« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

vendredi 7 août 2015

Je me souviens

Je me souviens de mes trois sœurs, de leurs babillements, cris et rires qui ont peuplé et égayé la maisonnée. Marie, de dix ans mon aînée, aidant notre mère dans ses tâches quotidiennes.
Je me souviens du trajet entre notre maison à La Gidalière et l'école du village. Les 4 kilomètres à parcourir sous tous les temps me paraissaient parfois bien longs pour mes petites jambes.
Je me souviens des bêtes que je gardais, plus tard, dans le Pré Bas. Je préférais cela à l'école parce qu'au moins j'étais dehors.
Je me souviens que mon père me racontait cette grande Révolution qui a bouleversé notre temps. Commencée par des révoltes contre les seigneurs locaux ici, elle a fini par couper la tête du roi là-bas, à Paris.
Je me souviens des troubles qui ne tardèrent pas ensuite, ravageant le pays et divisant les familles. J'avais une quinzaine d'années et la violence des querelles opposant Bleus et Blancs me fascinait pourtant.
Je me souviens de la paix revenue. Mais rien n'était plus vraiment comme avant.
Je me souviens de ce triste jour d'hiver où j'ai enterré mon père Jacques. Ce sentiment de solitude soudain qui vous envahit. Et qui n'est rien à côté de celui que je lisais sur le visage d'Anne, née Gobin, ma mère.
Je me souviens du jour où j'ai repris la métairie de mon père : 36 hectares dépendants du château du Puy Jourdain. J'avais alors 22 ans.
Je me souviens de Françoise Paineau, venant vers moi qui l'attends devant l'autel de l'église de Saint-Amand. Cette église où j'ai été baptisé et où seront baptisés mes enfants.

Église de Saint-Amand-sur-Sèvre

Je me souviens de notre première-née Marianne Françoise l'année suivante. De sa naissance un jour d’août et de celle de nos 9 autres enfants ensuite.
Je me souviens du petit Pierre qui n'a vécu que 15 mois. Le premier de nos trois enfants que j'ai dû accompagner dans le tombeau familial.
Je me souviens du regret que j'ai ressenti de n'avoir pas eu le temps de mener mes filles à l'autel avant de disparaître. Mais je sais que mon épouse aura cette joie pour nous deux.
Je me souviens de ce jour de mai où je me suis sentir partir. Dire que je n'avais même pas 50 ans. Mon épouse devra assumer la métairie seule ainsi que nos sept enfants restants, âgés de 17 à 1 an. Je ne les verrai pas grandir. Puissent-ils connaître une belle vie.

Je me souviens de tout cela... mais qui s'en souviendra après moi ?


Jacques Gabard et Anne Gobin sont nos plus anciens ancêtres Gabard connus. L'absence des registres anté-révolutionnaires à St Amand (79) ne nous permettant pas de remonter cette branche plus loin. La ferme de la Gidalière restera dans notre famille jusque dans les années 1920.


vendredi 31 juillet 2015

#Centenaire1418 pas à pas : juillet 1915

Suite du parcours de Jean François Borrat-Michaud : tous les tweets du mois de juillet 1915 sont réunis ici. 

Ne disposant, comme unique source directe, que de sa fiche matricule militaire, j'ai dû trouver d'autres sources pour raconter sa vie. Ne pouvant citer ces sources sur Twitter, elles sont ici précisées. Les photos sont là pour illustrer le propos; elles ne concernent pas forcément directement Jean François.

Les éléments détaillant son activité au front sont tirés des Journaux des Marches et Opérations qui détaillent le quotidien des troupes, trouvés sur le site Mémoire des hommes.

Toutes les personnes nommées dans les tweets ont réellement existé.
___ 


1er juillet
Les compagnies fabriquent des rondins et des chevaux de frise.
Les 2ème et 6ème Compagnies partent pour Pfeiferberg en réserve et à la disposition du 22ème Chasseurs.
La nuit se passe sans incident : ils rentrent à leur bivouac dans la nuit.
Ordre de bataillon n°1 : nominations et affectations.

2 juillet
Travaux divers.
Les 1ère et 4ème Compagnies partent pour Pfeiferberg en réserve et à la disposition du 22ème Chasseurs.
Ils restent sur leurs emplacements.
Ordre de bataillon n°2 : Citation à l’ordre de l’armée du Capitaine Baldoni pour bravoure.

3 juillet
La 2ème Compagnie relève la 4ème sur son emplacement à Pfeiferberg.
Linge Barrenkopf © pages14-18

4 juillet
Le 23ème Bataillon de Chasseurs relève dans la nuit le 52ème Bataillon de Chasseurs.
Nos trois compagnies (1ère, 4ème et la nôtre) nous mettons sous les ordres du Commandant du secteur de Metzeral (Cdt Richard de la 22ème).
Les trois autres Compagnies devant relever le 11ème Bataillon de Chasseurs au Braunkopf, une reconnaissance de terrain est effectuée.

5 juillet
Changement de cap ! Un autre ordre arrive, nous remettant à la disposition du Commandant Rosset (les 6 Compagnies).
Position du Bataillon :
1ère compagnie en première ligne devant Metzeral, tandis que la nôtre y reste en réserve.
2ème, 3ème et 6ème compagnie en 1ère ligne au Braunkopf, la 4ème en réserve.
Mitrailleuses : 2 pièces à la 2ème Compagnie, 1 pièce à la 3ème.
Poste de commandement au Braunkopf.

6 juillet
La relève du 11ème Bataillon de chasseurs a eu lieu dans les conditions prévues.
Les Compagnies vont occuper les emplacements désignés. La relève s’est effectuée sans incident et s’est terminée à minuit.
Dans le silence de la nuit, je perçois des soldats chuchoter entre eux. Je ne les vois pas, mais les entends clairement.
Ils n’en peuvent plus de cette guerre, qu’on leur avait promis courte. De tous leurs camarades disparus, pour des résultats quasi nuls.
De la souffrance quotidienne, la peur omniprésente et l’éloignement des familles. L’un d’entre eux dit carrément que tout est perdu ! Un silence glaçant semble approuver cette déclaration pessimiste.
Depuis la fin des combats de Metzeral, ce sentiment enfle dans les rangs.

7 juillet
Les Compagnies s’organisent sur les emplacements du 11ème Chasseurs.
Pertes : 2 blessés.

8 juillet
Organisation des emplacements : le poste de Commandement est transféré sur les pentes Ouest du Braunkopf.
Pertes : 2 blessés.

9 juillet
Organisation des emplacements :
La 4ème Compagnie, étant bombardée aux tranchées du Col du Braunkopf, va occuper le Bois carré.
Ordre de bataillon n°3 : décorations. Les Capitaines Anneau et Loire sont élevés au grade de Chevalier de la Légion d’Honneur pour leur belle attitude au feu.
Ordre de bataillon n°4 : La belle conduite du Bataillon a été récompensée par une Citation à l’ordre de l’Armée.
Ordre de bataillon n°5 : citations à l’ordre de la Division.
Ordre de bataillon n°6 : citations à l’ordre de la Brigade.
Ordre général n°32 de la VIIème Armée du 9 juillet 1915 : est cité le 23ème Bataillon de Chasseurs car il « a fait preuve d’une vaillance et d’une énergie au-dessus de tout éloge, en enlevant une position très solidement organisée dans laquelle l’ennemi se considérait comme inexpugnable, d’après les déclarations mêmes des officiers prisonniers.
Lui a fait subir des pertes considérables et malgré un bombardement des plus violents n’a cessé de progresser pendant plusieurs journées consécutives pour élargir sa conquête. »
Ordre spécial de la VIIIème armée
Ordre spécial 23eme BCA, carte postale, 1915 © alpins.fr

10 juillet
Organisation des emplacements. Travaux divers, pose de treillage de fils de fer, constructions d’abris.
Ordre de bataillon n°7 : le Commandant de la Compagnie nous lit l’ordre de brigade suivant :
« Depuis quelques jours des bruits faux ou tendancieux, susceptibles de diminuer notre confiance dans la Victoire finale et de jeter le doute dans les esprits, circulent parmi nous […]. Les gens qui les répandent ou les colportent font une besogne malpropre indigne de Français et sont de véritables agents au service des boches, dont ils servent inconsciemment les intérêts.
Le Colonel commandant la brigade donne un démenti formel à tous ces bruits et invite les chasseurs à se taire et à ne pas répéter de pareilles inepties entre eux. Il n’hésitera pas à traduire en conseil de guerre tout porteur de fausses nouvelles.
[…] Nous qui avons trimé et souffert, nous voulons que notre sang versé nous rapporte non une paix débile, qui serait une honte, mais une paix glorieuse et durable qui nous assurera la tranquillité pour nous et nos enfants.
La situation est claire : l’Allemagne ne peut plus vaincre, ce n’est qu’une façade qui s’écroulera bientôt dans la ruine, ses pertes sont colossales et malgré ses apparences de victoire, elle est frappée au cœur.
Vous entendrez bientôt sonner l’heure où elle paiera les crimes dont elle doit compte à l’humanité toute entière.
[…] Laissez les embusqués, les démoralisés pleurer et geindre sur la longueur de la guerre que vous faites. Il n’y a qu’une façon de la terminer vite, cette guerre, c’est de continuer à taper dur et ferme, à tenir coûte que coûte. Avant de penser à une campagne d’hiver, tâchons donc de régler la question en été. Il y a un an bientôt nous avons pris nos fusils pour marcher à l’ennemi, nous préoccupions-nous en juillet des neiges de décembre ?
Haut les cœurs et pas de regard en arrière. Nos familles ne veulent nous revoir que victorieux. […] tenez bon Chasseurs et silence dans le rang. Vous êtes trop intelligents pour vous laisser impressionner par ces sottises inventées par des froussards ou des imbéciles.
Signé Lacapelle. »
Affiche "Taisez-vous" © Delcampe

11 juillet
Mêmes emplacements.
Les Compagnies de première ligne s’organisent. Placement de réseaux de fils de fer, construction d’abris.
Entrée d'abris, 1916 © Gallica

12 juillet
Mêmes emplacements.
Continuation des travaux de la veille, réfection de certaines parties de tranchées abîmées, approfondissement des boyaux.
Ordres de bataillon n°8 et 9 : nouvelles citations à l’ordre de l’Armée, dont notre regretté Capitaine Mounier.

13 juillet
Mêmes emplacements.
Transport de matériel aux Compagnies de première ligne.
Organisation des premières lignes.

14 juillet
Mêmes emplacements.
Organisation des premières lignes.
Remise de Croix de guerre et de décorations par le Colonel Lacapelle Commandant la 4ème Brigade à Gaschney à des militaires du 23ème BCA.

15 juillet
Nous relevons la 1ère Compagnie à Metzeral.
La 4ème relève la 2ème Compagnie au Braunkopf.
La relève s’est effectuée sans incident.

16 juillet
Mêmes emplacements.
Organisation des premières lignes.
Pluies abondantes, réfection de boyaux et de parties de tranchées effondrées.
La boue, la boue, toujours la boue.
Ordre de bataillon n°10 : décoration au grade de Chevalier de la Légion d’honneur du Capitaine Ruffié.

17 juillet
Mêmes emplacements.
Placement d’un double réseau de fils de fer sur tout le front des premières lignes.
Ordres de bataillon n°11 et 12 : affectations et mutations ; nominations.

18 juillet
Mêmes emplacements.
Confirmation du renforcement du réseau de fils de fer.
Ordre de bataillon n°13 :
« Chasseurs,
Demain l’armée des Vosges attaquera l’ennemi sur son front en vue de s’emparer de Munster.
Notre objectif est le massif du Reichackerkopf.
Appuyé par une puissante artillerie qui vous précédera de ses projectiles dans vos attaques, ruinera les défenses de l’ennemi, vous enlèverez brillamment comme vous savez le faire les positions allemandes et vous vengerez par une victoire éclatante, nos camarades tombés sur le même terrain il y a quelques mois.
En avant donc, à la baïonnette dès que vous entendrez sonner la charge. Pénétrez tous ensemble au plus loin dans les lignes ennemies vigoureusement et hardiment sans arrière-pensée. Enfoncez l’ennemi et rejetez-le dans la vallée. Il s’enfuira devant votre offensive foudroyante. Marchez en avant en restant dans la main de vos chefs, en vous gardant conter les surprises, groupés pour frapper plus fort et tous ensemble.
Rappelez-vous que les sonneries de « Halte-là » et de « Cessez-le feu » sont interdites et ne peuvent que cacher une ruse de l’ennemi.
Les seules sonneries françaises permises sont « En avant » et la « Charge ».
Si l’adversaire contre-attaque, tenez bon et tirez bas. Foncez à courte distance sur lui à la baïonnette. Assommez-le à coups de grenades.
S’ils veulent se rendre, méfiez-vous, désarmez-les et dirigez-les vers l’arrière en petits groupes.
Vaillants chasseurs de la 4ème Brigade, vous allez, j’en suis sûr, compléter vos beaux succès du Braunkopf et de Metzeral par une éclatante victoire.
Hardi les gars !
Frappez ferme et Vive la France !
Le Colonel Commandant la 4ème Brigade
Signé Lacapelle. »
Munster, 1915 © thebluelinefrontier

19 juillet
Attaque de la 47ème Division dont le but est de s’emparer de Munster en agissant au Nord du Grossthal-Fecht sur le front Eichwald-Reichackerkopf de concert avec la 129ème Division qui attaquera sur le front Lingekopf-Barrenkopf.
Les 23ème et 63ème Bataillons de Chasseurs sous les ordres du Commandant Rosset maintiennent l’occupation actuelle du front et contribuent de leurs positions à inquiéter l’ennemi et à lui faire craindre une attaque éventuelle sur Muhlbach.
Vers midi, l’attaque s’étant déclenchée un feu d’une extrême violence part des tranchées du 23ème Bataillon dans les directions données.
Vers 17h, les premières lignes n’ayant pas été entièrement détruites par les gros calibres, l’attaque est renvoyée au lendemain.
Attaque du Linge © linge1915

20 juillet
Reprise de l’attaque de la 47ème Division.
Pour mener à bien la prise de Munster décidé par l’État Major français... il faut préalablement prendre les sommets dominant le cirque au fond duquel est blottie la ville. Sommets que les Allemands ont fortifiés par un réseau de tranchées bétonnées, fortins et abris.
Le 23ème coopère à l’attaque dans les mêmes conditions que la veille.
« Rien à signaler » disent les officiers. De notre côté…
Des vagues d’assaut, des garçons de 20 ans qui chargent à bout de souffle dans des pentes abruptes sous un bombardement infernal. Elles sont criblées de balles dès qu’elles débouchent et viennent mourir, mitraillées à bout portant, devant d’infranchissables réseaux de barbelés et des blockhaus bétonnés, où les attendent les corps des cisailleurs tués : C’EST LE LINGE !
Des monceaux de morts gisant mêlés aux blessés entre les lignes, frémissent sous le soleil de l’été 1915 : c’est la jeunesse de France, des troupes d’élite de Chasseurs, grouillant de rats, de mouches bleus, d’asticots, soulevée par des rafales d’obus, frappée par les balles, dans une puanteur indescriptible : C’EST LE LINGE !
Linge © DRAC Alsace


21 juillet 1915 :
Mêmes emplacements.
Reprise des travaux d’organisation des premières lignes. Placement de réseaux de fils de fer, construction d’abris pour les escouades. 

22 juillet 1915 :
Mêmes emplacements.
Continuation des travaux en cours.
De nouvelles attaques ont lieu. Leur insuccès est dû à l’impréparation de l'artillerie.

23 juillet
Mêmes emplacements.
Réfection de parties de boyaux et tranchées éboulées.
Tranchée allemande bouleversée, Vosges ©Gallica

Étayage avec rondins et planches. Construction d’un blockhaus.
Les chasseurs partis à l'assaut en quatre vagues le 20 juillet sont repoussés dans leurs tranchées.
Retour à la case départ.

24 juillet
La 2ème Compagnie relève la 3ème aux tranchées.
Relève effectuée sans incident.
Nouvel assaut dans la boue et la brume: la crête est enlevée.
Dans la nuit les Allemands préparent la contre-offensive et le lendemain soir ils reprennent le Lingekopf.

25 juillet
Mêmes emplacements.
Continuation des travaux en cours.
Ordre de bataillon n°14 :
« Chasseurs de la 4ème Brigade,
Notre drapeau – le glorieux Drapeau des chasseurs est confié à votre garde pendant quelques jours.
C’est un honneur qui vous rendra fiers et aussi une récompense qui vous est due.
Je n’ai pas besoin de vous dire ce qu’est notre Drapeau décoré de la Légion d’Honneur, de la Médaille Militaire, de la croix de guerre, lambeaux héroïques de soie tricolore qui renferment dans leurs plis toute la gloire du passé, toute celle du présent. [...]
Vous avez, depuis un an de guerre, forcé l’admiration du monde par votre énergie, votre courage et votre abnégation. […]
Réunis autour du drapeau des chasseurs, vous lui jurerez fidélité, vous ferez le serment non seulement de le défendre mais encore de le conduire, coûte que coûte, au bord de ce Rhin que nous voyons d’ici, au pied des dernières montagnes vosgiennes.
Et quand, votre tâche accomplie, vous défilerez sous l’Arc de Triomphe, au milieu des acclamations de la France entière, ne serez vous pas récompensés de vos peines et de vos fatigues en voyant flotter au-dessus de vos têtes notre glorieux étendard.
Signé : Lacapelle. »
Drapeau Chasseurs 8/8/1915 © Histoirémilitaria
Ordre de bataillon n°15 : Cassation de grade du caporal Portman, trouvé endormi dans son abri alors que ses hommes montaient au front, et ayant répondu à son sous-officier : « vous m’embêtez » !

26 juillet
Mêmes emplacements.
Commencement d’une tranchée en deuxième ligne par la 3ème Compagnie.
Transfert de matériel, rondins, fils de fer, piquets, grillage métallique nécessaires pour la construction de cette tranchée.
Brume, pluie, boue.
Nouvelle action limitée au Linge, méthodique feu roulant de l'artillerie, la crête est conquise au prix de lourdes pertes.  
Nuit du 26 au 27 juillet : Trois assauts de contre-attaques allemandes sont repoussés dans la nuit et jusqu'à midi du 27 juillet.

27 juillet1915 
Mêmes emplacements.
La 3ème Compagnie travaille toute la nuit à la construction de la tranchée de la deuxième ligne.
Ordre de bataillon n°16 : nouvelle cassation d’un caporal indigne de porter les galons.
En début d'après-midi, assaut français sur le Barrenkopf : demi-succès, puis échec.
Les Français abandonnent le Barrenkopf, trop exposé. Mais Joffre n'entend pas rester sur cet échec.
Il ordonne la reprise de la crête coûte que coûte. Les chasseurs repartent. La lutte est dantesque, souvent au corps à corps.
Entre les lignes, les cadavres s'amoncellent au point qu'il faut les arroser de phénol pour combattre l'insoutenable puanteur.

28 juillet
Mêmes emplacements.
Continuation des travaux en cours.
Ordres de bataillon n°17 et 18 : décoration de la Légion d’Honneur et nomination.

29 juillet
Mêmes emplacements.
Grande activité des travaux de construction des tranchées de 2ème ligne.
Transport de matériel.
Ordres de bataillon n°19 et 20 : citations à l’ordre du Bataillon et décorations.
Nouvel assaut de nos armées, mais le sommet du Linge est toujours tenu par les Allemands. Tout effort sera vain.

30 juillet
Mêmes emplacements.
Continuation des travaux en cours.
Transport de matériel aux Compagnies de première ligne.
Réfection des boyaux.

31 juillet
Mêmes emplacements.
La 1ère Compagnie nous relève enfin dans les tranchées de Metzeral.
Relève effectuée sans incident.
Les bombardements sont continus.
« Bombardement général allemand de grand style » a dit le Capitaine.
 

vendredi 24 juillet 2015

Pierre His... Le Pierris... Le Pierry

Tranquillement je remonte les générations. Il faut dire que suis bien aidée par plusieurs facteurs : la mise en ligne des registres notariés de ce coin de l'Orne (la Ferté Macé, la Ferrière aux Étangs, Briouze...) sur Geneanet [ 1 ] et le défrichage - avant moi - de nos généalogies communes par Bruno Gogel et Odile Halbert. Le site des archives départementales quant à lui n'est, hélas, guère performant et je n'y vais qu'à reculons (aaah ! les systèmes de navigation et de zoom impraticables).
Me voilà donc arrivée à Pierre His, dont je retrouve le contrat de mariage daté de 1648, à la Ferté Macé. Il demeure en la paroisse de Lonlay le Tesson. Les registres paroissiaux ne peuvent plus m'aider : pas de registre antérieur à 1662. Ce sont donc les actes notariés qui me permettent de progresser plus loin dans le temps. Il est le fils de feu Jean et de Julienne Clouet (enfin peut-être, son patronyme est difficile à déchiffrer).
Je ne sais même plus pourquoi je regardais la carte de Cassini, quand soudain, comme souligné par un cercle de relief et de végétation, un lieu-dit nommé Pierre His m'apparaît.


Pierre His / Lonlay le Tesson, carte de Cassini © Gallica

Tilt ! Happy Dance ! Montée d'adrénaline !

Parmi le peuple de laboureurs et de vignerons qui forme ma généalogie, aucun n'a donné son nom à une terre (et inversement).
Bon, pour le moment rien ne prouve qu'il y ait un lien entre les deux. Mais quand même...
D'ailleurs Pierre est dit "de la paroisse de Lonlay le Tesson", sans précision sur son lieu d'habitation.
D'autre part, toujours dans ledit document, il est nommé "Pierre Hayet fils de feu Jean His", même si dans tous les autres documents il est bien nommé His.
Après plusieurs investigations, il apparaît que "mon" Pierre His était crochetier, c'est-à-dire un artisan qui fait des crochets pour les crocheteurs et les portefaix ou les bêtes de somme. Le crocheteur gagne sa vie à charger, décharger et porter des fardeaux sur et avec des crochets. Le portefaix charge et décharge les produits solides, à l'aide de crochets qui sont des instruments à deux grandes branches et à deux crochetons avec une sellette (tandis que ceux des animaux sont des supports fixés sur le bât pour retenir les charges). [ 2 ]
Il était illettré. En effet, sur les actes le concernant, il appose sa marque. L'Orne est le seul endroit de ma généalogie ou les illettrés sont invités à apposer leur marque, tant sur les documents religieux (actes de baptêmes, mariage et décès) que civils (actes notariés). Mais on voit bien que la marque de Pierre est personnelle : elle est identique sur tous les documents et n'est pas faite au hasard, ne ressemble pas aux autres marques.

"Signature" de Pierre His, 1693 © AD61

Je ne sais rien de son père et sa "dynastie" se termine avec sa fille (du moins dans ma généalogie).

La commune de Lonlay-le-Tesson fait actuellement partie du département de l'Orne et du diocèse de Séez, canton de La Ferté-Macé. Sa superficie est de 1 237 hectares. 
Lonlay-le-Tesson comptait, en 1709, 244 feux (ensemble des personnes vivant dans un même foyer). La fabrication et le commerce de la toile tenait une place importante dans l'économie du pays.
Le château, dont il ne reste plus qu'une partie, a été construit en 1773. Il fut vendu en 1825 à M. Clouet qui le convertit en ferme. Une partie du bâtiment abrita un temps la mairie et l'école de garçons.

Quant au village de Pierre His, au fils du temps son nom évolue. En 1881, on le nomme Le Pierris. Sur le cadastre napoléonien il est écrit Pierry. Forme qu'il a gardée de nos jours : Le Pierry.

Le Pierry / Lonlay le Tesson © Geoportail

Le Pierris est dit "appartenant à la famille His" dans la Notice sur la commune de Lonlay-le-Tesson [ 3 ]. Ce village relevait de la seigneurie du Bois-Manselet dont il formait une des "aînesses".
Le Bois-Manselet était un petit fief tenu noblement de la baronnie de Briouze, et ce dès le XVème siècle. Il s'étendait à la fois sur les paroisses de Ménil de Briouze et de Lonlay le Tesson. Sur le registre de ses pleds et gages-plèges [ 4 ] étaient inscrits, notamment, les tenants du Pierris.
Le manoir du Bois-Manselet était une sorte de vieux logis normand, construit au pied des collines boisées du Mont d'Hère. Le fief tomba en désuétude à l'extinction de la famille dans les années 1840.

En conclusion, difficile de dire que "mon" Pierre His avait un lien avec le lieu-dit dont les tenants semblent être plus élevés que de simples crochetiers. Néanmoins il n'est pas exclu qu'il soit apparenté à cette famille... En bref : p'tète ben qu'oui, p'tète ben qu'non
D'accord c'est une conclusion de Normand, mais après tout leur sang coule dans mes veines aussi...


[ 1 ] Notamment par titep48/Michel Petit et dozeville/Jean-Pierre Bréard, qu'ils en soient chaleureusement remerciés.
[ 2 ] Source : www.vieuxmetiers.org 
[ 3 ] Source : Notice sur la commune de Lonlay-le-Tesson par le comte Gérard de Contades, Le Mans, 1881; via Odile Halbert).
[ 4 ] Le plaid est une audience du tribunal. Le gage-plège était, en Normandie, une convocation extraordinaire que faisait le juge dans le territoire d'un fief pour différents motifs (élection d'un prévôt ou d'un sergent, règlement de rentes et redevances seigneuriales...).