« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

vendredi 3 juin 2022

#52Ancestors - 22 - Guilliot Nicolas

 

- Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -

Semaine 22 : Y-a-t-il des informations conflictuelles dans votre généalogie ?

 

Quand Nicolas Guilliot se remarie, il ne pensait sûrement pas affoler tous les compteurs, depuis mon logiciel de généalogie jusqu'au site de Geneanet !

Né en 1690 à Samoëns (74) il se marie une première fois avec mon ancêtre Jeanne Antoinette Vuagnat en 1716. Ensemble ils auront 3 garçons et 3 filles (dans cet ordre). Mais Jeanne décède en septembre 1756. Nicolas décide donc de se remarier. C’est chose faite 4 mois plus tard, avec Josephte Aimée Excoffier. C’est une jeunette : elle lui donne 4 enfants supplémentaires :

  • François Marie né en 1757 – il décède 5 ans plus tard
  • Pierre Antoine né en 1759 – il décède 6 mois plus tard
  • Pierre Antoine né 1762 – enfant survivant
  • Clauda Françoise née en 1764 – enfant  survivant

 

Et c’est là que ça cloche. Ding, ding, ding ! ferait mon logiciel de généalogie s’il pouvait parler. Mais comme il ne peut pas, il voit rouge à la place, et c’est déjà pas mal.


Sur la fiche de Nicolas, un avertisseur !

Sur la fiche de Josephte, un avertisseur !

Sur la fiche de Pierre Antoine, un avertisseur !

Sur la fiche de Clauda Françoise, un avertisseur !

 

Et, Geneanet, site sur lequel j’ai mis mon arbre en ligne, détecte lui aussi une anomalie.

 

Pourquoi tout cet affolement ? Si vous avez été attentif à la lecture de ce billet, vous avez sûrement remarqué que Nicolas est né en 1690 : il a donc enfanté ses deux derniers enfants à l’âge de 72 et 73 ans (l'enfant né en janvier, Nicolas fêtera son 74ème anniversaire en mai) !

 

Bien trop âgé, dit Geneanet !

 

Je me lance alors dans une vaste opération de vérification des sources.

 

Concernant la première union, je dispose :

  • du contrat de mariage, le 15 janvier 1716, passé devant Me Duboin, notaire à Cluses. Il y est dit « honneste nicolas fils de feu françois guilliot ». D’après mes investigations, son père se prénommait bien François et il est décédé en 1695.
  • de l’acte de mariage, daté du 21 janvier 1716,  « Nicolas a feu François Guilliot ».

Bon, la mère n’est pas mentionnée, mais ce n’est pas l’usage ici.

Naissent donc 6 enfants, entre 1717 et 1730. Les actes de naissance sont en latin, mais ne laissent pas de doute sur l’identité des parents.

Lorsque Jeanne Antoinette décède en 1756, elle est dite « fille de feu Nicolas Vuagnat et femme de Nicolas Guilliot ». Elle avait 62 ans. Nicolas 66.

 

Vient la seconde union :

  • Le contrat de mariage du 12 janvier 1757, passé devant Me Duc, notaire à Cluses, l’identifie comme « Nicolas fils de feu françois Guilliot ». L’identité de la future épousée ne fait pas de doute : elle est clairement mentionnée (fille de « feu joseph excoffier et de l’anne barbe famel ses père et mere »). Il n’est pas fait mention d’un premier lit ou d’enfants de ce premier lit, mais ce n’est pas rédhibitoire (ce n’est pas vraiment leur place).
  • L’acte de mariage est plus bavard : « Nicolas fils de feu françois Guilliot et de feu Bernardine Riondel veuf de la Jeanne anthoine Vuagnat ». Son identité ne fait plus de doute.

Naissent donc 4 enfants, entre 1757 et 1764. Les actes de naissance sont cette fois en français, et l’identité des parents n’est pas à remettre en cause. La mère a de 31 à 37 ans.


D’autres documents jalonnent la vie de Nicolas : recensement en 1745, testament de 1767, inventaire après décès de 1767. Dans le testament il y est fait mention de « la claudaz françoise guilliot sa chere fille née de ladite josephte aimée excoffier sa derniere femme ». C’est sa dernière fille, qui est née en 1764 – celle qui affole les compteurs. Par ailleurs, Nicolas prévoit une éventuelle grossesse de son épouse : « Si son épouse se trouvait enceinte et accoucher d'une, ou plusieurs, enfants posthumes femelles, le legs à sa fille serait alors divisible ». Une nouvelle paternité n’a pas l’air de l’effrayer…

Les enfants du premier lit ne sont pas oubliés et reçoivent chacun leur part.

Enfin, « son cher fils » Pierre Antoine – celui né en 1762 qui affole les compteurs  - est nommé héritier universel et devra veiller au respect de ses dernières volontés et aux droits de ses héritiers vivants déjà nommés mais aussi « le posthume ou les posthumes males dont sadite femme pourroit être enceinte et accoucher ».

 

Donc non seulement Nicolas a eu des enfants jusqu’à l’âge de 72 et 73 ans, mais il prévoyait (éventuellement) d’en avoir d’autres… !

 

 

 

vendredi 27 mai 2022

#52Ancestors - 21 - Pierre Gabard

 

- Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -

Semaine 21 : Votre ancêtre dans la presse/les annuaires

 

Pour cette semaine, je triche un peu car ce n’est pas vraiment dans la presse/annuaire que j’ai trouvé mon ancêtre, mais dans les délibérations du Conseil Général des Deux-Sèvres (mais à ma décharge j’avais coché la case Presse lors de ma recherche dans Gallica…).

Donc j’ai trouvé Pierre Gabard dans deux délibérations, en 1877 et 1880, qui concernent un jury d’expropriation.

 

Lors de la séance du 27 décembre 1877 sont à l’ordre du jour une translation de chef-lieu de commune, des foires, un nouveau tableau des poids et mesure, etc… Et le rapport de M. de Beauregard sur le jury d’expropriation.

 

Délibération du CG Deux-Sèvres © Gallica


« En prévision des expropriations auxquelles pourrait donner lieu l'exécution de nouvelles lignes de chemins de fer projetées, la liste du jury d'expropriation a été portée […] à 72 jurés par arrondissement.

Votre troisième Commission vous propose […] de donner votre approbation à la liste ci-jointe ». Et parmi l’arrondissement de Bressuire figure « Pierre Gabard, propriétaire à Saint-Amand »

 

Pierre Gabard est mon ancêtre à la VIème génération (sosa 56). La famille exploite la métairie de La Gidalière depuis trois générations (et encore deux autres après lui). Il y est né en 1818.

 

Le jury d’expropriation est un jury spécial, en fonctionnement de 1841 à 1936, composé de propriétaires et chargé de fixer le montant de l'indemnité versée aux propriétaires touchés par l'expropriation, en cas de désaccord de celui-ci avec l'offre de l'administration.

 

La notion d’expropriation est liée à celle de la propriété. Lorsque l’État entre prend la construction d’un pont, une route, une forteresse, etc… il devient prioritaire : la propriété individuelle est abandonnée au profit de l’intérêt général. Afin de ne pas voir ses projets réduits en cendres par la volonté de quelques propriétaires récalcitrants qui ne veulent pas perdre leurs biens, l’État peut se prévaloir de la notion d’utilité publique. C’est un acte né  d’une volonté unilatérale de la part de la puissance publique. Grâce à cela, l’État obtient le transfert de propriété. Heureusement pour les propriétaires ce sacrifice n’est pas sans contrepartie : ils reçoivent une indemnité (article 545 du code civil). C’est ce que l’on appelle l’expropriation pour cause d’utilité publique.

La première réglementation sur l’expropriation date de 1810, sous Napoléon. Avant cela il suffisait qu’un seigneur décide pour qu’il soit obéi. Lors de la Révolution, la propriété est reconnue comme un droit, mais aucune loi ne protège conte l’arbitraire de l’administration. Napoléon préconise l’intervention d’un juge dans la procédure d’expropriation. Cette loi est complétée par celle de 1833 qui met en place un jury d’expropriation. Ce jury est composé de propriétaires payant l’impôt. Cette loi restera en application jusqu’en 1935, date à laquelle est à nouveau amendée.

Le cas particulier des chemins de fer est précisé dans une loi datant de 1841 : des compagnies concessionnaires de travaux publics visant à construire les voies ferrées, jugées d’intérêt public, sont dotées du droit d’exproprier. C’est un rare privilège accordé au privé par le public, mais qu’il faut nuancer car dans ce cas la propriété est transférée au public, via le privé (le privé ne conserve pas le droit de propriété). Cette loi vise à faciliter la réalisation des travaux. Cela concerne les voies, mais aussi les gares, les ponts ferroviaires, les passages à niveau.

 

Le Conseil général forme, annuellement, la liste du jury pour chaque arrondissement. C’est le document qui a été trouvé concernant Pierre Gabard. Les personnes désignées doivent être de nationalité française, figurer sur la liste des électeurs, avoir leur domicile réel dans l’arrondissement où sont situés les biens qu’il s’agit d’exproprier. La liste doit être composée de 36 personnes au minimum et 72 au maximum. Les personnes portées sur la liste doivent être désignées de manière à ce qu’on ne puisse les confondre avec des homonymes. Ne peuvent être désignés les propriétaires, locataires ou créanciers ayant un rapport avec les biens à exproprier. La liste est ensuite transmise au Préfet et Sous-Préfet qui ont autorité pour convoquer le jury et les expropriés concernés. Les jurés sont alors choisis parmi la liste : 12 d’entre eux sont retenus pour constituer le jury d’expropriation (les 12 premiers de la liste s’il n’existe aucun empêchement ou dispense, puis en suivant si nécessaire). Le jury fixe les indemnités proposées aux expropriés.

 

Les deux séances du Conseil général des Deux-Sèvres que j’ai retrouvées proposent une liste de 72 jurés – ce qui est, comme on l'a vu, le nombre maximum qui peut être soumis. Les deux délibérations nous précisent que ce grand nombre est nécessaire à cause de la construction du nouveau chemin de fer.

 

De quelles lignes s’agit-il ? Le rapport ne le précise pas. On est alors en plein essor du chemin de fer, la modernisation de l’État sous Napoléon III étant une priorité. La ligne Cholet/Niort a été mise en service en 1868, concédée à la Compagnie Paris Orléans en 1883. La ligne Chartres/Bordeaux est en pleine construction. Le tronçon Montreuil-Bellay/Niort a été déclaré d’utilité publique en 1879 (via Thouars et Parthenay).

Pour renforcer le maillage ferroviaire à l'intérieur du département, le Conseil général a étudié un plan de construction de lignes à voie normale (écartement des rails de 1,4 m), mais le projet était trop coûteux. Il a donc mis en œuvre le réseau des Tramways des Deux-Sèvres (TDS), un réseau de chemins de fer secondaire à voie métrique (écartement de 1 m seulement), moins onéreux.

La ligne Bressuire/Montreuil-Bellay a été ouverte en 1897 (pour le tronçon Bressuire Argenton-Château) et prolongée en 1899 (Argenton-Château Montreuil-Bellay). Elle faisait 62 kilomètres de long dans sa totalité. Elle était desservie par un tramway à vapeur. Elle a été fermée en 1939, la TDS cessant son activité au début des années 1940.

Chemin de fer Nord Deux-Sèvres (détail) © www.ruedupetittrain.free.fr

 

Mon ancêtre étant en 25ème position en 1877 et 30ème en 1880, il avait peu de chance de siéger dans le jury puisque n’étaient retenus que les 12 premiers (et quelques suivants si certains étaient récusés). Mais ces documents m’apprennent toutefois qu’il était propriétaire (désignation en 1877) – ça je m’en doutais – et adjoint de Saint-Amand (en 1880) – ça je l’ignorais ! De nouvelles recherches en perspective...

 

 

vendredi 20 mai 2022

#52Ancestors - 20 - Jeanne Françoise Denarie

 

- Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -

Semaine 20 : Habillement

 

 

Tout comme les aliments et boissons de la semaine dernière, c’est un document notarié qui nous donne des informations sur l’habillement.

 

Lorsque Jeanne Françoise Denarie se marie avec Joseph Anthoine, en 1731 à Morillon (74), il lui est promis un certain nombre de vêtements dans son contrat de mariage. Elle appartient au milieu des notables de la ville. Ses parents lui promettent plusieurs centaines de livres (on parle d’argent ici, hein, pas de lecture !), des animaux, du linge de maison et des vêtements qu’on fait venir de loin.

 

  • En premier lieu, « un habit neuf de sarge de l'ondre noir ». La sarge, ou serge, est une étoffe présentant de fines côtes obliques, mince et légère, généralement de laine (mais peut aussi être en soie). Quant à « l’ondre », je me suis demandé ce que cela signifiait, jusqu’au moment…  où je l’ai prononcé à haute voix. L’ondre… Londres. Ce vêtement noir vient donc d’Angleterre ! Il a parcouru plus de 1 000 km.

Est-ce à cela que ressemblait la robe de Londres ?

  • « Un autre habit presque neuf en façon de l'ondre de coulleur bleue ». Un deuxième vêtement vient de Londres, de couleur bleue cette fois. On remarquera le « presque neuf » caractérisant l’état de l’habit. A-t-il été déjà porté par d’autres ? Par la future qui l’aurait eu par anticipation ?

 

  • « Un autre habit de sarge de [… ?] tout neuf ». Un mot n’a pas pu être déchiffré, sans doute était-ce la provenance de l’habit.

 

  • « Un autre habit moittie usé deux corps bas un de droguet et l'autre de sarge de l'ondre avec leurs manches de rattines presque neufs ». Encore un vêtement « moitié usé ». Cet habit est composé de deux parties (« deux corps »). Le corps bas, la jupe, est double : l’une est en droguet, une étoffe grossière, de peu de prix, de laine ou généralement de serge, moitié fil et moitié laine, formant une sorte de drap mince. On peu parfois y faire entrer aussi de la soie (droguet satiné), de l'or ou de l'argent - et n'a plus rien à voir avec le mauvais droguet. La deuxième est en sarge. Le tout a été fabriqué à Londres. La partie haute est caractérisée par ses manches de ratine, qui est une étoffe de laine ou drap croisé dont le poil est tiré en dehors par cardage et frisé de manière à former comme de petits grains. C'est un tissu épais et chaud, servant à la confection des vêtements d'hiver.

 

  • « Une camisolle de sarge de vallence presque neuf ». La camisole est un vêtement court ou long et à manches, qui se portait sur la chemise. Cette fois, sa provenance est Valence à l’Ouest du massif du Vercors (aujourd’hui dans le département de la Drôme), à 280 km de Morillon.

 

  • « Une [reliure étroite] usée de toisle drapt neuve ». Le vêtement suivant n’a pas été identifié à cause d’une reliure trop étroite.

 

  • « Deux cotillons de toisle drapt, un neuf et l'autre le [reliure étroite] tier usé ». Viennent ensuite deux cotillons, qui sont des jupes de dessous (jupons). Ils sont en drap, étoffe résistante de laine (pure ou mêlée à d'autres matières) dont les fibres sont feutrées (foulage) et le tissu est lainé. L’un est neuf, l’autre usé au tiers ( ?)

 

  • « Une dousaine de chemise scavoir huit neuves et les autres quattre d'indienne presque neufs et les autres huit presque neuf ». Bon, je ne comprends pas trop le calcul du lot suivant : 8 + 4 + 8 = 12 (sic). Ceci dit mis à part, ces chemises sont neuves ou presque neuves. Quatre sont d’indienne, une toile de coton peinte ou imprimée à décor de fleurs, feuillages et oiseaux provenant à l'origine des Indes, puis fabriquée en Europe.

 

Aucune chaussure n’est mentionnée.

 

Le futur marié donne à sa promise « un habit droguet dangleterre pour marque d’amour et d’amitié qu’il a pour ladite Jeanne Françoise Denarie » [ce qui confirme l’hypothèse de la provenance anglaise de ces vêtements].

 

Au total, la future mariée reçoit plus d’une vingtaine de pièces de vêtements, dont certains viennent de très loin.

 

Selon Saor alba, association écossaise, « la Grande-Bretagne demeurait plutôt puritaine dans ses mœurs et cela se voyait sur les vêtements. Rares étaient les robes à motif, les Anglaises préféraient les teintes unies et une faible présence de passementeries. » Mais est-ce à dire que la robe de l’ondre obéissait à ces caractéristiques de sobriété ? Hélas, difficile de répondre. Le contrat de mariage est assez détaillé… mais pas encore assez ! Il ne nous permet pas de savoir clairement à quoi ressemblaient ces tenues.