Pour les générations les plus proches de nous il est difficile de récolter des documents officiels, les délais de communicabilité empêchant l’accès à un grand nombre d'informations. Alors il ne nous reste que la parole. Celle de ceux qui nous précèdent. Et il faut faire vite avant qu’ils disparaissent.
Du côté de ma mère c’est, disons… un peu compliqué. D’après ce que j’ai compris belle-mère et belle-fille ne s’entendaient pas. Bref, du vivant de ma grand-mère, je n’ai pas pu avoir d’information sur sa belle-famille.
Du côté de mon père, les questions sont venues trop tard.
On peut donc dire que j’ai laissé passer ma chance : maintenant tous mes grands-parents sont dans les nuages. Je tente donc de me rattraper sur la génération suivante : celle de mes parents.
Mes grands-parents paternels ont eu 7 enfants. 12 ans séparent l’aînée du dernier. Mon père se place en avant-dernière position : beaucoup d’événements vécus par ses aînés lui sont étrangers. Faute de grands-parents pour me renseigner, je me tourne donc vers leurs enfants premiers-nés. Mais eux aussi vieillissent. Ma tante aînée n’est plus vraiment là pour répondre à mes questions, hélas. Alors, prenant dans l’ordre, je « harcèle » le deuxième. Qu’il en soit ici chaleureusement remercié. Récemment il protestait gentiment, disant que les vieilles mémoires étaient comme des passoires. Ayant quelques notions de dinanderie, je tente de transformer les passoires en louches, pour récolter le maximum d’informations avant que la marmite de la mémoire percée ne soit définitivement vide.
Passoire © Delcampe
Parfois je fais choux blanc : qui se rappelle que le grand-oncle Frète avait (peut-être) adopté le cousin Robert de son père alors qu’on n’était même pas né (pour en savoir plus sur cet épisode, cliquez ici) ? Mais d’autres fois j’ai plus de chance et les quelques anecdotes que me raconte mon oncle sont un véritable régal pour moi… Mais parfois aussi un véritable casse-tête !
En effet, il n’est pas toujours facile de s’y retrouver dans les souvenirs des autres :
- Attend ! Attend ! Qui c’est « grand-mère Frète » dont tu me parles ? C’est la mère du boucher Daniel Frète ? Mais je croyais qu’il était orphelin. Ou est-ce sa belle-mère qui habitait avec eux ? Mais non, suis-je bête, celle-ci tu ne l’as pas connue : grand-mère Frète ne peut donc être, logiquement, que l’épouse de Daniel, la sœur de ton arrière-grand-mère, d’accord !
La « grand-mère » n’étant pas du tout sa grand-mère, ça part bien ! Bon, je commence à sentir que les petits noms vont me donner quelques séances de « mal aux cheveux ». Continuons.
Mon oncle reprend le fil de ses souvenirs :
- Suite à leur départ du logement qu’ils occupaient au-dessus de celui de grand-mère Frète, les grands-parents ont habité une cité d’urgence, construite après-guerre, appelée les Frémureau. Du coup, chez nous, on les appelait les grands-parents Frémureau.
- Bon, mais ces grands-parents, ce sont de « vrais » grands-parents cette fois ?
- Oui, c’étaient les parents de notre père. Nos enfants les avaient appelés comme ça pour les distinguer de leurs grands-parents maternels.
- OK, je suis : il s’agit donc d’Augustin et Louise Astié. Ensuite ?
- Et bien cette Louise, justement, on l’appelait Joséphine.
- … ?
- C’était à cause de ses employeurs : elle était domestique. Avant elle, ils avaient une Joséphine. Donc, ils ont décidé de continuer d’appeler la - nouvelle - domestique Joséphine (c’est vrai après tout : pourquoi s’embêter à apprendre un autre prénom !). Il se trouve que c’était, par hasard, son second prénom, mais de toute façon ça n’aurait rien changé. C’est pour cela qu’on l’appelait toujours Joséphine et non Louise.
- ... !!! Merci les patrons ! Et du coup, pourquoi tout le monde appelait sa sœur Célestine « la tante Henriette » ? Parce qu’elle, elle n’était pas domestique, elle, mais ouvrière chez Bessonneau (la grande usine d’Angers).
- Alors ça, je ne sais pas…
Ma louche est percée : personne ne peut me dire pourquoi Célestine est devenue Henriette.
Ma mère, de son côté, appelait sa grand-mère « mémère ».
- Oh ! Oh ! Doucement : laquelle de tes grand-mère appelais-tu ainsi ?
- Ma grand-mère paternelle, voyons ! Elle était domestique et les enfants de ses patrons l’appelaient mémère eux-aussi. Ils la considéraient comme leur propre grand-mère.
Voyons, voyons, c’est pas toujours facile à suivre, vos histoires de petits noms…
En tout cas, quand ma mère est devenue grand-mère à son tour, alors là pas question qu’elle se fasse appeler mémère ! Ça faisait trop… "mémère" : vous voyez ce que je veux dire ? Mémère, dans le mauvais sens du terme qu’on peut lui donner aujourd’hui.
En tout cas entre les Joséphine qui n’en sont pas vraiment, les Henriette qui n’en sont pas du tout, les grands-parents qui changent de surnoms quand ils changent de domicile, les mémères qui ont de vrais/vrais et des vrais/faux petits-enfants, pas facile de s’y retrouver…