« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

lundi 31 juillet 2017

#Centenaire1418 pas à pas : juillet 1917

Suite du parcours de Jean François Borrat-Michaud : tous les tweets du mois de juillet 1917 sont réunis ici.

Ne disposant, comme unique source directe, que de sa fiche matricule militaire, j'ai dû trouver d'autres sources pour raconter sa vie. Ne pouvant citer ces sources sur Twitter, elles sont ici précisées. Les photos sont là pour illustrer le propos; elles ne concernent pas forcément directement Jean François.

Les éléments détaillant son activité au front sont tirés des Journaux des Marches et Opérations qui détaillent le quotidien des troupes, trouvés sur le site Mémoire des hommes.

Toutes les personnes nommées dans les tweets ont réellement existé.
___ 

1er juillet
La 125e DI relèvera la 47e DI dans les nuits des 3, 4 et 5 juillet.

2 juillet
Travaux d’organisation.

3 juillet
Le Bataillon est relevé dans le quartier B par le 5e bataillon du 76 RI. Aucun incident.

4 juillet
Le Bataillon cantonne au camp de Bourgogne.

5 juillet
Départ par voie de terre pour Arcis Le Ponsard à 5h. Itinéraire : Romain, Breuil s/Vesle, Unchair, Courville. Cantonnement : camp d’Arcis Le Ponsart.

Carte Ventelay-Arcis le Ponsart

6 juillet
Stationnement. Repos. Douches.
Ordre de bataillon n°157.

7 juillet
Départ à 5h par voie de terre. Itinéraire : Dravegny, Cohan, Coulonges, Cierges, Fresne. Cantonnement : Fresne.

Carte Arcis le Ponsart-Fresne

8 juillet
Départ de Fresne à 6h par voie de terre. Itinéraire : Le Charmel, Jaulgonne. Cantonnement : Jaulgonne.
Ordre de bataillon n°158.

Carte Fresne-Jaulgonne

9 juillet
Le bataillon embarque en deux trains à la gare de Mezy : 10h30 et 14h30. Nous sommes dans le second.

10 juillet
Débarquement de nuit à Gondrecourt (Meuse).
Cantonnement du bataillon : Mauvages.

Carte Mézy-Gondrecourt

11 juillet
Installation dans les cantonnements.

12 juillet
Travaux de propreté. Échange d’effets.

13 juillet
La 47e Division est chargée « d’informer » l’armée américaine au camp de Gondrecourt.

14 juillet
Le Général de Division passe en revue la 47 DI et le Bataillon américain de Gondrecourt, sur la croupe située à l’Ouest de Delouze.

15 juillet
Repos.

16 juillet
Échanges avec les Américains.

Soldats américains © centenaire.org

17 juillet
Aucune note pour ce jour.

18 juillet
Reconnaissance de travaux d’aménagement d’un terrain d’exercices.

19 juillet
Le 51e Bataillon est chargé d’informer deux Bataillons américains.

Camp américain © cheminsdememoire.gouv.fr
Travaux : 100 travailleurs chaque jour à l’organisation d’un centre de résistance. Le reste du Bataillon est affecté aux corvées.

20 juillet
Ordre de bataillon n°160.

21 juillet
Par décret du Président de la République le capitaine Montignier est promu capitaine de réserve à T.D.

22 juillet
Ordres de bataillon n°161 et 162.

23 juillet
Aucune note pour ce jour.

24 juillet
Ordre de bataillon n°163.

25-31 juillet
Aucune note.



samedi 22 juillet 2017

Mémère et la tante Henriette

Pour les générations les plus proches de nous il est difficile de récolter des documents officiels, les délais de communicabilité empêchant l’accès à un grand nombre d'informations. Alors il ne nous reste que la parole. Celle de ceux qui nous précèdent. Et il faut faire vite avant qu’ils disparaissent.

Du côté de ma mère c’est, disons… un peu compliqué. D’après ce que j’ai compris belle-mère et belle-fille ne s’entendaient pas. Bref, du vivant de ma grand-mère, je n’ai pas pu avoir d’information sur sa belle-famille.

Du côté de mon père, les questions sont venues trop tard.
On peut donc dire que j’ai laissé passer ma chance : maintenant tous mes grands-parents sont dans les nuages. Je tente donc de me rattraper sur la génération suivante : celle de mes parents.

Mes grands-parents paternels ont eu 7 enfants. 12 ans séparent l’aînée du dernier. Mon père se place en avant-dernière position : beaucoup d’événements vécus par ses aînés lui sont étrangers. Faute de grands-parents pour me renseigner, je me tourne donc vers leurs enfants premiers-nés. Mais eux aussi vieillissent. Ma tante aînée n’est plus vraiment là pour répondre à mes questions, hélas. Alors, prenant dans l’ordre,  je « harcèle » le deuxième. Qu’il en soit ici chaleureusement remercié. Récemment il protestait gentiment, disant que les vieilles mémoires étaient comme des passoires. Ayant quelques notions de dinanderie, je tente de transformer les passoires en louches, pour récolter le maximum d’informations avant que la marmite de la mémoire percée ne soit définitivement vide.

Passoire © Delcampe

Parfois je fais choux blanc : qui se rappelle que le grand-oncle Frète avait (peut-être) adopté le cousin Robert de son père alors qu’on n’était même pas né (pour en savoir plus sur cet épisode, cliquez ici) ? Mais d’autres fois j’ai plus de chance et les quelques anecdotes que me raconte mon oncle sont un véritable régal pour moi… Mais parfois aussi un véritable casse-tête !

En effet, il n’est pas toujours facile de s’y retrouver dans les souvenirs des autres :
- Attend ! Attend ! Qui c’est « grand-mère Frète » dont tu me parles ? C’est la mère du boucher Daniel Frète ? Mais je croyais qu’il était orphelin. Ou est-ce sa belle-mère qui habitait avec eux ? Mais non, suis-je bête, celle-ci tu ne l’as pas connue : grand-mère Frète ne peut donc être, logiquement, que l’épouse de Daniel, la sœur de ton arrière-grand-mère, d’accord !
La « grand-mère » n’étant pas du tout sa grand-mère, ça part bien ! Bon, je commence à sentir que les petits noms vont me donner quelques séances de « mal aux cheveux ». Continuons.
Mon oncle reprend le fil de ses souvenirs :
- Suite à leur départ du logement qu’ils occupaient au-dessus de celui de grand-mère Frète, les grands-parents ont habité une cité d’urgence, construite après-guerre, appelée les Frémureau. Du coup, chez nous, on les appelait les grands-parents Frémureau.
- Bon, mais ces grands-parents, ce sont de « vrais » grands-parents cette fois ?
- Oui, c’étaient les parents de notre père. Nos enfants les avaient appelés comme ça pour les distinguer de leurs grands-parents maternels.
- OK, je suis : il s’agit donc d’Augustin et Louise Astié. Ensuite ?
- Et bien cette Louise, justement, on l’appelait Joséphine.
- … ?
- C’était à cause de ses employeurs : elle était domestique. Avant elle, ils avaient une Joséphine. Donc, ils ont décidé de continuer d’appeler la - nouvelle - domestique Joséphine (c’est vrai après tout : pourquoi s’embêter à apprendre un autre prénom !). Il se trouve que c’était, par hasard, son second prénom, mais de toute façon ça n’aurait rien changé. C’est pour cela qu’on l’appelait toujours Joséphine et non Louise.
- ... !!! Merci les patrons ! Et du coup, pourquoi tout le monde appelait sa sœur Célestine « la tante Henriette » ? Parce qu’elle, elle n’était pas domestique, elle, mais ouvrière chez Bessonneau (la grande usine d’Angers).
- Alors ça, je ne sais pas…
Ma louche est percée : personne ne peut me dire pourquoi Célestine est devenue Henriette.

Ma mère, de son côté, appelait sa grand-mère « mémère ».
- Oh ! Oh ! Doucement : laquelle de tes grand-mère appelais-tu ainsi ?
- Ma grand-mère paternelle, voyons ! Elle était domestique et les enfants de ses patrons l’appelaient mémère eux-aussi. Ils la considéraient comme leur propre grand-mère.
Voyons, voyons, c’est pas toujours facile à suivre, vos histoires de petits noms…
En tout cas,  quand ma mère est devenue grand-mère à son tour, alors là pas question qu’elle se fasse appeler mémère ! Ça faisait trop… "mémère" : vous voyez ce que je veux dire ? Mémère, dans le mauvais sens du terme qu’on peut lui donner aujourd’hui.

En tout cas entre les Joséphine qui n’en sont pas vraiment, les Henriette qui n’en sont pas du tout, les grands-parents qui changent de surnoms quand ils changent de domicile, les mémères qui ont de vrais/vrais et des vrais/faux petits-enfants, pas facile de s’y retrouver…


samedi 15 juillet 2017

#RDVAncestral : le mendiant

Je suis avec Suzanne. Nous faisons face à l’enclos paroissial de l’église du Quillio. Suzanne s’est arrêtée, indécise. Je respecte son silence. Son hésitation. Elle regardait fixement l’ensemble de bâtiments de granit. Je savais qu’elle ne voulait pas venir ici ; je lui avais un peu forcée la main. « Je n’en suis pas capable » m’avait-elle dit. Mais j’avais insisté. Et nous étions ici maintenant. Je regardais à mon tour : le muret de pierre, les colonnes de granit supportant le portail en fer forgé surmonté d’une croix, la placette délimitée par le muret et au fond l’église avec sa forêt de pinacles décorant le porche et les angles de l’église. A l’extrémité ouest, le clocher, tout blanc, couvert d’une toiture en ardoise et dominé par un coq en métal.

Le Quillio, enclos paroissial © le-quillio.fr

Brusquement Suzanne fit demi-tour, me laissant seule sur la place. Je ne lui en voulais pas. Je pensais ne même pas que nous arriverions jusque là, pour tout dire. Elle avait quitté cette paroisse depuis longtemps : étaient-ce les hasards de la vie ou les mauvais souvenirs qui s’y rattachaient ? Je n’avais pas osé lui poser la question.
Finalement, je traversais la place et franchis le portail. L’office était terminé mais quelques personnes flânaient encore ici et là, par petits groupes, devisant tranquillement, s’accordant un moment de repos avant le reprendre le labeur quotidien. 

Je ne le vis pas tout de suite, mais je savais où le trouver : il était toujours au même endroit, m’avait dit Suzanne. Je pris mon temps pour m’approcher. Effectivement, dans la pénombre profonde du porche, je commençais à le distinguer. Au début ce n’était qu’une ombre, puis la silhouette se fit plus nette. Il était assis, le dos au mur, les jambes repliées sous lui. Il était si concentré qu’il ne me remarqua pas au début. Il comptait les quelques piécettes que la charité des paroissiens lui avait octroyée au sortir de la messe. Je m’arrêtais à bonne distance pour le contempler sans l’offenser. Ses vêtement n’étaient que guenilles, la barbe lui mangeait les joues, ses cheveux étaient hirsutes et sales. Un profond sentiment de tristesse m’envahit. J’avais sous les yeux la misère. Non pas la misère ordinaire, mais celle d’un de mes ancêtres. Etait-ce pour cela qu’elle me touchait particulièrement ? 

Yves le Corre était le frère de la grand-mère de Suzanne. Il mendiait là depuis plusieurs années. L’affaire était un peu compliquée, et je n’avais pas su démêler le vrai du faux dans les différentes versions de son histoire que j’avais entendues : est-ce que sa famille l’avait abandonnée ? Est-ce lui qui avait refusé leur aide ? Y avait-il eu fâcherie irrémédiable ? Ou juste un désespoir qui vous entraîne vers l’abîme ? Il n’avait pas dû avoir une enfance très heureuse. Ses parents avaient été mariés 10 ans et avaient eu 4 enfants, dont une petite fille qui n’avait pas vécu. Puis sa mère mourut des suites d’une longue maladie alors qu’Yves n’était âgé que de 7 ans. Son père s’était rapidement remarié et un garçon était venu agrandir la fratrie dès l’année suivante. Les années avaient passées et ce n’était qu’à 43 ans qu’il s’était finalement lui-même marié. Puis il était devenu veuf à son tour.
Et aujourd’hui, à près de 80 ans, il était là. Seul. A mendier sous le porche de l’église. 

Je comprenais Suzanne qui ne voulait pas venir. Ne pas voir ce spectacle désolant. C’était le frère de sa grand-mère - un parent relativement éloigné, donc - mais ça devait lui déchirer le cœur de le voir ainsi.

Est-ce parce qu’il avait fini de compter ses pièces, ou m’avait-il aperçu du coin de l’œil ? Il releva la tête et tendit son bras vers moi. Sans un mot. Juste un pauvre sourire qui n’éclairait pas sa triste face. Dans sa main, une coupelle en argile dans laquelle tintaient quelques pièces. Je me penchais vers lui. Nos regards se fixèrent, intensément. Je lui mis dans la main de la monnaie que j’avais prévue à cet effet. Je gardais un moment sa main dans les miennes, sans que mes yeux ne quittent les siens un seul instant. Combien de temps cela a duré, je ne saurais le dire. Mes émotions se bousculaient. C’était un moment très fort. Est-ce qu’il perçu quelque chose de particulier, moi qui étais sa descendante ? Nous avons l’air aussi ému l’un que l’autre. 

Finalement c’est l’arrivée du curé, un quignon de pain à la main, qui nous sépara. Je partis vite, écrasant une larme au coin de l’œil : je savais que d’ici la fin de l’année il trouverait la mort, par une nuit froide de décembre. Le curé de la paroisse écrirait sur le formulaire pré-rempli du registre de décès qu’il n’avait pas survécu au-delà de quatre heures du matin, il mettrait « mendiant » à côté de « profession » et que les deux témoins cités dans cet acte seraient un colporteur et un laboureur.

Ces quelques lignes ne disaient rien. Et pourtant elles disaient tout : la pauvreté, la solitude, l’absence familiale…La triste fin d’une pauvre vie.


Rencontre avec Yves le Corre, frère de mon ancêtre Marie, mendiant, décédé le 30 décembre 1815 au Quillio (Côtes d’Armor).