« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

dimanche 4 décembre 2016

Noël aimait les (jeunes) femmes

Tout commence normalement : Noël Barré habite La Coulonche (61). Il est issu de l'une des nombreuses familles Barré du lieu : selon Odile Halbert (via Lucien Regnauld), on trouve 25 couples Barré primitifs à La Coulonche (15 garçons et 13 filles) dont 11 couples mariés avant 1615, date du premier registre paroissial connu.
Noël naît en 1618... le 25 décembre, vous vous en doutez. Il est dit cuilronnier : c'est celui qui fabrique des couverts de table (on dit aussi cuironnier, cuilleronnier ou cuilleriste*).

Signature Noël Barré © AD61



A 25 ans il épouse Noëlle Laisné - et c'est un(e) des rares Noël(le) de ma généalogie qui n'est pas né(e) un 25 décembre. Elle a 18 ans. Ensemble ils auront 9 enfants, nés entre 1648 et 1669. Leur mariage va durer 32 ans. Noëlle meurt à 50 ans en octobre 1676. C'est jeune pour notre époque, mais plutôt commun pour le XVIIème siècle. Sans doute tous les enfants n'ont-ils pas tous quitté le foyer : la dernière-née se marie en 1696 par exemple; mais vu la difficulté de consultation des archives en ligne de l'Orne, seuls 4 mariages de la fratrie ont été identifiés et je ne sais pas si les autres sont parvenus à l'âge adulte.
En résumé > Noël, à 25 ans, épouse Noëlle, âgée de 7 ans de moins que lui. Ils ont 9 enfants. Elle meurt à 50 ans.

L'année suivante, Noël prend une nouvelle épouse, Margueritte Couppe. Est-ce pour s'occuper des enfants (la dernière-née n'a que 7 ans) ? Toujours est-il que, moins d'un an après le décès de sa première épouse, en juillet, il se marie donc en secondes noces avec Margueritte, âgée de 45 ans environ. Hélas le mariage sera court : Margueritte meurt 5 ans plus tard en mai 1682.
En résumé > Noël, à 58 ans, épouse Margueritte, âgée de 14 ans de moins que lui. Pas de postérité connue. Elle meurt à 50 ans.

Cette fois, Noël n'a pas beaucoup de patience : il se remarie à nouveau seulement quatre mois après le décès de sa deuxième épouse. La nouvelle mariée se nomme Françoise Mezenge et elle est âgée de 40 ans. Le mariage est beaucoup plus long cette  fois : 21 ans. On ne leur connaît pas de postérité non plus, mais en même temps Noël commence à être âgé pour enfanter. Mais pour la troisième fois, Noël va conduire son épouse au cimetière, en octobre 1703.
En résumé > Noël, à 63 ans, épouse Françoise, âgée de 24 ans de moins que lui. Pas de postérité connue. Elle meurt à 40 ans.

Veuf pour la troisième fois, Noël doit s'ennuyer... Il décide de se marier à nouveau avec Julienne Delaunay, 45 ans. Trois mois seulement se sont écoulés. Le veuvage est de plus en plus court. En même temps, Noël n'a plus vraiment le temps d'attendre : il a 85 ans ! Ce qui, pour le coup (et le siècle) commence à être remarquable, au sens premier du terme. Le mariage dure 8 ans et à nouveau Noël doit prendre le chemin du cimetière : il enterre sa quatrième épouse en juin 1712.
En résumé > Noël, à 85 ans, épouse Julienne, âgée d'environ 41 ans de moins que lui. Pas de postérité connue. Elle meurt à 53 ans (selon son acte de mariage) ou 60 ans (selon son acte de décès).

Donc plus ça va, plus le veuvage est court, plus Noël épouse des femmes de plus en plus jeunes. On double la différence d'âge à chaque mariage !

Et Noël me direz vous ? A 93 ans il décide de ne pas se remarier une cinquième fois. Ou peut-être qu'il n'a pas trouvé de candidate...
C'est finalement en mai 1713, à 94 ans donc, que Noël se décide à quitter ce monde. Par cette vie peu ordinaire, il fait partie des records de ma généalogie; et à plusieurs titres :

  • le nombre de mariages,
  • les écarts d'âge entre les époux,
  • l'âge de l'époux lors de ses mariages,
  • l'âge de l'époux au décès.
Une pensée pour toutes ces épouses qui se sont mariées avec un homme dont l'écart d'âge est si important. Hélas, les quelques lignes d'actes paroissiaux qui permettent de retracer les liens qu'elles ont noués avec Noël ne permettent pas de savoir pourquoi elles se sont mariées avec cet homme. Est-ce un choix de leur part ? Noël était-il particulièrement séduisant ? Ou au contraire leur a-t-on imposé ces noces ? Et du côté de Noël, pourquoi tous ces mariages, notamment les derniers ? Était-il amoureux ou y avait-il d'autres raisons (économiques, sociales, domestiques...) ? On atteint là les limites de la généalogie : nous ne le saurons sans doute jamais...




* Source : vieux métiers

jeudi 1 décembre 2016

#Centenaire1418 pas à pas : novembre 1916

Suite du parcours de Jean François Borrat-Michaud : tous les tweets du mois de novembre 1916 sont réunis ici.

Ne disposant, comme unique source directe, que de sa fiche matricule militaire, j'ai dû trouver d'autres sources pour raconter sa vie. Ne pouvant citer ces sources sur Twitter, elles sont ici précisées. Les photos sont là pour illustrer le propos; elles ne concernent pas forcément directement Jean François.

Les éléments détaillant son activité au front sont tirés des Journaux des Marches et Opérations qui détaillent le quotidien des troupes, trouvés sur le site Mémoire des hommes.

Toutes les personnes nommées dans les tweets ont réellement existé.
___ 

1er novembre
De retour dans les Vosges, si près de l’endroit où j’ai combattu si longtemps et où j’ai été blessé…
Tant de souvenirs me reviennent.

2 novembre
Le sous lieutenant Ajoux prend le commandement du canon de 57.

3 novembre
D’après la nouvelle organisation des bataillons de Chasseurs, le 51e reçoit une nouvelle Compagnie et un peloton de mitrailleuse.

4 novembre
Le bataillon doit recevoir un deuxième canon de 57.

5 novembre
Aujourd’hui au menu c’est rat des champs. Heureusement que Marius est devenu très habile à la chasse !
Chasse aux rats, 1916 © Gallica

6 novembre
Une chanson circule dans les tranchées :

Les sacrifiés
Lorsqu'au bout de huit jours,
Le repos terminé,
Nous allons reprendre les tranchées,
Notre tâche est inutile,
Car sans nous on prend la pile,
Mais nous en avons assez,
Personne ne veut plus marcher,
Car le cœur gros, avec des sanglots,
On dit adieu aux civlots ;
Et sans tambour, sans trompette,
Nous partons tous, en baissant la tête.

Refrain
Adieu la vie, adieu l'amour,
Adieu toutes les femmes,
C'est pas fini, c'est pour toujours,
De cette guerre infâme.
C'est à Verdun, sur le plateau
Qu'on va laisser sa peau.
Car nous sommes tous des condamnés,
Nous sommes les sacrifiés.

Nous voilà partis, et tous sac au dos,
On dit adieu au repos.
Car pour nous la vie est dure,
C'est terrible, je vous l'assure.
A Verdun, là-haut,
On va se faire descendre,
Sans pouvoir même se défendre,
Car si nous avons de très bons canons,
Les Boches répondent à leur son.
Forcés de se cacher
Au fond de la tranchée
Attendant l'obus qui viendra nous tuer.

Huit jours de tranchée,
Huit jours de souffrances,
Cependant on a l'espérance,
Car ce soir c'est la relève,
Que nous attendons sans trêve…
Tout-à-coup dans l'ombre et le silence,
On voit quelqu'un qui s'avance,
C'est un officier de Chasseur à pied,
Qui vient pour vous remplacer.
Doucement, dans l'ombre,
Sous la pluie qui tombe,
Les petits chasseurs vont chercher leur tombe.

C'est malheureux de voir
Sur les grand boul'vards
Tous ces gens qui font la foire
Car si pour eux la vie est rose,
Pour nous ce n'est pas la même chose.
Au lieu de se cacher,
Tous ces embusqués
Feraient mieux de monter aux tranchées
Pour défendre leur bien,
Puisque nous n'avons rien,
Nous autres les purotins,
Pour défendre les biens de tous ces gros-là.

Refrain
Ceux-là qui ont le pognon,
Ceux-là reviendront,
Car c'est pour eux qu'on se crève.
Mais c'est fini, tous les troupiers
Vont bientôt se mettre en grève.
C'est à votre tour, Messieurs les gros,
De monter sur le plateau.
Puisque vous voulez la guerre.
Venez la faire de votre peau !

Paroles : Pierre Chapelle (*)
Partition

7 novembre
Le nouveau tableau d’effectif est porté à notre connaissance : Etat-Major, Compagnie de mitrailleuses, Compagnies de Chasseurs.
Bataillon actif : 111 sous officiers ; 1 046 hommes de troupe ; 241 chevaux et mulets.
Compagnie de dépôt : 12 sous officiers ; 58 hommes de troupe.

8 novembre
Enfin quelques jours de tranquillité.

9 novembre
Aucune note pour ce jour.

10 novembre
Aucune note pour ce jour.

11 novembre
Plus de deux ans que je suis aux armées.
Combien de temps encore ça va durer ?
Combien sont tombés, le visage dans le sang et la boue, endormis à jamais ?
Combien de temps encore leur souvenir va-t-il perdurer ?

12 novembre
Aucune note pour ce jour.

13 novembre
Aucune note pour ce jour.

14 novembre
A 10 mètres de moi, deux gars s’empoignent pour une paire de godillots. Ils en viennent aux mains.
J’essaie de les séparer avant qu’un gradé arrive et les mettent aux arrêts. (**)

15 novembre
Aucune note pour ce jour.

16 novembre
Aucune note pour ce jour.

17 novembre
Aucune note pour ce jour.

18 novembre
Aucune note pour ce jour.

19 novembre 
Le capitaine Berlon est désigné pour suivre le cours d’Etat-Major à Senlis. C'est la valse des sous-off.

20 novembre
Aucune note pour ce jour.

21 novembre
Aucune note pour ce jour.

22 novembre
Reçu de la 10e Compagnie un renfort de 12 chasseurs.

23 novembre
Le sous lieutenant Morel venu du 16e Dragons est affecté au bataillon, 9e Compagnie.

24 novembre
Le sous lieutenant Bozon rentré de convalescence est affecté à la 8è Compagnie .
On reçoit aussi un renfort de 2 sergents, 18 caporaux et 53 chasseurs.

25 novembre
On bouge ! La Division se dirige vers le secteur de St Dié où nous devons relever la 76e Division.
Départ par voie de terre. Etape sur Taintrux. Reconnaissance des avant-postes le chef de Bataillon.

26 novembre
Etape à Taintrux, à Laveline devant St Dié, de 17h à 22h.

27 novembre
Après-midi. Relève du 6e Bataillon du 227e RI.
Dispositif du Bataillon : les différentes Compagnies partent en relève. Mais la nôtre, la 8e, reste en réserve.

28 novembre
6 bombes allemandes lancées entre 11 et 12h sur le Front III.
60 obus français de 90 entre 12et 13h sur le blockhaus de la côte 607.

29 novembre
Le capitaine Janin est désigné pour inspecter le matériel contre le gaz.
Soldats équipés de masques à gaz © passionmilitaria.com

En vue d’une modification de la répartition des troupes dans le secteur, le chef de Bataillon reçoit l’ordre de faire effectuer demain une reconnaissance dans le sous-secteur de Combrimont : il désigne la 9e.
Des roulements de voitures sont entendus sur la route de Provenchères vers 18h et entre 20 et 21h.
20 obus boches sont tombés vers 20h aux environs de la ferme Simon.
Les écoutes du génie signalent : travail actif dans la demi-lune de droite ; rien dans celle de gauche.
Soldat du génie à l'écoute © histoire-passy-montblanc.fr

30 novembre
La 9e part en reconnaissance.
Écoute du génie : comme la veille.
Nombreuses rafales de mitraillettes provenant des blockhaus de 607 et d’autres positions. Bruits de ravitaillement sur la route de Frapelle.



(*) Chanson qui a circulé après l'offensive de Nivelle en avril 1917. Elle témoigne de la lassitude envers la guerre des Poilus après 3 ans de combats et des grandes offensives très meurtrières à répétition. Lassitude qui a engendré les grandes mutineries de l'année 17.
(**) Inspiré d’A. Perry « au temps des armes »

samedi 19 novembre 2016

#RDVAncestral : jour de noces

Aujourd'hui c'est jour de noces à Angers. Je me suis glissée parmi les invités. Je les observe, du coin de l’œil. Il n'y a pas beaucoup de monde : une vingtaine de personnes. Les parents du marié ne sont pas là : ils habitent Ivry sur Seine; c'est trop loin pour faire le voyage, mais ils ont envoyé leur consentement, dressé devant le maire. Le père de la mariée est décédé une dizaine d'années plus tôt, mais sa mère est présente, ainsi que son demi-frère, Honoré, né d'un premier lit du père, de 20 ans son aîné.
Il y a des jeunes et des moins jeunes, des enfants, des époux de longue date. Neveu, frère, oncles et tantes, amis et voisins...

A la sortie de l'église, la mariée apparaît, toute blanche sur le fond noir de l'église où scintillent encore les cierges. Elle est appuyée, ravie, au bras de son tout récent époux. Lui, serré dans son costume noir, fier et grave en même temps. Quelques nociers ont tiré plusieurs coups de fusil de chasse pour faire honneur aux jeunes époux (*). Je me glisse dans la file qui vient féliciter les jeunes mariés. Je les vois un peu étonnés de me rencontrer ici, mais nous n'avons pas l'occasion de discuter alors : il y a encore du monde derrière moi. Plus tard sans doute. Et puis, le photographe nous attend !

Tous posent pour la photo. Pour le souvenir.

Noces Augustin Astié et Louise Lejard, 1912 © coll. personnelle
Figurent sur la photo : Robert Raveneau (enfant à gauche, neveu de l'époux), Daniel et Élisabeth Frète (oncle et tante de l'époux, à droite de l'époux), les époux (Augustin Daniel Astié et Louise Joséphine Lejard, au centre), Élie Astié (frère de l'époux, derrière l'épouse), Honoré Lejard (demi-frère de l'épouse, à sa gauche), Louise châtelain épouse Lejard (mère de l'épouse, à la gauche du précédent), Célestine et Victor Jamois (sœur et beau-frère de l'épouse, derrière les précédents). Les parents d’Augustin ne sont pas présents : ils habitent Ivry, dans le département de la Seine. Les autres n'ont pas été identifiés.

Puis le cortège, bien ordonné, se forme pour arriver jusqu'à la salle où le repas a été dressé sur des tables à tréteaux. Chacun a pris place selon un protocole rigoureux (parents, cousins, oncles, tantes, amis, etc...). Je suis la seule exception à la règle : je me retrouve à table entre les mariés et Élie, le frère du marié. Je peux ainsi tout à loisir discuter avec eux. Les plats se succèdent : la soupe grasse, le bouilli aux cornichons, la rouelle de veau, le rôti de bœuf... Point de légumes, bien sûr, ce serait faire impolitesse aux invités. Plats de crème et gâteaux circulent pour clore ce festin de rois. Les chansons ont alors commencé. Quand un chanteur a bien chanté, ses voisines doivent l'embrasser ! C'est sans doute pour ça que personne ne laisserait passer son tour de chant; sauf les mariés bien sûr ! - cela porterait malheur. On trinque ensuite avec du vin sucré, symbole de douceur, sous les applaudissements de l'assemblée. Café et "goutte" vont clore les agapes (*).

Il n'y a là rien que de petites gens : Augustin Daniel, l'époux, est ouvrier journalier (comme son père, sa mère est ménagère); Louise, l'épouse, est couturière (fille de cultivateurs, orpheline de père donc); les témoins sont journaliers, boucher, tapissier. Ils ont cependant quelques instructions car ils ont signé l'acte de mariage (sauf la mère de l'épouse). Quoi qu'il en soit l'ambiance est joyeuse et l'avenir pleine de promesses.

Élie et Augustin me parlent de leur père, Augustin Pierre Jean, le dernier de nos ancêtres à être né à Conques. De la fratrie qui comptait 10 enfants, mais dont trois sont morts en bas âges. De leurs nombreux déménagements lors de leur enfance, leur père étant gendarme et souvent muté (en Anjou, en Corse). Je ne résiste pas à leur raconter une histoire qui circulera dans la famille, trois générations plus tard : "on a un ancêtre Corse !" disait-on. Mais en faisant des recherches, je me suis aperçue qu'il ne s'agissait que de leur père, simplement muté en Corse. Cette anecdote les fait bien rire. Je leur dit aussi qu'après un épisode en Aveyron, un retour en Anjou, j'admire le courage de leur père, parti à pied en région parisienne pour trouver du travail.

Le travail, c'est une question essentielle. Élie a fait son apprentissage en tapisserie et espère en faire son métier. Augustin, quant à lui, a commencé à être commis boucher chez Daniel Frète, son oncle maternel, avant d'être embauché comme ouvrier journalier à l'usine Bessoneau. Les Angevins connaissent tous cette usine, qui a peut-être employé un membre de chacune de leur famille. Manufacture de filature, corderie et tissage, dont les activités vont s'étendre grâce au développement de l'aéronautique avec la création de tentes de grandes tailles pour protéger les aéroplanes. En 1920, l'entreprise atteindra le chiffre de 10 000 ouvriers. Le travail est difficile, mais Augustin ne se plaint pas.

En regardant autour de moi, je constate que nous sommes à une époque de changement, une frontière entre deux mondes. 1912. Il n'y a plus que la mère de l'épouse pour porter la coiffe traditionnelle angevine (alors qu'en 1900, au mariage d'Honoré, toutes les femmes la portaient encore). Le violoneux, le cousin en habit militaire ont disparu. Mais on n'hésite pas à poser négligemment une cigarette à la main. La mariée est en blanc, avec un long voile de tulle, et non plus en noir comme autrefois. Aucune des femmes n'est "en cheveux", mais peu d'entre elles portent un chapeau. Fini les hauts de forme pour les hommes, même si les gants blancs sont encore de mise. La plupart des hommes portent la moustache de rigueur.

Augustin et Élie me questionnent :
- Toi qui connaît l'avenir, que nous réserve-t-il ?
Je suis mal à l'aise pour réponde à cette question : comment dire à Élie que dans quatre ans il trouvera la mort sur un champ de bataille en Picardie, à Maurepas, Mort pour la France ? Que deux autres de leurs frères vont connaître le même sort (**) ?

J'essaye d'éluder et je dis à Augustin que malgré une grande guerre qui va bientôt être déclarée, il verra du pays et ira jusqu'aux Dardanelles. Je change rapidement de sujet et passe sur l'épisode du paludisme qu'il va contracter là-bas et qui va lui valoir une pension d'invalidité qui va monter jusqu'à 15%.

Louise me sauve en me questionnant son avenir familial : je lui réponds avec plaisir que l'année prochaine elle mettra au monde un fils, mon (futur) grand-père. Que c'est lui qui m'a donné le goût de la généalogie. J'évite de lui dire qu'à la suite d'un accident de travail (un coup reçu dans le bas ventre par une machine), Louise ne pourra pas avoir d'autre enfant.

C'est si difficile de raconter l'avenir : comment dire les malheurs que la vie nous réserve parfois ? Surtout un jour comme aujourd'hui, où la joie doit dominer. J'essaie d'orienter la conversation sur la noce :
- Heureusement que l'on n'a pas croisé un autre cortège de mariage : ça porte malheur !(*)
Tout le monde se met à rire : ces anciennes superstitions ont la vie dure.

Bras dessus, bras dessous, on part faire une bonne promenade digestive... Car dans quelques heures on remet ça avec le dîner du soir ! Il sera suivi du bal qui sera ouvert par les mariés. Mais ensuite ils chercheront à s’éclipser discrètement pour rejoindre leur chambre nuptiale. Les gars, en bras de chemise, pourront enlacer la taille de leur cavalière et enchaîner guimbardes, pas d'été, quadrilles et polkas... Plus tard, dans la nuit, ils iront envahir la chambre des mariés (*). Pour ma part, j'ai abandonné la noce depuis longtemps, ne pouvant tenir le rythme, mais heureuse d'avoir rencontré mes arrière-grands-parents, l'espace d'un moment. Un moment de fête. Avant que les vicissitudes de la vie ne les emportent...


(*) Coutume et légendes des pays d'Anjou, édité par l'Association amicale des anciens élèves du lycée d’État Chevrollier.
(**) Voir l'article du Généathème Hommage aux Poilus