« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

jeudi 12 juin 2014

#ChallengeAZ : K comme kesako ?

Heureux de trouver un acte, le chemin n’est pas fini. Il faut encore pouvoir le déchiffrer. Et parfois on se trouve devant une véritable énigme. Impossible de devenir ce qui se cache derrière cet obscur gribouillis. Selon toute logique c’est le patronyme (ou d’autres fois le métier, la paroisse d’origine...). Quelle frustration alors ! Là, devant nos yeux, le passeport pour aller plus loin et impossible de l’utiliser. 

© PhotoPin

Bon, bien sûr, vous me répondrez « cours de paléographie ». Mais ce n’est pas toujours possible de suivre ces cours qui permettent de déchiffrer les écritures anciennes (pour des raisons multiples). Alors, on fait comme on peut.

Et parfois on ne peut pas ! C’est l’impasse. Impossible d’aller plus loin.

Miraculeusement l’inspiration vient parfois. A force de remettre l’ouvrage sur le métier et de s’user les yeux sur les registres, on parvient à déchiffrer ce qui restait une énigme il y a quelques jours encore. Personnellement, se familiariser avec l’écriture de l’auteur m’a sauvé bien des fois : on commence par lire plusieurs actes à la suite (même si on n'en comprend pas forcément le sens); puis on repère sa façon de former les lettres grâce à des mots ou des formules rituelles que l'on comprends dans d'autres actes; enfin on peut revenir à l'acte qui nous préoccupe et parfois, avec un peu de chance, lettre après lettre, on arrive à déchiffrer le sens caché des mots.

Évidemment, un petit coup de pouce n'est pas inutile : par exemple, connaître la géographie permet de "deviner" le nom de la paroisse/commune sur lequel on butte; en particulier au niveau local car on sait que, sauf exception, nos ancêtres évoluaient dans un périmètre restreint. Et là, tout s'éclaire : C’est la paroisse de Seiches (aujourd’hui Seiches sur le Loir, Maine et Loire), bien sûr ! Enfin, une nouvelle piste pour continuer le chemin.

D’autres fois encore, la lecture est parfaitement limpide, mais le sens du mot nous échappe : Jean Raouls exerce le métier de "sarger" vers 1744. Oui, ... mais encore ? Heureusement les blogs ou forums de généalogie viennent parfois résoudre le mystère. Ainsi le sarger est l’ouvrier fabriquant des étoffes ou tissus de laine, de la « serge ».

Parfois, l’énigme peut se résoudre par la connaissance de l’histoire locale. Le curieux prénom féminin Fare, retrouvé régulièrement en Seine et Marne (mais pas ailleurs) s’explique ainsi par l’histoire de sainte Fare, sainte du VIIème de la région de Meaux, qui a donné le nom de localité Faremoutiers - et le prénom de plusieurs de nos ancêtres. Au début, je doutais de ce que je lisais (le prénom Fare, ou sa variante masculine Faron, n'étant pas vraiment dans mon calendrier usuel des prénoms), mais grâce à la connaissance de cette sainte locale plus d'incertitude possible.

Et certaines mauvaises langues continuent de dire que nous, généalogistes, nous passons notre temps isolés, seuls avec des morts. Alors que curiosité, échanges, connaissances diverses et variées nous caractérisent bien souvent.

L'essentiel, en tout cas, c'est que « kesako » se transforme en « cebiensa » !

mercredi 11 juin 2014

#ChallengeAZ : J comme jumeaux

Je compte 8 paires de jumeaux parmi mes ancêtres directs (dont 2 paires mixtes garçons/filles). Ce qui n’est pas énorme pour 3 201 aïeux : 0,24 %. J'en compte 52 paires sur la totalité de ma généalogie (7 656 personnes), soit 0,67 %. 

Jumeaux © A.Geddes

On reste néanmoins en-dessous de la moyenne nationale. Historiquement, en effet, environ 1 grossesse sur 80 donne naissance à des jumeaux, soit 1,25 % (1).

Sur les 52 paires, 24 sont des jumelles (filles/filles), 9 sont des jumeaux (garçons/garçons) et 19 sont mixtes (garçons/filles).

Bien sûr, on connaît tous la distinction entre vrais et faux jumeaux : les premiers sont issus d'un seul et même œuf, tandis que les seconds proviennent d’une gestation identique, mais de deux ovules fécondés par deux spermatozoïdes.
Chez ces derniers, les jumeaux « dizygotes », il n’y a entre eux que les similitudes que l'on peut rencontrer entre n'importe quels frères et sœurs. Du fait qu’ils se développent grâce à deux placentas séparés, comme deux enfants nés de deux grossesses différentes, ils peuvent être de sexes différents. La prédisposition génétique qui favorise leur venue est à rechercher du côté maternel, puisque le père n'influence en rien la double ovulation originelle.
Chez les vrais jumeaux, « monozygotes », c’est la cellule œuf qui se sépare en deux, formant ainsi deux embryons qui ont le même patrimoine génétique. Si l'ovule se divise moins de trois jours après la fécondation, les jumeaux se ressembleront davantage à la naissance (poids et taille) que si l'ovule fécondé se divise plus tard. Les jumeaux monozygotes sont souvent très ressemblant physiquement. Mais en prenant de l'âge, ils peuvent se différencier, à la suite des choix personnels comme la nourriture, les activités physiques et intellectuelles... ainsi que des expériences de vie.

Dans nos sociétés modernes, on voit augmenter le nombre des grossesses multiples, notamment à cause de l'utilisation à grande échelle des médicaments pour lutter contre l’infertilité.

Les causes de la gémellité sont encore mal connues aujourd'hui (hormis ce phénomène moderne) ; en particulier pour les jumeaux monozygotes.

Enfin, littéralement, le terme jumeau se réfère à tous les individus (ou l'un de ceux-ci) qui ont partagé le même utérus au cours d'une même gestation. Les triplés (ou quadruplés) sont donc 3 (ou 4) jumeaux. Je n’ai pas encore trouvé de grossesse triple (ou davantage) dans ma généalogie.

En généalogie, il est difficile de distinguer, d'après les actes d'état-civil, les faux des vrais jumeaux ; hormis les grossesses mixtes, qui sont obligatoirement des faux jumeaux.

Chez moi, on naît jumeaux majoritairement en automne et hiver : 6 paires de jumeaux nés en septembre, novembre, décembre et 7 en janvier. Avril, juin et août ne sont pas propices : seulement 2 paires pour chacun de ces mois.
Lorsqu’on connaît leur âge, les mères ont le plus souvent la trentaine (19 cas). Les plus jeunes ont 21 ans et la plus âgée 45.
C’est en Maine et Loire qu’il y a le plus de jumeaux : 24 paires (mais c’est le département où j’ai retrouvé le plus d’ancêtres ; ce n’est donc pas très significatif) ; suivi, très loin derrière, par les Côtes d’Armor : 7 paires.
C’est au XVIIème que les jumeaux sont les plus nombreux chez moi (28 paires). Seulement 2 paires au XIXème. Le Floch Ursule (née en 1874) est mon ancêtre jumelle la plus proche de moi : c’est mon AAGM.

Rares sont les jumeaux qui ont eu des jumeaux : Sur les huit paires de jumeaux (chez mes ancêtres directs), on compte à nouveau des jumeaux dans la descendance de Rattier Françoise (elle a eu des jumelles) et de Bouguié Joseph et Quero Marie (à la deuxième génération : leurs petits-fils donnant eux-mêmes naissance à des jumeaux).
Rattier Laurent et Barbot Jacquine ont deux paires de jumeaux : dans la première paire on compte notre ancêtre Françoise (citée ci-dessus) ; dans la seconde paire l’un des deux enfants décède 11 jours plus tard.
Ces Rattier sont prospères en matière de gémellité : après les deux paires citées ci-dessus, notre ancêtre Françoise donne elle-même naissance à des jumeaux, ainsi que la sœur de Laurent (une fille baptisée par la sage-femme en péril de mort, décédée le lendemain et un fils est mort-né non prénommé). Soit 4 paires en deux générations.

René et Jacques Girard, nés en 1682 à Nueil les Aubiers (79), sont qualifiés de frère « gemeaux ». Le rédacteur de l’acte a aussi ajouté un « S » au patronyme (« Girards ») et il précise qu’ils sont nés le même jour (heureusement, du reste, notamment pour la mère !).

Les grossesses gémellaires restes des grossesses à risques et la mortalité infantile des jumeaux est aussi importante : sur les 52 paires, une voit les deux bébés mort-nées (elles ne seront d’ailleurs pas prénommées), trois autres voient l’un des deux bébés aussi mort-nés, et une douzaine de bébés meurent en bas âge (mais tous ces enfants n'ont pas été suivis systématiquement : d'autres sont peut-être aussi décédés en bas âge sans que je ne le sache). Par contre, aucune de nos mères de jumeaux n’est décédée des suites de couches gémellaires.

Les jumeaux décédés ne dérogent pas à la règle des prénoms (comme les enfants uniques) : Maugars René et Le Bouvier Urbanne donnent naissance à des jumelles, Renée et Jeanne, nées en 1654 ; elles décèdent toutes les deux quinze jours plus tard. Deux ans après ils donnent naissance à une fille, à nouveau prénommée Jeanne (notre ancêtre).
Après trois enfants uniques, Le Mercier Etienne et Goguelet Jacquine donnent naissance à des jumelles Marguerite et Catherine en 1679 : elles décèdent rapidement (6 semaines). La naissance suivante est à nouveau gémellaire : Jean et Catherine nés en 1682 (Catherine décède à 6 mois). Suivront deux enfants uniques nées en 1684 et 1686, Catherine (la troisième donc), notre ancêtre, et Magdelaine.

Cinq couples ont deux paires de jumeaux parmi leurs enfants, dont Boissinot François et Albert François qui donnent naissance à deux paires de jumeaux successives, à deux ans d’intervalle. Un seul de ces enfants survivra. Neuf enfants (uniques) suivront ensuite.
Picard Pierre et Babin Fare ont cinq enfants, dont deux paires de jumeaux nés après notre ancêtre Marie Anne.

Bref, si j'avais voulu une grossesse multiple, les chances auraient été assez minces (moins que la moyenne nationale). Néanmoins j'aurai probablement donné naissance à une - seule - paire de filles, en hiver, dans ma décennie d'âge qui est en train de se terminer. Peut-être qu'elles et moi on aurait survécu. Mais surtout j'aurais dû vivre au XVIIème siècle en Maine et Loire.
En gros, c'est raté !


(1) Mathieu Vidard, Les jumeaux, émission La tête au carré sur France Inter, 31 mars 2011

mardi 10 juin 2014

#ChallengeAZ : I comme images de successions

Sur les sites des archives départementales, sont parfois publiés en ligne les tables ou les registres de successions. 
A partir de 1791, les bureaux de l’Enregistrement recensent tous les décès qui ont lieu dans le département. Ainsi chaque bureau, dont la circonscription sera généralement le canton, dresse des séries de tables de décès et de successions acquittées; remplacées en 1825 par des tables de déclarations de successions. La déclaration de succession et l’acte de mutation après décès, sont dressés dans les six mois - en moyenne - suivant le décès d’un individu laissant un actif successoral (des biens meubles ou immeubles).


Déclaration de mutation, Roy François, 1817, AD85
(cf. transcription plus bas)

Pour les généalogistes, ils permettent de rentrer dans l’intimité de nos ancêtres et de toucher du doigt leurs conditions de vie, au travers de leur patrimoine.

Prenons ici l'exemple des successions récoltées aux archives de Vendée, dont j'ai dressé un bref inventaire. Ils sont constitués de deux types de documents : les tables, d'une part et les registres eux-mêmes. 
Les tables comprennent :
- des détails sur le défunt (nom, prénom, profession, domicile et date de décès), 
- des détails sur la succession (biens meubles et immeubles, héritiers et valeurs des biens), 
- la date d'enregistrement de la mutation (par laquelle on retrouve le détail de la succession dans les registres). 
En fonction des années, on peut aussi avoir des renseignements complémentaires :
- sur d'éventuels scellés et tutelles, 
- des observations diverses. 
Les registres, quant à eux, mentionnent :
- la date d'enregistrement, 
- la personne déclarante, 
- les autres personnes au nom de qui elle agit (s'il y a plusieurs héritiers), 
- le nom du défunt et la date de son décès, 
- les détails de la succession et leur valeur, 
- les droits à payer pour ladite succession
- la confirmation "sincère" du déclarant
- son éventuelle signature (ou la formule rituelle qui l'en déclare incapable).

Exemple : Registre de déclaration de mutation, suite au décès de Roy François, 1817 (photo plus haut) :
« Du 24 juillet 1817
Est comparu françois Roy, Métayer, demeurant commune de la pommeraye
Faisant tant pour lui que pour jean Mathurin Roy, son frère, Lequel
Déclaré que par le décès de françois Roy, Leur père, décidé susdite commune
Le 9 Fer 1817, il leur est échu des meubles, effets et bestiaux estimés
Suivant L’état remis quatre cent cinquante trois francs cinquante Cmes 453.50
Droit à 25 fcs Reçu un franc quinze Centimes……………………………1.15
Point d’ymmeubles
Ce que le comparant a affirmé sincère aux peines des droits et a dit ne savoir
Signer »   

Les détails contenus dans les registres sont assez succincts en général (du moins pour ce qui concernent mes ancêtres vendéens) : les meubles ou bestiaux sont rarement listés précisément. Le plus prolixe en la matière est celui de Jeanne Robin en 1840 : "la succession est composée du mobilier propre, à savoir :
1) un lit composé de son bois, paillasse, coëte, traversin, matelas, estimé à 20 francs.
2) un coffre estimé à 3 francs.
3) deux draps estimés à 4 francs.

Total 27 francs"

On notera tout de même quelques successions particulières :
  • celle de Pierre Coutand en 1815. La case Observation porte la mention suivante : par acte du 18/8/1809, passé devant Chenuau, notaire aux Epesses, "ledit Coutand a tout abandonné à ses enfants à la charge de le nourrir". Le détail de ce legs n'a pas été trouvé sur les registres de déclaration de mutation (Pouzauges). 
Par contre l'acte de cession figure bien parmi les minutes notariales ( * ) : "comme son grand äge ne lui permet plus de s'occuper de son travail ordinaire et que [ses enfants] pierre et jeanne coutand sont ses deux apuis [ ?] ayant déjà beaucoup aidé a sa subsistance et entretien par le fruit de leur labeur, il a par ces presentes de sa libre volonté, du consantement et agrément formel [ ?] des dits françois et henri coutand ses deux autres enfants, ( ... ) declare leur cedder et abandonner entout droit de propriété, le tiers pour lequel il étoit fondé dans la communauté générale qui a existé entreux jusqu'à ce jour, et généralement cedder et abandonner auxdits pierre et jeanne coutand et par moitié entreux tous ces biens meubles et effet mobilier de quelque ( ... ) quil soient qui sont tant dans sa demeure que partout ailleurs, que lesdits pierre et jeanne coutand declarent bien connoitre sans qu'il soit besoin d'en faire plus ample designation, lequel tiers du mobilier cidessus ceddé est estimé en temts que de besoin seroit soixante francs."

  •  celle  de François Coutand (fils du précédent) en 1843 : Il n'y a pas de détail sur les héritiers et la succession, mais la case "Numéro du sommier douteux sous lequel l'article a été relevé" est remplie avec le n°944. 
Sur ce sommier sont consignés l'existence de droits impayés ou fraudés (mais ces registres ne sont pas conservés aux archives). Quand le contrôleur a réuni les preuves de l'exigibilité d'un droit ou lorsque le contrevenant se reconnaissait débiteur de l'impôt, l'article était annulé et reporté sur le "sommier des droits certains". A l'inverse, si la réclamation est non fondée ou s'il n'y avait pas de preuves suffisantes pour engager des poursuites, l'article était annulé.
  • celle de Louise Poisbleau en 1839 : un certificat d'indigence a été délivré le 29/1/1840; de ce fait il semble qu'il n'y ait pas d'héritage, et donc pas de déclaration sur le registre de mutation : à la date de la déclaration des successions est apposé la mention "néant". La case des biens déclarés est laissée vierge.  

Sur la quinzaine de successions vendéennes identifiées, le montant des successions va de . . . rien (certificat d'indigence de Louise Poisbleau) à 1 740 francs : Rose Godet déclare en effet 340 francs de biens meubles et une borderie valant 1400 francs. Elle qui n'était que domestique lors de son mariage en 1782 ! On remarquera que son époux, décédé 13 ans auparavant, ne déclarait que des biens meubles (pas d'immeuble), pour une valeur de 430 francs (pourtant dit "feu propriétaire" lors du mariage de son fils en 1824).

( * ) Vive les archives "multi-séries" en ligne !