« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

mardi 7 novembre 2023

F comme Feu

Les vicaires et curés de Conques sont assez avares en mentions complémentaires au décès.

 

HFE Philippoteaux, Enterrement en Bretagne © Louvre


Sépulture Pierre Astié, 1786 © AD12

"Pierre Astié veuf de Catherine Soutouly âgé d’environ 90 ans est décédé le jour d’hier, a été inhumé ce 12 mai 1786…"

Bon, en fait mon sosa 256 avait 85 ans, mais peu importe...

 

"Le 13 de novembre mourut et le 14 fut ensevelie Jeanne Bousquet épouse de Rols de Conques âgée d’environ 68 ans…"

Le prénom de mon sosa 272 n’est même pas mentionné dans l'acte de décès de son épouse en 1781, tout aussi lapidaire.

 

De même, les lieux de décès, sont très rarement mentionnés.

Si on a de la chance, le village est nommé.

 

"Jean Clerc […] mourut au village de la Crousette présente paroisse"

 

Il y a à Conques en ces temps de misère, comme on le verra plus tard, de nombreux enfants exposés. Mais ces enfants sont tous élevés à l’hospice. Je n’en ai trouvé qu’un seul décédé en dehors : a-t-il été mis en nourrice ? Est-ce que ses parents seraient revenus le chercher, de manière officieuse puisqu’il n’a pas été reconnu ? Quoi qu’il en soit, cela ne lui a guère porté chance : il est décédé à l’âge de 5 mois.

 

Sépulture Jacques, 1788 © AD12

"L'an 1788 et le 13ème juillet est décédé Jacques, fils à père et mère inconnus, au village de Lapade paroisse de Montignac âgé d'environ cinq mois, a été inhumé dans le cimetière de cette paroisse en présence de Jacques Alran et de Joseph Delannes qui n'a su signer"

 

"François Contour du village del Cade paroisse de St Cyprien âgé d'environ soixante trois ans décédé le jour d'hier dans la maison de Bernard Rouannes charpentier le vingt neuf mars mil sept cent quatre vingt cinq, a été inhumé ce jourd'huy trente mars, présents Antoine Puech gendre du défunt, Jacques Alran soussigné"

 

Je n’ai pas retrouvé l’histoire de ces personnes : qui était Bernard Rouannes par rapport à François Contour ? Pourquoi était-il chez lui ? Mystère.

 

Petits ou grands, si les paroissiens ne sont pas décédés chez eux, ils sont décédés à l’hôpital.

 

"Marie Ourgouilloux… âgée d’environ 66 ans décédée le jour d'hier à l'hôpital de Conques…"

"… a été inhumé Jacques Carles … décédé de la veille à l’hôpital de cette ville…"

 

Sépulture Jeanne Labro, 1781 © AD12
 

"… est décédée à l’hôpital de Conques Jeanne Marty fille légitime à Pierre Marty et à Anne Labro… âgée d’environ 2 ans…"

 

Je compte 67 mentionnés morts à l’hôpital, soit 19% des décès sur la décennie.

 

 

lundi 6 novembre 2023

E comme Edit d'Henri II

Le roi Henri II institue, par un édit de février 1556, la déclaration de grossesse obligatoire. Ce premier édit est reconduit sous Henri III (en 1585) puis confirmé par une déclaration de Louis XIV (26 février 1708). La réglementation restera en vigueur jusque dans les années 1830. 

 

La déclaration vise à lutter contre les avortements et les infanticides et à réduire les cas d’abandon d’enfants.

La déclaration de grossesse est donc l’acte par lequel les femmes célibataires ou veuves font savoir à l’autorité judiciaire – le greffe de la haute justice seigneuriale ou celui de la prévôté royale – qu’elles sont enceintes. Le défaut de déclaration peut entraîner la peine de mort.

Cet édit doit être lu tous les trois mois par le prêtre, dans chaque paroisse de France, aux prônes des messes paroissiales.

 

Les curés de Conque se sont non seulement acquittés de cette obligation, mais en ont consciencieusement rédigé la preuve, tous les ans, dans les registres paroissiaux (sauf 1780 et 1781).

 

Certificat signé Verdier, 1783 © AD12

"Nous soussigné curé de la ville de Conques certifions que nous avons publié cette année au prône de notre messe de paroisse l'édit d'Henri Second concernant les femmes et filles qui cachent leurs grossesses comme il est ord porté par les édits et ordonnances. à Conques ce 2 janvier 1783. Verdier curé"


"J'ai l'honneur d'assurer de notre respect monsieur le juge mage de Villefranche de lui certifier que je lui fais passer un double des registres de ma paroisse et que j'ai publié l'édit d'Henri deux concernant les filles et femmes qui cachent leurs grossesses pendant tous les trois mois ainsi qu'il nous est prescrit par les ordonnances royaux [sic] à Conques ce 1er de l'an 1788. Aymé curé de Conques"

 

Certificat Aymé, 1790 © AD12

"J'ai l'honneur de certifier a messieurs les juges du district d'Aubin que je publie pendant le cours de l'année l'édit d'Henri deux concernant les femmes enceinte qui recèlent leur grossesse et leur part et que je leur ai fait remettre ledit registre de 1790. A Conques ce 2 de l'an 1791. Aymé curé"

 

Dans la décennie précédente, l’édit n’est signalé qu’à la fin de l’année 1775 seulement.

 

Pour les curieux, voici le texte complet de l'édit :


Édit d'Henri II, 1556 © Gallica

"Édit du roi Henri II contre les femmes qui scellent leur grossesse donnée à Paris au mois de février 1556

Henri, par la grâce de Dieu, roi de France ; à tous présents et à venir, salut. Comme nos prédécesseurs et progéniteurs très chrétiens rois de France ayant par actes vertueux et catholiques, chacun a son endroit, montré par leur très louables effets, qu’à droit et bonne raison ledit nom de très chrétien, comme à eux propre et péculier, leur en avoit été attribué : en quoi les voulant imiter et suivre, et ayant par plusieurs bons et salutaires exemples témoigné la dévotion qu’avons à conserver et gardé ce temps céleste et excellent titre, duquel les principaux effets sont de faire initier les créatures que Dieu envoie sur terre en notre Royaume, pays, terres et seigneuries de notre obéissance aux sacrements par lui ordonnés : et quand il lui plaît les rappeler à soi, leur procurer curieusement les autres sacrements pour ce institués, avec les derniers honneurs de sépulture. En étant dûment averti d’un crime très énorme et exécrable, fréquent en notre Royaume qui est que plusieurs femmes ayant conçu enfants par moyens déshonnêtes ou autrement, persuadées par mauvais vouloir et conseil, déguise, occulte et cachent leurs grossesses sans en rien découvrir et déclarer. Et advenant le temps de leur part et délivrance de leur fruit, occultement s’en délivre ; puis le suffoquent, meurtrissent et autrement suppriment, sans leur avoir fait impartir le saint sacrement de baptême. Ce fait les jette en lieux secrets et immondes, ou enfouissent en terre profane, les privant par tel moyen de la sépulture coutumière des chrétiens. De quoi étant prévenues et accusées par devant nos juges, s’excusent, disant avoir eu honte de déclarer leur vice, et que leurs enfants sont sortis de leur ventre morts et sans aucune apparence ou espérance de vie : tellement que par faute d’autre preuve, les gens tenant tant nos cours de Parlement, qu’autres nos juges, voulant procéder au jugement des procès criminels faits à l’encontre de telles femmes sont tombés et entrés en diverses opinions : les uns concluant au supplice de mort, les autres à question extraordinaire, afin de savoir et entendre par leur bouche, si à la vérité le fruit issu de leur ventre était mort ou vif. Après laquelle question endurée, pour n’avoir aucune chose voulue confesser, leurs sont les prisons le plus souvent ouvertes, qui a été et cause de les faire retomber, récidiver et commettre tels et semblables délits, à notre très grand regret et scandale de nos sujets. A quoi pour l’avenir nous avons bien voulu pourvoir.

Savoir faisons, que nous désirant extirper et du tout faire cesser lesdits exécrables et énormes crimes, vices, iniquités et délits qui se commettent en notredit Royaume et ôtez les occasions et racines d’iceux dorénavant commettre, avons (pour ce obvier) dit, statué et ordonné ; et par édit perpétuel, loi générale et irrévocable, de notre propre mouvement pleine puissance et autorité royale, disons, flattons, voulons, ordonnons et nous plaît, que toute femme qui se trouvera dûment atteinte et convaincue d’avoir scellé, couvert et occulté tant sa grossesse, que son enfantement, sans avoir déclaré l’un ou l’autre, et avoir prit de l’un ou l’autre témoignage suffisant même de la vie ou mort de son enfant lors de l’issue de son ventre et après se trouve l’enfant avoir été privé, tant du saint sacrement de baptême, que sépulture publique et accoutumée, sont telles femme tenue et réputée d’avoir homicidé son enfant. Et pour réparation, punie de mort et dernier supplice, et de telle rigueur que la qualité particulière du cas le méritera : afin que ce soit exemple à tous, et que si après n’y soit fait aucune doute ni difficulté.

Si donnons en mandement par ces présentes à nos âmes et féaux conseillers les gens tenant nos cours de Parlement, prévôt de Paris, baillifs, sénéchaux et autres nos officiers et justiciers, ou à leurs lieutenants, et à chacun d’eux, que cette présente ordonnance, édit, loi et statut, il fasse, chacun en droit soi, lire, publier et registrer ; et incontinent après la réception d’icelui, publier à son de trompe et cri public par les carrefours et lieux publics ; à faire cris et proclamation, tant de notre ville de Paris, que autre lieu de notre Royaume et aussi par les officiers des seigneurs aux justiciers en leurs seigneuries et justices, en manière que chacun n’en puisse prétendre cause d’ignorance, et ce de trois mois en trois mois. En outre, qu’il soit lu et publié aux prônes des messes paroissiales desdites villes, pays, terres et seigneuries de notre obéissance par les curés ou vicaires d’icelles, et icelui édit garde et observe, et fasse garder et observer de point en point selon sa forme et teneur, sans y contrevenir. Et pour ce que de cesdites présentes l’on pourra avoir affaire en plusieurs lieux, nous voulons que aux vidimus d’icelles fait sous sceau Royal, foi soit ajoutée comme au présent original : auquel en témoin de ce, afin que ce soit chose ferme et stable, nous avons fait mettre notre sceau.

Donné à Paris, au mois de février, l’an de grâce mil cinq cent cinquante six ; et de notre règne le dixième. Ainsi signé sur le repli, par le roi en son conseil, Clause."

 


 


samedi 4 novembre 2023

D comme Dispense des deux bans

La publication des bans est une démarche nécessaire à tout mariage. Il s’agit d’une procédure obligatoire dont le but est de rendre publique et officielle une future union et de permettre à toute personne de s’y opposer pour une raison valable et vérifiable (empêchements de consanguinité, d’affinité spirituelle, d’honnêteté publique, de concubinage, etc..). Le non-respect de la publication des bans peut être une cause d’annulation du mariage. Sous l’Ancien Régime les bans sont publiés pendant les trois semaines précédant la cérémonie (depuis les conciles de Latran, 1215, et de Trente, 1563) lors au prône des messes des trois dimanches ou jours de fêtes dans la ou les deux paroisses d’origine des futurs époux. 

 

Noce aveyronnaise © Cartorum
 

Il existe cependant différents cas qui permettent d’être dispensé de la publication d’un ou plusieurs bans :

  • lorsque l’on souhaitait s’unir durant l’Avent ou le Carême, période théorique d’abstinence qui interdisait toute union pour 40 jours ;
  • pour éviter la naissance d’un enfant illégitime si la grossesse était déjà bien avancée ;
  • relation de cousinage entre les époux ;
  • veuf et veuve se remariant ;
  • Etc…

Il va de soit que cette demande de dispense est payante.

 

"L'an mil sept cent quatre vingt trois et le seizième juillet après la publication d'un banc de mariage faite en cette église et dans celle d'Arjac comme il conste par le certificat de Mr Marc curé signé le quatorze juillet sans qu'il soit venu en notre connaissance ni en celle de Mr le curé d'Arjac aucun empêchement canonique ni civil ont été conjoints en mariage suivant les formalités de notre sainte mère l'église catholique et romaine après avoir obtenu la dispense des deux autres bancs en date du quatorze dudit mois et an Grun vicaire général signé contresigné par le secrétaire de l'évêché Vala signé dument insinué ledit jour et an Ityé signé, Jean-Pierre Madrières Me cordonnier fils légitime à Pierre Madrieres et à feue Anne Treilhes de la ville de Conques et Anne Medal fille légitime à feu Michel Medal et à Catherine Pradels du lieu d'Arjac en présence d'Antoine Delagnes travailleur, de Jean Antoine Falissard marchand, d'Antoine Martin vigneron et de Jean Falissard meunier a Molinac tous de Conques soussigné ainsi que l'époux, l'épouse n'ayant su signer de ce requise"

 

"L’an mil sept cent quatre vingt neuf et le onzième du mois de novembre après la publication des bans du futur mariage d'entre le sieur Hyacinthe Garrigues maître chirurgien habitant de la ville de Conques depuis environ quatre mois fils légitime et naturel du sieur Hyacinthe Garrigues aussi maître chirurgien et de demoiselle Catherine Virinques mariés habitant du lieu de Valady d’une part et de demoiselle Marie Jeanne Benazech fille légitime de sieur feu Pierre Benazech bourgeois et de demoiselle Jeanne Baurs mariés tous habitants de ladite ville de Conques faite un fois seulement au prône de notre messe paroissiale de ladite ville et au prône de la messe paroissiale du lieu de Valady où il a été annoncé que les parties se proposoient de demander la dispense des deux autres bans qu'ils ont obtenue comme il conste par le certificat de dispense du 9e novembre de la présente année signé du sieur Fajole vicaire général et plus bas du sieur Dujols secrétaire, ledit certificat annexé au registre que nous avons devant nous sans qu’il soit venu à notre connaissance ni à celle du sieur Rey curé de Valady d’après son certificat du 9 novembre même année aucun empêchement civil ni canonique, je soussigné ai reçu leur mutuel consentement et leur ai donné la bénédiction nuptiale en présence du sieur Jean Baptiste Garrigues frère au nouveau marié Me chirurgien habitant du lieu de St Cyprien, du sieur François Labro marchand, du sieur Guillaume Blax Me menuisier et François Ferrières clerc du chapitre [… ?] habitants de Conques soussigné avec les parties"

 

Mariage Pierre Bobis et Catherine Tarral, 1781 © AD12

"Le 27e septembre 1781 par nous curé soussigné a été célébré en face de la sainte église du consentement des parents respectifs le mariage de Pierre Bobis tisserand fils légitime de feu Jean Bobis Marie Lacroix mariés de la Croix paroisse de Vieillevie en Auvergne avec Catherine Tarral fille de feu Antoine Tarral et marie Boudou mariés de Conques, les bans de mariage ayant été publiés pour les 1er et 2e et dernière publication à la messe de paroisse de Conques sans opposition ni déclaration d'empêchement, les parties ayant obtenues une dispense des deux bans de Mgr l'évêque de Rodez ci attachée, ledit Bobis résidant à Conques depuis plus d'un an et étant majeur, présents Baptiste et François Bobis frères du nouvel époux, Pierre Anterrieux et Guillaume Tarral de Conques signés"

 

Cas unique sur la période étudiée : une sommation respectueuse :

"Le 25 de juillet 1781 a été célébré le mariage de Michel Falissard fils de Jean Falissard marchand et d’Anne Galtier mariés de Moulinols paroisse de Conques avec Antoinettre Vigroux fille de Pierre Vigroux et de Catherine Carles mariés de la ville de Conques après avoir publié les bans pendant trois fois selon le droit sans opposition ni révélation d'empêchement en conséquence de trois sommations respectueuses que ledit Michel Falissard a faite à son père en due forme contrôlées à Marcillac qui sont chez le sieur Benezech notaire de Conques attaché au contrat de mariage qui sont en conséquence desdites sommations passées devant lui le 22 de ce mois et du consentement des autres parents respectifs présents Pierre et Antoine Vigroux frères de l’époux, Joseph Falissard et Pierre Alexis Alran soussigné avec l’époux, l’épouse de ce requise a dit ne savoir"

 

Une sommation respectueuse est un acte extra-judiciaire que des mineurs sont tenus de faire signifier à leurs père et mère lorsque ces derniers n’ont pas donné leur consentement au mariage. On dit que la sommation est respectueuse, car la demande est formulée avec respect, et surtout parce qu’elle est faite sans appareil de justice : c’est un notaire et non un huissier qui joue le rôle d’intermédiaire.

Mariés le 25 juillet, le couple donne naissance à un fils le 31 ! La grossesse était peut-être la cause du refus parental pour ce mariage… et la raison pressante des époux de le faire !