Sentant sa fin proche venir, Marie Charrier (ma sosa 227 à la VIIIème génération) règle ses
affaires. Elle n’a que 61 ans environ, mais elle est malade, détenue au lit.
Depuis la « chambre basse » de la métairie de Cruhé, paroisse de
Noirterre (79), elle reçoit notaire et témoins.
Extrait du testament de Marie Charrier, 1809 © AD79
Dans cette
« chambre, ayant une porte et une petite fenêtre au midi donnant sur le
jardin, une autre porte à main droite et communiquant dans une autre chambre,
une autre porte et une fenêtre au couchant donnant sur la cour […], dans un lit
à main gauche de la cheminée [se trouve] ladite Marie Charrier veuve Paineau
malade mais saine d’esprit, mémoire et entendement. » Outre un sens du
détail particulièrement entretenu, Me Melon a dû se rêver poète dans une autre
vie et, à défaut de vers, il rédige des testaments particulièrement sensibles et
délicats. Jugez plutôt :
« Laquelle [déclare] que son âge avancé, les infirmités
dont elle se trouve accablée, jointe à une indisposition de santé qui depuis
quelques temps lui font apercevoir que, si le temps de sa dernière heure est
encore éloigné, elle n’a plus qu’à compter des jours de douleurs. Que dans
cette idée elle s’est décidée à prendre des mesures relatives aux biens dont la
vie lui laisse la libre disposition ».
Bref, elle met ses affaires en ordre et fait « son
testament et ordonnance de dernières volontés ».
La veille déjà, le six novembre 1809, elle avait fait le
bilan de ses biens. La communauté qui existait entre elle, son défunt mari et
ses enfants, pour gérer la métairie de Cruhé, avait été dissoute trois ans
auparavant, le 30 septembre 1806. Un inventaire avait été dressé devant le même
Me Melon, notaire à Bressuire. Il résulte de cet acte que ladite communauté
s’élevait, déduction faite du passif, à la somme de 9 964 francs. Marie
Charrier y était fondée pour la moitié (soit 4 982 francs) et chacun de ses
enfants - savoir François, Pierre, Perrine épouse de Jean Lavault, Marie Louise
épouse de Mathurin Gabard, Françoise épouse de Jean Gabard (cousin du
précédent), et Marie Anne aujourd’hui décédée - pour une douzième partie (soit
830,33 francs).
Mais ayant été observé audit inventaire que Perrine Paineau
femme Lavault et Marie Louise femme Gabard avaient eu lors de leur mariage
chacune la somme de 400 francs qui avait été prélevé sur ladite communauté, les
parties consentirent que, sur l’actif de la communauté, il fut prit une somme
de 1 600 francs en faveur des autres enfants, afin d’établir l’égalité
entre eux. Le surplus de l’actif de ladite communauté, prélèvement fait, fut
divisé entre Marie Charrier et ses enfants, suivant ce que chacun se trouvait
fondé. Il restait donc à ladite veuve 4 182 francs, à Perrine et Marie 697
francs (en plus du versement de leurs dots de 400 francs chacune), et pour les
autres enfants 1 097 francs.
Trois ans plus tard, en 1809 donc, Marie Charrier est
« parvenue à un âge où le repos doit se mettre à la place des peines, des
soins, des embarras qui depuis longtemps ont altéré sa santé, maintenant
toujours chancelante. » Faisant le bilan que, depuis la dissolution de la communauté qui existait entre elle et ses enfants, la portion qui lui en a été départie diminue
sensiblement, à la fois parce qu’elle ne peut se livrer à aucun travaux qui
puissent faire fructifier ses avoirs et parce qu’il lui coûte continuellement pour se procurer
ce qui est indispensablement nécessaire à sa subsistance. D’autre part, elle
voit avec satisfaction François Paineau son fils aîné diriger avec soins ses
intérêts particuliers et augmenter son avoir par son assiduité au travail et
par de sages entreprises. Dans le cas où elle aurait encore plusieurs années à
vivre restant seule, son avoir se trouverait entièrement dissipé et ses
héritiers totalement privés de ce qu’elle a à cœur de leur conserver.
Partant de ces raisons, qu’elle croit des plus légitimes, elle propose à son fils d’établir une
communauté entre elle et lui. Comme il a manifesté le désir de lui
prodiguer les secours et les soins qu’exigent sa vieillesse, il a été fait, convenu
et arrêté entre eux d’établir une communauté de tous les biens
meubles et effets qui leur appartiennent à chacun, à partir de ce jour. L'apport de ladite veuve dans cette communauté est constitué par la portion
qu'elle a reçue dans la succession de Marie Anne sa fille décédée quelques
mois plus tôt et la somme de 3 673 livres qui lui reste des 4 182
livres de la moitié de l’inventaire réalisé après la dissolution de la précédente communauté en 1806 - Elle a en effet entre temps consommé 509
livres tant pour subsistance que pour traitement dans ses maladies. Ledit
François Paineau, pour sa part, y conférera ses travaux, son industrie, sa portion afférente
dans la succession de ladite Marie Anne sa sœur et la somme de 1 724 francs
qui est entre ses mains en meubles, argent et autres objets mobiliers
; c'est-à-dire 1 097 francs de sa portion d’inventaire que sa mère lui
a payé et 627 livres qu’il a gagné par ses travaux particuliers depuis la
dissolution de communauté, ainsi que sa mère le reconnaît. Il sera libre à
l’une ou à l’autre des parties de dissoudre à volonté ladite communauté ou
association. En ce cas, elle sera partagée entre ledit Paineau et sadite mère
par moitié.
Ainsi par cet acte, Marie Charrier assure sa subsistance
pour la fin de vie, dont la santé et si fragile. Mais ce n’est pas tout. Marie
désire gratifier plus particulièrement son fils aîné.
Il est vrai que, de ses huit enfants, deux sont morts en bas
âge, trois filles se sont mariées et ont quitté le foyer maternel pour ceux de
leurs époux. La dernière fille est décédée sept mois auparavant, en avril. Lui
reste deux fils, qui demeurent encore avec elle. François l’aîné a alors 33
ans. Le cadet, Pierre est âgé de 26 ans. Tous les deux sont encore célibataires
(François se mariera l’année suivante mais Pierre restera célibataire toute sa
vie). Marie donc vit avec ses deux fils. Et visiblement ils prennent
particulièrement bien soins d’elle et de sa santé chancelante, notamment
l’aîné. C’est pourquoi elle souhaite les récompenser de leurs attentions.
Aussi elle déclare au notaire, revenu dans la métairie le 7
novembre que, « considérant que François Paineau mon fils demeurant avec
moi, et particulièrement depuis la mort de François Paineau mon mari, a dirigé
les travaux et les intérêts de la maison. Que sa bonne conduite et son économie
a fait fructifier suffisamment le peu que j’avais pour élever mes autres
enfants et leur amener une aisance telle qu’ils peuvent […], en tenant la même
conduite, se soustraire aux besoins que produit la misère. Que pour cette
raison il est de justice que j’offre ma reconnaissance audit François Paineau.
Considérant également que Pierre Paineau mon autre fils demeurant aussi avec
moi a aidé son frère dans ses travaux, qu’à ce titre il mérite aussi ma
gratitude. »
C’est pourquoi elle « donne et lègue audit François
Paineau à perpétuité, à lui et aux siens, par preciput et hors part, la quotité
de biens meubles et immeubles dont il était permis de disposer par les lois
existantes. » C'est-à-dire qu’elle lui donne, par avantage au dessus des
autres héritiers, la part maximum de son patrimoine dont la
loi lui permet de disposer librement (malgré la présence d’héritiers
réservataires, à savoir ceux qui ont droit à une part obligatoire sur la
succession). Elle « charge
expressément ledit François Paineau de vouloir, le plus tôt qu’il puisse, faire
dire des messes pour le repos de [son] âme, pour la somme de 24 livres, et de
donner aux pauvres la quantité de 4 charges de blé seigle et desquelles il
voudra bien faire faire la distribution après la récolte prochaine. »
A son autre fils Pierre elle donne, hors sa
part de succession, « un lit ou la somme de 72 livres ».
Ces dispositions désavantagent ses filles mariées. Marie
Charrier en est bien consciente. C’est pourquoi elle précise : « si
mes filles et gendres veulent bien me donner ou prouver l’amitié qu’ils m’ont
toujours manifesté, ils ne contrarieront d’aucune manière mes intentions telles
qu’elles sont exprimées en faveur desdits François et Pierre Paineau leur frère
et beau frère et que je considère comme un acte de justice. Pour cette raison
je les invite à vouloir respecter ma volonté. »
Marie décède dans « le courant de ce mois » de
novembre 1809. Mais, malgré des dispositions claires et précises, le fiel de la
discorde s’est insinué entre ses enfants. Cinq mois plus tard, les revoilà
devant Me Melon pour contester ce testament, si avantageux pour certains et défavorable
pour d’autres. Ses trois gendres, Jean Lavaut et les cousins Mathurin et Jean Gabard,
pensent avoir des droits à cause de leur belle mère sur ladite
communauté établie entre elle et son fils François. Tandis que, de son côté, François Paineau son fils, en vertu
du testament précité a, au contraire, la prétention d’obtenir ce que sa mère
lui a légué.
Afin de maintenir entre elles l’harmonie qui a
toujours existé, les parties ont le présent désir d’entrer en discussion.
S’étant approchées, elles ont convenu et ont respectivement arrêté ce qui
suit :
- Tous les meubles et effets qui forment et
composent la communauté établie entre ladite veuve et son fils resteront à la
disposition et appartiendront en toute propriété à compter de ce jour audit
François Paineau.
-
Les autres biens de la métairie de Cruhé
appartiendront également, pendant le temps qui reste à expirer de bail, audit
François Paineau, sans que les autres parties puissent y prétendre, mais sous
l’expresse condition que ledit François Paineau acquitte seul, et sans que les
autres puissent être inquiétés, les prix de ferme et contributions qui seront
dues à cause de cette métairie.
-
Est attendu que sur la communauté entre ladite
veuve et son fils il revient auxdits Gabard, Lavaut et Pierre Paineau les
quatre cinquième dans la moitié des effets de ladite communauté, à cause du
décès de ladite veuve et en tant que ses héritiers ; lesdits Gabard, Lavaut
et Paineau veulent bien se restreindre à la somme de 734,70 francs pour leur
portion, ce qui fait pour chacun la somme de 183,67 francs ; en conséquence
ledit François Paineau promet et s’oblige de leur payer à chacun cette dernière
somme avant un an, sans intérêt.
- Au vu de tout ce qui a été convenu ci-dessus,
lesdits François et Pierre Paineau désirant recevoir le profit du testament
fait en leur faveur par ladite Charrier leur mère, les parties s’accordent à
renoncer à toute demande supplémentaire.
On le voit, la poésie d’un testament des plus clairs, n’a
pas empêché les héritiers de devoir négocier l'héritage et s’accorder entre eux, sous peine d’une brouille à
jamais irréversible.
~ * ~
Avant de terminer, je note ici une curiosité généalogique :
Marie, qui rencontre donc le notaire les 6 et 7 novembre pour ses dernières
dispositions est, selon les registres d’état civil, décédée… le 30 octobre !
Il n’y aucun doute à avoir concernant l’identité de la personne,
fort bien décrite, ni sur les dates des actes notariés, par ailleurs rappelées dans
l’acte de 1810 entre ses héritiers. Les déclarations de succession et de mutation
indiquent qu’elle est décédée le 12 ou le 13 novembre. Alors, qu’a fabriqué le
maire de Noirterre, faisant fonction d’officier de l’état civil, en inscrivant
sur son registre le 31 octobre que Marie Charrier est « décédée du jour
précédent sur les cinq heures du matin » ? Il n’y a pas d’actes sur
le registre avant la fin du mois de novembre. Peut-être qu’à l’occasion du
décès suivant, il s’est soudain rappelé qu’il n’avait pas inscrit le décès de
Marie Charrier sur le registre et que, ne se rappelant pas bien la date du décès,
il a écrit au hasard le 31 octobre ? Ce n’est que mon hypothèse mais, je le
crains, cette anomalie généalogique restera sans réponse…