« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

mardi 19 novembre 2024

P comme procédure

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT

 

Au cours des investigations, il apparu que le Révérend CHOMETTY avait joué un rôle dans cette affaire. Or, en tant qu’ecclésiastique, il ne pouvait être jugé par le tribunal laïc. L’avocat fiscal général prit donc sa plume :

« A nos seigneurs,
Il résulte, suite à la procédure faite par le Sieur juge de Samoëns à sujet d’un meurtre commis à la fin du mois de janvier, sur la personne du nommé Vincent REY soldat dans le régiment de Séville, que le Révérend Nicolas CHOMETTY chanoine de la collégiale dudit Samoëns se trouve impliqué dans ce délit avec François JAY et la Françoise GUILLOT sa femme. Et comme ledit juge de Samoëns ne peut pas être compétant à l’égard dudit ecclésiastique, et qu’il ne convient pas de faire différentes procédures sur le même fait, le vice fiscal requiert, à ce qu’il plaise au Sénat, de commettre le Sieur juge mage, et en cas d’absence ou d’empêchement le Sieur son lieutenant, qui sont les juges naturels des délits communs contre les ecclésiastiques.

Lettre signée par Monsieur DUFRESNEY 

 

Procédure, création personnelle inspirée de Griffo
Procédure, création personnelle inspirée de Griffo

 

Par cette demande, le juge mage* fut donc requis de poursuivre la procédure.


Horace-Victor SCLANDI SPADA, le Président du Sénat de Savoie, émit un décret énonçant que, suivant la demande de l’avocat fiscal général, le juge mage de Faucigny soit commis dans cette affaire - et en cas d’absence ou d’empêchement son lieutenant à sa place - pour procéder, en l’assistance de l’avocat fiscal provincial.
« Fait à Chambéry au bureau du Sénat le vingt quatre février mil sept cent quarante huit. »


Ce fut donc Me RAMBERT qui reprit le dossier après le juge DELAGRANGE, à partir du 24 février, suivant le décret du Président du Sénat de Savoie.


Deux jours plus tard, le juge mage fut encouragé à poursuivre la procédure. Si toutefois l’official [prêtre délégué par un évêque pour exercer en son nom des fonctions de juge] souhaitait reprendre l’affaire, ce serait au juge mage d’aller chez lui avec l’avocat fiscal, et son greffier, et il reviendrait audit official à interroger les témoins et dicter leurs dépositions à son greffier et à celui du juge mage. Néanmoins l’avocat fiscal général pensa que cette instruction resterait inutile parce que le tribunal de l’officialité de Genève n’avait fait aucune démarche dans ce sens.

« Au reste vous verrez ce qui a déjà été fait qu’il y aura encore d’autres choses à faire, c’est à dire de suivre un peu les accusés après leur fuite pour savoir ce qu’ils disent. »

L’histoire de la soutane d’été du Révérend CHOMETTY (voir la lettre H de ce ChallengeAZ) revint dans la procédure puisqu’il paraissait qu’il la portait immédiatement après la découverte du cadavre, sans doute pour qu’on ne vit pas le sang qui était sur celle d’hiver. « C’est un fait à éclaircir. »

« Chambéry le 26 février 1748,
Votre très humble très obéissant serviteur DUFRESNEY
 »

 

L’avocat fiscal de la province de Faucigny s’adressa à son tour à son juge mage, puisqu’à l’occasion du meurtre commis, plusieurs particuliers de Samoëns (notamment les nommés François JAY et la Françoise GUILLOT, mariés, et le Révérend Nicolas CHOMETTY, chanoine de la collégiale) étaient soupçonnés et qu’ils se trouvaient évadés ante inquisitionem [avant l’enquête]. Or la peine qu’ils pouvaient encourir était non seulement corporelle mais aussi ensuivie de la confiscation de leurs biens.

Il proposa donc de commettre Me BIORD notaire collégié, ou tel autre notaire résident rière Samoëns, pour procéder à l’annotation [état et inventaire des biens saisis et marqués par l’autorité de justice sur un criminel ou sur un accusé] des biens meubles et immeubles, effets et bestiaux desdits mariés JAY. Et comme les effets et biens dudit Révérend CHOMETTY se trouvaient sur le territoire de la Taninges, il demanda de commettre Me MONTANT, notaire collegié résident en ce lieu-là, pour procéder de même à l’annotation, en l’assistance du syndic ou de Me JACQUIER.
« Signé par Monsieur PRESSET substitut avocat fiscal provincial »

 

 

 

* Pour se remettre en mémoire les rôles attribués aux différents juges de Savoie, voir la rubrique « Pour en savoir plus » de l’intro de ce ChallengeAZ.

 

 

lundi 18 novembre 2024

O comme observations

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT


Après les déclarations de différents témoins et la visite faite au domicile des JAY, le juge avait cherché à en savoir plus sur les trous des vêtements, le couteau et les blessures du soldat. 

 

Observations, création personnelle inspirée d’A. Juillard
Observations, création personnelle inspirée d’A. Juillard


Il  présenta donc à Me Noël DELACOSTE le chirurgien la chemise d’homme qui avait sept coups de couteau : trois à la manche gauche (un sur le devant et deux sur le derrière du bras), deux au rein, un sur l’épaule, et l’autre un peu plus bas. Elle avait aussi deux boutonnières au bord du col et deux à chaque manche, dont l’une était rompue. Ladite chemise de toile mêlée était mouillée et ensanglantée en plusieurs endroits. Il présenta aussi des culottes de drap de pays de couleur minimes, qui avaient un coup de couteau sur la fesse gauche, avec un bouton jaune à la ceinture de la culotte. La ceinture était doublée d’une toile neuve ensanglantée du côté gauche, quatre boutons de la même étoffe, et des jarretières au bas des culottes.

 

Et après avoir fait enlever les cachets de l’étui à couteau de cuir, tendant sur le rouge au dessus, et au dessous couvert d’un cuir noir, de la longueur d’un pouce [2,5 cm], le juge somma ledit chirurgien de lui déclarer si le trou qui était plus près du bas de la chemise et celui qui était sur la culotte pouvaient avoir été faits du même coup. Et si tous les coups qui étaient dans la chemise et celui qui était dans la culotte avait été faits avec le même couteau. Et si ceux qu’il a observés dans la cuisse du cadavre de Vincent REY lors qu’il procéda à la visite le dimanche précédent avaient été faits avec la même arme. Comme encore si tous les coups pouvaient avoir été faits avec le couteau, auquel l’étui qu’il lui exhibait servait de gaine.

 

Le chirurgien confirma que le trou de la culotte et celui de la chemise avaient bien été faits du même coup, parce qu’ils étaient tous les deux à travers et qu’ils donnaient tous les deux sur le même endroit. « Et quoy que le troup quil y a dans la cullotte soit un peu plus large que celuy de la chemise, cela nempeche pas quil n’ayent été fait de la même arme ». En effet, la culotte étant plus près que la chemise du large de la lame, son trou devait aussi être plus large que celui de la chemise. De toute évidence, les trous étaient presque aussi larges que la gaine à couteau, ainsi que ceux observés dans la cuisse du cadavre de Vincent. En conséquence, le chirurgien conclut que tous les trous et les blessures devaient avoir été faits avec le couteau qui était dans l’étui.

 

Le juge prit l’avis d’un second chirurgien, Me Jean François DUSAUGEY. Il lui présenta à son tour les vêtements et le somma de déclarer s’il croyait que les coups avaient été fait avec la même arme et si celle-ci pouvait être le couteau qui devait entrer dans la gaine de cuir rouge qu’il lui montra. Le chirurgien pensa lui aussi que les trous avaient été faits avec une arme identique, bien qu’ils soient de largeurs différentes. « Cela n’oppere pas une difference d’arme, mais fait seulement qu’il y a des coups qui ont plus penetré les uns que les autres. »

 

 

 

samedi 16 novembre 2024

N comme nocif

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT

 

Avait-on tenté d’empoisonner le cavalier de Séville ?

C’est ce qu’ont semblé insinuer plusieurs témoins, comme le Sieur Jean François FERRIER, qui, le 11 février, discutait avec les nommés DELECHAUX et REVEL, de Cluses, au sujet de la mort du soldat. Le premier lui avait dit qu’il s’était trouvé à Scionzier avec Vincent REY le jour où celui-ci devait être parti sans autorisation. Il était en sa compagnie, dans la soirée, lorsque le soldat avait sorti de sa poche un morceau d’andouille et déclaré : « Voila une landouille que l’on m’a envoyé de Samoëns. Je voulais la mettre cuire mais mes camarades n’ont pas voulu. J’ai bien fait de suivre leur conseil car j’en a donné un morceau à un chat qui est crevé sur le champ. Mais il faut que ceux qui me l’ont envoyé me la payent avant que ce soit demain matin. »

 

Nocif, création personnelle inspirée d’A. Juillard et A.Quin
Nocif, création personnelle inspirée d’A. Juillard et A.Quin

 

L’Honorable Jean François MERMIN, de Scionzier, avait lui aussi confirmé l’histoire de l’andouille empoisonnée. C’était quelques jours après les fêtes de Noël : on avait envoyé au soldat une andouille de Samoëns, qu’il n’avait pas voulu manger parce qu’il avait craint qu’il y eut quelques choses de mauvais dedans. « Mais il ne m’a pas dit qu’il en avait donné à un chat et qu’il en fut crevé et qu’il l’avait enterré ». 

 

Par ailleurs, Jean François MERMIN avait bien connu le soldat Vincent REY du régiment de Séville, parce qu’il logeait chez lui lorsque la compagnie était de quartier à Scionzier. Un soir, sans se ressouvenir duquel, sur environ les sept à huit heures, il lui dit qu’il ne venait pas coucher à la maison, parce qu’il allait être de garde à l’écurie. Il sortit effectivement enveloppé dans son manteau. Il vit alors un petit couteau qui se mettait dans une gaine dont la lame pouvait avoir quatre à cinq pouces de long [10 à 12,5 cm], ne coupait que d’un côté, était pointu et dont la lame pouvait être large d’un pouce auprès du manche, qui était de corne de cerf. Il a assuré pouvoir reconnaître le couteau s’il le voyait mais, hélas, non pas la gaine que le soldat avait refaite entre temps, car celle qu’il avait auparavant étant entièrement gâtée.

 

L’enquête n’a pas pu en savoir d’avantage sur cet épisode. Mais peut-être avait-il augmenté le ressentiment du soldat Vincent REY et nourri sa colère contre les JAY ?