) a servi en qualité de capitaine dans l'Armée Royaliste vendéenne et a été blessé à la Chataigneraie lors de cette bataille de deux coups de feu, le premier au côté droit au dessous du sein et le second au poignet droit; les balles ayant porté sur les tendons lui occasionnant une difficulté dans le mouvement et la flexion. Son dossier de demande de pension précise « qu’en toutes occasions il a toujours montré un attachement majeur à la royauté. »
La ville de Saumur abrite un important quartier-général Républicain. Devant l’avancée des Blancs, la ville se fortifie. Le 2 juin l'Armée Catholique et Royale sort de Cholet et commence sa marche sur Saumur. Quelques jours plus tard, les Vendéens entrent en contact avec l'avant-garde Républicaine. Le 9 Saumur est prise. Parmi ces soldats Royalistes se trouve Louis Baudry, 19 ans. Après le conflit, il épousera Marie Jeanne Gabard, cousine de notre ancêtre direct Jean Gabard. Les sources signalent qu’il a fait 4 ans de guerre. Il a eu le grade de capitaine et il fut blessé à Saumur. Après guerre il demanda un secours en tant qu’ancien militaire, « blessé au service du Roi ». Mais son cas n’a pas été jugé mériter la pension pour lesquels il avait été proposé et en conséquence il ne recevra rien.
En tant que veuve de militaires de l'armée vendéenne auxquelles sa majesté a accordé des pensions par ordonnance du 10 novembre 1815, Modeste Boissinot a obtenu 40 francs annuels. Cette aide est accordée tant que la veuve ne se remarie pas : elle touchera la somme jusqu’à son remariage en 1817. Son premier mari, Jacques Alexis Barret était concierge du château de la Guierche, à Saint-Amand. Ce château appartenait à Françoise Alexie Petit de la Guierche marquise de Saint-Mesmin, qui était sa marraine, et Jacques François René Marie de Vasselot son mari (leur fils était le parrain de Jacques Alexis Barret). La famille Barret était originaire de Jazeneuil (Vienne) où les parents de Jacques Alexis étaient au service de cette puissante famille. C’est sans aucun doute grâce à eux qu’ils sont arrivés à Saint-Amand puis le couple y deviendra concierge ou régisseur de leur château de la Guierche.
Dans les documents concernant sa pension de veuve, Jacques Alexis est dit décédé à Luçon en 1793. Pendant que le gros de l'armée vendéenne préparait l'attaque de Nantes, l'armée du centre, tenta de lancer une diversion en s'emparant de Luçon. La place fut attaquée le 28 juin. Les Républicains s’étaient déployés devant la ville mais ils étaient en nette infériorité numérique, et une partie des troupes prit la fuite. Cependant 150 soldats de l'ancien régiment de Provence, qui avaient déserté pour rejoindre les Vendéens, changèrent une nouvelle fois de camp et retournèrent leurs armes contre les Blancs. Ce mouvement jeta la confusion chez ces derniers qui prirent la fuite à la tombée de la nuit, poursuivis par les Républicains.
Jacques Alexis ferait donc partie des nombreuses victimes de ce jour. Or les registres clandestins de Saint-Amand (tenu par des prêtres réfractaires) indiquent qu’il était présent au décès de sa mère (décédée le 25 juin, enterrée le 27). Rappelons qu’il faut environ 14h à pied pour rejoindre Luçon depuis Saint-Amand (sans compter toutes les fois où il faut se cacher des patrouilles républicaines dans un fourré). Le timing paraît un peu juste. Par ailleurs il n’est pas dit décédé lors des décès de ses filles en 1794 et 1795 (ce qui pourrait être un oubli… ou pas).
Le frère de son parrain, Joseph Amand de Vasselot, un des chefs vendéens (tardif) en 1795 (arrêté et fusillé en 1796) l’a-t-il entraîné dans des combats postérieurs à février 1795 qui ont provoqué sa mort ?
Françoise de Chabot dans « Un bocage vendéen » le dit décédé à Noirmoutier (sans date). Je ne l’ai pas trouvé dans les listes concernant la campagne de Noirmoutier (qui, de toute façon, a eu lieu en 1793/1794) même si je n’exclue pas d’avoir loupé le document où il figurerait. Ce qui est sûr c’est que Jacques Alexis est décédé avant 1800 puisque sa veuve fait son deuxième mariage (elle en fera trois au total) en octobre 1801. Pour cela, une attestation a été cherchée auprès de Mgr Supiot, vicaire général de La Rochelle, pour la déclarer veuve de Jacques Barret, mort à la guerre : "nous soussignés le 12 may 1800 d'après les informations de l'enquête faite par Mr Le François prêtre desservant de St Amand chargé par nous de cette commission pour prendre les connaissances propre à s'assurer de la mort de Jacques Barret, à déclarer Modeste Boissinot son épouse veuve et libre, si elle le juge à propos de convoler à de secondes nopces vu les raisons alignées et le tout bien considéré nous joignons par les présentes le dit Jacques Barret est mort à Noirmoutier et Modeste Boissinot son épouse veuve et libre de s'unir par les liens sacrés du mariage à qui bon lui semblera si elle veut se remarier, supposé qu'il n'y ait pour d'autres empêchements, et sans la dispense des règles ordinaires de l'évêque".
Noirmoutier ? Luçon ? 1793 ? 1795 ? Le mystère reste entier mais il ne fait cependant aucun doute que le décès de Jacques Alexis doit être imputé aux guerres de Vendée.
Jean Gabard (mon ancêtre direct, sosa 112) fait lui aussi partie des blessés vendéens. Cela s’est passé à la bataille de Châtillon. Lors de la Restauration, le roi Louis XVIII s'intéresse au sort des soldats qui se sont battus pour sa cause. Le 3 décembre 1823, il adresse à tous les préfets une ordonnance prescrivant de rechercher les soldats vendéens nécessiteux, dans le besoin, ou ne pouvant plus travailler en raison de leurs infirmités ou de leurs blessures reçues au cours des batailles pour la cause des Bourbons. Quelques mois après, Jean Gabard dépose un dossier de demande de pension. Il y explique qu’il fut blessé « lors de l'affaire de vestherman à l'articulation de l'humérus d'un coup de bayonnette, blessure qui fut guérie mais qui le gêne pour travailler et gagner l'existence ».
Le général Westermann est resté célèbre pour les atrocités qu'il commit lors des guerres de Vendée. Il s’y montre implacable et pratique une politique de terreur à l'égard des contre-révolutionnaires. Le 3 juillet 1793 il prend Châtillon. Avec les Républicains ils étaient stationnés sur le plateau ouest de Château-Gaillard surplombant la ville. Le 5 juillet les Vendéens les attaquèrent par surprise. Les Républicains prirent la fuite et dévalèrent en grand désordre les pentes abruptes du plateau. En se repliant sur Châtillon, ils tombèrent sur une deuxième colonne vendéenne. Les combats firent rage dans les ruelles de la cité. Westermann s’enfuit à cheval mais il y eu de nombreux morts et blessés, dans les deux camps. En octobre les Royalistess reprennent la ville, considérée comme la capitale de la Vendée militaire. Mais Westermann rallie de nouvelles troupes et revient à Châtillon à la faveur de la nuit, surprenant les Blancs qui, deux fois inférieurs en nombre, doivent céder la ville à Westermann et ses Républicains. Ceux-ci, non contents de leur victoire, incendient les maisons et massacrent la population, ne laissant que ruines avant d’ordonner leur retraite.
On ne sait pas si Jean fut blessé au printemps ou à l’automne, mais son dossier nous apprend qu’il en garda des séquelles toute sa vie. Toutefois, bien que considéré comme pauvre, il est classé dans la 3e catégorie des soldats demandant un secours viagers, c'est-à-dire ceux qui ont des infirmités ou des blessures moins graves que ceux des deux premières catégories. Sa demande de pension sera rejetée, au motif qu’il « n'aurait pas droit » (sans doute n’a-t-il pas été assez blessé). On notera qu’en 1793, Jean n’avait que 17 ans.
Après l’écrasement de l’Armée Catholique et Royale, fin 1793, il est décidé de détruire les derniers foyers insurrectionnels de la Vendée militaire. Des colonnes incendiaires quadrillent le territoire afin d’exterminer tous les « brigands » ayant participé à la révolte, femmes et enfants inclus et de saisir les récoltes et les bestiaux, incendier les villages et les forêts. Ces atrocités coûtent la vie à des dizaines de milliers de personnes et valent aux colonnes incendiaires d'être surnommées « colonnes infernales ».
Ces troupes qui sillonnent le pays en dévastant tout sur son passage ont marqué la commune de St Amand et notre famille à plusieurs reprises. À la mi-janvier 1794 ont lieu les événements dits du Pont-Mesnard, commémoré par une plaque du Souvenir Vendéen dans l’église de Saint-Amand-sur-Sèvre. La garnison de Mallièvre s’abat sur la paroisse à la recherche, selon la tradition orale, du camp des partisans de Charette. « Les habitants sont surpris au petit matin. S’ensuivent une rafle et un tribunal révolutionnaire. Sur la table est placée une statue censée représenter la Révolution. Les paroissiens devaient lui prêter allégeance. Ils ont été saisis d’horreur à l’idée d’honorer un faux Dieu. On les amène alors à leur supplice », selon l'historien J. Grassin. Quelques jours plus tard, les 24 et 25 janvier 1794, c’est la colonne infernale de Boucret marchant entre Châtillon-sur-Sèvre (Mauléon) et Les Épesses qui arrive à Saint-Amand-sur-Sèvre. Elle massacra 25 personnes en une seule journée. Les fermes et les maisons du bourg furent incendiées. Le même jour la colonne de Grignon marchant entre Cerizay et La Flocellière ravage l’ouest de la commune dans les parages de La Pommeraie, faisant de la localité peut-être la seule dans la Vendée à avoir subi deux colonnes le même jour. L’un de mes collatéraux, Pierre Le Boiteux y fut tué « pour cause de religion » et enterré entre la Pommeraie et Montravers. Selon les estimations, de 1790 à 1800, la population de la paroisse tomba de 1 220 à 767 habitants, du fait de la guerre ou des départs vers des régions moins troublées.
Avec le soulèvement général de la Vendée à partir de mars 1793, et que le pays fut sillonné par les armées Républicaines, l'exercice de son ministère à Chambretaud devient impossible à Pierre Gabard. Dans le bourg, les Bleus ont établi un camp ; les chefs logent à la cure, et l'église sert d'écurie pour leurs chevaux. C'est grâce à cet état de choses que ni l'église ni la curie n'ont été incendiées, contrairement à ce qui se faisait partout ailleurs. La présence au chef-lieu paroissial de cette petite armée, dont les perquisitions et les battues sont incessantes aux alentours, ne permet au prêtre aucun séjour dans la paroisse. Force lui est de se retirer ailleurs. Il trouve une retraite dans la paroisse voisine de Saint-Malo-du-Bois ; son lieu de refuge est ordinairement la ferme du Pré Landais. Là on lui fait une petite retraite sous des fagots de bois, en face de la ferme ; il n'en sort que pour porter à ses paroissiens les secours et les consolations de son ministère de manière officieuse.
Il court plusieurs fois de grands dangers dont il se tire toujours sain et sauf, grâce à sa présence d'esprit et à son courage. Un jour, surpris dans sa cure par une patrouille de Républicains, qui lui annoncent qu'ils vont le conduire à Nantes, il est sauvé par sa servante qui demande aux soldats de laisser au moins à son maître le temps de changer de linge. Elle les invite à visiter la cave et leur offre à boire si généreusement, qu'à la faveur des copieuses libations, elle peut faire échapper son maître, et s'échapper elle-même après lui. Quand les soldats sortent de la cave, ils sont ivres et déchargent leur rage anticléricale contre un vieux tronc de pommier du jardin que, dans leur vue trouble, ils prennent, peut-être, pour le curé qu'ils cherchent.
Une autre fois, le vaillant curé est découvert par les Bleus : c’est le 27 février 1794, jour du grand massacre de la Gaubretière. Quelques compagnies de la colonne infernale envahissent soudain Chambretaud. Les cris de mort éclatent avec la fusillade. M.Gabard était encore à son presbytère. Il s'empresse de fuir dans la campagne, poursuivi par les soldats qui hurlent « A mort ! A mort ! » En même temps, les balles sifflent à ses oreilles. Arrivé au pont de Fontaine-Vive, le curé se jette à l'eau, très froide en cette période, la tête seule hors de l'eau, sans avoir été aperçu, et reste là blotti sous le pont. Quelques instants après, les Bleus le traversent en courant et en blasphémant contre le prêtre fugitif dont ils ont perdu la piste. La tradition orale familiale raconte, qu’en sortant de l’eau, il fut pris d’un tremblement nerveux qu’il garda toute sa vie.
Si l’on se fie aux registres paroissiaux, le curé ne s’éloigne du pays que durant huit mois (octobre 1793/juin 1794), période qui correspond au passage des Colonnes infernales. Selon certaines sources, avec un groupe important d’habitants de sa paroisse il dut suivre l’Armée vendéenne Outre-Loire (mais d’autres l’indiquent à Chambretaud en février, comme on l’a vu plus haut : difficile de retracer son parcours exact en ces temps troublés).
En mars 1794, une autre colonne va entrer en foret de Vezins, où les Vendéens avaient établi leur quartier général. Louis Martineau, fusilier (soldat qui a pour arme un fusil) de l'Armée Royale de l'Ouest y est blessé. Il est âgé de 26 ans au moment des faits. Il a épousé l’une des sœurs de Jean Gabard, Marie, quelques années auparavant. Dès 1816 sa blessure le fait paraître dans les tableaux de secours alloués aux anciens combattants de l'arrondissement de Bressuire : il perçoit une aide annuelle 60 francs pendant plusieurs années.
En juillet 1794, Mathurin Gabard (cousin de Jean) avait, selon la tradition familiale, quitté son oncle curé de Chambretaud pour rejoindre les rangs des insurgés. Il rejoint la ferme de son oncle et parrain au village du Poux, à Saint-Amand, avant de mourir de ses blessures. Il avait 21 ans.
La répression des colonnes infernales provoque une résurgence de la rébellion et, en décembre 1794, les Républicains engagent des négociations qui aboutissent entre février et mai 1795 à la signature de traités de paix avec les différents chefs vendéens, entraînant ainsi la fin de la « première guerre de Vendée ». Mais la situation n’est pas réglée. Une « deuxième guerre de Vendée » éclate peu après, en juin 1795. Le soulèvement s'essouffle cependant rapidement, et les derniers chefs vendéens se soumettent ou sont exécutés entre janvier et juillet 1796. La Vendée connait encore d'ultimes et brèves insurrections avec une « troisième guerre » en 1799.
Pierre Gabard, un autre cousin de Jean, demanda lui aussi une pension, faisant valoir qu’il avait reçu un coup de sabre à « Champ Breteau » (sans doute Chambretaud) en 1799. Les Vendéens y ont attaqués par surprise par les Républicains qui lancèrent une charge à la baïonnette mettant en déroute les Blancs. Le jeune Pierre n’avait que 15 ans au moment des faits. Même si la blessure avait guérie en 1824 (date de la demande) elle le gênait encore pour marcher. Considéré « blessé grièvement et dans l'indigence » il reçu une pension de 100 francs.
Le capitaine Pierre Mathurin Gabard (que nous avons vu plus haut blessé à La Chataigneraie) continue le combat. En novembre 1799 il est aux Aubiers. Les Vendéens assiègent la cité tenue par les Républicains, qui se sont réfugiés dans l’église. Grâce à des renforts venus de l’extérieur, ils tentent une sortie. Peu aguerris et mal équipés, les Vendéens paniquent et prennent la fuite. Les Républicains se lancent à leur poursuite et tuent un grand nombre de Vendéens avant que ces derniers ne parviennent à se réfugier dans les bois. Les pertes furent écrasantes pour les insurgés. « L’ardeur [de Mathurin] pour la légitimité l'ayant poussé à s'enfoncer dans les rangs ennemis, a ôté un drappeau aux troupes Républicaines à [cette] affaire qui eu lieu aux Aubiers » souligne son dossier. Lui aussi souhaite profiter des bienfaits de l'ordonnance royale du trois décembre et dépose une demande de pension. Son action d'éclat lui vaut d’être classé dans la 2e catégorie, c'est-à-dire ceux qui ont été blessés grièvement et un peu moins indigents que ceux de la 1ère catégorie. Compte tenu qu’il a servi dans l'Armée Royale de l'Ouest pendant toute la guerre, qu’il est infirme, journalier, indigent, et qu’il n'est parvenu sur son compte aucun élément défavorable, il est reconnu susceptible, par sa conduite, son indigence et son infirmité, d'obtenir du soulagement particulier : le secours annuel lui est accordé : il reçoit 100 francs. Régulièrement son cas est réexaminé : on s’attache notamment à vérifier « qu’il n'est parvenu sur son compte aucun élément défavorable ». A un moment donné on le soupçonne d’être père d'un réfractaire, mais en 1831 il est confirmé qu'il « n'a point fait partie des bandes et n'a point de fils réfractaire ». Il continue donc de percevoir sa pension.
En 1797, le commissaire du Pouvoir exécutif au canton des Herbiers avait rappelé que « M.
Gabard, curé de [Chambretaud], a étez deffendu de faire aucunes
fonctions curialles, touchant son ministère, sous pênnes de punitions,
de par la loi ». La situation du curé de Chambretaud est toujours délicate.
Enfin, après 1799, la pacification religieuse se fit peu à peu et M. Gabard reprit ostensiblement ses fonctions sans être inquiété. Il prononça finalement le serment de fidélité par écrit en 1803 en tant que desservant de Chambretaud. Au Concordat, il obtint une pension de 333 francs. Le saint et dévoué pasteur était resté l'objet de la vénération de tous ses paroissiens. Il s'éteignit pieusement dans sa cure de Chambretaud, le 21 août 1812.
Dans les années 1825/1835 plusieurs Gabard ou apparentés apparaissent dans les sources concernant les anciens militaires de la guerre de Vendée :
- Jacques Gabard, un des frères de Mathurin décédé en 1794 : « blessé très méritant, sans fortune, montant secours proposé : 100 fcs »
- Jacques Gabard, frère du capitaine Mathurin (cousin des précédents) apparaît peut-être dans "Un canton du bocage Vendéen" de Françoise de Chabot : "Contrôle nominatif des Vendéens qui ont servi dans l'armée Royale entre 1793 et 1800 Gabard, Jacques, né à Saint-Amand, 1780, s'est battu en 1799".
- Rémi Vignaud (beau frère de mon ancêtre Jean), ancien soldat infirme par suite des fatigues de la guerre, a lui aussi déposé un dossier de demande de pension, faisant valoir qu’il "a servi en tant que soldat dans l'armée royale vendéenne et que pour se soustraire à la poursuite de troupes Républicaine, il fut obligé de rester longtemps (pendant 24 heures) dans l'eau et qu'il lui est survenu un rhumatisme qui l'empêche de gagner sa vie [...] et avoir couché grand nombre de nuits dans les bois pour se soustraire aux recherches que les Républicains faisaient pour l'arrêter." Ayant besoin de faire constater l’époque de sa naissance, il fait témoigner pour lui 7 personnes (dont son beau frère Louis Martineau et 3 Gabard : Mathurin, Pierre et Jean) ; ils indiquent que Rémi est né dans le courant de février 1777 à la Petite Boissière (bon, à moins qu’il ai eu un frère homonyme, moi j’ai retrouvé son acte de naissance en 1780 dans la paroisse voisine du Pin). Son dossier n’indique pas à quel moment il a dû fuir les Républicains : si c’était en 1793 il avait 13 ans (ou 16, donc) ; si les faits se sont produit plutôt dans la seconde guerre de Vendée il aurait eu 19 ou 21 ans. Bref, il était tout de même très jeune. Quoi qu’il en soit, sa demande a été refusée car il n’a pas été blessé proprement dit (ce qui était exigé dans le cadre de l’ordonnance royale de 1823). Lui et sa femme Louise Gabard mourront sans biens, situation attestée par un certificat d’indigence.
- François Guetté : capitaine, blessé par un cheval à la jambe gauche à l'affaire de Châtillon, sans fortune. Secours proposé : 200 francs. Dans un case "observations" il est dit ajourné et dans la case voisine « a bien servi dans l’infanterie ». Ces remarques semblent indiquer qu’une enquête plus complète a été menée à son sujet. Mais je ne l’ai pas retrouvé ensuite dans d’autre tableaux, ce qui indiquerait qu’il n’a pas obtenu son secours. Des investigations complémentaires mériteraient d’être entreprises car, s’il est dit sans fortune, il est aussi maire de la commune de Saint-Amand de 1804 à 1812. Or à cette période pour être nommé il fallait en général faire partie des plus imposés de la commune et lors de son décès il laisse à ses héritiers plus de 500 francs de mobilier et une borderie évaluée à 1300 francs; ce qui est contradictoire avec les secours alloués aux indigents.
(6 de mes ancêtres/collatéraux y figurent)
* Alerte homonymes ! Dans cet échantillon d’une vingtaine de personnes appartenant à la famille Gabard je compte 4 Pierre, 5 Jacques, 3 Jean, 4 Mathurin (en 1er ou 2e prénom) !